Chapitre 18. Le réveil [Partie 1]
Les doigts d'Iphigénie se resserrèrent autour de draps frais, fleurant bon la lavande. Par le dieu qui pleure, cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas été aussi confortablement installée dans une couche qui n'empestait pas la graisse de phoque et le renfermé. Il était hors de question que cela change.
Elle plongea sa tête dans l'oreiller et inspira profondément. Hum... L'odeur fraîche du propre et... celle de la mangue ? La jeune pivota son visage, émergea de son oreiller et loucha soudain sur Pistache, la gueule dégoulinante de mangue, collé à deux doigts de son nez.
- Irkkkkkk ! glapit l'animal lorsqu'il eut avalé, avant de bondir sur la jeune femme.
- Elle est réveillée ! s'époumona une voix familière.
Cette fois-ci, Iphigénie n'eut pas le temps de se tourner. Le nouvel arrivant disparut de son champs de vision aussi vite qu'il y était entré.
Un bruit sourd comme si quelqu'un venait de percuter violemment du parquet ponctua sa disparition et un second personnage apparut à sa place. Interloquée par la scène qu'elle n'avait pas compris, Iphigénie tenta de se redresser sur ses oreillers pour voir ce qui se tramait.
- Reste allongée et surtout, ne fais pas de geste brusque. Ton bras n'est absolument pas rétabli, chuchota Sergei qui venait de s'asseoir au pied de sa couche.
Ses mains calleuses remontèrent ses draps jusqu'au menton et Iphigénie se retrouva border comme une enfant de sept ans, couvée par le regard paternel du Néphélé. La similarité avec un autre moment au tout début de sa carrière l'amusa :
- Cela fait la deuxième fois que je me réveille avec toi à mon chevet.
Son vis-à-vis esquissa un sourire et émit un petit rire soulagé.
- Oh, Milady, vous nous avez fait une belle frayeur lorsqu'on vous a retrouvé dans cette ruelle. On vous a vengé, vous n'avez plus besoin de vous inquiéter: j'ai abattu personnellement celui qui vous avait infligé de pareilles blessures.
Iphigénie aurait aimé rétorquer que ce mercenaire n'était pas pour grand chose dans son état, mais cela aurait impliqué de raconter toute l'histoire depuis le début et pour l'instant, la perspective d'une sieste était plus attirante que celle d'une longue et fastidieuse explication. Devant son silence éloquent, l'expression soulagé de Sergei se transforma bientôt en une grimace agacée.
- Je vois, ce n'est pas qu'un seul combat qui vous a mis dans cet état-là. Dans ce cas, j'aimerais savoir ce qui est arrivé. Je pensais que tu étais sur la Gorgone et je te retrouve au milieu des insurgés. Permets-moi de me poser quelques questions.
- Qu'est-ce qu'il s'est passé ? demanda une troisième voix, amenant de manière providentielle une diversion.
Miuzaki, allongé sur le parquet, se relevait difficilement en se tenant à un guéridon. Sa situation éclaira un peu plus Iphigénie sur le bruit sourd quelques secondes auparavant et la jeune femme revit cette fois-ci distinctement la scène qui s'était déroulée précédemment : Sergei avait plaqué Miuzaki au sol avant de se précipiter à son chevet. Elle allait interroger son ami sur la raison d'un tel acte quand, sans qu'elle l'ait vu venir, Sergei envoya une violente droite dans la mâchoire du cartographe. Iphigénie se dressa immédiatement sur son lit.
- Sergei, qu'est-ce qui te prend ?
- Imbécile. Alors que je vous avais confié Milady ! Pas une égratignure ! C'était votre devoir d'hôte ! Dans quel état, je la retrouve ? Je t'aurais tué si jamais il lui était arrivé malheur !
Sergei s'était levé d'un bond et toisait Miuzaki, bouillonnant d'une fureur noire telle qu'Iphigénie ne lui avait jamais connue. Son camarade, tête baissé, se tenait coi, le visage rouge de honte. Iphigénie attrapa le poignet de Sergei avant qu'il n'ait la merveilleuse idée de recommencer à lui taper dessus :
- Sergei, ne vous fâchez pas pour ça. C'est moi qui qui me suis évadée du navire des enfants. Je n'en ai fait qu'à ma tête. S'il y en a une à blâmer pour cette irresponsabilité, ce doit être moi.
