VIII - Le commencement d'une nouvelle histoire
Lucius m'avait expliqué ce qu'une nuit de noce impliquait. C'est en partie la raison pour laquelle j'espérais me marier avec Tadëus. Consommer le mariage n'est pas anodin et je n'en ai que peu envie, je dois avouer. Après cette soirée quelque peu mouvementée, le fait que Lucius soit parti je ne sais où avec Tadëus... font que je ne me sens pas dans mon assiette. Il n'est pas dupe, depuis la cérémonie, il se doute de quelque chose.
Je finis la soirée, seule, dans la chambre des mariés. Le lit a été fait avec dextérité, aucun pli ne vient froisser les draps de soie, la chambre a été dépoussiérée et un petit buffet nous est offert sur une petite table près de la cheminée dans laquelle crépite du feu.
Je me serre un verre de vin, sans grand engouement. Je me demande ce qu'il adviendra de Tadëus, notamment si Lucius a entendu toute notre discussion.
Lorsqu'on toque à la porte, je me retourne et fais face à Eliel. Il entre dans la chambre et ferme la porte derrière lui. Je lui adresse un bref sourire. Je pose mon verre de vin pas encore entamé sur la table et commence à délacer mon corset d'un geste délicat.
— Non, non, ne fais pas cela.
Il se précipite vers moi et pose sa main sur les miennes pour m'arrêter. J'en suis étonnée. Les hommes raffolent des rapports charnels.
— Pourquoi ?
— Nous ne sommes pas obligés de faire semblant ici. Il n'y a personne avec nous.
— Mais nous sommes mariés.
— Peu importe.
— Je ne vous attire pas ? M'offusqué-je.
— Non, enfin... bien-sûr que si, tu es magnifique mais... ne te force pas.
Je retire mes mains des siennes et reprend mon verre de vin pour le boire d'une traite, quelque peu vexée mais à la fois rassurée. Je n'ai pas la tête à cela.
— Où étais-tu ? M'enquis-je.
Je me permets de le tutoyer puisqu'il fait de même. Je lui demande cela tout en me servant un nouveau verre.
— Je recherchais Hélène.
Je m'immobilise et lui jette un regard en coin.
— Pardon ?
— Hélène est mon amie, Chloé. Et c'est également ton amie.
Je humecte mes lèvres, détourne le regard puis bois un nouveau verre rapidement. Lorsque je souhaite me resservir, il m'arrache le verre des mains.
— Cesse d'essayer de te saouler, gronde-t-il.
— Ne me parle pas comme si nous étions amis de longue date ! Je ne me souviens pas de toi, si je souhaite me saouler, je me saoulerai. Je suis la reine, je te rappelle.
— Tu es ce que Lucius veut que tu sois. Je ne te laisserai pas te faire manipuler. Si je suis ici, c'est pour t'aider.
— Je n'ai nullement besoin d'aide...
— Alors je sauverai Hélène tout seul.
— Tu l'as retrouvée ?
— Lucius la retient prisonnière dans les cachots au sous-sol du château. Elle est dans une pièce au fond des souterrains mais je ne sais pas dans quel état elle se trouve...
— Allons la sortir de là ! Lucius n'est pas là, il est parti avec Tadëus je ne sais où... nous avons le temps de la libérer.
Il me regarde un instant, l'air dubitatif mais hoche finalement la tête. Nous quittons les lieux tous les deux, sur la pointe des pieds. Je crois que le bal bat son plein, les convives sont probablement tous enivrés d'alcool et aucune trace de Lucius pour le moment. Alors nous descendons les escaliers à tout petits pas, nous longeons le corridor Est du domaine puis rejoignons la tour. Celle-ci mène à un donjon si nous montons les escaliers puis si nous les descendons, nous entrons dans les cachots, dans le souterrain gigantesque de la demeure.
Ici, nous avons retrouvé des ossements avec Lucius lors de notre arrivée et quelques autres cadavres en décomposition. Le précédent roi n'avait aucune pitié et ne donnait jamais à manger à ses prisonniers, ils périssaient sous terre, mourant de faim ou de soif. Je ne dis pas que Lucius est plus bienveillant puisque lui n'enferme personne, il les tue aussitôt la traîtrise découverte... je me dis simplement qu'ils n'étaient pas si différents son frère et lui.
