Chapitre 12. Réconciliation [Partie 2]
Iphigénie fulminait littéralement sur place. Son sang bouillonnait et enflammait sa figure qui prit la teinte d'un coucher de soleil. Par les sept Enfers et toutes ses Furies, elle maudissait le jour où elle avait pris la décision de singer un enfant. Lorsqu'elle fixait son entourage de cette manière à l'Ambassade, tous sentaient sa puissance, sa colère... Nadjka ne s'était même pas senti menacée. Elle l'avait à peine considérée.
C'était la goutte d'eau qui faisait déborder le vase. La jeune femme n'en pouvait plus de ce voyage, de tous ces barbares ignorants et rustres. Elle était une Maîtresse des Tea Party qui pouvait cumuler deux emplois, faire face au Maréchal et au Bouffon : elle était plus qu'une espèce de chiot qui traînait dans leur patte ! Elle avait gagné en pouvoir ! Ce n'était plus comme dans les Highlands ! Elle avait à nouveau une position, de l'honneur ! Il faisait comme si elle n'avait pas tout cela! Comme si tout ce qu'elle avait fait n'avait servi à rien ! Elle était tout aussi dangereuse qu'eux !
Iphigénie se laissa tomber sur le sol et prit sa tête entre ses mains tremblantes. Ce voyage pourtant sans anicroche drainait toute son énergie et tout son moral. Le problème n'était pas tous ces idiots, mais tous les souvenirs qu'ils rameutaient par-dessus le marché .
Il lui fallait une bouée de sauvetage, une chose, n'importe quoi qui lui permette encore de tenir jusqu'au débarquement où elle allait virer folle. Elle balaya le navire du regard, le fit glisser sur l'eau jusqu'aux autres bâtiments et rencontra la chemise écarlate, reconnaissable entre mille, de Sergei.
Son visage alors s'imposa dans son esprit et une douce tranquillité affadit peu à peu sa colère. Elle ressentit l'intense envie de lui parler et de lui demander conseil. Elle en avait besoin. Elle le fixa encore un moment, les battements de son cœur s'espacèrent et gentiment, elle se calma.
Soudain, une seconde figure se superposa à celle de Sergei. Miuzaki était accroupi devant elle, une expression contrite et paniquée plaquée sur ses traits. Leurs mines de papier mâché à tous les deux se superposèrent et en miroir, elles se reflétèrent.
- Tu n'allais pas bien... Je voulais te donner ça...
Le Néphélé poussa devant elle, comme une offrande, un coutelas au manche de corne. Sa lame était épaisse et large, loin des stylets des assassins de la Cité : un vrai couteau de chasse. Les yeux d'Iphigénie firent un aller-retour entre le visage ostensiblement baissé de son vis-à-vis et le cadeau.
- Je peux savoir pourquoi tu me donnes ça ? Je suis pas une Néphélée et je ne sais pas m'en servir, persifla Iphigénie, sa tranquillité se troublant à nouveau.
Le jeune homme trépigna un peu sur place, ouvrant la bouche, puis la refermant avec les mimiques d'un poisson échoué. Pourtant, pas une remarque sarcastique ne parvint à franchir les lèvres d'Iphigénie. Encore une fois face au cartographe, sa belle éloquence resta bloquée dans sa gorge. Un silence gênant et tendu se déploya entre eux.
- J'avais demandé à Nadjka de ne pas s'en mêler, grogna-t-il enfin.
Les plis de son visage se froissèrent d'avantage. De son côté, la jeune femme songeait avec un reste de froide raison politique qu'il ne valait mieux pas contrarier Nadjka et au moins écouter ce qu'il avait à dire. Toutefois s'il était vraiment venu pour la narguer ou se moquer d'elle, il serait pour ses frais.
- Nous avons une tradition, souffla-t-il.
Que voulait-il que cela lui fasse ? Et par le dieu qui pleure, où voulait-il en venir ?
- Nous avons l'habitude de régler nos différents autour d'un verre. Il est interdit de se battre entre personnes qui partagent le même verre.
