Chapitre 3
Le lendemain matin, Alec est de retour au lycée et dès que je l'aperçois dans le couloir principal, c'est limite si je ne lui saute pas dessus.
— Pourquoi t'es parti comme ça, hier ? je l'interroge avec une sévérité que je tente de refouler.
Il regarde partout autour de lui puis m'attrape par le bras pour m'attirer dans un coin plus calme. Si Phoebe n'était pas loin, elle ne manquerait pas de me sourire d'un air coquin.
— D'habitude je n'agis jamais de la sorte avec les demoiselles que je connais à peine, commence Alec en gardant ses yeux bleus rivés au sol, mais serait-il possible que tu me rejoignes ce soir au salon de thé à côté de la pharmacie Stolker ? J'ai quelque chose de très important à te dire.
On dirait clairement qu'il n'a jamais abordé de fille de sa vie tant il bute sur chaque mot.
— Tu ne peux pas me dire ça maintenant ? Je ne vais jamais tenir la journée sans savoir.
Je dois paraître pour une gamine impatiente mais c'est plus fort que moi.
— Non désolé, répond-il en s'agitant de droite à gauche, gêné comme s'il m'avait blessée au plus haut point. C'est assez compliqué et long et tu serais encore plus perturbée si tu n'avais pas connaissance de l'histoire en son intégralité.
La sonnerie annonçant le début des cours retentit et nous fait sursauter tous les deux. Alec passe une main dans ses magnifiques cheveux bruns et s'éloigne doucement en me lançant :
— Au fait, désolé de t'avoir attrapé le bras comme ça tout à l'heure, d'ordinaire je n'agis jamais de manière aussi inappropriée.
S'il considère que "m'attraper le bras", qui plus est sans aucune force et en m'effleurant à peine est inapproprié, alors que pense-t-il du fait de me soulever en sous-vêtements dans une douche ? Il y a décidément un truc étrange chez ce mec et je compte bien découvrir ce qu'il cache dès ce soir.
***
Je suis déjà venue au salon de thé à côté de la pharmacie Stolker. Leurs milkshakes sont délicieux et leurs muffins aux pépites de chocolat succulents. Seulement cette fois, je n'ai pas la tête à savourer des gâteaux. Je suis assise à une table près de la porte d'entrée et attends l'arrivée d'Alec. Il est très exactement seize heures quarante-sept et nous avons rendez-vous à dix-sept heures. S'il pouvait arriver ne serait-ce qu'une minute en avance, je lui en serais infiniment reconnaissante.
Je ne crois pas avoir déjà attendu quelqu'un avec autant d'impatience, sauf peut-être quand j'étais petite et que mon père devait me rapporter un poney. Sauf que ce poney était en fait en peluche alors que j'en espérais vraiment un réel. J'en rage encore...
Comme mon pseudo ex petit ami n'a toujours pas pointé son nez cinq minutes plus tard, j'ai le temps de commander un second milkshake et un second muffin. OK, j'ai peut-être un peu la tête à manger finalement...
Lorsque Alec ouvre enfin la porte du salon, mon cœur s'arrête une demi-seconde. Si ce matin il était habillé comme un ado ordinaire avec un tee-shirt noir et un jean, le voilà vêtu d'un costume blanc immaculé. On dirait qu'il va se marier avec un ours polaire avec pour thème "romantisme sur la banquise".
— Encore bonjour, Isaluna. Comment vas-tu ? me demande-t-il comme si de rien n'était en s'installant en face de moi avec un sourire plein de gentillesse.
— Euh... Plutôt bien. Je n'ai pas eu de nouveau malaise si c'est ta question...
— C'est une bonne chose.
Il n'ajoute rien de plus et appelle un serveur.
— Puis-je avoir un thé vert à la menthe, je vous prie ?
Il marque une pause et me regarde comme si j'étais censée dire quelque chose.
— Qu'est-ce tu souhaites, Isaluna ?
— J'ai déjà pris deux milkshakes. Ça ira, merci.
Le serveur repart après m'avoir jeté un regard du style "mais c'est quoi cet alien" puis nous laisse seuls. J'en vomirais tant l'impatience de savoir ce qu'Alec a à me dire m'obsède.
