Chapitre 9

Les deux policiers ont emmené Max au poste de police. Ils lui ont même passé les menottes. Je sais que je vais m'en vouloir probablement, mais je n'ai pas porté plainte, surtout parce qu'Adrian et moi allons garder ça secret pour Cate. On ne veut pas qu'elle le sache : des plans pour qu'elle se croie être la pire tante au monde et ne nous laisse plus jamais seuls à la maison ou aller à des sorties. Les parents de Max sont venus m'assurer que leur fils ne reviendra plus ici. Ils vont soigner ses crises psychotiques qui sont revenues depuis une semaine ; il ne prenait plus sa médication. J'ai eu le droit à un sermon de mon frère concernant mes fréquentations douteuses depuis quelques jours. Il dit m'avoir vue parler avec Max Duncan le soir de la beuverie et que j'aurais dû savoir qu'il a une réputation de coureur de jupons et qu'il n'a aucun respect pour tout ce qui est du type « féminin ».

Le lendemain matin, nous prenons notre petit-déjeuner pendant que Cate lit le journal avec son café. Adrian, assis en face de moi, me lance des regards remplis de reproches qui doivent lui brûler les lèvres. Je l'entends laper le lait de ses céréales au bout de sa cuillère, ce qui m'agace au plus haut point.

— Tu as passé une bonne soirée hier, Adrian ? lui demande Cate en baissant son journal pour lui sourire.

Adrian avale la bouchée de céréales en gloussant et lui répond en balbutiant :

— La meilleure de ma vie !

Il recule brusquement sa chaise, ce qui me fait sursauter.

— Oh, alors ç'a cliqué vous deux ?

Je fronce les sourcils et toise ma tante. J'ai manqué quelque chose ou quoi ?

— On peut dire ça comme ça... marmonne Adrian en déposant son bol dans l'évier.

Alors mon frère avait un rancart hier soir et il ne m'a pas tenue au courant. Depuis quand Cate est-elle mise au parfum avant moi ? Pourtant, pour un rancart, il est plutôt rentré de bonne heure. J'en connais une qui va ronger ses ongles jusqu'aux os si elle l'apprend : Ivy.

— Elle est comment ? demande-t-elle avec un sourire narquois.

— Elle est grande, blonde, un corps athlétique, un sourire radieux et c'est la fille la plus généreuse que j'aie croisée dans ma vie. Elle ne se prend pas la tête comme la plupart des autres filles que j'ai fréquentées. Un rien l'amuse et la rend heureuse.

Je grimace. Cette fille, je ne l'aime déjà pas. Je ne sais pas vraiment pourquoi, mais j'ai du mal à voir mon frère avec une autre personne qu'Ivy. Même si ses relations n'ont toujours duré que quelques semaines, je n'aime aucune de ces filles. Ils formaient le couple parfait, Ivy et lui.

— Je suis contente pour toi, ajoute-t-elle. Et toi, Hayley ? Qu'as-tu fait de ta soirée ?

Je manque de m'étouffer avec mon jus d'orange quand Adrian m'accroche avec son coude derrière la tête.

— Heu... sage. Je veux dire, tranquille dans ma chambre. Film, bonbons, manucure et j'ai parlé avec Riley.

— C'est donc ça ton vernis sur les pieds ? Je vais t'aider la prochaine fois...

Je regarde mes ongles d'orteils et remarque que mon vernis est fichu. Je me souviens alors qu'il n'était pas très sec quand j'ai couru dans la maison et quand je me suis traînée dans les marches. Ou plutôt, me suis fait traîner de force par Max.

— Riley va bien ? J'ai vu sa mère hier, elle m'a demandé comment tu allais. Elle va bientôt ouvrir le ranch pour faire des festivités. Manèges, kiosques, spectacles, tirs de tracteurs et montes de taureaux. Ce sera pour fêter les finissants, y compris Riley qui a eu son diplôme. Tout le voisinage ira. Il t'envoie l'invitation, mais bien sûr, il ne faut rien dire à Riley.

— Entendu.

De toute façon, ce n'est pas comme si la communication était notre point fort ces derniers temps. J'ai l'impression qu'il ne me dit pas tout, et moi de même, je lui cache Isaac...