L'esprit d'Iphigénie accepta enfin de faire le lien entre l'offrande et son malaise. L'hypothèse pour l'expliquer était improbable toutefois.... Si bien que lorsqu'il lui demanda de la suivre jusqu'au pub, une voix très curieuse et surprise la poussa à obéir juste pour voir ce qui allait se passer.
Lorsque le serveur posa un verre devant son nez, Iphigénie commença à y réfléchir à deux fois. Sa dernière expérience alcoolisée n'avait pas fait partie des moments les plus glorieux de sa carrière. Pourquoi tout ne pouvait pas se régler autour d'un thé comme des gens civilisés ?
- Je vous présente mes plus sincères excuses. Mon mépris était déplacé. Je me suis conduit comme un imbécile.
La jeune femme avait donc bien vu juste, mais cela n'empêcha pas sa stupéfaction. Un homme lui présentait ses excuses. Voilà qui était nouveau et presque dérangeant. Seuls ses subordonnés qui la craignaient demandaient son pardon. Mais un égal ? Jamais.
Elle vivait un moment surréaliste. Pléthore d'actions de la part des Néphélés lui laissaient un mauvais souvenirs, toutefois, elle devait bien avouer que leur capacité à la surprendre était illimité. Elle savoura les paroles de Miuzaki et leur découvrit un goût agréable.
Un homme lui présentait des excuses.
Iphigénie leva les yeux de son verre vers le visage de Miuzaki. Ses yeux noirs, pétillant d'intelligence au milieu de ses traits anguleux, la fixaient, tentant de deviner comment elle allait réagir. Il avait employé le vouvoiement qu'il ne prenait avec elle que dans les rares occasions où il était sérieux. Iphigénie savait lorsque son interlocuteur lui montait un char et en l'occurrence, ce qu'il lui déballait ici n'était que la sincère vérité.
Bien à présent, qu'était-elle supposée faire ?
L'excuse prit alors un goût amer. Le cœur s'en mêlait. En dépit de toutes ses récentes résolutions et de son ancienne colère, plus elle contemplait l'homme, plus elle s'apercevait qu'il lui avait manqué.
Les sentiments n'avaient jamais fait bon ménage avec sa vie. Ce sentimentalisme abaissait sa garde, et même si sa paranoïa avait admis que les Néphélés étaient les personnes les plus franches et honnêtes qu'elle ait jamais croisé, cette perspective la crispait. Dans l'hypothèse, seulement l'hypothèse, où elle lui par donnait, qu'allait-il advenir ? Allaient-ils devenir amis ?
Un froid lui glaça les os. Pouvait-elle seulement se permettre d'avoir un ami ? Un ami, qui ne soit pas un animal et qui soit son égal. Elle était loin de la Cité, pourtant, il y avait encore Kratein. Elle ne voulait pas qu'il voit abaisser sa garde. Ce genre de chose pouvait se retourner contre elle. Il pouvait l'utiliser. Elle craignait par-dessus tout prendre goût à cette amitié et pire, quand elle serait rentrée, garder cet état d'esprit. Là-bas, ce genre de faiblesse ne lui serait pas pardonnée. Sergei était une exception. Elle ne le croisait si peu souvent que cela ne lui laissait pas le temps de se ramollir.
Son interlocuteur attendait une réponse et sa décision restait encore à prendre. Accepter ou non ? Le cœur ou la froide raison ?
Ou alors accepter simplement pour faire plaisir à Nadjka ? Ainsi, pas d'amitié, pas de risques, pas de dangers... L'idée la séduisit : elle allait accepter simplement pour le travail.
Et puis après tout, Kratein utiliser Miuzaki ? Iphigénie se rendit compte que c'était elle qui devenait méprisante. Un Néphélé n'a pas besoin de protection. Iphigénie n'avait pas besoin de protéger Miuzaki. Ce n'était pas comme le Dauphin, Alba... Voilà, une personne dont elle n'avait pas à se soucier.
Son regard le parcourut, examinant sa francisque, ses dagues et la lueur dure dans ses yeux.