— Ta journée s'est bien passée ? s'enquit-il simplement.
Il est tellement gentil et courtois lorsqu'il s'exprime qu'il m'est difficile de me montrer désagréable ou d'esquiver sa question. Il a tant l'air d'un gentil petit poussin inoffensif avec sa politesse presque maladive et son élégance que je commence sérieusement à douter qu'il soit l'Alec que j'ai rencontré à Miami. Mais il n'en reste pas moins ultra sexy...
— Eh bien... Disons que je meurs d'envie de savoir ce que tu as à me dire, je réponds avec un sourire forcé.
— Si cela ne te dérange pas, j'aimerais attendre que le serveur soit revenu pour qu'on en soit débarrassé. Je crains un peu ta réaction une fois que je t'aurais tout raconté.
Après ce qui me semble être une décennie, le serveur revient vers nous avec la commande d'Alec. Je lance alors à ce dernier un regard qui veut dire un truc comme "allez déballe tout". Il prend quand même le temps de boire une gorgée de son thé avant de commencer à parler :
— Avant toute chose, tu dois me promettre que tu ne vas ni t'évanouir ni appeler la police, d'accord ?
Flippant. Je hoche pourtant la tête, impatiente d'en savoir plus.
— OK, murmure-t-il pour lui-même. Évite de trop m'interrompre, s'il te plaît. C'est la première fois que je fais ça et je suis très embarrassé...
Il a l'air sûr de lui autant que moi quand je m'apprête à sauter du grand plongeoir à la piscine. Autrement dit, pas du tout.
— Alors voilà, balbutie-t-il, tout d'abord, est-ce que tu as déjà pensé que la magie ou... disons d'autres formes de vie que les humains puissent exister ?
Ça commence hyper bien... Dois-je appeler un hôpital psychiatrique ?
— Bah... J'ai lu pas mal de livres avec des sorciers et vu pas mal de films et séries avec des vampires mais... Je n'ai jamais pensé que ça puisse aller plus loin...
Il se pince les lèvres et l'espace d'un instant, je crains qu'il m'annonce qu'il est un loup-garou. Je serre mes poings sous la table.
— Eh bien, commence-t-il sans parvenir à me regarder dans les yeux, il se trouve que... Que la magie existe. Pas comme dans les livres ou les séries mais... Il y a effectivement une sorte de magie qui est présente sur cette planète.
Question à un million de dollars : que faire face à un fou psychopathe ? Réponse A : s'enfuir en courant. Réponse B : s'enfuir en courant. Réponse C : s'enfuir en courant. Si vous avez la réponse à cette question, envoyez directement la lettre de la proposition correcte au 4044.
Je connais la réponse, pourtant je reste clouée sur ma chaise, incapable de bouger.
— Je sais que ça va te paraître dingue, continue Alec en triturant ses mains, mais c'est la vérité. Il existe des êtres qui sont capables de faire des choses que les humains ordinaires ne peuvent pas faire. Je fais partie de ces gens et...
Il semble vraiment sur le point de faire un malaise tant il est agité. Moi, je garde ma position de statue.
— Nous formons le Peuple des Astres, reprend-il après avoir repris un peu de thé. Ce peuple est divisé en deux catégories : les créatures de Lumière, aussi appelés Lumineux, qui se nourrissent de la lumière du soleil, et les créatures des Ténèbres, appelés Obscurs, qui se nourrissent de la lumière de la lune. J'appartiens à la catégorie des Lumineux. Je me nourris donc de la lumière du soleil, tu me suis ?
Ce doit être un rêve. Non, un cauchemar. Il n'est pas possible qu'il en soit autrement. Alec poursuit sans même attendre ma réponse, qu'il sait négative.
— Les Lumineux et les Obscurs n'ont pas les mêmes pouvoirs. Les Lumineux peuvent contrôler les pensées d'un humain, changer des objets de place par la pensée, ou encore faire s'endormir quelqu'un. Les Obscurs ont la capacité de faire oublier un passage entier de leur vie à un humain, parler aux animaux ou même ressentir les émotions d'une personne en la touchant. Bien sûr, nous avons tous d'autres pouvoirs plus ou moins importants mais ceux que j'ai cités en sont les principaux exemples.