- Ce n'est pas une raison, Milady. Je vous connais, je les avais mis en garde et ils vous ont tout de même sous-estimé. Hors d'ici, Miuzaki. Tu n'es pas encore digne de paraître devant moi et devant Milady.
La mine basse et toujours silencieux, le cartographe tourna les talons et referma doucement la porte de la chambre. Le sommeil glissant doucement hors d'elle depuis quelques minutes, l'ébahissement devant une scène si absurde éveilla tout à fait Iphigénie.
- C'est ridicule Sergei. Tu ne peux pas ostraciser quelqu'un pour un motif pareil ! Je suis toujours vivante, c'est le principal. Tu sais bien que rien...
- Si Milady. Tout peut vous tuer. Il s'en est fallu de peu que vous vous vidiez de votre sang. La blessure de flèche était prête à s'infecter ! Heureusement que vous avez eu la présence d'esprit de ne pas la retirer. Vous aviez même un début de commotion cérébrale ! Vous êtes un lien d'honneur, pas un vulgaire passager, bons dieux... Par les crocs du kraken, qu'est-ce qu'il s'est passé ?
- Si je restais toujours dans le sentier qui semble le plus évident, avouez que la vie serait ennuyante. Pardonnez à Miuzaki. J'ai utilisé mon Don, il ne pouvait pas le prévoir. Surtout ne lui dîtes pas, je suis suffisamment honteuse de l'avoir utilisé sur un ami.
- Milady, enfin ! la réprimanda Sergei en lui faisant soudain les gros yeux.
- Promettez-moi. S'il doit un jour l'apprendre, je souhaite que ce soit de ma bouche. N'oubliez pas que je suis toujours une Déchue, insista Iphigénie en le suppliant du regard.
Le marin finit par détourner la tête et opina gravement. L'Argyre choisit de prendre cela comme un "oui ", mais le Néphélé ne comptait pas lâcher l'interrogatoire aussi facilement :
- Bon, maintenant, vous me dîtes tout.
Iphigénie fit mentalement le deuil de sa sieste en soupirant puis entreprit de lui conter toute l'affaire en tentant d'éluder les passages les plus dangereux afin de ne pas provoquer une nouvelle série d'interminables réprimandes. Alors qu'elle lui racontait l'épisode des brûlots lors de la bataille, Sergei qui s'était assis, se leva à nouveau d'un bond.
- C'était donc vous !
La jeune femme sursauta devant le regard choqué de son ami, tel un témoin d'une affaire policière qui viendrait à découvrir la véritable identité du meurtrier.
- J'ai emprunté le nom de Miuzaki. Je me doutais qu'on ne m'écouterait pas si je ne l'avais pas fait.
- Mais comment avez-vous pensé à...
-Je lis beaucoup, souffla Iphigénie d'un air évasif.
Sergei se jeta sur elle et la serra dans ses bras avec force. Le souffle coupé et le bras en compote, elle dut se plaindre qu'il lui broyait l'épaule pour qu'il la lâche enfin.
- Oh, Milady, vous n'imaginez pas à quel point vous avez été d'un grand secours !
- Vous êtes gentil, mais je n'ai fait que donner une idée. Le vrai génie stratégique est Nadjka et vous dont le sang a coulé. Moi, je me suis à moitié noyée et j'ai frôlé la commotion cérébrale...
Sa protestation tomba lamentablement à plat : elle parla dans le vide. Sergei la glorifia une bonne dizaine de minutes et la jeune femme dut le retenir pour l'empêcher de se ruer à l'extérieur pour en faire part à Nadjka. Au terme de cette épuisante lutte, elle put reprendre son récit et et ne fut seulement interrompue que par des sifflements amusés lorsqu'elle arriva au passage de la révolte dans les faubourgs, ainsi qu'un commentaire lapidaire sur son avertissement à Miuzaki :
- Tu aurais dû le laisser mourir sous la lame de ce mercenaire.
Iphigénie fronça les sourcils et le fusilla du regard si bien que Sergei fut obligé de lâcher :
- Je vais lui adresser à nouveau la parole. Mais c'est bien pour vous faire plaisir.
- Vous autres Néphélé êtes plus butés qu'une bande de mules! Je ne sais plus quoi faire avec vous ! Je vais reprendre les bases : Mettez de côté votre honneur ! Il importe peu et surtout il n'a pas lieu d'être bafoué ou quoi que ce soit, puisque je suis la seule suicidaire et responsable de mes actes !