Nous utilisons une lanterne que nous pouvons récupérer à l'entrée. Celle-ci est déjà allumée et nous éclaire pour défendre les longs escaliers en colimaçon. Lorsque nous arrivons aux cachots, ceux-ci étant normalement vides, nous longeons l'allée, chaque porte est fermée et la prison est vide sauf un.
Je tente d'ouvrir la porte mais celle-ci est bloquée. Alors je force la poignée mais je constate que Lucius l'a fermée à double tours.
— Laissez-moi... entends-je de l'autre côté comme une plainte.
— Hélène ! S'empresse de s'écrier Eliel. C'est moi, c'est Tristan.
Je lui jette un regard tandis qu'il tente de forcer la porte à son tour. Tristan ? Je ne comprends plus rien, m'a-t-il menti sur son prénom ?
— Tristan... souffle Hélène de l'autre côté. Pitié... pitié... sors moi d'ici.
Ledit Tristan me jette un regard, je reste en retrait, complètement perdue. Ils se disent mes amis mais je ne les reconnais pas. J'ai plutôt l'impression d'accompagner un inconnu et de peut-être commettre une erreur.
— Je vais enfoncer cette porte, cela risque de faire du bruit. Guette l'entrée des cachots, dit-il.
Je hoche la tête, je pose la lanterne par terre et je trottine jusqu'à l'entrée des cachots, au pas des escaliers. Je sens mon coeur s'accélérer et ce de plus en plus à mesure que j'entends Eliel frapper son épaule contre la porte et pousser des grognements pour se donner de la force.
Pourvu qu'il se dépêche...
Je ne tiens pas en place, je me dis qu'à tout moment, Lucius peut arriver ou bien l'un de ses mercenaires. Finalement, un lourd fracas retentit. Je sursaute et me retourne, j'écarquille les yeux en découvrant avec stupeur que la porte renforcée du cachot se trouve à présent hors de ses gonds, sur le sol, totalement tordue. Eliel rentre dans la pièce et ressort avec Hélène qui semble à bout de forces. Il la soutient, bras dessus, bras dessous et tout deux avancent vers moi.
Lorsque je me retrouve face à eux, je constate que le visage d'Hélène est couvert d'hématomes, ses lèvres sont gercées, ses joues creusées, elle est amaigrie et ses jambes dénudées laissent entrevoir des plaies mal cicatrisées.
— Par les Sept Nations, que vous a-t-il fait...
Elle relève ses yeux rougis vers moi, les lèvres pincées, l'air attristée et épuisée.
— Ne tardons pas, nous devons quitter le palais.
Eliel porte alors Hélène et commence à monter les marches. Je reste un instant immobile puis le suis finalement.
— Quitter le palais ? répété-je sur ses talons.
— Nous ne pouvons pas rester ici, Chloé.
— Mais... mais je ne m'appelle pas Chloé et... je ne peux pas laisser mon frère.
Nous nous retrouvons dans le corridor Est, toujours désert car les festivités sont toujours en cours. Eliel se retourne vers moi, Hélène garde sa tête posée contre son épaule, les yeux fermés.
— Nous sommes mariés à présent, tu peux faire ce que bon te semble avec ton mari.
— Oui mais...
— Ce n'est pas toi qui m'a dit que tu étais reine ? Cependant, tu restes aux ordres de ton frère ? Où se trouve ton indépendance dans tout cela ? Tu ne comprends toujours pas ? Lucius se moque de toi, il t'a manipulée et te mens, il ne t'as pas parlé de nous.
— Tadëus oui...
— Peu importe, ce bougre n'a rien à voir dans cette histoire, il t'a autant endoctrinée que l'Invocateur de l'Ombre alors partons ! Je t'en prie, Chloé, nous ferons tout pour que tu retrouves tes souvenirs mais pas ici.
— Je... je ne peux pas...
— Ce que Lucius a fait à Hélène ne te suffit pas pour comprendre qu'il tuera toute personne tentant de te raviver la mémoire ?
— Je vous raccompagne au port mais je ne quitterai pas Panterm ni ce palais, je suis désolée.
Eliel me fixe un instant, il humecte ses lèvres puis pousse un profond soupir, visiblement déçu. Il me tourne le dos et avance d'un pas rapide vers la porte que je lui ouvre. Le château n'est que peu gardé. En soit, Lucius est tellement puissant qu'il n'a pas besoin de disposer de gardes. Ses soldats peuvent vivre leur vie comme bon leur semble mais doivent simplement être présents lorsqu'une guerre se préparera. C'est pourquoi il tente par tous les moyens de créer des alliances avec les différentes Nations et familles puissantes.
