XVI - Tu redeviendras poussière
Je tire Tristan sur le sol, le pauvre ne tient plus sur ses jambes. Je tombe en arrière sur les fesses et je tiens sa tête contre moi. Il grimace et lève ses yeux cernés vers moi. Cette femme l'a torturé et la dague lui a fait beaucoup de mal. Sans compter qu'il s'est presque vidé de son sang. Je crains qu'il ne tienne pas... ses dents s'entrechoquent, mais il m'adresse un sourire en coin.
— Pour une fois tu me sauves la vie... balbutie-t-il.
— Même en train de mourir, tu continues ton arrogance.
— Avec toi, c'est inévitable...
Je souris légèrement mais je sens mes yeux me brûler. Jamésy s'est chargé de libérer Theodoro. Nous avons dû tuer la dizaine de gardes qui se trouvaient dans la demeure, Jam' s'en est chargé et je n'ai fait que chercher Tristan. Je ne sais pas où ils sont à présent ni même où se trouve cette femme. Mais cela s'entend, de l'autre coté de la grande porte battante, une bataille fait rage.
Nous entendons deux gros bruits distincts contre le mur avant que quelqu'un ne passe à travers. C'est Jamésy, allongé dans les gravats, il toussote alors que sa sœur nous rejoint dans la pièce. Elle présente une balafre sur la joue, du sang en coule. Dans sa main droite, elle tient sa dague, autour de son cou, le collier trône... la cicatrice sur sa joue se referme lentement. Je sens Tristan s'appuyer sur le lit et s'accrocher aux draps pour se relever, alors je fais de même.
Jamésy se relève à son tour, seulement un mètre devant nous, son sabre toujours bien en mains. Sa sœur, Elena, lance la dague en ma direction. Je n'ai pas de bons réflexes, c'est Tristan qui, en tendant son bras sur la droite, saisit le poignard en refermant la main autour du manche. Je louche sur la lame dorée qui manque de chatouiller mon visage. Tristan la tourne finalement dans sa main, il n'est pas en forme, je sens qu'il rassemble ses dernières forces.
— Tu vas me le payer, grogne-t-il.
Jamésy commence alors à utiliser son sabre, toujours de façon habile, mais elle évite chacun de ses coups. Tout en reculant, elle attrape l'épée qui reposait dans les mains d'une armure de décoration. Cependant, à entendre le bruit qu'émet le choc du sabre de Jam' contre l'épée, ce n'était clairement pas une fausse armure. Tristan se concentre et lance le poignard, il se plante dans lavant bras d'Elena qui pousse un cri. Elle se penche en avant et quand son frère abat son sabre sur elle, de son autre main, elle saisit sa lame tranchante. Du sang coule sur son bras, puisqu'elle lutte contre la force de son petit frère. La dague se déloge de son avant-bras gauche et retourne dans la main de Tristan. Je le retiens, il souhaite s'interposer, cependant, ce n'est pas de notre ressort.
— Elena ! Je t'en prie, reviens à toi !
— Tu ne m'enlèveras pas ce qui m'est cher !
— Je suis ton frère ! Tu ne peux pas me remplacer par un collier !
Elle reste silencieuse un instant avant de pousser un grognement pour se donner de la force. Elle frappe le genou de son frère, alors il perds l'équilibre, de sa main, lui arrache le sabre qu'elle jette sur le sol avec quelques gouttelettes de sang. Jamésy relève la tête vers elle, son pied s'abat alors contre son visage. Il tombe en arrière, elle ramasse le sabre et le lève au dessus de lui.
Je ne sais pas pourquoi, cependant je reste plantée là, sans rien faire. Je suis comme présente mais absente à la fois. Mon coeur s'emballe, mon ouïe se brouille...
— Sevuort et ut ùo sias ej...
Je ne réponds plus de moi, perdue dans ce néant, à entendre sa voix, à peiner à comprendre ce qu'il me dit. Cette voix miroir, qui provient de si loin... sa puissance ne fait qu'accroitre et cela ne s'arrêtera pas.
— Éut sa'l ut...
Je ne comprends rien...
— NON !
Je reviens à moi, je prends une inspiration et ouvre grand les yeux. C'est Tristan qui vient de crier. Ce que je vois devant moi me fend le coeur, je prends un certain temps avant de réaliser ce qu'il se passe. Theodoro s'est interposé entre Elena et son frère, cependant, il n'a pas eu le temps d'utiliser ses pouvoirs. Le sabre s'est planté dans son ventre et ressort par son dos. Elena insiste, et lorsqu'elle le retire de sa plaie, elle l'éventre sur plusieurs centimètres. Theodoro tombe aussitôt sur ses deux genoux, les mains sur le ventre, avant de s'affaler tête la première sur le sol, baignant dans son propre sang.
Je n'attends plus, je ne me contrôle plus. Je tends ma main vers elle, elle est alors plaquée contre le mur brusquement, celui-ci se fissure. Je m'approche d'elle tout en serrant lentement le poing que je tourne. Elle lève la tête, les jambes et les bras tendus, crispés. Les veines de son cou saillent... lorsque j'arrive près d'elle, j'entends Jamésy m'appeler.
— Chloé... souffle-t-il.
