Chapitre 26
Je tousse. Je tousse jusqu'à ce que ma gorge soit en feu. Jusqu'à ce que je crache du sang et que je vomisse. J'ouvre alors douloureusement les yeux et me retrouve dans un cachot rocailleux, sombre, avec une grille rouillée et donc le simple contact me fait tressaillir. Je n'ai jamais eu aussi mal de ma vie. Je passe ma main sur mon visage et constate qu'il saigne encore. De même pour mon pied.
L'endroit semble désert, du moins il n'y a pas le moindre bruit. Seule la lumière d'une vulgaire petite torche me permet de distinguer les courbes des parois de la grotte. Je me souviens alors que j'ai mon téléphone dans ma poche. Je l'en extirpe avec un gémissement. Ces débiles de Malfaçons ont dû me traîner au sol pour m'amener jusqu'ici donc je suis écorchée de partout et tous mes membres sont douloureux. Je me demande d'ailleurs comment je peux encore être en vie.
La lumière de mon portable me paraît bien trop forte face à l'obscurité ambiante et je plisse les yeux comme si j'allais être aveuglée. Je parviens quand même à pianoter un message à Alec.
À : Alec
Je suis enfermée dans un cachot et assez mal en point. Besoin d'aide. Vite.
Je range immédiatement mon téléphone de peur que quelqu'un débarque et me découvre... ce qui ne tarde pas à arriver puisque j'entends des pas résonner à travers le couloir. Au-delà de la pénombre et de mes yeux mi-clos je distingue la même femme que celle que j'ai croisée dans le couloir pendant ma fuite. Elle m'examine comme si j'étais un animal pitoyable avec un mépris tangible.
— Tu ne ressembles à rien, crache-t-elle. Regarde-toi.
Elle sort un miroir de sa poche et le met face à moi. Ce que je vois me glace alors les os : mon visage est couvert de sang, la pierre l'ayant barré de haut en bas sur le côté droit et même mes cheveux sont poissés de sang. Je ne me reconnais même pas. Impossible de me reconnaître. C'est comme si j'avais un masque d'Halloween sauf qu'il est... fort réaliste.
— Je ne vais pas perdre mon temps avec une misère comme toi, mais d'après Irina, ton test sanguin s'est révélé assez déstabilisant, fait-elle avec inquisition. Est-ce ma soeur qui t'envoie ? Si c'est le cas rappelle-lui que si elle brise sa part du contrat, je ferais de même. Et comment a-t-elle trouvé ma cachette au fait ?
Je ne réponds pas, l'esprit trop engourdi. C'est limite si je comprends ce qu'elle est en train de me dire. De plus, mes réserves de lumière commencent à se vider et je pense que je vais bientôt être obligée de me servir de ma Pierre Astrale si je veux survivre. Mais une certitude persiste : c'est Alma qui se tient en face de moi. Si j'avais n'importe quel objet tranchant, je pourrais au moins la blesser mais je ne suis même pas sûre que j'aurais assez de forces pour cela.
— Tu n'es pas une Malfaçon, reprend-elle. Alors qu'es-tu ?
Elle me toise avec tant de méchanceté dans le regard que mon sang en est frigorifié.
— Et vous qui êtes-vous ? je marmonne en toussant de nouveau.
La femme cille alors une demi-seconde. Ce n'est pas grand chose, mais j'ai quand même réussi à la surprendre.
— Ne joue pas l'ignorante avec moi, crie-t-elle. Tu sais très bien qui je suis. Celle qui trouble le bonheur de l'été en un profond brouillard impénétrable.
Au moins je gagne un peu de temps... Il ne reste plus qu'à espérer qu'Alec, Wren et Karlie ne mettent pas trop de temps à se rappliquer.
— Tu n'es pas une Lumineuse ni une Obscure car tu aurais cicatrisé, dit-elle en revenant à notre sujet. Alors tu vas répondre à toutes mes questions sinon je briserais tes doigts les uns après les autres. Et n'essaye même pas de mentir.
Elle attend que j'acquiesce mais je n'en fais rien. Elle pousse un long soupir et démarre son interrogatoire :
— Quel est ton nom ? Irina m'a dit que c'était Isabelle Cray, mais ça sonne terriblement faux à mes oreilles...
— C'est pourtant ça, je murmure en crachant du sang.
J'ai l'impression d'être envahie de sang. Je suis une véritable plaie béante dont du liquide rouge s'écoule de partout. Alma me jette alors un regard noir et sans qu'elle fasse le moindre geste, je sens mon pouce droit se tordre, ce qui me fait pousser un cri perçant.
— Je t'ai dit de ne pas mentir ! Qui t'envoie ici ?
— Personne.
Nouveau craquement dans ma main, nouveau hurlement.
— Est-ce que c'est Elasia ?
— Non.
