Chapitre 9. Confrontation [Partie 1]

- Vous êtes un parfait inconscient, grommela Iphigénie en essorant ses cheveux.

Tourner ostensiblement le dos au Néphélé ne fut pas suffisant pour que ce dernier comprenne qu'elle ne désirait plus qu'il lui adresse la parole.

- Je ne m'étais pas amusé avec des cafards depuis une éternité. Tu m'as donné une raison de le faire, rétorqua le destructeur de plan en remettant sa chemise trempée.

Ils avaient nagé tous les deux jusqu'au navire de Nadjka. Là, un des marins leur avait lancé une échelle de corde. A présent au sec, la jeune femme lui aurait bien coller une gifle pour toutes les bêtises enchaînées au court de la soirée... Si le cartographe n'avait pas fait une tête de plus qu'elle.

- Une raison ? Vous ne saviez même pas pourquoi je voulais venir sur la Perle au départ !

- Je n'ai jamais précisé si c'était une bonne raison ou non.

Iphigénie poussa un soupir et renversa sa tête en arrière, laissant l'adrénaline de la chute retomber doucement. Elle n'avait pas perdu son sang-froid avec Raphaël Cibo, toutes les courtisanes de l'Ambassade et Adrian pour offrir la satisfaction à ce provincial mal dégrossi de l'avoir faite sortir de ses gonds. Une bourrasque iodée venue du Nord apporta une fraîcheur propice à faire redescendre enfin les restes de sa colère. Alors, elle se laissa doucement retomber sur le sol et releva le visage vers les profondeurs nocturnes de la nuit. Sur sa droite, le Néphélé mit les mains dans ses poches et contempla avec elle les étoiles.

Il s'écoula de longues minutes avant qu'il n'interrompe le silence.

- Il faudrait songer à sortir le cafard de sa cabine.

- Non. Kratein est très bien où il est.

- Je ne te savais pas aussi...

- Aussi, quoi ? Vous autres m'infantilisez depuis le début de la traversée. Comment pouvez-vous savoir la moindre chose sur ce que je suis ?

-Tu voulais passer pour une gamine. C'est clairement ta faute tout ça, pas la mienne, ni celle de mes frères.

- Personne ne m'aurait jamais parlé.

- Toi et les tiens.... Je ne veux pas être offensant, votre Altesse, mais... Vos mœurs sont perverties et vous seriez prête à vendre votre propre mère si elle valait un demi grain de raisin. C'est minable et inintéressant.

- Parce que vous vous croyiez bien évidemment supérieurs à tout cela, les Néphélés ? Alors qu'en fait, vous n'êtes juste qu'une bande d'arrogants égoïstes qui prennent la mer parce que vous êtes des lâches qui n'affrontez jamais la réalité.

- Vous êtes manipulateurs et corrompus. Vous vous pensez tellement meilleurs que tout le monde alors que vous ne connaissez rien d'autre que votre merveilleuse Cité.

- Vous êtes fermés d'esprit. Incapables de donner une seconde chance !

- Vous n'hésitez pas à vous trahir mutuellement. Il n'y a aucune confiance au sein même de votre groupe ! Vous ne savez pas aimer !

- Tu n'es qu'un exhibitionniste complètement fou !

- Tu n'es qu'une manipulatrice menteuse et butée !

- Et qu'est-ce qui te retiens de t'en aller ?

- Je n'ai aucun ordre à recevoir de toi ! Je fais ce que je veux !

- Moi aussi !

- On est au moins d'accord sur une chose !

- C'est ça ! Dans tes rêves !

Les deux se toisèrent en chien de faïence, sur la défensive, poings serrés. Ils ne se quittèrent pas du regard, tentant mutuellement de forcer l'autre à baisser les yeux. Mais chacun des deux était plus têtu qu'un troupeau de mules, si bien qu'ils restèrent bien face à face dix minutes avant que la commissure de leurs lèvres ne commence en même temps à s'agiter. Enfin, le rire nerveux qu'ils tentaient en vain de réprimer, s'échappa et ils finirent tous les deux pliés sur le pont en se tordant de rire. Iphigénie s'essuya les quelques larmes qui s'échappaient de ses yeux. Elle ne s'était jamais comportée de manière si puérile et indécente, elle n'avait jamais perdu autant son précieux contrôle d'elle-même et elle n'avait jamais non plus abandonné son langage soutenu.

Pourtant, à cet instant précis, elle n'éprouvait aucune culpabilité, alors qu'elle avait fait ce à quoi elle ne voulait pas céder quelques minutes auparavant. Mieux : elle ne s'était jamais sentie aussi bien.

Aussi... Elle-même?

Ce constat arrêta net son rire qui se bloqua dans sa gorge. Elle jouait à un jeu dangereux. Si elle redevenait elle-même c'était parce qu'elle ne se contrôlait plus. Si elle ne se contrôlait plus, elle perdait son masque.

