Chapitre 25

Quand j'étais petite, je disais alternativement que je voulais devenir soit chanteuse, soit actrice. La casserole que j'ai à la place de la voix empêcha ce premier rêve de se réaliser mais je me rends compte aujourd'hui que j'ai peut-être un avenir au cinéma. Cela fait une heure que je fais semblant de pleurer et d'être apeurée dans une sombre forêt de Virginie, vêtue de guenilles et faisant apparaître de temps à autre des éclairs de magie, comme si je ne pouvais pas les contrôler.

Je dois dire que dans le rôle de la fille misérable qui n'a pas mangé depuis des jours et qui est recouverte de terre après avoir dormi dans les bois, je suis plutôt douée. Les fausses larmes qui coulent sur mes joues et mon air affolé sont fort convaincants et j'espère que les Malfaçons d'Alma qui traînent dans les parages se laisseront prendre au jeu.

Wren, Alec et Karlie (nous avons laissé Phoebe à Astriad) sont cachés non loin de moi et me suivrons quand une Malfaçon pointera son nez. C'est d'ailleurs ce qui se produit quand j'entends des bruissements de feuilles dans mon dos. Je libère un autre éclair de magie en sursautant et me retourne vers les bruits.

— Il y a quelqu'un ? je fais telle une pauvre petite biche affolée.

Nouvel éclair de ma part et je pousse cette fois un petit cri pour encore plus en rajouter.

— Qui es-tu ? résonne alors une voix claire à travers le silence de la forêt.

— Euh... Je m'appelle Isabelle, je réponds en essayant de dissimuler un sourire, heureuse que mon plan fonctionne.

— C'est toi qui produis ces éclairs, Isabelle ? demande la voix désincarnée.

— Je crois, oui. Je me suis échappée de la maison de mes parents qui me maintenaient prisonnière pour que les gens ne voient pas mon état... Et vous qui êtes-vous ?

Pas de réponse immédiate. Les sens aux aguets, je regarde partout autour de moi pour essayer de distinguer quelqu'un à travers les arbres, mais rien.

— Es-tu une Malfaçon ? demande la voix. Tes parents étaient-ils des Lumineux et des Obscurs ?

— Oui, je couine. S'il vous plaît ne me faites pas de mal ! Je ne sais pas où aller et je suis seule... S'il vous plaît !

Je ne pensais pas que j'étais capable de jouer la comédie à ce point. Dommage que ma prestation ne soit pas filmée car je pourrais bien concourir pour le prochain Oscar. Je distingue alors une silhouette qui se détache de derrière un arbre. Elle se rapproche sans que je parvienne à lui fixer un visage, caché par l'obscurité.

— Où vivent tes parents ?

— Dans un chalet pas très loin d'ici. J'ai passé ma vie enfermée dans un sous-sol et j'ai enfin réussi à m'échapper. Cela fait des jours que je me cache dans cette forêt en me nourrissant de baies et en dormant sans abri.

Je respecte à la perfection le scénario que les autres et moi avons mis en place. Nous avons envisagé toutes les questions possibles et trouvé une réponse à chacune d'entre elles. Le tout est que j'ai l'air d'une pauvre Malfaçon esseulée et innocente. La silhouette se rapproche alors de moi et met son visage dans la lumière de la lune pour que je puisse le voir. C'est une jeune fille aux longs cheveux bruns, assez maigre, vêtue d'une robe blanche aussi translucide que sa peau. Elle n'est pas particulièrement belle, mais est loin d'être un laideron. Si elle faisait couper ses cheveux pleins de fourches elle serait déjà beaucoup mieux.

— Je m'appelle Irina, se présente-t-elle sans sourire. Je suis moi aussi une Malfaçon. Suis-moi.

Sans attendre ma réponse, elle se retourne et part tout droit comme un fantôme. Je m'empresse de la suivre en libérant un autre éclair. J'adore ce petit jeu.

