Chapitre 30
— J'ignorais que tu étais aussi mauvais aux cartes, Saphir, ricane Alec en amassant ses jetons.
C'est peut-être la dixième fois qu'il gagne. Si ce n'est pas la onzième... La villa Nightsun comporte (comme toute bonne maison de riches qui se respecte) une salle dédiée aux jeux. Billard, roulette, poker... On se croirait dans un vrai casino tant les murs rouge sombre sont somptueux et tant les tables de jeu en bois massif brillent à la lumière des lustres non pas en cristal, mais faits d'un métal plaqué or magnifique. Réunis autour d'une partie d'un genre de poker aux règles ultra-complexes, Alec, Wren, Karlie, Darwin, Phoebe et moi nous amusons plutôt bien pour une soirée que je pensais être horrible. Surtout qu'Alec est incontestablement le meilleur joueur de notre groupe et qu'il ridiculise Darwin impecablement.
— Et moi je ne me doutais pas que tu étais si bon, grince Darwin avec un faux sourire cordial.
Il fait le désintéressé mais il a au moins perdu dix mille dollars en deux heures. Les mises montent haut avec les Nightsun... Pour ma part, j'ai perdu les pauvres dix dollars que j'avais misés dès la première partie. Alec m'a proposé de me donner de l'argent pour continuer mais honnêtement, je n'ai absolument rien compris aux règles de leur jeu et je ne souhaite pas me ridiculiser davantage. Wren et Phoebe ne sont pas meilleurs que moi mais Karlie est en revanche une plutôt bonne joueuse, surtout quand elle use de son charme pour faire flancher Darwin.
— On recommence à cent dollars ? questionne-t-elle en posant délicatement ses lèvres au bord de sa coupe de champagne.
— J'arrête, répond Darwin d'un ton définitif en croisant les bras sur son torse. Je vais finir par être à découvert...
— Tu rigoles ? s'exclame Alec en se versant une tasse de thé. Les Saphir ne sont pas très loin derrière nous dans le classement des familles les plus riches du Peuple des Astres. Tu n'es pas à cent dollars près...
— Mon père va me tuer quand il verra la somme du chèque que je vais te faire à la fin de la soirée, rétorque le perdant avec un regard noir.
— Et si tu lui expliques que c'était pour faire plaisir à une jolie fille, minaude Karlie en découvrant une de ses épaules et en papillonnant ses yeux trop maquillés.
Elle n'a pas eu la main légère avec le champagne et ne semble plus trop savoir ce qu'elle dit. Surtout que son état a l'air de la rendre encore plus sexy aux yeux de Darwin... C'est la troisième fois qu'il rempile rien que pour lui faire plaisir.
— Un petit whisky, Saphir ? l'interroge Wren d'un air léger en se remplissant un verre. Vodka, peut-être ?
— Non merci, refuse Darwin en se levant et se dirigeant vers la sortie de la pièce. Je vais plutôt me chercher de l'eau à la cuisine.
Il s'en va d'un pas décidé et dès qu'il est hors de portée, Wren tape brusquement dans la main de son frère et je sursaute malgré moi.
— Tu remontes dans mon estime, Alec-chéri, déclare Wren en riant aux éclats. Tu as déplumé Saphir de dix mille dollars, rien que ça !
Alec ne répond rien mais affiche tout de même un petit sourire satisfait. Wren avale son whisky d'un trait et Karlie le regarde avec envie en finissant son champagne. La soirée poker se transforme petit à petit en beuverie et je bois une mini gorgée de mon gin. Je n'ai même pas fini mon verre en deux heures...
— Je vais me coucher, déclare Phoebe en se levant d'un coup. Je ne suis pas d'humeur à boire.
Elle est restée extrêmement silencieuse depuis le début de la soirée, sans que je ne comprenne pourquoi. Je lui demande si tout va bien et elle m'adresse un regard courroucé, sans répondre. Wren n'attend même pas qu'elle soit entièrement partie pour lancer :
— Quand je vous dis que les humains sont psychologiquement compliqués... Surtout les filles.
— Les machos n'ont rien d'attirant, je rétorque sans vraiment réfléchir.
— Je suis attirant en toutes circonstances, sourit-il en esquissant un geste de la main. N'est-ce pas Karlie ?
Appuyant ses coudes sur la table d'un air absent, Karlie lui répond par un sourire béat d'où s'écoule même un mince filet de bave. Ne jamais boire autant...