Il s'interrompt et me dévisage avec inquiétude.
— Euh... Tu es sûre que ça va ? Si je peux me le permettre, tu es blanche comme la neige.
J'ai envie de lui foutre quatre, non cent baffes dans la figure. Il m'a réellement fait poireauter toute la journée pour me raconter des conneries pareilles ? Qui croirait une telle chose ? Ce qui me taraude le plus dans cette histoire est le fait que même si je crève d'envie de m'enfuir le plus loin possible de ce fou furieux, une partie de moi veut rester pour entendre la suite de son discours digne d'un pensionnaire de l'asile du coin. Je hoche donc la tête comme une idiote.
— Bien, continue-t-il en parlant de plus en plus vite ce qui ne fait que m'embrouiller davantage. Le Peuple des Astres vit habituellement dans certaines villes coupées du monde humain où nous pouvons construire des écoles de magie et vivre en laissant notre magie libre sans risquer de nous faire repérer par un humain. Nous sommes regroupés par nationalité. Les américains vivent majoritairement à Astriad, la capitale du Peuple des Astres.
Bordel mais c'est qu'il a même créé des villes à son délire...
— Il nous est aussi possible de vivre normalement avec les humains, à condition de savoir maîtriser ses pouvoirs parfaitement et en toutes circonstances. Nous sommes dirigés par la reine Elasia, qui est une Lumineuse. Les rois et les reines de notre peuple ont toujours été des Lumineux mais il y a plus de conseillers Obscurs afin que l'équilibre entre les deux espèces soit respecté.
Le visage d'Alec s'assombrit et je comprends qu'il va changer de sujet. Mes poings sont si serrés que je suis certaine que mes ongles vont laisser des marques sur mes paumes.
— Tout serait vraiment extraordinaire si la Malédiction des Astres n'existait pas... Cette malédiction affecte aussi bien les êtres Lumineux que les Obscurs. Elle a été jetée par la demi-sœur de la reine Elasia, Alma. Alma est en réalité le fruit d'une liaison entre la mère d'Elasia, l'ancienne reine, et un amant de celle-ci qui était un Obscur. Un Lumineux et un Obscur ne peuvent pas se marier ou même rien que sortir ensemble car leurs progénitures sont des "Malfaçons".
Ça lui a pris combien de temps pour développer son univers parallèle, à votre avis ?
— Les Malfaçons ne sont ni des Obscurs ni des Lumineux et ne sont pas considérés comme des membres du Peuple des Astres. Ces êtres concentrent un mélange des pouvoirs des deux catégories et il est presque impossible de les contrôler. C'est donc pour ça que cette race est normalement exécutée à la naissance. Alma est donc une Malfaçon mais comme elle était la fille de la reine, cette dernière a caché à tout le monde que sa fille n'était pas celle du roi, mais d'un Obscur.
Il s'arrête quelques secondes et prend une autre gorgée de son thé. Vous croyez que ça donne soif d'être fou ?
— Les sœurs Elasia et Alma se sont toujours détestées. Alma était jalouse d'Elasia qui était promise à être reine et lorsque Elasia est tombée enceinte très jeune hors mariage, Alma n'a pas hésité à l'humilier devant le Peuple des Astres entier, entretenant de folles rumeurs sur le potentiel père de cet enfant dans les journaux. Pour se venger, Elasia qui était au courant du secret d'Alma l'a balancé à tout le monde et une révolte contre Alma a éclaté.
Je suis obligée de reconnaître que pour un malade mental, son histoire est assez développée...
— Les gens ont ordonné la mise à mort d'Alma mais elle était d'une puissance incroyable. Elle a jeté une malédiction sur le peuple entier : chaque année, pendant les mois de juillet et août, tous les membres du Peuple des Astres ont leur personnalité inversée. Les gentils deviennent méchants, les bavards sont muets, les timides audacieux, et ainsi de suite... Mais ce n'est pas tout. À la fin de l'été, nous oublions tout ce que nous avons fait pendant ces mois sous l'emprise de la malédiction.