— Où m'emmènes-tu ? je la questionne après que nous ayons marché pendant au moins un kilomètre.

Elle ne répond pas tout de suite et ne daigne même pas me jeter un regard. Je reste donc silencieuse pendant le reste du trajet. J'ai l'impression que plus nous avançons, plus la forêt devient dense et sombre. Je suis pieds nus (rôle de pauvre fille oblige) et les bouts de bois et divers cailloux me piquent violemment mes pieds qui ne vont sans doute pas survivre à cette aventure.

Nous arrivons après ce qui me semble être une heure de marche, face à une immense falaise rocailleuse dont des morceaux s'effritent et tombent au sol en brisant le silence. Irina se dirige droit vers le mur de pierre et je vois alors un minuscule orifice dans la surface, juste assez pour laisser passer quelqu'un, en s'aplatissant sur le côté. Nous nous y faufilons et nous retrouvons alors dans l'obscurité complète. J'entends Irina claquer des doigts et une torche s'enflamme sur une paroi de l'étroite grotte dans laquelle nous évoluons. Ce n'est pas pour faire ma fragile ou ma traumatisée mais depuis notre petite aventure dans la grotte d'Irlande pour trouver la Pierre des Astres, j'ai une légère appréhension des grottes.

Heureusement, nous débouchons rapidement dans une sorte de grande salle souterraine. Elle est bondée de centaines de personnes, toutes aussi pâles qu'Irina. Affairés autour de diverses tables à trier des cailloux, ils ne remarquent même pas notre arrivée. Irina ne s'arrête pas et marche d'un pas vif vers un autre couloir souterrain. Celui-ci est bien mieux éclairé que le précédent et nous croisons plusieurs personnes translucides qui ne daignent même pas nous saluer. Soit Irina n'est pas très populaire, soit il est coutume de s'ignorer...

— Tu peux me dire où on va ? je m'enquis tout en gardant mon air innocent.

— Vérifier que tu es bien ce que tu prétends, répond-elle glaciale.

Mon coeur rate un battement et je sens mon visage se décomposer. J'ai de la chance qu'Irina ne se retourne pas car elle verrait à quel point je commence à paniquer. Quels genres de tests vont-ils me faire ? Si c'est seulement pour vérifier que je ne suis pas une simple Lumineuse ou Obscure je suis sauvée mais s'il y a un test particulier pour les Malfaçons, je suis morte.

Nous arrivons soudain dans une petite pièce que je trouve trop exigüe à mon goût. Je ne crois pas être claustrophobe mais cette absence totale de fenêtres me fait un peu trembler. Au centre de la salle se trouve comme un fauteuil de dentiste et à sa droite une petite table avec une mallette posée dessus. Irina me fait signe de m'installer et elle ouvre la mallette sans dire quoi que ce soit. Elle en sort alors une seringue qui me fait quelque peu ciller.

— Qu'est-ce que c'est ? je demande en essayant de calmer les tremblements de ma voix.

Sans me répondre, elle me plante sa seringue dans le bras ce qui m'arrache un gémissement. Je ne suis d'habitude pas du genre chatouilleuse avec les piqûres mais c'était tellement mal fait que la douleur s'est révélée plus aigüe que d'ordinaire. Je la vois prélever de mon sang et retirer l'aiguille d'un coup sec. Irina verse ensuite le sang sur une plaquette étrange qui se colore alors de différentes couleurs.

— Attends, fait Irina en fronçant les sourcils. Tu as du sang de Lumineux par contre je ne sais pas ce que veut dire cette tache noire...

Je me penche vers la plaquette colorée et constate que les trois quarts ont pris une teinte noire. L'autre partie est comme le soleil couchant. Irina me dévisage et je hausse les épaules le plus innocemment possible.

— Maintenant que je te regarde de plus près tu me fais penser à...

Elle n'a pas le temps de finir son murmure qu'un cri retentit plus loin. Ou plutôt quelqu'un qui beugle des ordres comme une hystérique.

