XIII - Il reviendra

— Il... il paralysait mon corps tout entier à l'aide de ses pouvoirs et laissait ses monstres me griffer...

Hélène est allongée, elle a pu être prise en charge par Jamésy et un autre Guérisseur proche de la famille de Chloé. Cependant, elle reste marquée par sa rencontre avec Lucius.

— Il a su me dire qui j'étais... il connaissait mon fils, son âge, où il se trouvait... Il me disait que si je ne capitulais pas, alors il le retrouverait et le pendrait avec tous les autres.

— Que voulait-il ? demandé-je.

Ses plaies se résorbent petit à petit et d'ici quelques jours, elle sera de nouveau sur pieds. Les Guérisseurs ont de grands pouvoirs mais n'ont pas la faculté de guérir une âme blessée. Elle restera traumatisée et fragilisée pour le restant de ses jours.

— Il savait que tu étais la cause de mon arrivée chez lui. Il ne cessait de me demander où tu te trouvais... il n'a pas su te repérer.

— Il ne peut pas, rétorqué-je. Les Changeurs de Peaux ont une aura particulière mais je reste un Être de Feu avant tout. Lucius a oublié quelle était l'aura d'un Être de Feu, puisqu'il les a tous tués.

— Il te tuera, Tristan...

— Je sais, mais je le tuerai avant.

— On ne peut pas...

— Personne n'est immortel, pas même le plus grand des Mages.

Elle détourne le regard, les mains posées sur son ventre, elle fixe un point droit devant elle et pousse un profond soupir.

— Je ne lui ai rien révélé et j'espère qu'il ne cherchera pas à tuer mon enfant... Je cherche à vous protéger tous, mais je risque ma vie. J'ai déjà perdu mon père, je ne supporterai pas si...

Je pose ma main sur les siennes, elle cesse de parler et me jette un regard emplit de crainte.

— Hélène, je comprends. Ne t'en fais pas, ne fais pas comme ton père, ne t'oublies pas dans cette histoire. Tu es aussi bonne que lui mais ce n'est pas ce qu'il nous faut... parce que les gens bons périssent et que ferions-nous si plus aucune personne n'était bonne ? Comment évoluerait notre monde ? Vous êtes bien plus précieux que ce que vous ne pouvez imaginer. Alors protège toi et protège ton fils. Je t'assure que Lucius ne vous approchera jamais. Je te le promets.

Elle m'adresse un bref sourire et serre ma main dans la sienne. Je sais que nous y laisserons une part de nous même, néanmoins, mon choix est fait. Je détruis Lucius et je disparais avec lui. Je ne souhaite pas voir Andreï couronné, je ne souhaite pas faire la fête si nous gagnons. Je souhaite trouver la paix et je crois que c'est à cela que j'aspire à présent. Ma vie n'a été que douleur et violence, il est temps que cela cesse.

— Comment vas-tu, Hélène ?

Je me redresse et jette un regard à Chloé qui nous rejoint. Elle croise les mains devant elle, nous adresse un bref sourire puis s'assoit au bord du lit, à côté de moi. Je lâche les mains d'Hélène et c'est Chloé qui prend le relais de ce geste amical.

— Je vais mieux, je te remercie. Et toi ?

Elle hoche la tête.

— Je vais bien... je crois. Je me souviens de toi, de notre première rencontre, dit-elle un léger sourire étirant ses lèvres.

Je constate qu'elle a beaucoup pleuré mais visiblement, l'idée de l'emmener à Corvil n'était pas si mauvaise.

— Tu m'habillais comme une princesse et moi... je détestais cela.

Hélène rigole et hausse les épaules.

— Tu avais un vrai potentiel et tu l'as toujours.

Chloé a abandonné les jupons et les artifices. Je la reconnais mieux, elle porte des pantalons sombres avec des bottes qui remontent jusque sous ses genoux, une chemise bouffante blanche et un corset noir parfaitement lacé.

— Je préfère les tenues plus masculines, assure-t-elle ce qui les fait rire.

Bientôt, le sourire de Chloé disparaît et ses yeux se plongent dans les miens.

— Peut-on se parler, Tristan ?

J'acquiesce et nous laissons Hélène se reposer. Nous marchons dans les longs corridors vides du manoir. Les parents de Chloe ont beaucoup perdu durant la première vague de Ténèbres qu'elle avait déferlé lors du bal. Puis la seconde a tout anéanti, leur fortune, leurs récoltes et beaucoup de leurs proches sont morts. Cet acharnement a détruit toutes nos Nations, l'ambiance et la vie n'y est plus la même.

