Chapitre 1

— Excusez-moi êtes-vous blessée ?

"Blessée" n'est pas le terme que j'emploierais pour quelqu'un qui vient de se faire renverser dans les couloirs du lycée par le garçon avec qui elle a passé tout l'été à Miami Beach. Garçon qui est, je le précise, censé être en ce moment même à Florence, en Italie alors que nous sommes à Reding High à Los Angeles.

— Alec ? je réussis à articuler.

— Comment connaissez-vous mon nom ? demande-t-il en plissant légèrement les yeux.

OK. Déjà que je suis encore sous le choc de le trouver ici, je tombe encore plus bas en constatant qu'il n'a pas l'air de me reconnaître. Et puis pourquoi est-ce qu'il me parle comme si j'étais la reine d'Angleterre avec cet air de garçon bien élevé alors qu'il était limite malpoli, il n'y a pas plus de cela que deux semaines ?

— Je suis Isaluna. Ou Luna si tu préfères. Nous allions au même endroit sur la plage de Miami et nous sommes sortis ensemble.

Pour information, nous sommes au beau milieu d'un couloir de lycée, entourés de monde, après que Alec m'ait percutée au coin d'un couloir. Très cliché, je sais. Les têtes des autres élèves sont tournées vers nous, nous fixant comme si nous étions les derniers des abrutis... ce que nous devons vraiment avoir l'air.

— Je suis sincèrement désolé mais je ne parviens pas à me souvenir de vous. Je suis resté tout l'été dans ma maison d'Écosse donc je doute que nous nous soyons croisés à Miami.

— T'es sérieux ?! Si c'est une de tes blagues elle est vraiment pourrie ! je m'énerve en pensant qu'il me joue un tour.

— Je vous demande pardon mademoiselle mais, si je peux me le permettre, je crois que vous faites erreur.

Je le dévisage bouche bée tandis qu'il attrape délicatement ma main pour m'aider à me relever en même temps que lui. Je me sens horriblement bête de lui presque crier dessus alors qu'il affiche une telle gentillesse et galanterie. Je remets en place mes cheveux châtain clair derrière mes oreilles tout en prenant une vaine inspiration pour tenter de me calmer.

— Tu n'as pas un frère jumeau ? je me hasarde.

Non parce que c'est vraiment le portrait craché d'Alec : cheveux bruns, yeux bleus, même sourire (quoi que celui du vrai Alec était plus arrogant) et même taille.

— Non, répond-il en partant d'un rire léger. J'ai un frère aîné mais pas de jumeau.

— Il ne s'appellerait pas Alec comme toi ?

J'ai conscience de paraître totalement ridicule mais franchement, on ne pouvait pas imaginer pire jour de rentrée. Je pensais ne plus jamais revoir Alec, ce garçon avec qui j'ai passé plus de la moitié de mes vacances, mais voilà qu'il me bouscule maladroitement dans un couloir.

— Mon frère s'appelle Wren. Mais croyez-moi, si vous l'aviez rencontré, vous seriez encore en train de lui courir après.

L'Alec que j'ai rencontré pendant l'été ne m'avait jamais précisé qu'il avait un frère. Il faut dire que nous n'avons pas tellement bavardé durant le temps que nous sommes restés ensemble. C'était plutôt une tout autre relation entre Alec et moi...

— Sérieusement si c'est une blague tu peux arrêter maintenant, je déclare en croisant les bras pour ne pas me démonter. Une fois ça va mais ça commence à devenir lourd. Comment t'as eu mon adresse au juste ?

Je suis agressive mais au bout d'un moment, il faut savoir arrêter de déconner.

— Je suis vraiment navré de ce malentendu mais je n'ai jamais mis les pieds en Floride, balbutie Alec, désarçonné par mon insistance. J'ai entendu dire qu'on avait tous un certain nombre de sosies sur Terre. Peut-être avez-vous rencontré le mien.

Il a l'air si sincère et si incompréhensif face à la situation que j'en perds mes mots.

— Pouvez-vous m'indiquer où se trouve la salle trois cent quatorze, s'il vous plaît ? me demande-t-il en regardant partout autour de lui, changeant un peu trop vite de sujet à mon goût. Je suis nouveau ici et je dois avouer que je suis un peu perdu.

Sans dire un mot, je me dirige vers la trois cent quatorze qui est justement la salle dans laquelle je dois me rendre. Nous sommes le premier jour de reprise des cours et je dois absolument aller à la salle de mon nouveau professeur principal et retrouver ma classe. Attendez... Est-ce que ça veut dire qu'Alec est dans la même classe que moi ?!

— T'es en première A toi aussi ? je lui demande en essayant de dissimuler mon agitation.

Non parce que si ce mec n'est pas l'Alec que je connais et que j'ai attrapé je ne sais quelle maladie hallucinogène pendant mes vacances, autant éviter qu'il me prenne pour la folle de service dès le premier jour.

— Euh... Oui il me semble, répond-il en jetant un œil à un papier dans la poche de son pantalon.

Il me suit comme un petit chien à travers les couloirs et nous arrivons finalement à destination. Dans la salle se trouvent déjà Alexia et Phoebe, mes deux meilleures amies.

— Luna ! me crient-elles en me faisant de grands signes.

Je leur adresse un timide salut de la main. Je suis d'habitude beaucoup plus enthousiaste et en temps normal j'aurais certainement couru jusqu'à elles, seulement la présence d'Alec derrière moi me perturbe. Je n'arrive pas à comprendre comment il a pu m'oublier à ce point alors que nous nous sommes vus chaque jour pendant deux mois. Et puis ce n'est pas comme si nous nous étions simplement croisés...