— T'es encore mieux quand t'as moins d'habits, rit-elle en attrapant la bouteille de vodka.
Alec l'intercepte avant qu'elle ne puisse l'atteindre, évitant de la rendre plus soûle qu'elle n'est déjà. Il lui propose de monter dans sa chambre et bien qu'elle s'y oppose, il l'attrape par le bras et la raccompagne jusqu'aux étages. Je me retrouve donc seule avec Wren en face de moi. Pas un bruit ne filtre alors dans la pièce. Il me regarde avec insistance et je finis par vider mon verre de gin pour me donner une contenance.
— Comment fais-tu pour vivre en sachant que je détiens des informations capitales sur tes origines ? lâche-t-il en perdant ses yeux vers la fenêtre donnant sur la forêt amazonienne. Tu n'as pas envie de m'arracher la tête pour que je te les donne plus vite ?
Je remarque alors pour la première fois les cernes d'un violet profond sous ses yeux qui contrastent avec sa peau d'une pâleur presque maladive. Il est pourtant toujours aussi magnifique... et je m'en veux la seconde d'après de penser ça.
— Euh... Je dois avouer que je me demande bien ce que sont ces informations, je débute avec hésitation, mais ça ne m'empêche pas non plus de vivre...
Il repose alors ses yeux sur moi et je crois y lire comme de la suspicion ou de l'admiration. Certainement un mélange des deux... Je regarde à mon tour vers la fenêtre et vois que les grands arbres tropicaux de l'extérieur sont battus par une violente tempête tropicale. Je me demande comment les cabanes perchées du centre d'Astriad parviennent à tenir...
— Et bien moi je n'y arrive pas, déclare alors Wren d'une voix qui pour une fois, n'a ni sourire, ni sarcasme.
— Tu veux dire que tu n'arrives pas à vivre sans connaître tes véritables origines ? je demande peu sûre de moi.
Il a trop bu, c'est évident. Il ne contrôle sûrement pas la moitié de ce qu'il dit et sans doute aura-t-il oublié notre conversation demain mais pourtant, il ne m'a jamais semblé aussi réel. Sauf peut-être quand nous étions dans cette voiture en train de fuir Alma.
— C'est ça, fait-il en prenant distraitement une gorgée de vodka directement à la bouteille. J'ai toujours pensé que j'aurais toutes les réponses à mes questions une fois que ma mère ne serait plus là. Que j'aurais toute la liberté de fouiner dans sa chambre et de soulever chaque tiroir, chaque bouquin qui me permettrait de trouver n'importe quoi sur moi. Même une simple liste de courses étrange avec mon nom dessus m'aurait largement suffi.
Il s'interrompt et plonge son regard vert dans le mien et cette fois, je ne me détourne pas.
— Mais je n'ai rien trouvé. J'ai passé mes jours et mes nuits à fouiller cette chambre, à taper sur les murs pour voir s'ils ne menaient pas à des passages secrets comme dans les films, à feuilleter chaque livre dans l'espoir d'y trouver un petit mot caché entre deux pages... Mais il n'y avait rien. Cette garce avait tout prévu !
Il jette alors la bouteille de vodka à l'autre bout de la pièce et elle s'écrase dans un bruit fracassant qui me fait sursauter. Wren ne s'en rend même pas compte et sert le poing pour se calmer. Ses yeux fixent les fragments de verre qui brillent d'un drôle d'éclat sous la lumière dorée du lustre. De la vodka se répand au sol et une odeur d'alcool se disperse peu à peu dans la pièce.
— J'ai trouvé toutes sortes d'affaires sur la famille royale, murmure-t-il, crois-moi je pourrais descendre la reine avec toutes les informations peu honorables que j'ai sur elle. Et même d'autres familles du Peuple des Astres qui cachent des secrets tordus. Mais j'ai surtout trouvé un carton moisi caché derrière une double rangée de livres. J'ai d'abord cru que c'était pour moi. Que tous mes mystères se cachaient dans cette boîte miteuse et pourrie et que j'allais enfin pouvoir vivre sans me poser des centaines de questions avant de m'endormir. J'en ai presque déchiré le carton tant j'étais heureux et impatient.
Il ricane d'un drôle d'air à l'évocation de ce souvenir et reporte son attention sur moi.
— J'ai commencé par lire un journal intime. Les premières pages étaient plutôt concluantes mais j'ai vite compris que ça ne parlait pas de moi. J'ai ensuite lu une lettre mais pareil, aucune trace de moi. J'ai lu tout ce qu'il y avait dans le carton mais rien ne me concernait.