— J'ai des courses à faire aujourd'hui. Vous voulez quelque chose en particulier à l'épicerie ? Et Hayley, je vais te laisser quelques billets sur la table pour que tu ailles choisir un cadeau pour Riley.

Quoi ?

— J'ai mon argent.

— Il est fraîchement diplômé, et l'an prochain, c'est l'université... tu peux bien lui faire un présent qui aura une signification pour lui. Ton salaire, continue de le garder dans ton compte pour une voiture.

Je hoche la tête, même si je n'aime pas accepter son argent. Contredire Cate, c'est comme s'en prendre à une personne sans défense. Je me sens toujours mal si je tente de lui tenir tête.

Quand je termine mon déjeuner, j'empoche les billets qu'elle m'a laissés avant de quitter. Je monte à ma chambre pour me changer, quand Adrian me dépasse et me tire par le bras pour monter plus vite.

— Calme-toi ! Je ne lui ai rien dit, et je n'ai pas l'intention de lui dire ce qui s'est passé hier.

— Tu as intérêt. Car si elle apprend ça, elle va flipper et ne dormira plus. Elle va chercher à verrouiller les portes constamment et nous y clouer jusqu'à notre mort.

— Tu ne trouves pas que tu exagères ? Et puis, c'est une question de temps avant qu'elle te demande pourquoi tu as une drôle de couleur sur ta main.

Adrian a clairement vidé mon fond de teint pour camoufler l'hématome et le rouge sur sa main. Seules ses jointures enflées restent visibles. Il part de son côté vers sa chambre et je fais de même pour me changer. J'enfile un short en jean avec un débardeur blanc et je noue mes cheveux jusqu'à ce qu'ils deviennent un chignon débraillé. Je fais sortir quelques mèches près de mon visage et j'enfile mes Converse noir et blanc. Aujourd'hui, la température est particulièrement humide, et la météo prévoit des averses au cours de la soirée. Je m'apprête à appeler Kelyne quand ma sonnerie retentit dans ma main... Riley.

— Allô !

— Comment vas-tu ?

Sa voix est distante, voire froide et sévère.

— Ça va... et toi ?

Je me demande si je devrais lui dire pour Max... Un combat commence à se dresser dans mes pensées. Je trouve que ce n'est pas trop le moment de lui en parler ; il a déjà l'air assez renfrogné comme ça, et pour être honnête, je ne l'ai jamais vu ainsi. Riley est un garçon enjoué et jamais de mauvaise humeur. Mais d'un autre côté, je devrai lui dire, et ce, dans les plus brefs délais avant que ce ne soit Adrian qui lui en glisse un mot. Sur ce point, je suis sûre qu'il ne me pardonnera pas de ne pas lui en avoir parlé. Riley n'est pas violent, mais pour des choses comme ça, quand on s'en prend à sa famille ou à ceux qu'il aime, il ne faut pas se mettre sur son chemin. Riley est le genre de tout le monde, le genre que toutes les belles-mères rêvent d'avoir ; un avenir tracé, et il offre la sécurité. Et moi, je doute depuis quelques jours que je sois toujours digne de lui. Ou du moins, de sa confiance. Alors j'opte pour lui dire la vérité, mais il me devance :

— Ça pourrait aller mieux. On doit parler, tranche-t-il.

— Oui. Moi aussi je voudrais te parler.

— Quand j'ai raccroché avec toi hier... j'ai parlé avec Adrian. Il était avec Ivy, et tous les deux m'ont dit t'avoir vue parler avec Isaac. Tous les deux m'ont dit qu'ils t'avaient prévenue de te tenir loin. J'ai alors demandé à ton frère de garder un œil sur toi pour les prochains jours, jusqu'à ce que je revienne.

Je suis horrifiée. Non, offensée. Il a appelé mon frère pour obtenir la vérité et des réponses, alors qu'il aurait pu les obtenir de moi ? Enfin... pas toutes. Mais tout de même, il n'avait donc pas confiance en moi ? J'étais si transparente que ça ? Et la grande blonde du rancart de mon frère, c'était donc Ivy ? Wow ! Là je suis partagée : heureuse pour elle et lui, mais frustrée qu'ils aient parlé de moi à Riley ! J'espère qu'Ivy n'a pas raconté à quel point j'avais des vues sur Isaac.