C'était l'été le plus chaud de ma vie... et j'emploie "chaud" dans le second sens du terme. Et sans parler du fait qu'Alec a l'air de m'avoir complètement effacée de sa mémoire, je doute que quelqu'un puisse changer de personnalité de cette manière. Celui que j'ai connu parlait de façon parfois vulgaire, poussait quiconque se trouvait sur son passage et surtout, n'aurait jamais avoué à qui que ce soit qu'il était perdu. Question de fierté.

— Suis-je censé m'installer directement à une chaise ou quelqu'un va-t-il venir pour m'attribuer un siège ? me questionne Alec.

Mon Dieu mais il débarque du dix-septième siècle ou quoi ?

— Assieds-toi où tu veux, je marmonne en bégayant deux fois sur "assieds-toi".

Sur ce je m'éloigne à grands pas vers mes amies en le laissant en plan. Si je reste deux secondes de plus à l'entendre me parler comme ça, je devrais prendre la direction des toilettes illico pour vomir mon petit-déjeuner.

— Ça va, Luna ? m'interroge Alexia avec un air inquiet.

L'été ne l'a pas changée : toujours aussi gentille et bienveillante. Avec ses cheveux blond foncé formant de jolies bouclettes et ses chaleureux yeux marron, elle est l'une des plus belles filles du lycée, même si elle préfèrerait se pendre plutôt que de l'avouer.

— Parfaitement, je réponds avec innocence et un petit rire forcé. Pourquoi ça n'irait pas ?

— Excuse-moi mais tu es toute blanche. C'est à cause du beau gosse avec qui tu étais ? Il est sacrément canon ! Dis-moi qu'il t'a déjà invitée au bal de rentrée ! s'enthousiasme Phoebe.

Phoebe et la subtilité... De son regard noisette pétillant, elle dévore Alec du regard en agitant ses cheveux bruns tandis que je m'efforce de tourner le dos à ce dernier. Je m'installe sur la chaise à côté de Phoebe et je sors mes affaires en essayant de ne pas jeter le moindre coup d'œil à Alec.

— Tu sais comment il s'appelle ? Il te disait quoi ? m'harcèle Phoebe, avide de renseignements sur le petit nouveau.

Je pousse un long soupir pour essayer de calmer mon esprit et mettre de l'ordre dans mes idées.

— C'est Alec, je finis par chuchoter pour qu'il ne m'entende pas. Je vous en ai parlé hier, quand on s'est vues. Le garçon avec qui j'ai passé l'été à Miami, sauf qu'il ne me reconnaît pas.

— Quoi ?! s'exclame Phoebe en ouvrant grand les yeux. C'est avec un gars comme ça que t'as passé tout l'été pendant que moi je balayais le plancher de la ferme de ma grand-mère ?

— Comment ça il ne te reconnaît pas ? demande plutôt Alexia.

— Je n'en sais rien... On s'est foncé dedans dans les couloirs et il m'a parlé comme si j'étais une parfaite inconnue. Même quand je lui ai dit mon nom il n'a pas tilté.

— Tu es sûre que c'est lui au moins ? s'enquit Phoebe en me regardant avec suspicion.

— Bien sûr que oui ! Il est exactement pareil physiquement et il s'appelle aussi Alec. Mais... il n'a pas du tout l'air d'avoir la même personnalité. Il parle comme si on était au dix-neuvième siècle en me vouvoyant et il m'a demandé son chemin alors que l'Alec que je connais aurait préféré se perdre pendant des heures plutôt que de s'abaisser à demander quelque chose à quelqu'un.

Les filles prennent un air intrigué et observent Alec comme si la réponse à ce mystère allait s'inscrire sur son tee-shirt. Je finis par tourner les yeux dans sa direction. Il est à une table au premier rang contre le mur côté couloir. Il regarde la pièce comme s'il n'avait jamais mis les pieds dans une salle de classe et garde son sac sur ses genoux, sans avoir l'air de savoir qu'en faire.

— On dirait que ce gars vient d'une autre planète, constate Alexia.

— La planète des beaux gosses tu crois ? Dans ce cas je veux bien qu'il m'y emmène lorsqu'il ira rendre visite à sa famille à Thanksgiving, s'amuse Phoebe.

Alec se tourne vers moi et me lance un regard de petit chiot abandonné. Il n'a aucune idée de ce qu'il doit faire. Après dix bonnes secondes à le regarder comme un alien, je lui désigne mon sac et ma trousse. Il comprend le message et sort la sienne de son sac. Je lève mon pouce en l'air et lui fait signe d'attendre. Il me remercie d'un hochement de tête et d'un sourire timide.

Je commence sérieusement à envisager que le vrai Alec ait été envelé par des extraterrestres et remplacé par un clone. Désolée, mais je crois que c'est la seule solution qui n'implique pas que je sois devenue folle.

— Il est vraiment louche cet Alec, déclare Alexia.

— Bah c'est sûr que pour avoir supporté Luna pendant deux mois, soit il était allumé tous les jours, soit il venait d'une autre galaxie, rigole Phoebe.

Je lève les yeux au ciel et me tourne vers la fenêtre. Un élève monte le volet et le radieux soleil de septembre vient illuminer la pièce. Soudain, mes yeux commencent à me piquer et je pousse un grognement tout en me les couvrant.

— Tout va bien Luna ?

Je ne parviens même pas à identifier laquelle des filles m'a parlé tant mes oreilles se mettent à siffler. Je ne vois plus qu'un rayon de soleil éblouissant qui me brûle les yeux, puis plus rien. La dernière chose que je sens est ma tête qui heurte la table.

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