Nous avançons à présent dans la cour du château, là où quelques convives nous regardent d'un air interloqué.
— Tout va bien, commencé-je mal à l'aise, la pauvre a beaucoup trop bu, nous la ramenons chez elle.
Lorsque nous arrivons devant les grilles, deux soldats se postent devant nous, leurs lances en croix pour nous barrer le chemin.
— Nous ne pouvons nous permettre de vous laisser passer Majesté.
— Je vous donne l'ordre de me laisser passer, grogné-je.
Les soldats ne cillent pas, leurs lances restent bien en place.
— Je suis votre reine, alors je vous ordonne de me laisser passer !
— Sous les ordres du roi Lucius, nous ne pouvons vous laisser quitter la demeure ce soir.
— C'est mon mariage, laissez-moi passer ou je ferai en sorte que Lucius vous pende et vous étripe pour vous afficher avec tous les autres soldats de votre genre, grommelé-je entre mes dents.
Eliel hausse les sourcils et esquisse un bref sourire lorsque les soldats, à contre coeur, nous laissent passer. Nous voilà déambulant dans les rues sombres de Panterm. Les quelques personnes osant se promener dehors, s'arrêtent pour nous regarder passer. Une fine brume arpente les rues, imposant une atmosphère pesante et dérangeante.
Je ne me promène que très rarement dans les rues, je ne vois Panterm que depuis les fenêtres du château et je me rends compte à quel point l'Ère des Ténèbres ravage tout mais Lucius me dit que cela créera un nouveau monde, de nouvelles personnes et de nouvelles perspectives. Il souhaite que sa haine soit connue de tous et que toutes personnes ne souhaitant pas ployer le genou, perdra alors la vie pour qu'il puisse régner en paix.
Nous passons l'arche de Panterm pour rejoindre le port, l'arche de pierre est habillée de cadavres éventrés et pendus par Lucius. Les arbres alentours et piquets plantés là en sont également lugubrement décorés.
Eliel continue d'avancer cependant je reste immobile lorsque je reconnais l'accoutrement de l'un des cadavres. Un homme torse-nu, arborant des tatouages sur tout le corps, les tripes hors de son ventre, la plaie béante encore pleine de sang. Son corps se balance sinistrement au bout de cette corde, dans un grincement macabre et son visage est livide, les yeux gorgés de sang, un filet de ce même sang coulant de ses lèvres.
Je pose mes mains sur ma bouche, mon estomac se retourne et je me laisse tomber à genoux sans pouvoir retenir mes sanglots. Tadëus est pendu avec toutes ces personnes, ces individus que Lucius insulte de traîtres et d'hérétiques.
— Non... pourquoi... sangloté-je.
Je me lève et me précipite vers le piquet sur lequel il est pendu. Je tente désespérément de couper la corde en tirant dessus.
— Chloé ! s'exclame Eliel, nous devons y aller !
— Non... NON ! Il faut... il faut qu'on le détache... il faut que je le détache, je ne peux pas... il ne peut pas rester ici... il ne mérite pas de rester ici... je... je vais le détacher...
Eliel me rejoint finalement, il a déposé Hélène sur un banc près des bateaux à l'abandon et pose sa main sur mon bras. Je tourne la tête vers lui, le menton tremblotant, la vue trouble par mes larmes.
— Laisse-moi faire...
Je recule d'un pas, croise les bras, un mal de ventre tiraillant mes organes vitaux. Je ne peux m'empêcher de pleurer. Eliel parvient à le détacher, coupant la corde par la simple force de ses mains. Il rattrape le corps de Tadëus de justesse et le dépose doucement sur le sol. Il retire rapidement sa veste longue qu'il avait mis spécialement pour la cérémonie puis la dépose sur le corps de Tadëus afin de cacher l'atrocité dont il a été victime.
Je m'agenouille près de lui, les mains tremblantes, je caresse son visage puis les pose sur sa poitrine, je ne cesse de pleurer, le coeur brisé.
— Pardonne-moi, mon amour... pardonne-moi... soufflé-je.
— Laora ! entends-je résonner dans tout Panterm.
Le silence ici est glaçant, le moindre cri résonne tout autour de nous en des milliers d'échos. Cet appel est suivi de rugissements terrifiants.
Lucius a lâché ses bêtes pour me retrouver.
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