XXI - Des amis pour la vie
Nous avons volé deux chevaux, et cela fait une journée que nous galopons entre les Nations. Dans le Néant, comme l'appelait Tristan.
Je suis derrière Jamésy, mes bras autour de sa taille et Hélène dispose de son cheval. Il a su me guérir, j'ai encore quelques douleurs mais je me sens mieux qu'à leur arrivée. Cependant, une chose ne guérie pas : ma déception. J'étais si heureux de revoir mon père, restant dans le déni. Je savais ce qu'il s'était passé mais le revoir, le savoir en vie me réconfortait et je ne pouvais me résigner à croire que mon père était aussi monstrueux que Lucius.
Je n'ai pas vécu son enfance, ayant été fils unique mais je comprends mieux son dédain pour les Êtres de Pouvoir, il n'a jamais supporté leur supériorité. Visiblement, mon grand-père souhaitait vivre dans un monde peuplé de créatures en tout genre et mon père a détruit ce souhait.
Je sais dans quel état Lucius a retrouvé ses parents, je ne peux qu'imaginer sa souffrance et la haine qu'il a dû ressentir lorsqu'il a été accusé à tort. Il était plus facile de croire un homme ordinaire plutôt qu'un Être de Pouvoir doté de dons jamais connus encore.
Alors que nous avançons, toujours au galop et que je suis perdu dans mes pensées, une violente douleur à la tête me ramène à moi. Je pousse un grognement, je me redresse et me masse les tempes. Mes oreilles commencent à siffler, ma vue se brouille légèrement. Je serre les dents, mon corps se contracte et je tombe à la renverse. Je roule dans les fourrées desséchées puis me recroqueville sur moi-même.
— Andreï ! Entends-je au loin.
Leurs voix semblent résonner et provenir de tous les coins. Lorsque cela m'arrive, je suis pris de visions brèves et douloureuses. Je vois, lorsque je ferme les yeux, à travers ceux de Lucius. Je ne peux le contrôler et je ne sais si Lucius vit la même chose de son côté.
Je peux le voir s'avancer vers Chloé, celle-ci est assise sur le rebord d'une fenêtre, les jambes repliées et les bras reposants sur celles-ci.
— À quoi penses-tu ? Demande Lucius.
Je devine qu'ils se trouvent de nouveau à Panterm, dans mon ancienne maison. Je reconnaîtrai entre milles ce palais.
— Rien, marmonne-t-elle.
Lucius pose sa main sur son menton et la force à tourner la tête. Chloé lève ses yeux rouges vers lui. Le plus troublant n'est pas la couleur de ses yeux mais ses veines qui noircissent. Elles sont visibles dans son cou et sur le côté gauche de son visage, elles semblent s'étendre vers son épaule cachée par ses vêtements. Ces veines noires et enchevêtrées n'atteignent pas encore sa joue ni même ses yeux, cependant, cela reste perturbant. Elles ressemblent aux branches dénudées d'un arbre lugubre.
— Ton pouvoir est trop grand, déclare Lucius.
Elle pousse sa main.
— Je vais bien.
— Il te consume.
— Tant mieux, rétorque-t-elle. Je ne veux jamais plus retrouver la Lumière.
— Andreï ! Andreï... mon amour, réponds moi !
Jamésy me secoue, je prends une grande inspiration et rouvre les yeux. Je le regarde puis je regarde Hélène, tout deux semblaient inquiets, penchés au dessus de moi.
— C'est encore arrivé, c'est cela ? Souffle Jamésy en m'aidant à m'asseoir.
Je hoche la tête et me masse les globes oculaires. La migraine s'estompe petit à petit mais ces visions me perturbent et me fatiguent.
— Qu'as-tu vu ? Demande Hélène.
— J'ai vu Chloé...
— Comment va-t-elle ? s'empresse-t-elle de demander.
Elle ne semble pas aller bien, au contraire. Chloé est consumée par les Ténèbres et je suppose que ce sont ces veines noires, ce sont eux, les Ténèbres. Cependant, pourquoi vit-elle ce phénomène alors que Lucius, non ? Quelque chose m'échappe, Chloé est-elle dotée naturellement de pouvoirs ou non ? J'ai vu ces veines monstrueuses sur quelques disciples de Lucius, certains étaient épargnés, d'autres en avaient sur la totalité du visage, ce qui les rendaient inhumains. Mais Chloé n'est pas n'importe qui pourtant et jusqu'alors, jamais ses pouvoirs ne l'avaient consumée ainsi.
— Hélène... soupiré-je. Chloé ne va pas bien du tout, je sais que c'est ton amie, c'est mon amie aussi...
