Chapitre 11

Je me réveille avec une douleur au niveau des dents. Et une faim de loup. Tous les pores de ma peau me piquent et j'ai l'impression que mes yeux vont exploser. Je mets mon oreiller sur mon visage pour diminuer la luminosité et lorsque je me sens mieux, je l'écarte et j'ouvre doucement les paupières. Tout me paraît... différent. Ma chambre est plus lumineuse, on dirait qu'il n'y a pas de vitres aux fenêtres, et je ressens comme une sorte d'énergie me parcourir. Je me redresse dans mon lit avec difficulté quand la porte de ma chambre s'ouvre. Je plisse les yeux pour distinguer mon visiteur et sursaute en voyant Wren s'approcher de moi.

— Bonjour à toi, Blanche-Neige. Comment te sens-tu ?

Il me regarde comme si j'étais un éléphant de cirque, sans la moindre pitié ni compassion. Juste de la curiosité.

— Mal. Ça me pique de partout et j'ai mal aux dents.

Sa curiosité redouble et il attrape alors un magnifique vase posé sur une petite table. Il le soulève jusqu'au niveau de sa tête et le lâche sans crier gare. Je tends alors la main dans un réflexe désespéré pour l'empêcher de tomber et je sens une décharge d'énergie défiler jusqu'au bout de mes doigts. Je manque de faire une crise cardiaque en voyant le vase léviter à quelques centimètres du sol.

C'est vraiment moi qui fais ça ?! Ma main est figée et pointée vers le vase qui ne bouge pas d'un millimètre, comme si une table invisible était sous lui. Lorsque je relâche ma respiration que j'avais retenue sans même m'en rendre compte, le vase termine sa chute doucement sans se briser. 

— C'est bien ce que je pensais, marmonne Wren.

Il s'approche davantage de moi et je deviens alors une souris dans un laboratoire, observée par un savant fou.

— Qu'est-ce qui se passe ?! je m'exclame horrifiée. Je croyais que j'avais encore un mois avant d'achever ma mutation !

Wren sourit comme s'il avait gagné au loto. Ses yeux semblent briller presque inhumainement mais j'imagine que c'est uniquement un des effets secondaires de mon état.

— Tu es officiellement une Lumineuse, m'annonce-t-il comme si c'était la meilleure nouvelle de l'année. Avec un mois d'avance. Ce qui est absolument extraordinaire car non seulement ça n'est jamais arrivé, mais en plus, cela confirme ma théorie selon laquelle tu vas m'être très importante. Tu n'es peut-être pas si insignifiante que ça, finalement...

Pour une fois, j'aurais vraiment souhaité avoir autant de "signification" qu'une carapace d'escargot...

***

Karlie et Alec me harcèlent de questions depuis deux heures. Est-ce que j'ai l'impression d'avoir faim ? Est-ce que j'ai envie de vomir ? Est-ce que je ressens toujours cette énergie en moi ? Je réponds par l'affirmative à chacune d'entre elles ce qui confirme un peu plus chaque fois que je suis bel et bien devenue une Lumineuse. Alors que j'aurais dû attendre encore un mois avant de l'être. Tout va bien...

— Tu as vraiment réussi à faire tenir ce vase en suspension ou c'est Wren qui délire ? s'inquiète Alec. Il faut en général des semaines d'entraînement avant de réussir à maîtriser la lévitation...

Wren est parti dès l'arrivée d'Alec et Karlie, en déclarant simplement que j'avais réussi à sauver le pauvre vase de grand-maman Nightsun et que j'allais leur être très utile. C'est tout.

— Wren l'a laissé tomber exprès, j'ai tendu la main et le vase s'est stoppé. Je n'avais aucune intention d'utiliser la magie.

Karlie se lève et me désigne sa chaise de la main.

— Essaye de la faire voler. Si tu y arrives alors ça veut dire qu'il y a vraiment quelque chose de bizarre. Il ne faut pas beaucoup d'énergie pour faire voler des petits objets mais il en faut pas mal pour faire bouger des meubles.

— Concentre-toi, me conseille Alec. Visualise la chaise en train de bouger dans ta tête puis laisse cette énergie que tu ressens t'envahir. Essaye de faire comme si tu voulais transmettre de la magie dans cette chaise.

Il est marrant lui ! Il n'y a même pas une semaine j'étais tranquillement en train de déguster un pot de glace devant un film pourri avec Phoebe et Alexia, et voilà que je me retrouve à devoir faire voler des chaises avec de la prétendue magie. Je suis forcément dans un très long rêve, non ? Ou alors j'ai fait comme la Belle au Bois Dormant. Je suis en fait endormie pour l'éternité et je ne vis que par des rêves complètement dingues.

Je me concentre quand même sur cette maudite chaise avec un pied à moitié cassé et je ferme les yeux pour me l'imaginer en train de voler. Une violente masse d'énergie me parcourt alors les veines et ma peau devient brûlante. J'entends les exclamations de Karlie et j'ouvre alors précipitement les yeux. La chaise touche le plafond, en parfaite lévitation. Et je n'ai même pas la main tendue vers elle.

— Oh mon Dieu ! s'exclame Karlie, ses yeux couleur du ciel illuminés d'admiration. Je n'ai absolument jamais vu ça ! Comment tu fais pour être si puissante et si douée alors que ça ne fait même pas deux heures que tu as muté ?!

Alec me regarde avec fascination, mais pas pareille à si j'étais un rat de laboratoire comme le faisait Wren. Attendez, ils ne vont pas me dire que soulever une chaise dans les airs au bout d'une heure est l'équivalent pour eux du record du cent mètres, si ? Parce que si c'est le cas, je ne tiens pas à apparaître en première page des journaux locaux ou je ne sais quelle autre fantaisie d'ici...