Quand suis-je censée interrompre son délire ? Maintenant ? Ou dois-je attendre un peu pour ne pas risquer de le rendre agressif ?
— C'est pour ça que j'ai oublié l'été que nous avons passé ensemble, conclut-il comme si cela devait désormais me paraître évident. J'étais sous l'emprise de la Malédiction des Astres. Ma personnalité était inversée et c'est pour ça que tu as peut-être du mal à retrouver des traits de caractère que j'avais pendant l'été. C'est aussi pour cela que je ne me souviens pas de toi. Mais je sais que je t'ai rencontrée parce que je tiens un journal où je relate mes actions effectuées durant ces deux mois.
Je ne sais pourquoi, mais 0,001% de moi croit ce que raconte Alec. Ça expliquerait pourquoi il m'a oubliée et pourquoi il est si différent de celui que j'ai connu mais... Tout en moi me hurle de fuir en beuglant qu'un fou est en liberté et qu'il ferait bien d'être placé dans un asile.
— J'ai juste une question à te poser, m'interroge-t-il avec un sérieux digne d'un proviseur de lycée. J'ai relu mon journal et... il y a un passage où je dis que je t'ai mordu le cou alors que tu étais soûle et que le lendemain, tu avais une marque à cet endroit. C'est vrai ?
La marque sur mon cou me revient immédiatement en mémoire. Elle a intégralement disparu en quelques jours, juste après mon premier malaise. Je ne m'en étais pas préoccupée depuis, m'étant faite à la raison que j'avais dû me faire mal en faisant mon striptease lorsque j'étais bourrée.
— Oui, c'est vrai que j'avais une marque, je reconnais d'une voix trahissant ma panique montante. Elle s'est complètement envolée après mon premier malaise.
Le visage d'Alec se crispe. Je force mes mains à se détendre sous peine qu'elles soient marquées à vie.
— Alors c'est bien ce que je pensais, murmure Alec en baissant les yeux avec abattement. Un être humain peut être transformé en Lumineux ou en Obscur s'il est mordu par l'un d'entre eux. J'ignore ce qui m'a pris cette nuit-là mais je t'ai mordu et par conséquent, transformé en Lumineuse. Tu es encore un cours de mutation puisque la morsure doit dater d'à peu près trois semaines et qu'il faut attendre deux mois pour qu'un humain achève sa transformation.
Ce garçon a lu trop de livres avec des loups-garous.
— Tu as des malaises à cause des changements qui se produisent dans ton corps, conclut-il avec toute la tristesse du monde. Je suis sincèrement désolé, Isaluna.
Il n'y a pas de mots pour décrire mon état. Déjà, je suis encore en train de me demander de quelle manière je pourrais m'enfuir du salon de thé sachant qu'Alec est du côté de la porte et qu'il risque de m'intercepter si je tente de prendre la fuite. Deuxièmement, la partie de moi qui croit ce que dit Alec est horrifiée à l'idée qu'il ait raison et que je me transforme bientôt en je ne sais quelle créature débile. Enfin, je me demande comment mes parents vont réagir quand je leur raconterai toute cette histoire si jamais j'ai la preuve qu'Alec dit vrai. Vont-ils m'enfermer dans un hôpital psychiatrique comme je pense le faire pour Alec ?
— Prouve-moi que tu racontes la vérité, je lance d'un ton de défi qui me surprend. Fais un truc complètement dingue et peut-être que je donnerais l'ordre à mon cerveau d'analyser tout ce que tu viens de dire. J'ai bien dit peut-être...
Alec affiche soudain un grand sourire et regarde autour de nous pour vérifier que nous ne sommes pas observés. Le salon est quasi désert et les quelques personnes présentes sont trop occupées à savourer leurs milkshakes pour faire attention à nous.
C'est alors que la tasse de thé d'Alec se met à léviter dans les airs et vient se poser au bord de ses lèvres, comme elle le ferait s'il la tenait.
OK, là je peux vraiment dire que je suis dans un cauchemar.
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