XVII - Premier combat
Je suis assis, lustrant mon épée sans grand engouement. Nous avons établi notre campement dans le Néant. Bien que le Néant ne soit presque plus distinguable entre les Nations. Nous savons que Panterm a été rasé, les seuls habitants encore présents là-bas détiennent un échantillon des pouvoirs de Lucius, les autres sont morts. Erador est une Nation morte, seuls quelques vieillards y résident encore alors Lucius n'a aucun intérêt à s'y rendre. La Nation la plus proche de Panterm est Monrédor. Elle se trouve plus au Sud, dans les montagnes, près d'une gigantesque plage rocailleuse. C'est une belle Nation, plus petite que certaines, bâtie dans des vallées, de larges murs ont été construits en fortifications, une partie de la ville est dans l'eau, pour y déambuler, il convient d'utiliser une barque.
Je me souviens m'y être déjà rendu quelques fois, en tant que Changeur de Peaux, c'était un endroit très agréable, où il fait bon vivre. Ce n'est pas la Nation la plus riche, mais là-bas, ils cultivent les terres et élèvent du bétail, ils fournissent presque toutes les Nations. Les marchands y prospèrent ainsi que d'autres artisans : les souffleurs de verre, les forgerons, les boulangers...
D'après le roi et son fils, et par toute logique, Lucius et Chloé attaquerons cette Nation. Monrédor est pacifiste. Je ne sais pas si avec l'arrivée des Ténèbres ils ont cherché à se protéger, mais je ne suis pas certain qu'ils s'attendent à une attaque aussi violente que celle qui les attend.
— Es-tu prêt ?
Je relève la tête vers Hélène. Je lui souris avant que mon sourire ne disparaisse. Elle porte une armure, aux couleurs du roi. Andreï et son paternel ont souhaité conserver les couleurs royales jadis. Alors nous n'avons d'autre choix que de porter des armures blancs et or. Je m'y ferai, si cela peut me protéger ne serait-ce qu'un peu. Je pose mon épée à plat sur la table et me lève.
— Pourquoi cet accoutrement ? m'étonné-je.
— Je compte combattre.
Je pouffe de rire. Hélène croise les bras et me fusille du regard.
— Hors de question, grogné-je.
— Je dois prendre part au combat, je ne souhaite pas me trouver ici simplement pour vous faire à manger et soigner les blessures de chacun. J'en ai assez d'être la servante, je veux être la guerrière.
— Mais tu n'es pas une guerrière.
Elle secoue la tête et se mordille les lèvres. Je me rapproche d'elle pour sonder son regard, ce que je parviens à faire sans difficultés.
— Hélène... tu as ton fils, il ne te reste plus que lui et il ne lui reste plus que toi. Ne sois pas aussi folle que ton père, il s'est sacrifié pour des personnes qui n'en valaient pas la peine. Je ne souhaite pas que tu fasses de même.
— Cela veut-il dire que Chloé, Andreï ou même toi, ne valent rien ?
— Ce n'est pas ce que je voulais dire mais...
— Mais quoi ? m'interrompt-elle d'un ton ferme.
Je suis surpris. Je n'ai aucun doute sur le fait qu'Hélène possède un caractère bien trempé cependant, rares sont les fois où elle hausse le ton. Je sais qu'elle ne m'appréciait guère à nos débuts et moi, je ne faisais pas vraiment attention à elle cependant, avec le temps, j'ai appris à l'apprécier, à voir sa bonté et elle aussi. Bien que je ne possède que peu de bonté, moins qu'elle c'est certain.
— Je ne suis pas une enfant à protéger, Tristan. Et de toute manière, tu ne parviens pas à te protéger toi-même.
— Bien-sûr que si, couiné-je.
— Tu te retrouves constamment capturé, torturé ou parfois même laissé pour mort.
— Qu'importe, je me suis fait une promesse et je t'ai promis de te protéger.
— C'était il y a plusieurs mois déjà... je... je me suis remise de ce que m'a fait Lucius.
— On ne se remet jamais d'un traumatisme.
Je suis bien placé pour le savoir. La vision des corps mutilés de mes parents restent encore ancrée en moi et la moindre petite chose me faisant penser à eux me fait souffrir et peut même parfois faire monter en moi une angoisse enfouie. Hélène a été torturée par Lucius, par ses Ténèbres et ses Ombres Obscures, on ne peut pas s'en remettre en seulement quelques semaines.
— Je t'en prie, laisse-moi combattre, j'ai vu les soldats s'entraîner, je me suis entraînée, je sais que je peux y arriver, reprend-elle.
— Si jamais tu meurs... je trouverai quelqu'un pour te ramener et je te tuerai à nouveau, grogné-je.
Elle sourit et hoche la tête. Elle m'enlace finalement et me frotte le dos.
— Enfile ton armure, Soldat, nous partons dans quelques instants.
— À vos ordres, Capitaine.
Je lui adresse également un sourire avant qu'elle ne me laisse seul dans la tente. Je pousse un profond soupir, enfile ma côte de maille, mes jambières, mon armure... Je regarde un instant l'alliance à mon doigt. Je pousse un énième soupir, enfile mon casque puis mes gants. Les armures sont complètes et devraient nous protéger un minimum contre leur pouvoir. Les casques sont en acier, dorés, ils couvrent nos joues, notre crânes et notre nuque, afin d'éviter de trop coups à la tête.
