VII - Un mariage arrangé
— Tu ne t'appelles pas Laora, ton prénom, c'est Chloé. C'est comme ça que t'ont appelé tes parents, ceux qui ont pris soin de toi durant toute ton enfance. Tu n'avais que un an quand Lucius a été fait prisonnier et ces personnes t'ont élevée comme leur fille.
— Lucius m'avais dit que...
— Lucius te ment. Il te ment comme il m'a menti, quand j'étais dans le besoin.
— Tu... tu le connais... ? Il ne t'as pourtant pas reconnu.
— C'est une longue histoire.
— Mais qui es-tu... je ne me souviens pas de toi...
— Je sais... mais tu dois te souvenir de qui tu étais. Tu n'étais pas Laora, la sœur de Lucius, tu étais Chloé et tu cherchais à sauver les Sept Nations de l'emprise de l'Invocateur de l'Ombre.
— Je me rappelle avoir eu des pouvoirs... je n'en ai qu'un vague souvenir mais... je n'ai plus aucun pouvoir.
— Ce n'est pas le pouvoir qui fait un héros, c'est son coeur.
Je me regarde dans le miroir sur pieds posé devant moi pendant que deux servantes s'occupent de moi. L'une place des fleurs rouges dans mes cheveux noués et l'autre arrange ma longue robe bleue nuit, nous y avons ajouté des jupons pour lui donner plus de volume et faire croire que ma taille est plus fine. Elles déposent de magnifiques bijoux autour de mon cou, cependant je ne cesse de me ressasser les paroles d'Eliel.
J'inspire profondément, je les entends qui me parlent. Elles me répètent que je suis belle, me donnent plus de conseils pour la journée. Elles semblent bien plus emballées que moi. Je demeure muette, perdue dans mes pensées, dans mes tourments qui ne cessent de faire battre mon coeur la chamade depuis près de deux semaines. La tradition veut que je ne vois pas mon futur époux jusqu'au jour du mariage à partir du moment où nous annonçons les fiançailles. Ce soir là, après que Tadëus m'ait abandonnée, était le dernier avant aujourd'hui. Je ne lui ai pas reparlé depuis, je ne l'ai pas revu non plus.
Comment me réjouir ? Je vais être mariée à quelqu'un qui semble en savoir plus sur moi que je n'en sais sur lui. Je n'en ai pas parlé à Lucius mais ma langue me démange. J'ai l'habitude de tout lui dire, de me confier à lui parce que je n'ai que lui. Cependant, je remarque que depuis que je l'ai fait, Hélène a disparu et Lucius garde sa langue scellée.
— Mademoiselle ?
Je reviens à moi et regarde la petite servante à peine âgée de quinze ans qui vient de claquer des doigts sous mon visage.
— Pardonnez-moi, vous sembliez ailleurs.
— Oui, excusez-moi... c'est un grand jour, je me sens quelque peu stressée.
— Vous êtes reine, c'est plutôt à votre futur époux d'être stressé.
Je souris légèrement mais ce sourire quitte bien rapidement mon visage. Eliel sort de nulle part, il m'a intriguée aussitôt mon regard posé sur lui, il gagne un combat contre une brute assoiffée de sang... je me doute qu'il n'est pas là par hasard. Il me connaît, mais je ne le connais pas... Etait-ce un ami à moi ? Un amour ? Un ennemi ? De la famille ?
Je n'ai pas le temps pour toutes ces questions, on me presse à me rendre sur les lieux du mariage, là où je suis tant attendue. Il se déroule dans le triste jardin sans fleurs du palais, là où les dernières feuilles quittent les petits buissons sculptés.Le soleil n'est pas au rendez-vous pour ce jour de fête, les nuages sont chargés comme à chaque fois, ils sont aussi sombres que lorsque le tonnerre menace de gronder. Des lanternes sont suspendues aux jolies poutres déposées ici pour éclairer l'endroit et tout un tas de convives m'attendent. Je ne les connais pas, Lucius les connaît probablement. La plupart vêtus de noir, armés et je suppose que beaucoup d'entre eux sont ces fameux Changeurs de Peaux, tous plus violents les uns que les autres. Mais Lucius m'a dit qu'ils étaient digne de confiance, pour la plupart.
Lorsque je m'avance dans l'allée, les mains croisées devant ma robe, je relève la tête vers Eliel qui se tient près de l'autel, là où se trouve Lucius. C'est lui qui nous mariera, puisque tous les prêtres de cette ville sont morts, pendus à l'entrée de Panterm, les boyaux à l'air.
Je m'arrête devant Eliel qui est très joliment vêtu d'un pantalon sombre, d'une chemise blanche et d'une veste longue assorties au pantalon. Ses cheveux sont plaqués en arrière et ses yeux noisettes me rassurent, car il semble tout aussi stressé que moi.