— Espèce de bon à rien ! hurle-t-elle avec une voix si aigüe que j'ai peur que mes oreilles en saignent. Rona ! J'ordonne que cet abruti soit mis à l'isolement jusqu'à demain matin ! Il ne sait même pas faire la différence entre de l'améthyste et de l'obsidienne ! Fais ce qu'il faut pour qu'il s'en souvienne !

Le silence retombe d'un coup. Je jette un regard à Irina qui fixe l'entrée de notre petite pièce avec attention. Il n'y a aucune porte ici, seulement des couloirs de roche avec des petites alcôves, comme la nôtre. Tout doit donc s'entendre et résonner à chaque fois que quelqu'un parle trop fort.

— C'était qui ? je demande en produisant un nouvel éclair pour faire comme si j'étais terrifiée.

Irina ne répond pas (comme à son habitude) et examine une nouvelle fois la plaquette colorée.

— Qu'es-tu ? fait-elle avec un regard perçant qui fait froid dans le dos.

— Je te l'ai déjà dit, je m'appelle Isabelle Cray.

— Je ne t'ai pas demandé ton nom mais ce que tu es, idiote ! Es-tu une créature du diable pour que ton sang devienne noir en contact avec la plaquette de détection ?!

Je hausse de nouveau les épaules et elle pousse un grognement d'énervement. Là elle fait vraiment peur... Elle fait quelques pas dans le couloir et hurle alors "majesté". L'info ne fait qu'un tour dans ma tête : Alma. Il suffit donc de l'appeler pour qu'elle vienne ? Le souterrain ne doit pas être bien grand... Sauf que si je veux tenter de la tuer plus tard avec l'aide d'Alec et les autres, il ne vaut mieux pas qu'elle me voie maintenant... Je suis incapable de tuer quelqu'un, même Alma, donc je ne pourrais pas me débarrasser d'elle même si j'en avais l'occasion.

Je fais alors brutalement voler la seringue qu'Irina a utilisée pour prélever mon sang et la plante dans son cou. Je ne l'actionne pas pour ne pas libérer d'air dans sa veine mais le coup de la blessure l'immobilise quand même. Je prends alors mes jambes à mon cou et me dirige vers la grande salle où je suis passée en entrant.

— Petite salope ! grogne alors Irina dans mon dos.

Je cours le plus vite possible que mes pieds nus me le permettent et je croise alors dans le couloir une femme à la chevelure foncée. Je ne la détaille pas et me cache derrière mes cheveux sans m'arrêter devant elle.

— Qui est cette gamine qui ose courir dans mes conduits ?! s'écrie-t-elle. Stoppez-là !

Le sol rocailleux sous mes pieds est douloureux et le souffle commence à me manquer. J'ignore si j'aurais la force d'arriver jusqu'à la surface. Alors que j'aperçois enfin la grande salle au bout du couloir, je pose le pied sur une pierre tranchante qui m'arrache un cri et me fait tomber au sol. Mon visage s'écrase alors contre une autre pierre tout aussi aiguisée que la précédente et me transperce du front au bas du menton, en évitant heureusement mon oeil. Je hurle alors comme je n'ai jamais hurlé jusqu'ici et pose les mains sur mon visage en sang. Je n'ose même pas ouvrir les yeux et je sens soudain des mains me saisirent les bras pour m'obliger à me relever. Sauf qu'entre mon pied et ma balafre au visage, je ne suis clairement pas en état de faire le moindre effort. C'est à peine si j'arrive à bouger. La douleur est si intense que tout résonne dans ma tête et j'en vois flou.

Je ne peux articuler le moindre mot quand on me traîne au sol pour m'emmener je ne sais où. Je me contente de crier comme une folle à l'asile. Ma tête me lance de plus en plus et mes paupières se font alors lourdes. Je sens le goût du sang sur ma langue et une envie de vomir me prend. Puis plus rien.

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