— Vous pouvez m'expliquer ce qui se passe ? je tente en redoutant la réponse.

Alec et Karlie se regardent avec inquiétude et se retournent vers moi en même temps. Pour rappel, je suis toujours assise sur mon lit comme une malade dans un hôpital. J'aimerais bien me lever pour aller chercher quelque chose à manger, car même si je me nourris soi-disant de lumière, j'ai quand même un petit creux à l'estomac.

— Eh bien il se trouve, commence Alec en faisant les cent pas dans ma chambre, que les humains transformés en êtres des Astres doivent à chaque fois attendre au moins deux mois avant que leur mutation ne s'achève. Ça tu le savais déjà.

À vrai dire, je ne sais même plus ce que je sais et ce que j'ignore...

— Mais ceux qui ont été mutés sont toujours moins forts que les enfants de deux êtres des Astres, continue-t-il. Par exemple, Wren et moi sommes plus forts que Karlie, qui a été transformée. Nous sommes d'ailleurs, si je peux me le permettre, plus puissants que la moyenne car notre famille s'est presque toujours reproduite avec des êtres magiques de naissance. Ce qui fait que notre magie est vraiment puissante et que nous avons certains dons surdéveloppés. Mais ça je t'en parlerai plus tard.

S'il commence à partir dans ce genre de délire, il va perdre mon esprit définitivement.

— Bref, même moi et même Wren avons mis beaucoup de temps avant de savoir nous servir de nos pouvoirs, alors que toi tu sembles déjà les maîtriser...

— Attends, je le coupe, ce n'est pas parce que j'ai fait voler un vase et une chaise que je sais forcément me servir de mes pouvoirs ! Ça m'arrive maintenant mais qui te dit que dans une heure ou même dans cinq minutes je serais toujours capable de le faire ? C'est peut-être juste... une inspiration.

— La magie est comme le vélo, Luna, m'explique Karlie. On peut galérer un peu en s'y remettant si on ne l'a pas pratiquée pendant longtemps, mais une fois qu'elle est là, elle est là.

— Et il n'y a vraiment personne dans le Peuple des Astres qui soit déjà tombé dans le même cas que moi ?! je m'horrifie à l'idée d'être une bizarrerie.

— Si, me rassure Alec. Mais uniquement certains membres de la famille royale qui ont un sang "pur" où aucun "transformé" ne s'est mêlé à la lignée, ceux qui consomment des Pierres Astrales avant même d'avoir muté, ou alors les Malfaçons. Sauf que tes parents sont humains, que tu n'as jamais touché une Pierre Astrale de ta vie et que tu n'es pas une Malfaçon.

De mieux en mieux... J'ai de plus en plus peur qu'ils m'envoient chez un vaudou local afin qu'il m'examine. Je me sens alors obligée de poser la question, ce qui les fait éclater de rire.

— Mais non, Luna nous n'allons pas t'amener chez un sorcier ni chez qui que ce soit d'autre d'ailleurs ! rigole Karlie. Par contre, il faudrait qu'on découvre l'ensemble de tes pouvoirs. Je vais essayer tout de suite de trouver un humain et de te le ramener pour voir ce que tu peux faire sur lui. Rassure-toi je lui ferais tout oublier une fois qu'on en aura terminé avec lui. À tout à l'heure !

Karlie sort de ma chambre en sautillant et me laisse seule avec Alec. Un (très) lourd silence tombe alors entre nous. Je regarde par mes immenses fenêtres la lumière s'infiltrer dans la pièce. Plus il y a de lumière, plus je sens cette énergie bouillonner en moi. Ce n'est pas désagréable au fond. Je me sens... puissante. Comme si rien ne pouvait m'arriver.

— Je suis vraiment désolé, déclare alors Alec.

Je me tourne vivement vers lui et je le vois abattu, les yeux rivés au sol.

— Pourquoi es-tu désolé ? je lui demande avec douceur. OK, c'est toi qui as planté tes crocs dans mon cou mais je sais que ce n'était pas vraiment toi. Tu as peut-être bouleversé mon existence à tout jamais mais c'est comme ça. On ne peut pas changer les choses et tu n'y es pour rien.

— Oui, mais tu vas te retrouver embarquée avec Wren dans sa folie pour retrouver Alma. Je ne sais pas en quoi il veut se servir de toi, mais je ne veux pas te mettre en danger. S'il t'arrivait quelque chose... cette fois ce serait entièrement ma faute.

J'avais complètement oublié cette histoire de Wren et d'Alma. En quoi vais-je être utile à Wren pour retrouver cette pierre de quoi déjà ? Pierre de la Lune, Pierre du Soleil ? Ah oui, la totale : Pierre des Astres.

— Je ne suis pas une petite fille, Alec, je lui réponds doucement. Je me sens plus puissante que jamais et cette énergie en moi me donne envie de vivre de nouvelles aventures. Wren est peut-être un fou, mais je n'ai absolument pas peur de lui.

Il y a du vrai et du faux dans ce que je dis. C'est vrai que je me sens très puissante et que j'ai envie de laisser ma magie s'exprimer mais j'ai quand même un peu peur de Wren... Il n'a rien de rassurant et chaque fois que je croise son regard, j'ai l'impression qu'il peut lire tous mes secrets. C'était peut-être parce que j'étais humaine et qu'effectivement il pouvait lire mes émotions. En tout cas, je ne dis pas que je passerais une nuit seule avec lui dans un sous-sol sans lumière...

— De toute façon nous n'en sommes pas là, se résonne Alec. Nous allons d'abord découvrir de quels pouvoirs tu es capable...

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