Sergei renifla, guère convaincu et haussa un sourcil.
- Loin de moi l'idée de m'opposer à vous, Milady, mais voilà bien une réflexion de fille de la Cité. A mépriser l'honneur, vous en fait un concept malléable à souhait. C'est grâce à nos principes ridicules que nous avons survécu et que nous structurons notre vie. Sur lesquels nous bâtissons la confiance. Vous qui en êtes dépourvus, vous ne pouvez pas comprendre, alors que c'est justement pour cela que la ville et la vie sont en perdition chez vous.
Iphigénie leva les yeux au ciel, détesta le tour que prenait la discussion et changea de conversation.
-Et vous, que s'est-il passé ? Racontez-moi.
Si la diversion fonctionna, la tristesse qui déforma alors les traits du marin lui firent immédiatement regretter sa question. Le sujet semblait beaucoup trop sensible et elle s'en voulut d'avoir fait remonter à la surface de douloureux souvenirs, si récents encore.
Seirgei joignit ses mains comme une prière muette et son visage fixa résolument le sol. Il avait des pleurs et de la colère contenus dans la voix lorsqu'il évoqua les Néphélés tombés au combat et pourtant, il se força à sourire à la fin de son récit. Iphigénie sourit devant cette ultime preuve de force.
Le peuple des mers ne supportaient pas d'être tristes trop longtemps. Ils imaginaient que cela empêchait les âmes des morts de trouver le repos et les larmes versées sur les défunts étaient regardés de travers. Si le deuil pouvait durer des mois, ils étaient surtout marqués par plusieurs fêtes en l'honneur des disparus. Au nom de cette philosophie, Sergei se força à reprendre contre son gré sa bonne humeur habituelle. Toutefois, lphigénie trouva bon de détourner encore une fois le sujet afin d'éloigner les ombres et les fantômes qui commençaient à planer dans la petite chambre.
- Où suis-je et combien de temps suis-je restée endormie ?
- Vous êtes dans une chambre de l'Hôtel de ville et... Vous avez dormi un peu moins de deux jours.
- C'est une plaisanterie ?
Iphigénie manqua de s'étouffer. Par le dieu qui pleure, la nouvelle de la victoire avait déjà dû se répandre ! Kratein devait déjà avoir entrepris de s'emparer des contrats et de saboter le terrain ! Les docks, les entreprises qui appartenaient maintenant au Bouffon, laisser sans surveillance ! Elle devait s'en occuper !
La jeune femme envoya valser les draps, bondit hors de son lit malgré les protestations de Sergei, puis, sans surprise, se rétama lamentablement sur le plancher.
- Aïe.
Un soupir aux lèvres, Sergei croisa les bras et pencha la tête sur le côté.
- Vous allez réellement finir par vous casser quelque chose, Milady.
Elle repoussa la main tendue de Sergei et se rassit avec difficulté sur son lit. Il lui semblait plus prudent d'attendre en effet encore quelques minutes, du moins jusqu'à ce que la chambre ait fini de tourner. Toutefois, cet étourdissement n'était pas seulement dû à son levé malheureux, mais plutôt à cause de la multitude de questions qui surgissaient sous son crâne.
- Ai-je reçu des lettres ?
- Ce matin, une du Bouffon de feu Monsieur, quelques unes de personnes que je ne connais pas et une de la part d'une certaine... Rébecca. Qui est-ce ?
- La nouvelle favorite, marmonna Iphigénie en s'emparant des missives que Sergei lui tendait.
- La nouvelle favorite ? s'exclama le Néphélé, stupéfait.
Iphigénie ne fut plus que grimaces. Il eut été pertinent d'expliquer cette histoire de changement, cependant, le temps lui manquait cruellement. A contrecœur, elle répondit pas un rictus désolé avant de briser le sceau qui ferma le message du Bouffon. La lettre ne contenait que les noms des entreprises que le Bouffon avait rachetées et le prix qu'il était prêt à mettre pour une protection de la part des Néphélés. Elle parcourut avidement le texte sans parvenir à dissimuler sa surprise : il ne lui avait jamais transmis un aussi long message, voilà qui n'augurait pas grand chose de bon.