— En ce jour particulier, nous nous retrouvons ici, chers amis, pour sceller vos liens pour l'éternité. Si vous vous dites oui aujourd'hui, vous vous dites oui pour la vie, commence Lucius.
Je ne peux m'empêcher d'esquisser un sourire, il a bien préparé son texte, lui qui souhaitait tant me marier.
— Le mariage est comme un pacte, vous ne pourrez plus revenir en arrière. Vous devrez être fidèle l'un à l'autre, soutenir chacun de vos choix et ne jamais vous tourner le dos, ni vous trahir. Eliel, vous protégerez ma soeur de tous ces hérétiques, votre but premier sera de la rendre heureuse et de la protéger quitte à y laisser votre propre vie. Tous ces buts sont ce pour quoi vous avez été choisi.
Lucius fixe Eliel qui ne regarde qu'un point droit devant lui. Un court silence plane durant lequel mon frère détaille mon fiancé.
— Eliel ? Vous m'entendez ?
Le concerné se reprend et jette un regard à Lucius tout en lui adressant un sourire charmeur.
— Je sais ce pour quoi j'ai été choisi et soyez certain que je ne faillirai pas à ma tâche.
Lucius le détaille de la tête aux pieds, cet air que je hais sur le visage. Un air supérieur et de soupçon. Je sens mon coeur s'emballer à l'idée que Lucius ne se rende compte de quelques choses.
— Et si nous commencions ? balbutié-je en attrapant les mains d'Eliel. Je n'en peux vraiment plus d'attendre.
J'affiche un faux sourire à mon frère qui ne semble pas dupe mais se reprend tout de même.
— Eliel De la Forge, acceptez-vous de prendre pour épouse Laora, ma très chère soeur et de la chérir, la protéger et vouer loyauté à son âme pour l'éternité ?
Eliel inspire profondément et me regarde droit dans les yeux. Nous nous comprenons, nous sommes tout deux perturbés et nous ne voulons, ni l'un ni l'autre, nous marier.
— Oui, je chérirai votre soeur, la protégerai et lui vouerai loyauté pour l'éternité.
Je souris légèrement, soulagée qu'il ne dise pas non et ne mette en colère mon frère.
— Laora, ma très chère soeur, acceptes-tu de prendre pour époux, Eliel De La Forge, de le chérir, le protéger et vouer loyauté à son âme pour l'éternité ?
Je relève les yeux vers Eliel, je ressens son stress et me sens moins seule, j'en aurais presque envie de rire mais la situation ne le permet pas.
— Oui, je chérirai Eliel De La Forge, le protégerai et lui vouerai loyauté pour l'éternité.
C'est ainsi que Lucius nous donne l'autorisation de nous embrasser. Je sais que parmi les invités se trouve Tadëus et je sais aussi que je n'ai pas le cran d'embrasser cet inconnu. Alors Eliel m'enlace simplement, je fais de même et c'est suffisant pour que les festivités continuent.
— Merci, murmuré-je en l'enlaçant.
— C'est ce que font les amis, rétorque-t-il.
Nous nous écartons l'un de l'autre, il m'adresse un regard chaleureux, familier, qui me rassure quelque peu. Alors Eliel était l'un de mes amis...
Je n'ai que peu de temps pour m'en soucier puisque Lucius nous emmène, avec les autres convives, à l'intérieur de la demeure où de la nourriture et de l'alcool nous attendent. Les mercenaires sont tous heureux et se goinfre comme des affamés, les femmes fricotent avec les hommes, certains dansent sur la musique mal jouée d'un musicien probablement trouvé dans la rue qui tente de gagner un petit peu d'argent.
Je ne peux rester plus longtemps ici, j'ai besoin de prendre l'air. Je n'ai ni envie de faire un discours, ni jouer les femmes comblées alors que ce mariage est tout ce que je redoutais. C'est l'inverse de ce que j'espérais.
Je sors dans la grande entrée du palais, pose ma main sur ma poitrine et tente de reprendre ma respiration anormalement accélérée. Je ferme les yeux un instant lorsque mon rythme cardiaque se calme lentement.
— Tu devrais être en train de fêter ton mariage arrangé.
Je me retourne pour faire face à Tadëus, un verre à la main, les yeux cernés et le visage marqué par la fatigue.
— Tu devrais être rentré chez toi...
— Partir de chez moi demande déjà beaucoup de patience et de courage, y revenir reviens au même. Et puis... je ne suis pas un Gouverneur très apprécié alors tu sais... que je revienne ou non, le peuple n'en a que faire.
— Tu sais que ce que tu dis est faux, chaque Nation a besoin de son Gouverneur. Un Gouverneur est là pour guider son peuple, c'est le pilier d'une Nation.