Immédiatement, son regard se porta sur le Néphélé qui continuait de s'esclaffer. Etait-ce cette tête-brûlée grossière qui provoquait une telle chose ? Ou bien était-ce cette nouvelle vie dans son intégralité, à force de côtoyer ces gens si vertueux et honnêtes, au point qu'elle en laisse tomber sa garde ? La jeune femme fronça les sourcils : elle devait absolument identifier d'où venait ce changement.

Ce fut alors que deux pas firent trembler le sol sous les deux compères. Cela mit définitivement fin aux réflexions d'Iphigénie pour la soirée. Le cartographe et l'Argyre se consultèrent du regard avant de déglutir bruyamment.

Cela ne sentait pas bon du tout.

- PITCHOUNE ! MIU !

- Ah. Capitaine, vous ? Debout ? A cette heure ? Quelle surprise, souffla le Néphélé en esquissant un semblant de sourire.

- Comment avez-vous pu penser qu'un cafard qui hurle à trois heures du matin pouvait passer inaperçu ? J'ai dû le libérer de sa cabine ! Explication ! Qui a eu l'idée ?

- C'est ma faute, bredouilla Iphigénie, impressionnée malgré elle par la colère qui se dégageait de Nadjka.

- Elle a raison, c'est de sa faute, renchérit le cartographe.

Iphigénie lui lança un regard noir : elle n'allait pas lui demander de la soutenir, cela aurait été trop beau. Nadjka soupira :

- Miu, ce n'est pas parce que ces cafards nous sont inférieurs qu'on doit en profiter. Je retourne dormir. Mais à la prochaine catastrophe, je vous colle tous les deux à la baille !

Le cartographe et Iphigénie hochèrent sentencieusement la tête. Nadjka les fusilla avec un dernier regard noir pour la forme et tourna les talons. Quelques Néphélés curieux observaient la scène, mais voyant que la géante blonde ne les punissait pas, ils détournèrent leur attention.

La jeune femme se tourna à présent vers le cartographe. Ce dernier avait l'air de vouloir disparaître sur place. Le sermon de son capitaine lui avait tant fait d'effet que cela ? Du moins, il avait les pommettes écarlates.

- Je hais ce surnom..., murmura-t-il.

Iphigénie se planta devant lui, les bras croisés et sourcils froncés. Ce fut lui, cependant qui prit la parole le premier. Il restait planté là comme un dolmen, tout son visage contracté :

- Tu ne vas tout de même pas me faire la morale encore une fois ?

- Je ne comprends pas pourquoi vous avez refusé de m'adresser la parole pendant un mois. Puis vous vous êtes finalement décidé, non seulement à me parler, mais en plus à me suivre jusque sur la Perle. Je suis perplexe. Expliquez-moi.

- Tu n'y es absolument pour rien. Je me suis disputé avec un de mes frères. J'étais monté sur le pont pour prendre l'air et me calmer. Tu étais là et je me suis dit que, quitte à passer ma colère, autant que ce soit sur un cafard. Mais ensuite, tu voulais aller dans un endroit où il y avait plus de cafards, donc plus de souffre-douleurs.

Iphigénie resta estomaquée par une telle franchise. Elle oscilla entre stupeur et colère avant que que cette dernière ne l'emporte. Pour la seconde fois de la soirée, ses poings la démangeaient et en dépit de tout le bon sens du monde, elle se décida à obéir à sa pulsion. Tout son visage se détendit et elle prit même le luxe de sourire gentiment. Puis, sans signe avant-coureur, elle balança donc un directe du gauche dans la mâchoire du cartographe.

- Moi, aussi, je suis agacée et sur les nerfs entre mon patron machiavélique, Kratein qui pourrit mon air et des responsabilités de tous les côtés. Merci d'avoir été mon souffre-douleur, conclut Iphigénie en arborant une moue satisfaite.

- Je rêve..., murmura le Néphélé en se caressant le menton.

Il jeta un coup d'œil à Iphigénie qui le toisait. Étonnamment, il n'eut pas l'air de se sentir menacé par une fille de la Cité plafonnant au mètre soixante.

- Vous l'avez quand même mérité, argumenta-t-elle en se reculant tout de même, dans le doute.

Le cartographe serra les dents et donna une pichenette dans l'air. Une violente bourrasque se leva sans prévenir et ce fut comme si la jeune femme recevait un uppercut dans l'estomac. Elle s'étala lamentablement sur le pont, les quatre fers en l'air.

- Voilà. Maintenant, on est quitte.

Iphigénie se retint de se plaindre ou même de gémir. Les pouvoirs sur les vents des Néphélés étaient particulièrement agaçants et douloureux. Saleté de provincial bourrin.

