IV - Le bal des prétendants
— Le kraken avait dévoré la moitié de mon équipage quand je lui ai tranché deux tentacules, nous ne fumes plus que trois survivants... une triste épopée mais je suis rentrée aux bercails avec un butin de roi !
L'homme qui me parle est l'un de mes prétendant, un homme d'une quarantaine d'année, maigre, luisant de sueur avec une moustache mal taillée. Ses cheveux sont fins, tellement qu'on voit son crâne au travers. Il ne m'attire pas le moins du monde et son histoire ne m'intéresse pas.
Lorsque je tourne les yeux vers le mystérieux prétendant, je le vois discuter avec ma servante, Hélène. Je hausse les sourcils, m'excuse auprès de la personne qui est en train de me conter son histoire et je m'avance vers eux, lorsqu'elle me remarque, elle quitte rapidement les lieux. Le mystérieux prétendant se redresse, auparavant adossé contre le mur, et me fais face. Je lève la tête vers lui. C'est un homme aux cheveux blonds attachés en une queue basse, des yeux bruns perçants, une cicatrice creuse sa joue droite et sa barbe commence déjà à repousser. Je constate qu'il semble se raser de près. Ses vêtements ne me semblent pas nobles mais plus distingués que certains ici.
— Bonsoir, vous connaissez Hélène ?
— La servante ? Non, mais je lui demandais simplement comment vous aborder.
Je croise les bras et penche la tête sur le côté.
— Oh, je vois. Et qu'a-t-elle dit ? Car, me semble-t-il, nous ne nous connaissons que depuis quelques heures.
— Justement, elle m'a dit qu'elle n'en avait pas la moindre idée mais qu'elle pensait que vous étiez une jeune femme sensible et subtile. Je me dois donc de ne pas être trop brusque avec vous.
J'esquisse un faible sourire puis lui tend la main.
— Je m'appelle Laora, et vous ?
Il me fixe un instant, humecte ses lèvres fines puis serre ma main d'une poigne de fer.
— Je m'appelle Eliel , je suis un mercenaire originaire d'Irondell. Auparavant, je travaillais pour le Gouverneur Hector, puis pour son frère, le Gouverneur Charles. Lorsque j'ai su que le roi Lucius souhaitait que sa sœur et reine se marie, je me suis hâter à prendre le bateau pour faire votre connaissance.
— Qu'est-ce qui vous intéresse ? La royauté ? Ou moi ?
— Je serais malhonnête que de ne pas dire les deux. J'en ai assez de servir quelqu'un, si je pouvais être mercenaire et épouser la reine, je n'en serai que plus heureux. Puis de vous à moi... Panterm est bien plus intéressant que cette pauvre Nation qu'est devenue Irondell.
Je souris, la main encore serrée dans la sienne.
— Bien, pouvez-vous me rendre ma main à présent ?
— Oui bien-sûr, excusez-moi.
Il se munit alors d'un verre qu'un domestique avait posé sur un plateau et le bois d'une traite. Je hausse les sourcils, étonnée de le voir engloutir tout cet alcool si vite. D'un autre côté, je suppose que ces mercenaires voient beaucoup de choses qu'ils préfèreraient oublier.
— Ma douce, accepteriez-vous de danser avec moi ? Propose un homme moins âgé que la plupart des prétendants ici.
— Euh...
— Nous étions en train de parler, grommelle Eliel.
— Qu'importe, tout le monde a sa chance ici, vocifère l'inconnu.
Eliel le fixe d'un air dédaigneux, je le vois serrer son verre de plus en plus fort, à tel point que ses phalanges blanchissent. L'inconnu semble amusé, il garde ce sourire fourbe au coin des lèvres. Il est grand, barbu, il semble très musclé et arrogant.
— Tu sembles impulsif petite brindille. Je me demande ce que Lucius a pu te trouver pour te demander de venir ici.
— Je suis l'un des meilleurs mercenaires des Sept Nations, rétorque Eliel. Tu ne peux pas en dire autant, ici, personne ne te connaît.
— Mais je peux te casser en deux en un rien de temps. Venez Laora, ce bougre ne vaut pas un sou !
Le verre que tient Eliel et qu'il serre depuis plusieurs minutes se brise dans sa paume, les morceaux de verres se plantent dans sa peau, j'en vois le sang qui commence à couler. Ce fracas interpelle tous les convives puisque la musique s'arrête et les regards se tournent vers nous.
Je vois alors Lucius laisser la jolie femme avec qui il discutait pour s'avancer vers nous. Tadëus se trouve derrière lui, un petit peu en retrait. Je lui souris et lui adresse un petit signe de la main mais il détourne le regard, visiblement agacé. Mon sourire s'estompe et je m'intéresse à mon frère qui s'arrête devant nous trois.
— Que se passe-t-il ici ? Demande Lucius.
Eliel retire les morceaux de verre de sa main et les laisse tomber par terre.
— Rien de bien alarmant, Majesté, seulement un petit conflit entre deux prétendants investis, rétorque le barbu.
— Bien, il semblerait que vous soyez tous les deux sur la défensive, je ne me trompe pas ? Reprend Lucius.
Le barbu semble intimidé et il y a de quoi. Lucius est grand, imposant, son aura est sombre et tout le monde connaît la grandeur de son pouvoir.
— Pardonnez-nous, Majesté, répond le barbu.