Il lui dressait un bilan de la situation et les points clés de son intervention : les entreprises qu'ils n'avaient pas réussi à racheter malgré le blocus, les directeurs qu'ils valaient mieux éviter et quelques instructions sur ce qu'elle devait faire. Au terme de ce bref état des lieux, ses requêtes pouvaient en somme être résumées en quelques lignes. Il s'agissait surtout de commencer par signifier le changement de propriétaire à toutes les entreprises concernées, jeter en prison les individus mentionnés et que l'infernal Cibo soupçonnait de détourner des fonds ou d'être à la solde du Maréchal, et faciliter le redémarrage des activités de commerce.
Encore des demandes faciles. D'ailleurs, phigénie rit jaune devant la dernière demande "faciliter le redémarrage des activités" : comment-elle supposer faire ça ?
En revanche, la jeune femme fut soulagée lorsqu'il lui annonça que tout ce qui touchait aux questions d'argent avait déjà été réglé avec le comptable de l'Ambassade et ceux desdites entreprises. Le comptable... Il voulait dire le connard au foulard ? Et cette ordure ne lui avait rien dit ? En même temps, c'était une ordure et un connard avec des goûts vestimentaires douteux, à quoi s'attendait-elle ?
Un peu étonnée, Iphigénie constata que le Bouffon, pour une fois, lui avait, à peu près, prémâché le travail, sans compter toutes les informations particulièrement précises. La déduction logique face à de telles données s'imposa d'elle-même : Cibo avait déjà enquêté sur le terrain. Ainsi donc, était-ce bien là qu'il avait passé ses moments d'absences des deux dernières années ? La planification du rachat des entreprises étaient parfaitement huilés et cette facilité lui laissait un arrière goût d'artificiel.
Ses intuitions avaient toujours une part de vrai, elle conserva donc précieusement cette impression dans un coin de son esprit et pria pour avoir le temps de l'explorer plus en détails ultérieurement. Elle suivit sa pensée et revint ainsi aux restes de ses préoccupations. La ligne directrice de sa stratégie était de ne surtout pas brusquer les entreprises et de ne rien changer à leur fonctionnement et sur la composition des entreprises. Elles fonctionnaient ainsi depuis toujours, tout bouleverser eut été improductif. Ils auraient le temps de changer les directeurs plus tard, quelques menaces et pots de vin suffiront à garantir leur docilité lors de la transition.
A présent qu'elle se sentait suffisamment d'attaque pour effectuer un nouvel essai sans s'étaler par terre, elle décida qu'elle n'avait plus un instant à perdre et se leva une seconde fois.
- Milady, restez couchée ! Vous n'êtes vraiment pas raisonnable.
Iphigénie dressa un index menaçant sous le nez de Sergei qui tentait vainement de s'opposer.
- N'essaye même pas de m'arrêter. Le Bouffon m'a confié tant de tâches que j'ai de quoi m'occuper pendant un bon bout de temps.
- Milady ! protesta-t-il une seconde fois.
Elle aurait bien voulu l'écarter, mais son épaule lui envoya soudain un bref éclair de douleur au travers du corps. Un rictus de souffrance déforma son visage alors qu'elle se retenait à la tête du lit pour ne pas s'effondrer. Son genou choisit cet instant précis pour lui rappeler sa veille blessure, se déroba et Iphigénie termina le nez dans l'édredon. De son côté, le Néphélé affichait sa plus belle expression du "Je te l'avais dit", ce qui agaça profondément la jeune femme.
- Évidemment que cela fait mal ! Je vais avais prévenu que votre état était préoccupant.
- Aidez-moi à attraper mes vêtements au lieu de dire des bêtises et donnez-moi l'attelle que j'aperçois sur ce guéridon.
- Mi-la-dy !
- Ser-gei ! rétorqua Iphigénie sur le même ton. Vous commencez à comprendre maintenant la position de Miuzaki. Bon, je vous prie d'avoir l'amabilité de tendre mes vêtements.
- Attention, vous allez aggraver votre état. Vous devriez rester au lit..., tenta Sergei une dernière fois.
- Rester au lit ? Vous m'avez prise pour une vieille dame ? Je me suis intégrée parmi les Néphélés, j'ai commencé à apprendre à me défendre seule, vos coutumes, j'ai survécu à la bataille d'hier... Et vous vous attendez à ce que je reste lézarder au fond du lit ? Vous me connaissez bien mal !