Je marque une pause et la jauge, elle est agenouillée près de moi et je lis sur son visage une profonde détresse.
— Cependant, je crois que nous l'avons perdue, reprends-je le coeur lourd.
Je le savais au fond de moi. Je l'avais vu, lorsque j'étais possédé par Lucius, c'est comme si j'avais pu voir le futur. Je savais ce qu'elle allait devenir, néanmoins, je ne pensais pas à cela, je ne pensais pas que ce serait si rapide, si chaotique... Je m'étais convaincu que le vrai monstre était Lucius et à ce moment là, j'en voulais au monde entier, Chloé y comprit. J'avais simplement voulu la terrifier, l'éloigner de tout cela, pour l'aider, en vain.
— Non... souffle Hélène en secouant la tête, non... c'est impossible... je sais que nous trouverons le moyen de la ramener.
— Il n'y a plus aucun moyen, rétorque Jamésy.
— Tu es Guérisseur, tu es censé pouvoir l'aider !
— Je ne guéris pas les Ténèbres, voyons...
— Tristan la ramènera, je le sais.
— Encore faut-il que nous parvenions à le ramener, nous... marmonne Jam.
Hélène secoue la tête et se relève, elle époussète ses pantalons et me tend la main, sans un sourire, le visage renfrogné. Je l'attrape, elle m'aide à me relever puis se rattache les cheveux.
— Si vous êtes tous les deux aussi défaitistes, nous sommes certains de perdre cette guerre. Fort heureusement, j'ai eu un père qui m'a appris à rester optimiste, peu importe les situations. Je vous le dis, les garçons, Chloé reviendra et Tristan aussi. Nous sommes amis tous les cinq, n'est-ce pas ?
Nous hochons la tête en même temps avec Jamésy.
— Ne sommes-nous pas plus que cela à ce jour ? demande-t-elle.
Je souris légèrement.
— Nous sommes une famille, vous êtes ma famille, poursuit-elle, et on se bat pour sa famille, on se bat pour ce qui vaut la peine d'être sauvé.
Je hoche la tête, cette fois bien plus convaincu et je lui adresse un franc sourire.
— Tu as raison, rétorqué-je.
Je saisis sa main, je jette un regard à Jamésy qui semble dubitatif. Il n'a, certes, pas traversé tout ce que nous avons traversé Tristan, Chloé, Hélène et moi, cependant, il nous a aidé, plus d'une fois. Il fait partie de cette famille que nous sommes devenus. Je lui tends la main, il la regarde un instant, semblant perdu dans ses pensées. Finalement, il saisit ma main, puis celle d'Hélène.
— Parfait, reprend-elle, et si nous remontions à cheval à présent ? Le voyage est long jusqu'à Erador et nous n'avons que peu de temps devant nous.
Nous acquiesçons cependant, lorsque nous nous retournons, prêts à récupérer nos montures, celles-ci ont disparu. Je fronce les sourcils, nous regardons partout autour de nous. Les arbres sont fins dans le Néant, aucun feuillage ne nous permet de dissimuler quoi que ce soit, alors où sont passés nos chevaux ? J'enfonce deux doigts dans ma bouche et siffle aussi fort que je le peux, à plusieurs reprises, dans le but de les attirer. Il n'en est rien, seul le silence nous répond.
Un craquement retentit dans notre dos, nous nous retrouvons tous les trois collés les uns aux autres, notamment lorsque ces craquements résonnent partout autour de nous. Je ne comprends pas ce qu'il se passe, car nous ne voyons rien mis à part cette brume persistante jusqu'à ce que j'entende un murmure près de mon oreille, je crois que mes amis l'entendent également.
— Maintenant, tu dors, susurre cette voix désincarnée.
Mon corps se ramolli instantanément, je m'écroule sur le sol, détendu et mes paupières deviennent lourdes. Je tente de lutter afin de rester éveillé, je peux voir que Jamésy et Hélène ne bougent plus, totalement endormis.
Avant que mes paupières ne se ferment, je constate que quelqu'un marche autour de nous, pieds nus, la peau totalement noire, semblant visqueuse comme...
— Une Ombre Obscure... balbutié-je.
Bientôt, je ne parviens plus à lutter, je vois simplement cette chose, je crois, car je ne distingue que ses chevilles fines et ses pieds, saisir les jambes d'Hélène et la trainer sur le sol. Après cela, mes paupières se ferment, elles se scellent d'elles-mêmes et je plonge dans un torrent de Ténèbres.
On se bat pour sa famille, on se bat pour ce qui vaut la peine d'être sauvé.
Je me battrai.
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