V - Le combat pour la gloire




Le roi Lucius de médeux organise un grand bal pour marier Chloé et se trouver une femme également. Je suppose qu'il souhaite que leur lignée se poursuive et il ne compte pas perdre de temps...

— Viens en aux faits, grommelé-je en avalant la dernière goutte au fond de ma choppe.

— Et bien... tu as un pouvoir spécial vois-tu...

Je tourne la tête vers Jamésy, les lèvres retroussées et la moustache trempée de bière.

— Hors de question, grogné-je.

— Tristan, couine Andreï, c'est le seul moyen de l'atteindre !

Je me lève et quitte la taverne, légèrement titubant car l'alcool m'est monté à la tête. Le monde tangue autour de moi, je cligne des yeux et me masse les globes oculaires tout en haussant les sourcils comme si cela allait me permettre de stabiliser mon corps imbibé d'alcool. Je m'appuie contre un poteau et pousse un soupir. Les deux bougres me suivent, ils ne me lâcheront donc jamais.

— Tu pourrais trouver l'un des prétendants de Chloé et prendre sa peau ! Poursuit Andreï.

— Vas te faire ffff...

Je ne termine pas ma phrase, je me penche en avant et régurgite la soupe de poisson que j'ai mangé plus tôt mélangée à plus d'un litre de bière.

— Plus le temps passe, plus je me dis qu'il est perdu, marmonne Jamésy à son ami.

— Je vous entends, balbutié-je.

Je me redresse, je détends légèrement mes épaules et fais craquer ma nuque.

— Regarde-toi, Tristan, peste le petit prince, tu n'es devenu plus que l'ombre de toi-même. Je me rappelle de toi, aussi vif qu'un félin, brutal comme un ours, réfléchis et sarcastique... cependant, dorénavant tu n'es plus qu'un ivrogne qui vieilli, incapable de se servir de ses dons pour venir en aide à toute une Nation.

Je le regarde, la vue brouillée, les vapeurs d'alcool me donnant la nausée, je reste l'épaule appuyée contre le poteau, m'inventant un milliers de possibilités de le tuer dans ma tête.

— Je pensais que je sombrerai, mais je crois bien que tu es pire que moi, poursuit le petit blond.

Je m'approche de lui, les mâchoires serrées et je l'attrape par le col de son pull déchiré. Je le lève légèrement, le voilà à présent sur la pointe des pieds. J'avance mon visage près du sien et le fixe, droit dans les yeux.

— Tu ne vaux rien, petit prince, et crois-moi, tu empestes autant l'alcool que moi. J'en ai terminé avec Chloé. J'en ai terminé avec toutes ces conneries, laissez-moi gérer ma vie comme je l'entends ! Ne vous approchez plus de moi ou je vous tuerai, c'est tout ce que vous méritez !

Je le repousse, il manque de trébucher mais son fidèle serviteur Jamésy le retient à temps. Je leur tourne le dos et avance dans la rue, je serre et desserre les poings, me mordillant les lèvres. Je ne suis pas ce qu'il dit, je suis toujours cette bête féroce, je suis toujours ce prédateur. Je donne un coup de pied dans une bassine d'eau qui se renverse et gèle aussitôt sur la neige encore présente.

Les pleurs d'un enfant m'interpellent. Je m'arrête au coin de la rue et m'aventure dans celle-ci. Il fait nuit noire, la lune n'est pas visible à travers les épais nuages de brume ténébreuse qui englobent notre monde. Je m'aventure tout de même dans l'obscurité, plus j'avance, plus les pleurs se rapprochent. Je lève doucement ma main à hauteur de mon visage et le feu qui coule dans mes veines s'arrête au milieu de ma paume, faisant scintiller chacune de mes veines, me permettant alors d'y voir plus clair.

Quel horrible spectacle s'offre à moi. Je découvre le corps découpé d'un homme, il lui manque ses jambes et une petite fille, non loin de là, pleure sans s'arrêter, allongée elle aussi. Je m'approche doucement d'elle, elle est couverture de sang, son visage est pâle, ses lèvres gercées et sa main tendue frôle celle de son défunt père.

— ... les... les... les monstres.... sanglote-t-elle.

Ce seront ses dernières paroles avant que son âme ne s'éteigne avec le peu de lueur de vie qu'il restait dans ses yeux.


C'est ainsi que je me retrouve dans le corps d'un certain Eliel, à boire du vin puis à me retrouver entouré d'une foule assoiffée de sang, face à un barbu aussi musclé qu'un gorille. Je dois passer inaperçu et agir comme un mercenaire, cependant, je ne suis pas un mercenaire. Prendre la peau d'une personne me permet d'avoir accès à ses souvenirs mais pas d'avoir ses compétences.

Le gorille se jette sur moi, si fort qu'il me plaque au sol. Mon dos frotte les cailloux puis l'énorme individu se redresse pour abattre son poing sur mon visage. La foule est de plus en plus folle, ils crient, applaudissent, tous plus ou moins ivres, comme moi. Le second coup de poing qui déboite ma mâchoire me fait tourner la tête, je crois même cracher une dent mais remarque Chloé, dans cette foule. Elle se hisse sur la pointe des pieds, regarde partout autour d'elle et interpelle des spectateurs.

— Avez-vous vu Lucius ? Quelqu'un a-t-il vu Lucius ?