Il marque une longue pause et j'en viens à croire qu'il a terminé son récit lorsqu'il reprend en posant un drôle de regard sur moi :
— Puis tu as débarqué. Avec ton air d'apeurée et de petite gamine fragile, j'étais loin de me douter que ce soit toi, l'objet de ce carton derrière toutes ces rangées de livres.
— Les apparences peuvent parfois être trompeuses, je me hasarde sans trop savoir pourquoi je lui parle alors qu'il semble totalement perdu dans sa propre dimension.
Il se lève brutalement de sa chaise et je sursaute une nouvelle fois. Je m'attends à ce qu'il vienne dans ma direction et se jette sur moi mais il va plutôt à la fenêtre où la tempête fait toujours rage. Il pose ses paumes contre le rebord en bois et sans que je puisse me l'expliquer, je le rejoins en prenant toutefois mes distances. Quand je lui jette un regard en biais que j'espère discret, je constate qu'il ferme les yeux, comme en pleine méditation.
— Je me surprends à être jaloux de toi, Luna, confesse-t-il à mi-voix. Tu te rends compte ? Moi, Wren Nightsun, un des Obscurs les plus puissants et plus riches du Peuple des Astres, jaloux d'une petite adolescente encore humaine dans sa tête ? Si Alec savait ça, il en rirait aux éclats !
Il se met lui-même à partir d'un rire nerveux et je pose alors avec une certaine précaution ma main sur son épaule et il s'interrompt net, se figeant comme une statue.
— Et bien moi je trouve, je commence d'un ton réconfortant, qu'il n'y a rien de mal à être jaloux d'une "simple petite adolescente". Surtout quand tu vois mon incroyable talent pour la peinture sur pancakes...
Il se tourne vers moi avec sérieux, sans même que l'ombre d'un sourire ne passe sur son visage. Il a un regard si intense que je n'ose pas baisser les yeux, et je n'en ai d'ailleurs aucune envie.
— Je n'ai pas dit "simple", déclare-t-il, je te trouvais peut-être incroyablement banale à tes débuts, mais je n'ai pas vu beaucoup de gamines capables de survivre aux griffes d'Alma.
Il pose alors avec une douceur que je n'aurais jamais soupçonné chez lui sa main sur la mienne toujours posée sur son épaule. L'odeur de la vodka est toujours là et maintenant que nous sommes près de la fenêtre, le bruit de la pluie s'abattant violemment contre la vitre couvre presque nos voix. Bien moins d'un mètre nous sépare et je ne comprends pas pourquoi je ne fais aucun geste pour m'éloigner. Nous sommes pourtant beaucoup trop près...
Il ouvre la bouche pour dire quelque chose mais un bruit d'ouverture de porte lui coupe le sifflet et nous fait tous les deux reculer d'un bond. Alec rentre en regardant son téléphone et ne fait même pas attention à nous au fond de la pièce. Lorsqu'il relève la tête et voit nos airs affolés, il plisse son front d'un air inquiet.
— Euh... Tout va bien ici ?
— Très bien, affirmons Wren et moi en même temps.
Wren passe devant Alec en faisant une courbette théâtralisée pour lui souhaiter bonne nuit, sans même me regarder. Je me demande alors si ces derniers instants n'étaient pas juste le fruit de mon imagination tant ils semblaient dans une autre dimension, figés hors du temps. Mais qu'est-ce qui m'a pris ?! Si Alec n'était pas arrivé, aurais-je embrassé Wren ?
— Tu es sûre que ça va ? fait Alec en désignant la bouteille de vodka éclatée au sol. Il n'a pas essayé de te la lancer à la figure au moins ?
— Non, je t'assure qu'il ne s'est rien passé, je bafouille. Absolument rien.
Tandis qu'il fait voler mentalement les éclats et les réunis dans une assiette vide, je me répète comme pour me convaincre : il ne s'est absolument rien passé. Rien du tout. Mais plus cette phrase tente de s'imprimer dans mon esprit, moins j'en suis convaincue.
Note de l'auteure :
Alors, vous êtes plus Alec ou Wren ? 😜
Quelles sont les véritables origines de Wren ?
Et surtout, celles de Luna ?
J'ai pas mal avancé dans l'écriture des chapitres suivants et je posterai dès que je pourrais ! Merci de votre patience et de votre soutien ! 😘❤️
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