Je rejoins l'armée des deux Andreï et me poste avec les soldats. La plupart ne sont que des paysans, des marchands, des pirates, des enfants, tous volontaires pour sauver et libérer leurs Nations chéries.
Le roi a su rassembler la moitié d'Arkacia, l'autre moitié n'a pas souhaité se joindre à lui. Il a ramené sur son chemin, quelques autres braves paysans et Andreï, son fils, a entraîné le peuple de Corvil, tous volontaires en plus de ses pirates, loyaux et fidèles puisqu'on leur a promis une belle somme d'argent en échange.
— Aujourd'hui est un grand jour, commence le roi habillé d'une armure en or. C'est aujourd'hui que la vraie guerre commence, celle pour la liberté ! Ce ne sera pas le dernier combat, il y aura des pertes, mais nous ne devrons renoncer uniquement si nous n'avons d'autres choix ! Nous ne battrons en retraite que si notre armée menace d'être décimée ! Avant cela, nous devrons montrer à Lucius et ses sbires qui nous sommes et que le peuple des Sept Nations ne se laissera plus jamais vaincre !
Il lève son épée, tous les soldats font de même, tout en poussant un cri victorieux, encourageant. Je ne le fais pas, mais j'apprécie cet élan de solidarité, de courage, de bravoure, de détermination. Je remarque, en regardant autour de moi, que ces hommes, ces femmes, ces enfants, ne se connaissent ni d'Adam ni d'Eve et pourtant... pourtant, ils s'entraident, ils s'encouragent, au péril de leur propre vie. C'est cela, l'humanité que Chloé voulait que je vois.
— Je le vois enfin... marmonné-je pour moi-même à travers le vacarme des épées claquant les boucliers en rythme.
Nous nous dirigeons vers les vallées sinueuses, à l'arrière de Monrédor. Une autre partie de l'armée se trouve à l'avant, près de la plage pour parer à d'éventuelles attaques. Lucius est intelligent et il va de soit qu'il est déjà au courant de notre plan. il est probablement lié au petit prince, et c'est un lien que nous ne pouvons défaire que par la mort de l'un des deux. Alors je suppose qu'il sait que nous l'attendons.
Nous sommes en place, je suis au premier rang, Hélène se trouve à ma gauche et la mère de Chloé à ma droite. Le roi, sur son cheval, habillé de son armure royale et étincelante, se tient en avant, son fils à sa droite et Jamésy à sa gauche.
Il porte un drapeau, celui des Sept Nations, le symbole de notre Royaume est un serpent entourant une drague et se mordant la queue. La dague représente les guerres passées et le serpent se mordant la queue représente le schéma des Sept Nations. Sur toutes les cartes que j'ai pu voir, notre monde est construit ainsi, chaque trou entre le corps du serpent correspond aux océans et le corps, lui, correspond aux Terres, aux Nations éparpillées aux sept coins de l'animal. On dit que notre monde représente un serpent se mordant la queue et cela représente également l'infini. L'éternité de nos Nations, qui, avec les décennies et les guerres passées, n'ont jamais été détruites. La vie y prospère, Ténèbres ou Lumières, nous avons toujours su nous adapter.
Nous entendons le galop des chevaux, les pas déterminés de nos ennemis. Bientôt, au loin dans la vallée, en haut de celle-ci, nous apercevons l'armée ennemie. Je ne pensais pas qu'un jour Lucius partagerait son pouvoir, je ne pensais pas cela possible jusqu'à ce que je rencontre Chloé. Le voilà à présent, avec de nouvelles créatures pour nous détruire.
— N'oubliez pas, murmuré-je à mes deux camarades, nous devrons enflammer nos épées dès lors qu'ils invoquerons des Ombres Obscures.
Hélène hoche la tête, je la sens concentrée et terrifiée. Quant à la mère de Chloé, elle me parait ailleurs, elle ne semble pas effrayée, simplement pensive. Fort heureusement, nous avons quelques Enchanteurs de Feu, de Terre, d'Eau et de Vent. Les autres, notamment à Panterm, là où nous en comptions le plus, sont tous morts. Lucius déteste les Enchanteurs.
Je constate, à la tête de cette armée, sur deux chevaux, le frère et la soeur, vêtus d'une armure couleur ébène, comme leurs cheveux, comme leur âme. Un long silence plane durant lequel, seul le chant du vent nous porte. Lucius lève alors, lentement, son épée vers le ciel. Le nuage au dessus de lui tourne sur lui-même avant qu'il ne vienne, dans un tourbillon de brume épaisse et sombre, entourer la lame de son épée.
— Nous allons mourir... me souffle Hélène.
Je comprends son inquiétude, tous les autres soldats, Chloé y compris, lèvent également leur épée vers le ciel et le même phénomène se produit. Je cache ma crainte, je l'enfouie au plus profond de moi. Je ne dois pas laisser mon humanité prendre le dessus et me terrifier.
Je vois alors le roi poser la main sur le manche de son épée. Nous nous mettons en place, écu en avant pour nous protéger, ils font presque notre taille, sont lourds et en acier. Ils ont été forgés de sorte à être le plus solide possible. Nous avons également nettoyé les lames de nos épées avec de la graisse, pour les enflammer rapidement, quelques uns d'entre nous porte des torches pour cela.
Le roi sort son épée, son fils et Jamésy font de même, dans un tintement de métal frissonnant puis il la lève à son tour, tenant les rennes de son cheval. Le silence est glaçant avant que d'un cri aguerri, il ne déclare la guerre.
— Pour les Sept Nations !
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