Sa dernière phrase manqua d'être ponctué par une nouvelle chute, mais elle se rattrapa à nouveau et entreprit d'enfiler son pantalon avec une main. Empêtrée dans sa chemise de nuit, l'opération s'avéra ridicule et particulièrement ardu, épaule et genou ayant décidé de se rajouter dans la partie. Toutefois, en la voyant si déterminée, emberlificotée dans ses vêtements mais déterminée, Sergei rendit les armes.
- Vous êtes une belle tête de pioche, Milady.
Il poussa un soupir qui venait du fond de l'âme, leva les yeux aux ciels et marmonna à contrecœur :
- Dans une heure, Nadjka participera à une assemblée avec le nouveau gouverneur élu. Je pense que si le Bouffon vous a ordonné de faire emprisonner des gens ou d'influencer je-ne-sais-quoi, ce qui serait bien le genre du personnage, je vous conseille d'obtenir l'accord du gouverneur.
Le sourire d'Iphigénie fendit son visage en deux et une sensation grisante l'agitait de part en part, comme on renfile un vieux costumes. Ses habitudes lui avaient tant manqué et c'est en voyant Sergei analyser la situation qu'elle réalisa à quelle point, ces schémas de la Cour ne changeait pas, même à l'autre bout du pays. Iphigénie jeta un coup d'œil à son reflet dans la glace de l'armoire de sa chambre. Elle durcit ses traits, fusilla le pauvre miroir du regard et avec une bouffée de contentement, put à nouveau s'imaginer en tant que maîtresse des Tea Party.
Son regard glissa ensuite vers sa chemise de nuit débraillée et son pantalon à moitié mis, et elle haussa les épaules. Qu'importe la tenue, ce qui compte c'était son attitude et sa capacité à incarner celle qu'elle devait être.
Elle allait quand même s'habiller correctement toutefois.
- Parfait, avec Nadjka, ils ne pourront rien me refuse, ricana-t-elle en terminant de nouer la ceinture de son pantalon.
- L'assemblée a lieu dans le grand amphithéâtre en bas, je t'y conduirai. Il y aura le gouverneur et tout le personnel administratif, les capitaines Néphélés et leur second dont les navires sont dans les baies. Je peux vous poser une question ?
Iphigénie, des épingles à cheveux coincées entre ses lèvres, ses cheveux relevés dans une main pour essayer de former un chignon, crachota des onomatopées indicibles mais qui pouvaient passer pour un "oui". Sergei s'assit, croisa les mains et l'évalua avec une attention sérieuse :
- Si une divergence d'opinion éclate, et elle éclatera, qui soutiendras-tu ? Nous ou les hommes de Port-Salut ?
La question l'engageait sur une pente glissante. Dans un élan d'optimisme qu'elle avait développé durant son séjour avec les Néphélés, et aussi à cause de la demande du Bouffon concernant la conclusion d'un contrat avec les marins, elle fut tentée de répondre "Vous, évidemment !". Cependant, une voix pragmatique, celle de magouilles politiques, qu'elle n'avait pas entendu depuis des mois, vint refroidir sa belle assurance.
Elle planta ses épingle dans son chignon et se tourna vers Sergei pour affirmer avec son plus grand sourire :
- Je vais soutenir lors de l'assemblée toutes les politiques qui permettront le redémarrage des opérations. Autre chose ?
- Oui, un homme est venu pour vous de la Cité. Il avait l'air ennuyeux et c'était un cafard avec une petite mallette, il criait beaucoup "comptable". Donc je l'ai assommé. Il doit vous attendre quelque part dans un placard à l'extérieur de la chambre.
Iphigénie ouvrit des yeux ronds.
- Tu n'as pas fait ça.
- Non, je rigole. Je l'ai assommé et laisser dehors, non dans un placard.
La jeune femme mourrait d'envie de s'exclamer "Mais c'est pire!", mais se força à conserver son calme. Elle poussa un long soupir, ferma les yeux, inspira profondément et les rouvrit.
- Et maintenant, où est-il ? Ce doit être mon porte-monnaie, le larbin envoyé pour me permettre de subvenir à tous mes frais.
Sergei s'assit tranquillement sur le rebord de la fenêtre ouverte et jeta un coup d'œil à l'extérieur. Le ricanement qu'il laissa échapper inquiéta immédiatement son interlocutrice.
- Je crois que c'est lui qui est en train de se faire mettre à la porte de l'Hôtel de ville.
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