Kratein ne pourrait pas l'utiliser et elle était suffisamment forte pour oublier tout cela quand elle remettrait les pieds sur la terre ferme, nécessité fait loi. Elle devait se faire confiance, pour une fois, et cesser de douter. La résolution était plus facile à énoncer qu'à tenir. Se faire confiance était plus dur encore que de faire confiance à d'autre. N'avait-elle toujours pas accompli sa vengeance ? Trois de ses ennemis respiraient encore.
Oui, la jeune femme faisait moins de cauchemar depuis qu'elle était ici et encore moins après avoir passé du temps avec Miuzaki. Oui, cela l'apaisait. Elle était lasse de lutter face à des évènements qui ne la rapprochaient même pas de sa vengeance. Elle s'était demandé au début du voyage ce qui lui faisait plaisir. Finalement, ce n'était pas porter ce masque qui lui apportait ce plaisir, mais pour une fois de l'effacer, ne serait-ce qu'un peu, juste assez, comme on abaisse un face-à-main et qu'on dévoile ses yeux.
Peut-être n'acceptait-elle pas que pour le travail en fin de compte...
Iphigénie rougit, pâlit et se jeta enfin dans l'inconnu.
- J'accepte les excuses. Suis-je vraiment obliger de boire le verre pour respecter votre tradition ? Tu sais bien qu'après je vais tousser et me ridiculiser.
Les traits de Miuzaki s'adoucir et la fatigue s'évanouit de son visage lorsqu'un sourire radieux vint l'illuminer.
- C'est la coutume. Merci beaucoup, Iphigénie.
L'Argyre avala une gorgée, s'étouffa sous le regard goguenard du barman et Miuzaki but à son tour. Elle pinça lèvres un instant les lèvres et enfin lâcha enfin tout le ressentiment qu'elle avait à son égard. Le cartographe après avoir l'avoir écouté religieusement, poussa un long soupir et se justifia :
- Comprends bien. C'est très rare qu'un habitant de la Cité se pointe sur nos côtes. A chaque fois que l'un d'entre vous ramène sa fraise, il ramène aussi sa science et nous traite en inférieur. Toute la considération que nous avons tient à la pointe de notre épée. On sait ce qu'on raconte dans notre dos. On vous connaît bien, vous mentez comme vous respirer dans votre nid à cafards. Comment veux-tu que je sache que tu ne me dupais pas ou faisait semblant ?
Iphigénie hocha la tête : l'argument se tenait. Ainsi donc cette méfiance qu'elle éprouvait, Miuzaki l'éprouvait aussi ? Cette peur de vraiment dire ce qu'il pensait ? Une petite voix insidieuse lui chuchota que si tous les deux n'avaient pas éprouvé cette méfiance, tout se serait passé bien différemment. Elle la fit taire.
- Avant de venir ici, j'occupais un poste particulièrement important avec de nombreuses personnes sous mes ordres.
-Alors lorsque tu es venue pêcher... C'était vraiment la première fois que tu utilisais tes dix doigts pour autre chose que signer de la paperasse ?
- Je ne sais pas pourquoi tu penses que c'est aussi évident de faire ce genre de travaux manuels. Ce ne l'est pas pour moi. Je n'avais jamais vu de poisson vivant d'aussi près.
- Ben, tu les voyais comment avant?
- Avec de la crème et un filet de citron.
Miuzaki explosa de rire et Iphigénie consentit enfin à un sourire.
-Je sens comme un traumatisme.
- S'il te plaît plus de poissons. C'est répugnant et en plus ça mord.
- Ils ne sont pas tous comme ça, rassure-toi.
- Je préfère ne pas prendre plus de risques que nécessaire.
Le Néphélé se redressa soudain et posa ses mains à plat sur la table.
- Que dirais-tu d'aller nager ? Je sens que le navire ralentit, nous n'allons pas tarder à faire notre avant-dernière escale avant Port-Royal.
Elle accepta et enfin réconciliés, la traversée reprit tranquillement son cours sans qu'aucun nuage ne vienne plus obscurcir le voyage d'Iphigénie.
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