Je croise les bras et fixe mes pieds tout en avançant, je me mordille les lèvres et ne sais quoi lui dire. Je dois avouer que cette situation est complexe et me met mal à l'aise. Je me suis marié à elle, sans qu'elle ne sache que c'était moi et je me demande comment le prendra-t-elle lorsqu'elle se souviendra de moi.

— Alors tu es un Changeur de Peaux et... un Être de Feu.

Je hausse les sourcils et lui jette un regard.

— J'ai ce souvenir de ce gigantesque Dragon qui m'a sauvé dans le désert... Je n'ai aperçu ce Dragon que rapidement et ce souvenir reste assez vague mais... je sais que c'était toi et je sais que c'était toi aussi, ce fameux Dragon sur le bateau pour Panterm, le jour de notre première rencontre.

Je détourne le regard et continue ma marche, gardant mes bras croisés. Alors elle se souvient...

— Oui, c'était bien moi, effectivement...

Je ne saurais avouer à quiconque que j'ai peur de me transformer. Je souffre chaque fois que l'Être de Feu qui vit en moi prend vie. Je ne sais pas le contrôler, je pourrais blesser des gens ou bien ne pas savoir revenir à moi et rester coincé dans ce corps monstrueux.

— C'est incroyable... souffle-t-elle.

— Si tu le dis.

Un court silence plane durant lequel nous marchons côtes à côtes, nos épaules s'effleurent quelques fois et ni elle ni moi ne nous jetons un regard.

— Tu ne l'as pas tué, déclare Chloé.

— De qui parles-tu ?

— Andreï, tu m'as écoutée... tu ne l'as pas fait. Je me souviens te l'avoir murmuré avant que mon coeur ne s'arrête de battre.

Je serre les mâchoires. Je m'en souviens également, je me rappelle très bien qu'elle m'a murmuré le fait qu'Andreï n'y était pour rien mais je ne pardonne pas ce geste. Je n'ai aucune confiance en lui mais je n'ai pas le choix que de m'allier à lui. Ceux qui savent qui il est le suivent et je sais pertinemment que bientôt, Andreï aura toute une armée derrière lui. Il a peut-être perdu un bout de son cerveau quand il ne faisait qu'un avec Lucius mais Jamésy relève le niveau et je sais qu'il ne le laissera jamais tomber.

À eux deux, ils seront à la tête d'une armée entière. Je ne peux pas les laisser devenir mes ennemis.

— Chloé, si tu te souviens de tout, tu dois très bien te souvenir de qui je suis et cela veut donc dire que tu sais que je ne t'ai pas écouté. Je déteste ce petit prince de pacotille et si je ne l'ai pas encore tué, ce n'est que par stratégie.

Elle s'arrête alors je fais de même et me tourne vers elle. Elle triture la bague de mariage qu'elle porte toujours au doigt.

— Je me souviens de tout, c'est vrai et je me demande encore comment on en est arrivés là, tous les deux ? souffle-t-elle en montrant la bague.

J'esquisse un faible sourire et hausse les sourcils.

— Je dois t'avouer que je ne m'y attendais pas non plus mais il fallait jouer le jeu jusqu'au bout pour te libérer de son emprise.

Elle se mordille les lèvres et pousse un profond soupir en lâchant la bague qu'elle tournait autour de son doigt.

— Je suis perdue, Tristan... je me souviens de vous, je me souviens de notre lien mais... je connais également Lucius à présent.

Elle relève ses beaux yeux vers moi, des yeux embués de larmes. Elle semble tiraillée entre deux réalités : celle qui la lie à ses amis et celle qui la lie à Lucius.

— Il n'a pas toujours été monstrueux. S'il est comme cela aujourd'hui, c'est parce que son propre frère l'a poignardé dans le dos et a fait de lui un monstre.

— On vit tous des trahisons, ce n'est guère une raison pour faire payer le prix au monde entier. Des tas d'innocents sont tués alors qu'ils n'ont rien à voir dans cette histoire.

— Je sais mais... peut-être pourrions-nous lui redonner raison ? Et si nous pouvions le ramener à lui ? Lui rappeler comme c'est bon d'être humain ? Penses-tu que...

— Non, l'interpellé-je.

Ses épaules s'affaissent et le regard qu'elle me porte montre clairement sa déception.

— Je te pensais mon ami... marmonne-t-elle.

J'aurais rêvé être bien plus qu'un ami pour elle mais j'ai vite compris que notre amour est impossible.

— Et je le suis, Chloé, rétorqué-je.

Je me rapproche d'elle et prends ses mains dans les miennes.

