Chapitre 15. La bataille de Port-Salut [Partie 1]
Savoir nager n'avait jamais préparé Iphigénie à une pareille chute et encore moins au tourbillon provoqué par l'explosion. La jeune femme coula à pic au milieu des débris de l'explosion et se débattit pour vivre.
Au cœur de l'Enfer sous-marin, tourbillonnant en tout sens , elle ne distinguait plus le haut du bas. Seule la direction des bulles d'air qu'elle remarqua dans un dernier éclat de lucidité, redonna un grand coup de fouet à son instinct de son survie. L'Argyre brassa l'eau de ses jambes et de ses bras sans autre idée fixe que de remonter à l'air libre.
Enfin, son visage creva la surface de l'eau, mais ce qu'elle trouva était pire que tout ce qu'elle avait imaginé. Les canons tonnaient et crachaient de la fumée, si bien qu'Iphigénie n'y voyait pas à deux mètres. Elle évita de peu une poutre et se sentant à nouveau entraîner par le fond, s'agrippa avec l'énergie du désespoir à une planche déchiquetée qui passait. Une vague championne dans le jeu « Qui veut couler Iphigénie » la submergea entièrement. Lorsqu'elle remonta sur sa planche, les coques du navire amiral de Nadjka et d'un des bâtiments de leur ennemi se rapprochaient dangereusement. Avec l'appel d'air, un courant se formait, entraînant inexorablement la jeune femme entre les deux.
Elle allait se retrouver broyer !
Hurlant de toutes ses forces, Iphigénie battit des jambes pour tenter de sortir du courant . Elle évita de justesse la mort, mais ses mouvements affolés ne suffirent pas à la tirer totalement du courant et elle percuta de plein fouet un des gouvernails. Son bras et son épaule gauche lui envoyèrent soudain des élancements douloureux comme des dizaines de petites aiguilles qui se planteraient dans sa chair et Iphigénie manqua de s'évanouir sous le choc.
Ses mains se refermèrent sur la planche, mais perdue et désorientée, elle ne parvint pas à rassembler la force suffisante pour se hisser dessus. La jeune femme ne cessait de boire la tasse, sa vue se brouillant et ses yeux et ses narines étaient brûlés par l'eau de mer. Une pensée surplombait tous les autres et tournaient en boucle tandis que son corps tentait petit à petit de la lâcher : regagner la terre ferme, elle devait regagner la terre ferme. Toujours cramponnée, elle balaya du regard tout autour d'elle et sa respiration s'emballa quand elle s'aperçut que la fumée des canons l'empêchait de voir quoique que ce soit. Elle battit des jambes avec la ferme intention de se tirer de cette purée de pois, alors que la peur lui tenaillait le ventre : si un navire venait à la percuter à nouveau, elle était morte.
Quand enfin, Iphigénie parvint à s'extirper du nuage, elle n'eut même pas la satisfaction de trouver moyen de s'en tirer rapidement. Le rivage le plus proche était celui d'un îlot proche de la côte, juste à côté de l'entrée d'un bras de mer qui menait au détroit de Galapas. Il était relié à la côté par une chaîne de récifs escarpés. Et ce rivage providentiel se trouvait bien loin d'elle.
Serrant les dents pour ne pas crier à nouveau et retenant ses larmes, l'Argyre mit toutes ses forces pour pagayer de son bras valide en direction de la presqu'île. Perdue dans la fumée de canon, aucun des navires ne fit attention à cette petite planche qui louvoyait, coulait, avançait comme elle pouvait. Elle manqua de couler des dizaines de fois, mais coûte que coûte, elle poursuivait son chemin vaillamment.
Iphigénie faillit pleurer de soulagement en sentant enfin le sable de la plage quand sa planche échoua enfin au terme de ce cauchemar. Elle se laissa rouler sur le côté, au milieu du clapotis des vaguelettes qui mourraient sur le rivage et les algues, sans se soucier de son état. Un rire nerveux la secoua et son cœur se mit à battre hiératiquement en comprenant qu'elle n'allait plus périr tout de suite. La jeune femme resta un moment immobile jusqu'à ce que son angoisse s'estompe. Sa main rencontra un tas de goémon alors qu'elle essayait d'éloigner sa planche qui revenait sans cesse se cogner dans ses côtes et elle réprima un mouvement instinctif de dégoût. Quoiqu'elle était déjà si pitoyable, alors des algues de plus ou de moins...