— Irondell s'en est bien sortie après la mort du Gouverneur Hector, quelques mois sans Gouverneur et la Nation prospérait toujours...
— Chaque Nation dispose de ses connaissances.
— Dystéria se meurt Laora mais toi... tu n'y peux plus rien.
Je fronce les sourcils tandis qu'il finit son verre rapidement. Il est titubant et me paraît triste.
— De quoi parles-tu ?
— Tu ne t'en souviens pas, à quoi bon ?
— Rafraîchis moi la mémoire, pour voir ?
Il se rapproche de moi, lève le menton et me regarde d'un air hautain.
— Tu es venue à moi comme un cadeau tombé du ciel, offert par les Dieux pour me venir en aide. Quand ma Nation était au plus mal, cette jeune femme dont la puissance était inégalable est arrivée, m'a volée mon précieux Objet avant de m'offrir plus encore...
Je le regarde, tandis qu'il se trouve qu'à quelques centimètres de moi, ses yeux bruns me fixent avec intensité et dédain. Je croirais presque qu'il me déteste alors que quelques jours plus tôt, je pensais qu'il m'aimait.
— Tu as donné à Dystéria ce que nous n'avions plus depuis des années... de l'espoir, de l'eau, de la fraîcheur... il y aura toujours des individus en désaccord avec mes choix ou les tiens mais le peuple était heureux de sentir la pluie sur leur visage, de connaître la fraîcheur et la caresse du vent sur leur peau...
Il baisse la tête un instant et fait claquer sa langue contre son palais. Je ne me souviens de rien, cette sensation fait de nouveau battre mon coeur, trembler mes mains. Je me sens impuissante. Il me raconte une histoire, je semble en être la protagoniste et pourtant... je n'en ai pas un seul souvenir. Cela me laisse un goût amer en bouche, un nœud à l'estomac.
— Si seulement j'avais eu le cran de t'en empêcher. Si seulement je t'avais dit de ne pas suivre Lucius, que serions-nous aujourd'hui ?
— Heureux... soufflé-je.
Il relève les yeux vers moi et esquisse un faible sourire.
— Amoureux... reprends-je.
Je me rapproche de lui mais il pose ses mains sur mes bras et secoue la tête.
— Tu n'étais pas amoureuse de moi, Laora...
— Je le suis à présent.
Il me repousse doucement et recule d'un pas, les bras le long de son corps.
— Mais ce n'est pas vraiment toi.
— Je t'en prie... Je ne t'en veux pas pour l'autre jour, mais s'il te plaît, ne me laisse pas encore...
— Que se passe-t-il ?
Tadëus se retourne et nous faisons tout deux face à mon frère qui nous adresse son fameux sourire fier. Ses cheveux longs sont parfaitement coiffés, tirés en arrière, sa barbe est taillée et son visage habillé de cicatrices me paraît radieux.
— Rien du tout... souffle Tadëus.
Je ravale mes sanglots, les larmes au bord des yeux et me force à sourire à mon frère.
— J'ai cru comprendre que vous parliez du bon vieux temps, je ne me trompe pas ?
Lucius penche la tête sur le côté et tente de soutenir le regard fuyant de Tadëus. Je m'approche d'eux, remarquant et ressentant la gêne soudainement présente. L'atmosphère est plus pesant et je connais Lucius, il n'apprécie pas ce qu'il se passe.
— Oui... c'est moi... je... c'est comme si des souvenirs me revenaient soudainement et... j'avais besoin de m'assurer que ce qui me revenait en mémoire était vrai.
Lucius me dévisage, les lèvres retroussées.
— Où se trouve ton mari, Laora ?
— Je... je le croyais dans la salle de bal avec vous.
— Il n'y est pas et visiblement, toi tu préférais t'accrocher à l'espoir de recevoir l'amour de Tadëus. Comprends-le, Tadëus ne t'aime pas et quand bien même, il va retourner à Dystéria et ne remettra plus les pieds à Panterm. Votre relation est vouée à l'échec.
— Je...
— Pas vrai, Tadëus ? le coupe Lucius.
— Bien-sûr, oui...
— Je vais te raccompagner à l'extérieur mon vieil ami.
Lucius passe son bras autour de ses épaules.
— Tâche de profiter de la soirée, Laora.
Ils sortent tous les deux, Tadëus me lance un dernier regard avant de disparaître à l'extérieur. Je reste un instant immobile, je suis confuse et angoissée.
Confuse, car tout ce que Tadëus m'a raconté ne semble pas me remonter en mémoire comme si toute cette histoire n'était que fictive.
Angoissée car je crois que je ne reverrai plus jamais Tadëus et qu'il n'atteindra jamais sa Nation chérie.
Ne serait-ce pas là de la manipulation ? Ne suis-je pas devenue ce que Lucius voulait de moi ? Docile et effrayée.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top