— Je suis désolée... marmonné-je en relevant le menton.
J'entoure le cou d'Elena de ma main et je serre, si fort qu'elle entrouvre la bouche. La brume sort du sol et entoure ses chevilles, ses mollets, ses jambes, ses bras... doucement elle recouvre tout son corps tandis que ses veines ressortent, sur son visage, son cou, ses bras nus... elles deviennent noires, et lorsque la brume vient recouvrir son visage, je la lâche et je recule d'un pas. La brume s'évapore dans les airs et des craquements retentissent. Sa peau craquelle lentement, se fissure et des lignes s'enchevêtrent sur sa peau, forment des crevasses comme pour Josépha... doucement, elle part en poussière, dans un silence macabre.
Mon coeur bat si lentement que je crois ne plus respirer mais je reviens à moi lorsque j'entends Theodoro gémir.
Je me laisse tomber à genoux, près de son corps, Tristan le tient contre lui, la main sur les siennes tentant de tenir son ventre et ses organes. J'appuie moi aussi, et de ma main libre, je la pose sur sa joue.
— Pitié... restez avec nous... j'ai promis à Hélène... je vous en prie...
Je sens les larmes couler sur mes joues, mon coeur se serrer et se remettre à battre rapidement.
— Chloé... susurre-t-il. Ce n'est... ce n'est pas... de ta... fau...
Ses yeux se figent et se vident de toute vie quand un dernier soupir passe le seuil de ses lèvres. Je bloque ma respiration un instant.
— Theodoro ! Reveillez-vous, pitié ! Pitié ! Reveillez-vous !
Je colle ma tête contre son torse et ne peux m'empêcher de pleurer. J'entends également les sanglots de Jamésy agenouillé dans les cendres de sa sœur, le collier entre les mains.
— Je suis désolée... je suis désolée... répété-je.
Je ne sais pas me contrôler. Je détruis tout. Je tue. Je suis un monstre.
— Jam', pitié... aide-le, aide-le.... Je t'en supplie...
— Je ne peux pas... marmonne-t-il.
Je lui jette un regard, il est toujours agenouillé dans les cendres de sa sœur, le visage inondé par ses larmes, l'air anéanti, épuisé, vaincu.
— Il est mort, Chloé. Je ne peux pas ramener les morts à la vie...
Je passe mes doigts sur les paupières de Theodoro afin de lui fermer les yeux, je reste un instant à le regarder, à me blâmer. J'avais promis à Hélène de retrouver son fils et son père et de les lui ramener sains et saufs. Cependant Theodoro n'est plus...
Tristan dépose doucement sa tête sur le sol et se relève. Il se tient au mur, du moins ce qu'il en reste avant de se laisser glisser contre celui-ci, les jambes tendues dans la poussière.Il regarde le plafond un long moment tout en poussant un profond soupir. Il est à bout. Je vois alors Jamésy s'approcher de lui, puis poser ses mains sur son torse nu et marqué. Il prend une grande inspiration, la tête en arrière, il ferme les yeux et se concentre. Je vois que les muscles de ses bras se contractent de façon régulière, ses doigts aussi. C'est comme si je pouvais voir la douleur passer dans ses veines. Il est en train de prendre son mal, afin qu'il puisse guérir.
Les Guérisseurs ont permis à beaucoup de gens, notamment durant les guerres, de survivre à leurs blessures. Mais effectivement, un Guérisseur ne peut ramener un mort. Si le coeur s'arrête de battre, il n'est plus possible de le réparer.
Je tire le drap du lit que je laisse reposer sur le corps inerte de Theodoro. Je pose une main sur ma poitrine, là où se trouve mon coeur et je ferme les yeux un instant.
— Je vous promets de veiller sur votre fille et petit-fils. Jamais je ne laisserai une telle chose arriver. Je vous promets... de lutter...
Je rouvre les yeux, un larme roule sur ma joue au même moment. Je renifle et l'essuie d'un revers de la manche. Je me laisse glisser contre les ruines du mur à travers lequel est passé Jamésy et m'assois à côté de Tristan. Il tourne doucement sa tête vers moi pendant que Jam' continue d'user de ses dons pour le maintenir en vie. Tristan arbore un visage marqué par la douleur, ses lèvres sont gercées, sèches, ses yeux cernés, son teint blafard...
Il plonge ses yeux dans les miens pendant que, lentement, il saisit ma main, passe ses doigts entre les miens et serre ma main dans la sienne. Je lis dans son regard une grande compassion, quelque chose que j'ai rarement vu dans ses yeux. Ce regard empreint d'humanité me rappelle celui qu'il avait le jour de sa chute de cette tour.
Je ne sais pas pourquoi, mais d'un seul regard, je le comprends et cela me réchauffe le coeur, malgré ces trous béants impossibles à boucher.
Ce regard veut tout dire.
Je suis là.
Et cela me suffit.
Alors oui, Theodoro, je vous promets de lutter contre les Ténèbres qui s'infiltrent en moi. Je vous promets de lutter contre Lucius et contre toute autre forme de Mal qui risquerait de nuire à la vie de votre famille. Parce que c'est ce pour quoi vous vous battiez.
Maintenant, je ne suis plus seule.
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