Un nouveau rire parcourut sa poitrine quand elle réalisa que si elle avait la force de se tourner un peu en auto-dérision alors elle avait la force de bouger ses fesses de cette maudite plage. Elle se retourna et se mit laborieusement à genou, puis prit appuis sur le sable. Elle échoua une première fois et retomba tête bêche dans le sable. Sa fierté finit alors par se rebeller : crachotant de l'eau et de la vase, elle se redressa en serrant les dents.
Debout !
Une fois à nouveau sur ses deux pieds, son bras et son épaule se rappelèrent à son bon souvenir en l'élançant à nouveau. Puisque les connaissances d'Iphigénie en soin se limitaient à enlever une écharde, la jeune femme préféra ne pas prendre de risques et utilisa son gilet afin de se confectionner une attelle de fortune pour soutenir son bras blessé. Il pouvait s'agir d'une fêlure, d'une foulure... Enfin quoique ce puisse être, elle n'avait aucune envie d'aggraver son cas.
Une fois apprêtée comme elle pouvait, l'Argyre prêta enfin une réelle attention à son environnement. Elle rencontra tout d'abord une série de conifères qui lui barrait le passage au-delà de la plage, puis le sommet d'un phare percer la cime des arbres. Elle n'apercevait personne au sommet. Iphigénie pivota sur ses talons et fit à nouveau face à la mer : il était toujours presque impossible distinguer quoique ce soit, si ce n'était vaguement les mâts qui émergeaient. Du phare, il était probable qu'elle aurait une meilleure vue des combats et forte de cette idée, elle s'enfonça résolument dans la forêt, son bras blessé, pressé contre elle. Une bruit d'aile attira son attention : la faucon blanc de Miuzaki l'avait suivi, préférant comme elle la sûreté de l'îlot au chaos qui régnait sur l'eau. La tour de pierre se dressa bientôt face à elle dans un silence presque inquiétant, rompu uniquement par les coups de canons et les hurlements macabres qui résonnaient en fond.
Le poing serré, elle avisa une entrée percée dans le mur au milieu du lierre. Son compagnon ailé ne l'accompagna pas plus loin et se percha sur les branches d'un pin. L'attitude prudente de l'animal ne convainquit pas la jeune femme de renoncer à son projet et bien décidée, elle entreprit l'ascension des marches qui menaient au sommet. Ce fut alors qu'elle entendit les voix.
La jeune femme se figea dans les escaliers, frappée une évidence : les mercenaires avaient pris le phare. Enfer et damnation, que les harpies la traînent en Enfer, elle le méritait bien ! Elle pensait périr et échouer de bien des manières mais pas à cause de sa stupidité ! Et pourtant, stupide, elle l'était bien : évidemment, une position aussi stratégique ne pouvait avoir été désertée, même pour la bataille ! Surtout pour la bataille ! Son bain de mer lui avait complètement embrouillé l'esprit.
Elle tenta de reprendre le chemin inverse le plus discrètement possible tandis qu'elle se maudissait en son fort intérieur. Un bras immobilisé, plus d'arme, fatiguée, son seul atout était son intelligence et si elle ne se ressaisissait pas, elle ne pouvait même plus compter sur elle.
Se calmer.
Se calmer et respirer.
Retrouver toutes ses capacités et se rappeler du plan de Nadjka, puis de la topographie des lieux.
Elle se figea à nouveau. Le silence de la forêt et de la tour était trop plat pour qu'un son puisse passer inaperçu dans la cage d'escalier qui faisait caisse de résonance. Sa respiration était trop bruyante. Ça aussi, Iphigénie n'y pensait plus et elle ne s'en aperçut que lorsqu'elle entendit distinctement les murmures des mercenaires se rapprocher et le léger frottement de leur pas sur les marches. Ils seraient là dans quelques secondes.
Le premier carreau d'arbalète frôla la jeune femme de peu, en revanche le second atteint sa cible. Elle ne comprit qu'elle était blessée lorsque le sang commença à imprégner l'attelle et sa chemise, tandis que le carreau d'arbalète percuta le mur derrière elle.
Le trait venait de lui traverser le bras.
Hébétée, l'Argyre tituba, tomba à la renverse dans les escaliers, et son corps dévala les dernières marches jusqu'au bas. Sa tête heurta un palier en pierre et elle s'évanouit quelques secondes. Le temps qu'elle rouvre les yeux, deux paires de bottes étaient apparues devant ses yeux. Couchée sur le flanc, le regard trouble, Iphigénie eut à peine la force de lever le regard vers eux.