Je n'ai pas le temps de m'y intéresser davantage puisque la gorille attrape ma chemise pour me redresser, il colle son front au mien et plonge ses yeux dans les miens.

— Tu parles d'un mercenaire de pacotille !

La foule rigole, évidemment, je suis en train de me faire ridiculiser et tout cela pour quoi ? Chloé n'en a que faire, elle est obnubilée par son bourreau qui la retient captive. Je relève mon genou qui vient frapper les parties bien fournies de cette énergumène. Sa respiration se bloque un instant, les tendons de son cou saillent puis il se laisse tomber sur le côté. Saoul et assumé, je me redresse un filet de sang coulant de mes lèvres et je m'accroche à lui pour lui grimper dessus. Je prends de l'élan pour le frapper au visage, mon poing brise son nez, l'une de ses pommettes et explose l'un de ses yeux qui ne se rouvre pas après ce coup. Je dois prendre un élan considérable, car la violence de ses poings a brouillé mon cerveau.

Il me repousse brusquement, je tombe sur le derrière et lorsqu'il se relève puis s'avance vers moi, j'attrape une poignée de cailloux mêlée à cette étrange poussière qui ne cesse de s'abattre sur les Nations et je lui lance en plein visage. Cela l'aveugle un instant, il pousse un cri et se frotte les yeux, désorienté. J'en profite pour me relever et peu sûr de moi, j'attrape le couteau accroché à la ceinture d'un des prétendants dans la foule puis m'avance vers mon ennemi. J'abat mon pied contre les tendons à l'arrière de son genou. Il grogne et le pose aussitôt à terre. Je réitère mon action sur sa deuxième jambe, le voilà à présent agenouillé devant la foule. Les lèvres pincées, le coeur palpitant et le feu en moi ne demandant qu'à sortir, j'attrape une poignée de ses cheveux gras et lui lève la tête. Je pose la lame sur son cou tendu et d'un geste précis, vif et habile, je lui tranche la gorge. Le sang se déverse aussitôt sur ses vêtements, les spectateurs n'en sont pas choqués, bien au contraire, ils sont euphoriques et applaudissent.

Lorsque je lâche les cheveux du gorille, il retombe mollement sur le sol, laissant s'échapper un sinistre gargouillis puis le sang se déverse sous son corps inerte. Lorsque je relève les yeux, je fais face à Lucius. Le véritable Lucius.

Je l'ai entrevu durant cette soirée et c'était déjà suffisant. Son physique me rappelle ma triste enfance et ma triste dévotion à son égard. Il me regarde, un air étrange sur le visage mais à la fois, il semble heureux, peut-être même fier. Il esquisse finalement, et lentement, un sourire en coin avant d'applaudir à son tour.

— C'est cela, mesdames et messieurs ! C'est cela que je veux voir en chacun d'entre vous ! La rage de gagner, l'envie d'atteindre la gloire, la soif de sang, la colère, la vengeance ! C'est cela, notre nouvelle ère, c'est comme cela que nos vies se dérouleront ! Dans le sang, la haine, dans la douleur ! Parce qu'il n'y a que de cette façon que nous pouvons nous rendre compte que nous sommes en vie ! Je veux vous voir gagner, je veux vous voir combattre pour la gloire, pour l'argent, pour l'amour, pour la guerre, pour vos convictions ! Et si vous devez me combattre, alors faites-le et vous mourrez dignement !

Ses fidèles ne peuvent qu'acquiescer, certains simplement résigner à vivre ainsi et d'autres en admiration devant lui. Chloé se trouve à côté de lui, elle semble ailleurs, totalement déconnectée. À vrai dire, le peu de mots que j'ai échangé avec elle m'a fait comprendre que ce n'est plus Chloé. Elle ne se souvient de rien, ni de moi, ni d'Hélène ou du prince Andreï. Il n'est donc pas étonnant qu'elle n'ait plus de pouvoirs, puisqu'elle ne sait plus qui elle est réellement.

Lucius se penche vers elle et lui murmure quelque chose à l'oreille. Son visage ne se déride pas, elle semble attristée et contrainte. Elle hoche finalement la tête, une moue insatisfaite sur le visage puis s'avance vers moi. Je me laisse aller dans son regard bleu, dans ce regard vide de souvenir. Je sais que si elle se souvenait de moi, elle m'aurait reconnu, qu'importe la peau que je porte. Je l'ai compris, elle n'a plus aucun souvenir pour moi, plus aucun sentiment à mon égard, je ne suis plus rien pour elle.

Elle m'adresse un bref sourire que je crois forcé, ce qui me fend le coeur.

— Je vous épouserai Eliel...

— Vous avez entendu ? intervient Lucius. Le choix de la reine est fait !

Il se poste entre nous deux, il saisit mon bras au bout du quel je tiens encore le poignard qui m'a servi à tuer quelqu'un puis il saisit de son autre main, le bras de Chloé. Il les lève à la vue de tous.

— Longue vie aux futurs époux !

Les convives nous accablent d'applaudissement, de joie, de festivités mais je vois bien que Chloé n'en est pas ravie. Je serais stupide de ne pas comprendre que son coeur est déjà pris mais que Lucius ne lui a pas laissé la chance de vivre cet amour pleinement.

Je serais stupide de ne pas comprendre que Tristan n'existe plus pour elle et qu'il n'a simplement jamais existé.

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