Pas de brisure. Pour une fois j'ai dit la vérité.
— Comment m'as-tu trouvée ?
Je ne réponds pas, ne sachant pas si parler de la carte à détection d'ondes magiques est un super plan. Devant mon mutisme, elle me brise le majeur.
— Je n'aime pas les fortes têtes, déclare-t-elle en faisant les cent pas devant ma cellule. Toutes mes Malfaçons sont parfaitement éduquées et elles savent que la condition pour qu'elles restent en vie est de se taire et rester dans le rang. Ma seconde, Rona, s'occupe très bien de veiller à instaurer l'ordre. Si tu ne réponds pas une nouvelle fois à mes questions ou si tu mens, je lui demanderais de s'occuper de ton cas, c'est-à-dire de te laisser mourir de tes blessures par une infection lente et terrible qui te fera plus souffrir que tu ne le pensais imaginable. En revanche, fait-elle avec un sourire encore plus machiavélique que celui de Wren, si tu coopères je pourrais envisager de te laisser la vie sauve et de te recruter dans ma colonie. Alors, dis-moi comment tu m'as retrouvée et ce que tu comptais faire en venant ici. Me tuer ?
Pour souligner ses paroles, elle me brise tous mes doigts d'un coup, me faisant hurler pire qu'un chiot battu. Je me rattache à ces hurlements, me faisant presque oublier la douleur omniprésente en moi. À cet instant, tout ce que je veux, c'est ne plus rien ressentir du tout. C'est sûrement pour ça que je signe mon arrêt de mort en lâchant :
— Espèce de salope.
Alors que je m'attends à un autre châtiment, le déclic d'un pistolet se fait entendre. Je lève les yeux derrière Alma et je vois alors Wren, Alec et Karlie, avec chacun une arme dans la main.
— Sortez-la d'ici et on ne tire pas, déclare Alec avec son air solennel habituel.
Alma les dévisage tous les trois, et au lieu de paniquer, part d'un grand éclat de rire.
— Vous croyez me faire peur ? sourit-elle le visage dénué de toute trace d'horreur.
— Le petit a dit qu'on n'allait pas tirer mais il a un peu tendance à tout dédramatiser alors que moi, je me nourris du drame, lance Wren.
Il tire alors sans hésiter en plein dans la poitrine d'Alma. La balle créé un trou dans sa robe noire mais pas une seule goute de sang ne s'écoule. Alma ne cille pas d'un pouce et part alors d'un rire démoniaque. Plein d'incompréhension, Wren tire une nouvelle fois en visant la tête. La balle perce un trou dans le front d'Alma mais il se reforme en quelques secondes. La reine des Malfaçons redouble d'hilarité.
— Attendez, rigole-t-elle en nous fusillant du regard, vous pensiez vraiment que vos misérables petites balles allaient réussir à me tuer ? Mais dans quel monde vivez-vous ?
Alec bondit alors sur elle et la plaque au sol en un instant. Karlie s'empresse de se diriger vers moi et fait sauter la serrure de ma cellule en y tirant quelques balles. Je pensais que ce truc ne marchait que dans les films...
— Tu peux marcher ? me demande-t-elle doucement.
Je fais non de la tête tandis qu'Alma émet un champ de force qui éloigne Alec d'elle et l'assomme contre le mur.
— Je vais bien, marmonne-t-il en se relevant même si la manière dont il se tient la tête veut plutôt dire le contraire.
— Ta pierre, princesse ! me crie Wren qui essaye de retenir Alma en vidant son chargeur sur elle même si cela ne la ralentit presque pas.
Je me souviens alors de ma Pierre Astrale coincée dans ma poche avec mon téléphone. Karlie me la sort avec précipitation et me la fourre dans la bouche. Elle se dissout comme une pastille effervescente en quelques secondes, me donnant une énergie nouvelle. Je jette un éclair similaire à ceux que je faisais pour duper Irina sur Alma et celle-ci se fige deux secondes, saisie par le choc. Dès qu'elle retrouve ses esprits, elle s'empresse de crier :
— Gardes !
Wren débarque dans ma cellule et me soulève dans ses bras sans ménagement, me faisant pousser un grognement. J'aurais mille fois préféré qu'Alec tienne ce rôle...
— J'ai souvent cet effet sur les femmes, déclare-t-il avec son sourire malicieux habituel. Continue de lui jeter tes éclairs avant que la cavalerie n'arrive.
Je m'exécute tandis que nous nous enfuyons à travers le seul tunnel menant je ne sais pas où. Alma parvient tout de même à nous suivre et hurle à ses gardes de venir tout en nous lançant divers éclats de magie censés nous faire tomber mais que Wren, Alec et Karlie parviennent à éviter avec brio. Sauf que je sens que nous allons bientôt nous retrouver pris en sandwichs entre Alma et ses Malfaçons. Peste ou choléra ?
