XVII - C'est lui, le roi ?

Je suis plongée dans mes pensées, des pensées dans lesquelles je me demande ce qu'est la vie sans son père ni sa mère. Je me souviens d'Andrei, de son désarroi quand il a appris la mort de son père, quand je lui ai égoïstement caché la vérité. Nous n'avons même jamais revu la reine. Je me rappelle son regard, son amertume, la tristesse que j'avais ressenti en lui.

Dois-je continuer mon périple ? Ou bien retrouver Hélène et lui annoncer cette triste nouvelle ?

J'entends le souffle de Jamésy ainsi que celui de Tristan. Ils creusent tous les deux, nous sommes entre deux Nations, là où la terre se meurt et ils creusent depuis des heures pour que Theodoro puisse reposer respectueusement sous nos pieds.

Ce n'est pas de ta faute. C'est ce qu'il m'a dit et pourtant, je me sens coupable car j'aurais pu agir et je ne l'ai pas fait. Je suis lâche.

— Attendez, soufflé-je quand ils s'apprêtent à transporter le corps de l'Enchanteur.

Je m'accroupis près de lui, je passe mes doigts sur sa jolie montre qui ne fonctionne plus et je la lui détache pour la garder avec moi. Je l'enfonce dans la poche de mon manteau et croise le regard interrogateur de Tristan.

— Hélène a droit de garder un souvenir de son père.

Ils soulèvent finalement son corps et le disposent dans le trou qu'ils ont creusé. Ensuite, je les observe remettre la terre desséchée sur son corps inerte afin de le recouvrir. Les particules de terre recouvrent son visage puis ses vêtements tachés de sang, ses mains et bientôt, je ne distingue plus que le bout de son nez qui disparaît bien vite.

Je garde les mains dans mes poches, serrant la montre dans l'une d'elles. Je m'assois finalement en tailleur devant sa tombe, sans pierre tombale, sans aucun signe rappelant l'homme qu'il était.

Je pose mes mains sur la terre, la compresse entre mes doigts...

— Si je savais faire pousser des fleurs... marmonné-je. Croyez-moi, Theodoro, je l'aurais fait afin que l'on se souvienne de la beauté de votre pouvoir.

Theodoro a donné sa vie pour protéger celle d'un homme qu'il ne connaissait même pas.

— Je lui suis reconnaissant, entends-je dans mon dos.

Je reconnais la voix grave de Jamésy.

— Je suis navrée pour ta sœur, je n'ai pas su me contrôler et...

— Elle était perdue et déjà morte depuis des années, m'interrompt-il. J'aurais aimé la sauver, mais c'est toi qui l'a libérée. Merci Chloé...

Je ferme les yeux, me pince les lèvres et je sens les larmes rouler sur mes joues.

— Nous devrions reprendre la route avant la tombée de la nuit, déclare Tristan.

Je relâche la terre que je gardais dans mes mains puis me relève. Je fais alors face à Jamésy qui m'adresse un sourire compatissant tout en me pressant l'épaule amicalement. Nous remontons sur nos montures volées, je suis derrière Jamésy et Tristan a son cheval.

Nous voilà qui galopons à travers les arbres de la forêt déchue, je garde ma tête collée contre le dos de Jam', ma capuche sur la tête, je ferme les yeux et je me laisse bercer par le vent qui joue dans mes cheveux, par le son des sabots sur la terre sèche...

Le voyage sera long, j'ai dû me battre avec Tristan afin qu'il accepte que nous fassions un détour vers Corvil afin que je puisse revoir Hélène et lui donner la montre de son père. Tristan ne cesse de dire que changer de trajectoire ne fera que nous ralentir et nous apporter des ennuis. Cependant, Tristan a moins de compassion que je n'en ai. Je ne sais pas ce que me réserve demain, je ne sais pas si je resterai en vie suffisamment longtemps pour avoir le temps de voir Hélène. Je ne sais pas non plus si je garderai toute ma tête, je sais que les ténèbres sont vicieux et s'infiltrent dans la tête de ceux qui en détiennent le pouvoir.

Alors que nous avançons au trot, une flèche vient se loger dans le cou de notre cheval. Celui-ci henni et tombe à la renverse, ma jambe se bloque sous son corps lourd alors que Jamésy a la chance de l'éviter. Tristan arrête son cheval cependant une nouvelle flèche se loge dans le corps inerte du cheval qui m'écrase le genou. Je pousse un cri de douleur, plus les secondes passent et plus son poids me brise les os. Jamésy tente de bouger la pauvre bête, mais la flèche qui siffle juste au dessus de sa tête le force à se jeter sur le sol.

Le cheval de Tristan prend peur, il se cabre et le fait tomber en arrête sur le dos. Il prend aussitôt la fuite, au galop, dans cette grande clairière que nous traversions. Jadis, le soleil devait passer par les nuages et faire fleurir toutes sortes de fleurs. La nuit tombe, aucune fleur ne vient habiller ce champ de cendres et les flèches fusent dans tous les sens.

Tristan se presse de nous rejoindre et à deux, ils soulèvent la carcasse du cheval. Je me glisse sur la terre sèche et m'allonge sur le dos un instant tout en fixant le ciel noir. Mon coeur bat fort, ma jambe me fait mal. Une nouvelle flèche vient frôler le bras de Jamésy qui grogne. Tristan s'accroupît près de moi et souhaite me relever mais je l'arrête.

— Non, écarte-toi, grogné-je. Je vais les tuer.