Avec toute la dignité qu'il lui restait, c'est à dire pas grand chose, elle releva la tête et prit appuis sur ses avant-bras dans la ferme intention de se remettre sur pied. Le regard de la jeune femme tomba sur une main tendue qui l'invitait à se lever. Iphigénie repoussa le cartographe et se redressa sans son aide.

- Mon vrai nom est Miuzaki, lâcha le Néphélé alors qu'elle s'apprêtait à tourner les talons.

- Le mien est Iphigénie. Allez mourir, cracha la jeune femme en lui écrasant les deux pieds de toutes ses forces.

- C'était censé me faire mal ? Siffla Miuzaki : il avait presque l'air surpris de son geste.

La jeune femme leva les yeux au ciel, se retint de lui envoyer son pied cette fois-ci dans les bijoux de famille, réaction qui aurait été un peu disproportionnée, et retourna dans sa cabine sans un mot.

Pistache l'attendait. L'animal avait des vagues airs de parents en colère. Grimpé sur la tête de lit, il toisait Iphigénie avec son petit regard inquisiteur : « Alors, c'est à cette heure-ci que tu rentres ? ». Le corps d'Iphigénie rebondit sur le matelas de son lit où elle se jeta. Perdue dans les coussins et les fourrures, elle tendit son cou vers le lémurien et tendit devant elle la pochette de cuir qui contenait les lettres.

- Cela ne s'est pas passé exactement comme prévu. Kratein est bien celui qui interceptait ma correspondance. Malgré la pochette de cuir, je crois qu'elles ont pris l'eau. Je ne peux rien déchiffrer. En revanche, je peux m'en servir pour demander des comptes à l'autre ordure.

Le lémurien ne bougeait pas d'un pouce. Il se contenta de bondir depuis la tête de lit pour aller trôner sur la pile de livres de sa table de chevet. Iphigénie ne s'était pas attendue à une réaction folle, mais l'apathie de la bestiole lui asséna un bon coup au moral.

Elle soupira. Il fallait que sa solitude soit bien grande pour qu'elle en vienne à parler à des animaux. Une lassitude et un sentiment de regret comme elle n'en avait encore jamais ressenti, lui broya le cœur. C'était bien sa faute si elle n'avait pas d'amis. Sa décision... Sa décision.

Iphigénie dormit cette nuit-là, cramponnée à la pochette de lettres bien en sécurité contre elle, d'un sommeil sans cauchemar.

Lorsqu'elle se releva le lendemain, elle avait retrouvé toute sa motivation. ce jour allait être consacré à une tâche à laquelle à présent, elle ne pouvait plus échapper.

Sa confrontation avec Kratein était inévitable.

Lui-seul pouvait la renseigner sur les plans du Maréchal à son égard. Elle ne se faisait pas beaucoup d'illusions : elle devrait utiliser son Don avant la fin de leur discussion. A cette seule pensée cependant, elle frémit d'excitation. Un tel personnage devait posséder une volonté hors norme comme celle de Lamperouge. Elle se demandait en combien de temps, il allait céder. Iphigénie sortit de sa chambre, prit une grande inspiration et fut étonnée de se trouver soudain balancée par terre.

- Pitchoune ! S'exclama Nadjka de sa voix tonitruante, dont la claque amicale l'avait envoyé contre le plancher dès cette heure matinale.

Évidemment.

- Tu t'es fait des amis sur le navire, c'est bien, c'est bien ! Il est maintenant temps que tu t'intègres un peu mieux : tu peux venir aux bains avec nous ! Pas avec moi évidemment, j'ai du travail !

- Aux bains ?

- Tu n'étais pas au courant Pitchoune ? Faut ouvrir les yeux un peu !

Iphigénie haussa les sourcils. Le franc-parler des Néphélés avait parfois ses mauvais côtés : ils disaient vraiment tout ce qui leur passait à l'esprit avant même de réfléchir. Sa stupéfaction aurait dû être suffisante pour lui faire comprendre qu'elle ne voyait pas du tout de quels bains la Néphélée pouvait bien parler.

La jeune femme retint la remarque piquante d'ironie qu'elle s'apprêtait à lancer et choisit d'afficher un grand sourire naïf :

- Des bains ? Quelle merveilleuse idée !

- Ravie de l'apprendre ! En plus, tu mérites une bonne douche.

Elle fixa Iphigénie avec un air condescendant, comme une mère devant un enfant qui n'aurait pas la lumière à tous les étages. Elle se pencha, lui posa une main sur l'épaule et la regarda bien droit dans les yeux :

- Tu pues l'algue.

Salut !

Le chapitre était décidément trop long, j'ai décidé de le couper en deux. Je vous laisse donc sur cette phrase, bienveillante au demeurant, de Nadjka !Je ne vous ferai pas attendre trop longtemps, je publie mercredi la prochaine partie !

Alors, comment pensez-vous que va se passer le confrontation avec Kratein ?

Que pensez-vous de Nadjka et de Miuzaki ?

Bon vent à vous !

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