— Provoque un éboulement, me dit Wren en baissant la tête vers moi.
Plaquée tout contre lui, je sens les battements de son coeur qui vont à toute vitesse. On pourrait penser que c'est de la peur mais je dirais plutôt de l'adrénaline en jetant un oeil à son air pétillant.
— Mais ça va aussi nous tomber dessus, je réponds avec difficulté ayant le mal de mer à force d'être secouée.
Il me regarde alors droit dans les yeux, prenant le risque de tomber dans un des pièges qu'Alma nous jette.
— Fais en sorte que ça ne tombe que sur eux.
J'envoie alors un éclair au plafond juste derrière nous, ce qui fait tomber un morceau de roche non loin d'Alma. Elle rugit de colère et prend en cible Karlie en faisant s'effondrer un caillou à quelques centimètres de sa tête. Une idée semble alors venir à Alec.
— Karlie, quels animaux vivent dans les grottes comme celles-ci ?
— Euh... des chauves-souris ? fait-elle sans comprendre où il veut en venir. Tu crois vraiment que c'est le moment de...
Ça fait enfin tilt dans son esprit et elle lève le pouce en direction d'Alec avec un sourire. Karlie baragouine ensuite des trucs dans une langue étrange et des bruissements bizarres se font entendre pile au moment où les Malfaçons d'Alma nous font face, nous bloquant le passage. Soudain, des dizaines de chauves-souris débarquent et foncent vers les Malfaçons. Ils poussent tous des cris en s'attrapant les cheveux et nous parvenons à nous frayer un chemin entre eux, trop occupés à se débarrasser des bestioles pour s'occuper de nous.
— Allez-vous en sales bêtes ! hurle Alma en illuminant la grotte d'un éclair qui neutralise les chauves-souris. Ne les laissez pas filer !
Avec une toute petite avance, nous débarquons enfin dans la grande salle où quelques Malfaçons non réquisitionnées pour nous pourchasser s'affairent à trier des pierres. La seule idée qui me vient pour les empêcher de nous attaquer est alors de faire apparaître une épaisse fumée autour de nous, nous dissimulant à leurs regards.
— Bien joué, princesse, halète Wren fatigué de courir à toute allure et de devoir me porter en même temps. Je te jure que tu es loin d'être grosse mais tu pèses quand même ton poids... Heureusement que tu as affaire à un pro de la muscu comme moi et pas à Alec-chéri qui est incapable de soulever un pack d'eau sans tomber.
— J'étais meilleur que toi en sport à l'école, rétorque Alec juste devant nous tout en continuant à courir vers la sortie du tunnel.
— C'est pas de le moment de faire un match de vos qualités, les gars, s'agace Karlie qui appelle toujours des chauves-souris pour ralentir les Malfaçons.
Quand j'aperçois la lumière du jour, une violente bourrasque de vent nous stoppe net. Le bruit du souffle est si assourdissant que j'en plaquerais mes mains sur mes oreilles si mes doigts n'étaient pas tous brisés. Comme nous continuons à avancer, plus doucement, mais nous avançons quand même, l'une des Malfaçons émet un cri perçant qui cette fois m'oblige à plaquer encore plus ma tête contre le torse de Wren, comme pour me protéger. Le cri se poursuit et dans un dernier élan d'énergie, je fais s'ébouler la grotte entière, nous condamnant nous aussi si nous ne parvenons pas à regagner la surface à temps.
Wren et les autres redoublent d'énergie pour avancer et alors qu'enfin Alec et Karlie arrivent à l'air libre, un énorme rocher tombe juste devant Wren et moi, nous ne laissant aucune chance de passer. J'essaye de la soulever mentalement mais j'ai déjà trop utilisé mes pouvoirs pour ce que l'énergie de la Pierre Astrale peut me fournir.
— Merde, grommelle Wren en pilant net tandis que les parois de la grotte continuent de s'effriter et de s'effondrer en des bruits assourdissants. Alec ! Aide la princesse à soulever cette maudite pierre !
Alors que le rocher commence à bouger, des bruits de pas se font entendre derrière nous. Wren se retourne et nous voyons alors Alma, tout sourires, suivie de sa meute. Elle ricane comme une démente.
— Alors, on est bloqués ? jubile-t-elle.
Elle a beau faire la fière, elle est autant recouverte ecchymoses que nous. Et si la pierre bloque l'accès à Wren et moi, eux aussi sont coincés ici, à la merci de la grotte qui continue de s'effondrer. Avant qu'elle n'ait le temps de dire quoi que ce soit, le rocher se soulève derrière nous et Wren se rue vers la surface. C'est alors que je regarde derrière Alma, parmi sa meute de Malfaçons, et qu'il me semble apercevoir... Non. C'est moi qui délire, ce n'est pas possible. J'ai décidément perdu trop de sang...
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