Un homme et une femme la toisaient, leurs arbalètes toujours pointées vers elle. Ils portaient un cimeterre à la ceinture et leur visage, couverts de spirales et de silhouettes fantomatiques lui donnaient des sueurs froides. L'homme la retourna sur le dos et son arbalète piqua aussitôt vers le sol quand il aperçut son visage.
- Ce n'est pas une Néphélée. Elle n'a pas les tatouages.
- Mais elle s'habille comme eux, objecta la femme.
Son compagnon fronça les sourcils devant sa remarque et posa sa main sur son bras pour la forcer à baisser son arme.
- Calme-toi, c'est juste une gosse. Par toutes les sirènes, on a tiré sur une gosse.
- Tu as tiré sur une gosse. Qu'est-ce qu'elle fabrique ici ?
Iphigénie sentait son visage déformé par des grimaces de douleur et tourna les yeux vers sa blessure avant de pousser un râle en l'apercevant. Elle ne voyait pas la plaie, mais elle voyait la tâche rouge s'étendre et sentait un liquide chaud couler sur sa peau. Elle planta ses ongles dans ses paumes et essaya de s'ancrer à nouveau dans le réel pour faire abstraction à la douleur.
Réfléchis !
- A l'aide, je... je..., balbutia-t-elle.
Elle tendit sa seule main valide vers eux et n'eut pas beaucoup à faire pour simuler sa faiblesse. Les sentinelles échangèrent un regard et l'homme n'hésita pas à s'accroupir vers elle, tandis que la femme se rapprochait. Il posa sa main sur son bras et lui chuchota quelques mots de réconfort. L'image sanguinaire et sombre qu'Iphigénie entretenait depuis ce que Sergei lui avait raconté à leur sujet, prit un coup face à l'attitude de la sentinelle. Comment des personnes avec un tel sens de la compassion pour les enfants avaient pu envoyer ces caisses ? Ce n'était pas la première fois que la jeune femme relevait un détail qui pointait l'incohérence. Certes, ce n'était que des détails, mais c'était beaucoup de détails. La jeune femme s'interrompit dans sa réflexion en se rendant compte qu'elle n'avait pas encore le luxe de se poser pour se figurer la situation dans son ensemble. Un problème après l'autre.
Sans crier gare, elle posa son doigt sur la peau tatouée de la sentinelle Néphélée. Aussitôt, elle perça les défenses mentales du mercenaire qui ne s'y attendait pas et le plongea en une fraction de seconde dans l'inconscience. Iphigénie ne laissa pas le temps à son homologue de comprendre ce qui se passait. Alors que sa première victime basculait en arrière, Iphigénie lui faucha les jambes de toutes ses forces.
Cependant, la mercenaire se réceptionna sur les mains et en une torsion du bassin, sauta à nouveau sur ses pieds, son arbalète pointée sur sa tête. Iphigénie aurait donc péri glorieusement au champ d'honneur -Nadjka aurait été si fière d'elle-, si le faucon blanc de Miuzaki n'avait pas choisi cet instant pour foncer sur le visage de la sentinelle qu'il commença à labourer de ses serres. Cette fois-ci lorsque l'Argyre lui faucha une seconde fois les jambes, elle ne put se relever aussi vite ce qui lui laissa le temps de bondit sur elle et de plaquer ses paumes surs ses tempes. Les yeux de son adversaire se révulsèrent et dans un dernier soupir de conscience, sa tête retomba mollement sur le sol.
Le faucon se posa à ses côtés tandis qu'elle tentait de retrouver son souffle. Ses jambes tremblaient tant et si bien qu'elle ne put se mettre debout qu'en s'appuyant contre la muraille du phare. Après son gilet, ce furent les manches de sa chemise qui y passèrent pour lui servir de bandage. Une puissante migraine s'empara d'elle. Ses doigts fébriles remontèrent jusqu'à ses cheveux poisseux de sang, puis descendirent jusqu'à son front où une large entaille s'était ouverte après sa chute dans les escaliers.
Les larmes aux yeux et un cri de souffrance sur les lèvres, elle déchira le tissu avec ses dents et se banda le bras comme elle put et s'enroula le reste autour du front. Iphigénie n'eut pas le temps d'en fait plus que ses victimes commençaient déjà à remuer. Elle se jeta à terre près d'eux et les plongea à nouveau dans l'inconscience.
Qu'était-elle censée faire maintenant ?
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