— Sérieusement ? Tu comptes me faire espionner par mon frère pendant ton absence ? Je suis dégoûtée par ton manque de confiance.

— Ce n'est pas en toi que je n'ai pas confiance. Isaac se tape toutes les filles, il obtient tout ce qu'il veut. Et si toi tu te trouves dans sa mire, il ne te lâchera pas. J'ai peur qu'il t'arrive quelque chose, Hayley. Si tu lui as parlé, ce n'est pas un simple hasard. Isaac ne parle pas par hasard avec les gens...

— Tu sembles en savoir plus sur lui que toute la ville avec ses rumeurs.

— Oui. Je le connais plutôt bien. Très bien, même.

Je savais qu'il m'avait menti.

— Explique.

Je l'entends lâcher un soupir, exaspéré.

— Mes parents connaissaient ses parents et lui aussi. Isaac est un enfant mal élevé. Il n'a jamais étudié ni jamais mis les pieds au lycée. Il était un enfant séquestré dans sa demeure par sa mère accro au crack et un père qui a foutu le camp quand il avait neuf ans. Il se faisait battre, et a souffert de malnutrition.

C'est drôle... je serais plus portée à avoir de la compassion pour le gamin contrairement à ce que lui semble penser.

— Un jour, poursuit-il, Isaac était âgé de quatorze ans ; il commençait à sortir, et il s'est pointé au festival du gros mangeur où les kiosques servaient des piments forts, du steak et toutes sortes de choses. Il a volé de la nourriture et quand mes parents l'ont coincé, ils ont appelé la police. Eh bien, Isaac a mis le feu au kiosque de mon père, ce qui a également enflammé quelques kiosques voisins. Tu te souviens du feu qui a duré quatre heures avant qu'ils réussissent à l'éteindre au complet ?

— Heu... oui, dis-je en bafouillant.

— C'était lui. Une fois au poste de police, ils l'ont relâché et deux semaines plus tard, sa mère a été retrouvée morte sur le plancher de la cuisine. Elle était dans son propre vomi. Mes parents ont prétendu qu'elle avait fait une overdose, mais qui dit que ce n'est pas Isaac ? Elle l'avait battu et privé de tout dans son enfance. Privé d'affection, de contacts, d'éducation, de règles, bref, c'est un délinquant. Il a disparu après le drame. La ville ne l'avait pas revu jusqu'à ce qu'il revienne à seize ans récupérer l'urne de sa mère qui était restée ici. Selon les témoins, il avait un habit militaire. Et les rumeurs sont reparties de plus belle : qu'il devait tuer des gens, qu'il était devenu encore plus cinglé avec son enrôlement dans l'armée... Chaque fois qu'il est ici, il arrive pourtant à se taper plein de filles.

Riley mâchouille ses mots comme s'il était quelque peu étonné ou même... jaloux qu'un garçon comme Isaac réussisse à se faire autant de filles.

— Et une en particulier, Kendall, qui a raconté comment c'était de passer du temps avec lui. Il l'aurait forcée à coucher avec lui plusieurs fois, menaçant de la tuer si elle refusait. Il l'aurait battue. Il est violent physiquement. Elle avait des marques aux poignets et un œil au beurre noir. Après ça, Isaac s'est encore poussé. Mais elle n'a jamais porté plainte. On a cru qu'il s'était fait enfermer ou qu'il était retourné dans l'armée. Mais là, tu me dis qu'il est revenu après tout ce temps ? Il doit être âgé de dix-huit ans maintenant.

Je ne sais toujours pas quoi lui répondre.

— Tu ne dis rien ? s'enquiert-il.

— Bah... je ne sais pas trop, Riley. Ça fait beaucoup de suppositions. Peu de preuves. Je ne sais pas...

— Que ce soit vrai à 20 % ou à 100 %, tu devrais l'éviter.

— Je ne lui parlerai plus.

— Promets-le-moi, sinon je mets ton frère sur ton dos.

Je grogne.

— Promis !

— Maintenant, de quoi voulais-tu me parler ?

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