Eliel demeure muet, il a enroulé un chiffon autour de sa main ensanglantée.
— Que diriez-vous d'un combat ?
— Non, Lucius... je n'ai pas envie qu'ils se battent pour moi, rétorqué-je.
— Je ne te demandais pas ton avis. Cette soirée est trop plate et ennuyeuse. Il nous faut un petit peu de violence, un petit peu de rebondissements !
— Je suis d'accord, intervient Tadëus.
Je lui jette un regard mais le sien est fuyant. Je pousse un soupir.
— Faites ce que bon vous semble mais je n'y participerai pas !
Je quitte la pièce sous le regard curieux des invités. Je monte les marches en tenant le bas de ma robe puis m'assois en haut de l'escalier. Les coudes sur les cuisses, la tête contre mes paumes, je pousse un énième et profond soupir. Je ne sais pas vraiment pourquoi mais la violence me terrifie. Quand je sais ce qui est arrivé à nos parents, ce que l'être humain est capable de faire pour la gloire... je me dis que cette terre n'a pas fini de voir du sang couler. La violence me renvoie dans les Ténèbres, je sais que j'en étais prisonnière et je sais que ce n'est plus le cas, bien qu'ils aient gardé une grande partie de moi et de mes souvenirs.
— Tout va bien ?
Hélène s'assoit à côté de moi, je hausse les épaules.
— Je ne sais pas... je ne suis pas très enchantée par ce bal ridicule, Lucius veut qu'ils se battent et je sais que ce sera un combat à mort. Les convives sont ravis et moi...
— Vous n'espériez pas ce type de soirée, dit-elle.
— Je suis déjà amoureuse...
— Vraiment ?
Je hoche la tête et esquisse un sourire.
— Tadëus est un bel homme, il est prévoyant et m'apportait du bonheur.
— Oh...
Je lui jette un regard.
— Vous semblez déçue ?
— Je n'ai pas entendu que de belles histoires sur le Gouverneur de Dysteria.
— Certes, mais il a bon fond. Tout comme Lucius... seulement, ils aiment la violence parce qu'ils n'ont connu que cela.
Hélène ne rétorque rien, elle regarde devant elle, l'air pensive.
— Si j'avais un jour pensé à me marier, j'aurais choisi Tadëus, poursuis-je.
— Je croyais que vous n'aimiez pas la violence.
— Mais on s'y habitue...
Nous nous jetons un regard. Les yeux verts émeraudes d'Helene me hantent. Elle me rappelle quelqu'un, son visage, sa voix, sa présence... tout est si familier. Je constate qu'elle porte une montre en or, le cadrant est cassé et la montre ne fonctionne plus. Je l'ai vu également quand elle m'habillait et je ne peux m'empêcher de me demander pourquoi porte-t-elle un bijou masculin et qui ne fonctionne pas.
— C'est la montre de mon père, dit-elle en remarquant mon regard insistant sur son poignet. Il est mort en protégeant des amis... nous n'avons pas pu le sauver.
Elle humecte ses lèvres et passe ses mains sur la monte.
— C'est une amie qui me l'a ramenée et qui m'a conté sa triste fin...
— Et où est cette amie ?
Elle me lance un regard embué de larmes.
— Hélène, si vous ne souhaitez pas vous retrouver pendue à l'entrée de Panterm les tripes à l'air, vous feriez mieux de reprendre votre poste, ordonne Lucius au pas de l'escalier.
Hélène s'excuse auprès de mon frère et quitte l'endroit rapidement. Je me relève et descends l'escalier pour lui faire face.
— Tu viens ? Le combat va commencer.
— Je ne te permets pas de parler ainsi à ma servante.
— Elle me dit quelque chose et cela me déplaît. Je l'ai simplement embauchée parce que tu avais besoin que quelqu'un te surveille. Le but n'était pas qu'elle devienne ton amie.
— C'est une bonne personne.
— Je n'en ai que faire. A partir d'aujourd'hui, ce n'est plus ta servante.
— Pourquoi ? M'offusqué-je.
— Parce que tu m'as dit qu'elle te disait quelque chose, non ?
— Tu ne m'as pas écouté, tu m'as coupé la parole, plus obnubilé par mes futurs maris que par moi.
— Je cherche à te protéger.
— Alors pour commencer, laisse Hélène tranquille.
Il reste silencieux un instant avant d'inspirer par le nez.
— J'irai m'entretenir avec elle. En attendant, va prendre place et fais leur honneur. Ces hommes vont se battre pour toi. Sois digne un petit peu. Père et mère n'auraient jamais souhaité te voir aussi mal éduquée.
Je passe à côté de lui, Lucius me saisit le bras fermement ce qui m'arrête aussitôt.
— N'oublie pas que je fais tout cela pour toi. Pour nous.
Je hoche la tête, tout en fixant un point droit devant moi. Il relâche son étreinte brutale et me laisse rejoindre les convives à l'extérieur dans les jardins arrière. Il n'y a pas une seule fleur, elles ont toutes fanées, les arbres sont dénudés et leurs branches maigrichonnes ressemblent à des bras fantomatiques. Une légère brume pose une atmosphère inquiétante et la foule forme un cercle, là où les deux prétendant vont se donner en spectacle.
Je serai évidemment aux premières places, mais je ne peux m'empêcher de me demander où est Lucius et ce qu'il compte faire.
Que va-t-il advenir d'Hélène ?
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