— Mais je ne peux pas laisser Lucius s'en tirer. Il a tué mes parents et il m'a manipulé, je suis devenu un monstre pour lui, il t'a poignardée une fois et il recommencera, tu comprends ?

— Je suis sa soeur.

— Non, tu n'es que son Objet, tu lui as servi, voilà tout.

Elle retire ses mains des miennes.

— Tu ne chercherais pas à sauver un membre de ta famille si tu en avais la possibilité ?

— Oui, tu l'as dit : si j'en avais la possibilité mais ce n'est pas le cas, Chloé, tu n'as pas la possibilité de sauver Lucius. Il s'est servi de toi, il y avait cinq Objets Obscurs...

Je marque une pause et la jauge, je ressens sa tristesse, sa peur, sa colère. Je la comprends, mais je ne peux pas la laisser croire en Lucius. Je suis son ami et je la protègerai, je m'en suis fait la promesse.

— Il y a avait un manteau, une broche, une dague, un collier et... toi.

Elle a été son objet et jamais sa soeur.

— Lucius est un manipulateur et il a fait de toi sa marionnette, comme nous tous.

— Je suis sincèrement désolée, Tristan... déclare-t-elle.

Je fronce les sourcils, l'air interloqué.

— Je ne peux pas te suivre cette fois, je ne peux pas te laisser dire de telles choses. Je sais que tu n'as plus foi en lui, car il t'as fait beaucoup de mal mais... tu me l'as dit une fois, tu te souviens ?

Je ne réponds pas.

— Tu m'as dit que je t'avais redonné ton humanité, pourquoi ne pourrais-je pas faire la même chose pour mon frère ?

— Chloé... soufflé-je.

J'avance à nouveau, me trouvant alors à quelques centimètres d'elle, j'effleure sa main mais je sens qu'elle ne souhaite pas que je la prenne.

— Je ne souhaite plus te perdre, je l'ai vécu une fois, cela m'a suffit. Je ne le supporterai pas une deuxième fois.

Elle lève la tête vers moi, nos regards s'entremêlent et je me rends compte que oui, je suis humain en sa présence, bien plus que je n'ai pu l'être toute ma misérable vie. Est-ce cela l'amour ? Nous rencontrons quelqu'un et c'est cette personne qui nous rend réellement vivant ? Qui fait ressortir en nous notre meilleure face ? Cette personne qui efface instantanément nos démons, nos sombres côtés et nos monstrueuses actions menées par le passé ?

— Je ne veux pas te perdre, répété-je.

Je désire de tout mon être l'embrasser, car lors de notre mariage, cela n'était pas réel. Je ne portais pas mon apparence, je n'étais pas moi-même et elle ne savait pas qui j'étais. Si ses souvenirs sont intactes, elle devrait savoir qui je suis, elle devrait se souvenir de ce que nous avons traversé et peut-être se souvient-elle réellement de ses sentiments ? Nos lèvres s'effleurent, mais cela n'ira pas plus loin. Chloé pose sa main sur mon torse. Je me redresse pour la considérer un instant.

— J'ai perdu mes meilleurs amis, j'ai perdu mon père... moi non plus je ne veux pas te perdre Tristan et ce n'est pas en confrontant Lucius par la violence que je ne te perdrai pas. Tu le sais, tu sais que si tu te bats contre lui, tu mourras. Alors comment oses-tu me dire cela ?

Suis-je si égoïste que cela ?

— J'ai peut-être perdu la mémoire mais crois-moi, je me souviens parfaitement de qui tu es et je sais également que tu agis par pulsion. D'ailleurs, tu joues les tendre mais je sais qu'au fond... tu ne m'aimes pas vraiment. Tristan, enfin... tu le sais aussi bien que moi.

Je demeure muet.

— Laisse-moi tenter... et si Lucius ne peut être raisonné, alors je me résignerai à ce que la confrontation se fasse. Mais nous devons tenter d'empêcher une guerre. Les Sept Nations ne se relèveront jamais si nous lui déclarons la guerre. Pitié...

Je tente de peser le pour et le contre. Finalement, ne souhaiterais-je pas tuer Lucius pour mes raisons personnelles ? Ne serait-ce pas simplement une vengeance que je rêve d'assouvir ? Je dois laisser Chloé faire ses propres choix, elle a le droit de tenter.

— Très bien, me résigné-je. Mais si Lucius ne capitule pas, Andreï lancera l'assaut.

Nous nous devons de monter une armée, nous ne pouvons nous jeter dans la gueule du loup sans avoir, nous aussi, un train d'avance.

— Quel est ton plan ? m'enquis-je.

— Mon plan est de l'attendre.

Je plisse les paupières. Drôle de plan.

— Je le sais, il reviendra.

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