Il s'exécute tandis que j'enfonce mes doigts dans la terre sèche. Je crée la même chose qu'à l'Antre des Délices, des tornades de brumes se chargent de faire sortir de leurs cachettes les archers qui nous ont attaqué. Des cris résonnent dans toute la clairière, je garde les yeux fermés, une forte puissance qui traverse mes veines. C'est dingue, toute cette énergie qui fait frétiller chaque parcelle de mon corps.

— Chloé, stop, ils sont déjà mort, me souffle Jamésy.

Les arbres s'affaissent, certains se craquellent et d'autres sont même coupés, fendus comme si la foudre s'était abattue dessus. Je n'ai pas envie d'arrêter, j'ai envie de tout détruire, j'ai envie de sentir encore cette énergie. Je bouge doucement mes orteils puis je replie ma jambe qui craque. Elle était cassée mais visiblement, ce n'est plus le cas, comme si mon os s'était remis en place seul.

— Chloé, arrête maintenant, entends-je de la bouche de Tristan.

Quand j'ouvre les yeux, il fait nuit noire, les arbres, pour certains, ont été déracinés, la cendre de la clairière vole et la brume forme un épais brouillard, lourd et froid.

Je tourne la tête vers Tristan, il me regarde d'un étrange regard. Cependant, j'arrête tout lorsqu'une voix familière retentit dans notre dos.

— Jolie performance.

Je m'assois et me retourne, je lève alors ma tête quand je reconnais ces chaussures rouges et or. Une jolie cape dorées, sans oublier l'armure qui va avec. L'armure d'un roi. Du moins, de ce que j'en distingue.

C'est Lucius, ou devrais-je dire, la carcasse d'Andreï. Je me relève, Jamésy et Tristan aussi et nous faisons face à notre ennemi.

— N'est-ce pas fabuleux ? Toute cette puissance qui vit en toi chaque fois que tu utilises tes pouvoirs ?

Je ne rétorque rien, je jette un regard à Tristan, il garde sa tête baissée et fixe ses pieds comme si faire face à cette partie de Lucius le terrifiait.

— Il nous faudrait tout de même un petit peu de lumière, tu ne crois pas ?

Je demeure muette.

— Darius ! Lumière !

Au loin jaillit du feu et doucement, ledit Darius s'approche de nous. Je le reconnais bien évidemment. L'acolyte de Josépha. Il a survécu à sa chute lui aussi. Enfin, il éclaire le visage d'Andreï, ses yeux sont noirs, on n'en distingue plus aucune lumière, même plus le blanc de ses yeux. C'est vide. Le néant.

— Andreï ? Souffle Jamésy.

C'est alors que Lucius ferme les yeux comme bousculé et lorsqu'il les rouvre, ce sont de nouveau des prunelles noisettes, humaines...

— Qu'est-ce que...

Il regarde autour de lui.

— Qu'est-ce que...

— Attachez-le, soufflé-je.

— Quoi ? Marmonne Jam'.

— Attachez-le !

Tristan se charge d'ouvrir la sacoche que portait notre cheval et d'en sortir une corde qu'il enroule autour des bras et des jambes du roi. Darius s'apprête à utiliser ses pouvoirs cependant je tends la main vers lui. La puissance de la brume et le vent qu'elle émet éteint la flamme qui se formait au creux de sa main.

Je croise son regard, malgré l'obscurité environnante, les nuages laissent enfin entrevoir les reflets de la lune. Je garde le bras tendu et je serre la main brusquement. Son corps tout entier se tord dans un craquement sinistre. Un souffle saccadé sort de sa bouche. Lorsque je relâche le poing, son corps retombe mollement sur le sol. Il mérite cette sentence pour ce que lui et Josépha ont fait à mes amis.

Alors que Tristan se charge d'attacher le prince avec Jamésy, je vois tout de même qu'il me jette un regard suspicieux.

— Quoi ? Grommelé-je. N'as-tu jamais tué personne, Tristan ?

— Ça ne te ressemble pas...

— Où suis-je... souffle Andrei se laissant faire mollement.

— T'en fais pas petit prince, on va te sauver la vie. Tu nous remercieras.

—  Je ne me souviens de rien...

— Tu nous as ramené le troisième objet obscur.

Un objet obscur que Tristan récupère sur le corps inerte de Darius. Visiblement, Lucius lui avait confié. À croire qu'il sait rapidement oublier à qui il faisait confiance auparavant. Il enfile le manteau qui s'ajuste à sa taille et pousse un profond soupir de bien-être.

— Retournons à Corvil, déclaré-je. Nous l'enfermerons dans les cachots de mes parents.

— Quoi ? Miaule le prince.

— Chloé... il n'y est pour rien, intervient Jamésy.

— Tu voulais voir le roi ? N'est-ce pas ?

— Oui mais...

— Alors le voici, mais il ne sera pas libre tant que l'Invocateur de l'Ombre sera toujours en lui.

Je vois Tristan se mordiller les lèvres et finalement, il fait avancer Andreï qui traîne des pieds, complètement déboussolé. Jamésy me fixe un long moment, lui aussi semble me juger alors qu'il oublie que je viens de leur sauver la vie. Même si, lui, vient de réveiller Andrei. Ce fut si brutal... mais si simple à la fois. Je dois continuer à me méfier, Lucius joue peut-être une entourloupe.

Finalement, Jam' suit Tristan qui a déjà pris un petit peu d'avance et moi, je reste un instant ici. Là où les arbres ont été malmené, ou des corps gisent probablement quelques mètres plus loin, avec celui de Darius presque à mes pieds...

Cette énergie... elle vit en moi, elle anime mon corps, circule dans mes veines. Mais cette énergie est obscure et Lucius a raison...

C'est fabuleux.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top