XIV - En contre partie

— Je m'appelle Jamésy, mais tu peux m'appelle Jam'.

L'homme me tend la main, je me redresse alors et la lui serre. Il ne semble pas effrayé par moi et il faut dire que vu comme il manie le sabre, ce n'est pas difficile. Il pourrait tuer tout le monde en un rien de temps.

— Je me nomme Chloé, merci de m'avoir aidée.

Il m'adresse un bref sourire puis m'invite à le suivre, ce que je fais. La rue que nous avons traversé est dorénavant abîmée par les Ténèbres qui s'y sont faufilés mais au moins, je crois que les tornades et l'Ombre Obscure ne sont plus qu'un lointain souvenir.

Nous marchons dans les rues, entourés de grandes maisons aux briques grises. Chaque toit de maison est doté de guirlandes qui, la nuit, s'allument en même temps. D'après Jamésy, les maisons inhabitées ne s'allument pas ou alors, les familles en deuil laissent leurs lumières éteintes. Ici, la lumière est importante, bien plus que celle du soleil.

— Alors Chloé, tu es quoi exactement ? On ne peut pas dire que tu aies l'air d'une Enchanteresse, tu me sembles plus puissante et puis... tu ne manies pas les éléments, du moins... rien de naturel.

Il marche devant moi, son long manteau ressemble à une cape, elle flotte derrière lui et son sabre est bien accroché à ses hanches.

— Et toi... où as-tu appris à te battre comme cela ?

— Je suis un guérisseur, je tiens cela de ma mère, et j'ai appris à manier le sabre avec mon père. Jadis, Arkacia détenait une forte armée de soldat, mon père en faisait partie, c'était le meilleur d'entre eux. Il m'a inculqué son don, je lui en suis reconnaissant.

Nous tournons dans une nouvelle ruelle où des enfants jouent à courir après un pauvre poulet.

— Il n'y a plus d'armée ? M'enquis-je.

— Les soldats du roi oui, ils se battent à l'épée maintenant. Mais le sabre n'est plus aussi populaire qu'auparavant.

Nous entrons dans une maison aux fenêtres grandes ouvertes. Ici, des jeunes femmes pétrissent du pain, quand d'autres dépècent de la viande. Jamésy m'emmène à l'étage, trois escaliers plus loin, nous voilà dans sa chambre. Il s'assoit sur son lit et retire ses bottes tout en poussant un profond soupir de plaisir lorsque ses orteils sont libérés. Je croise les bras et observe autour de moi, c'est une pièce sous les combles. Un bureau, un lit et une plante verte.

— Je loue cette chambre aux femmes que tu as vu en bas. Cela me permet d'avoir un chez moi où je suis tranquille.

— Tu payes cette chambre avec...

— Principalement oui, mais je ne me bats pas tous les jours. En réalité, je suis plus un spectacle qu'autre chose. Ma sœur me demande d'y participer pour attirer de plus en plus de monde.

— Ta sœur...?

— Elena, la femme qui a poignardé ton ami.

— Qui est-elle exactement ? Est-ce que l'endroit où nous étions lui appartenait ?

— Arkacia lui appartient. C'est elle la Gouvernante de cette Nation.

Une femme de pouvoir détenant deux Objets Obscurs... cela n'annonce rien de bon. Si Jamésy est son frère, je sens que le prix à payer sera de conséquence.

Mais avant cela, nous avons droit à une succulente soupe de lentilles et je l'avale toute entière. Chaque fois que j'utilise mes pouvoirs, je suis affamée, comme une bête sauvage.

Après m'être rassasiée, je m'avance vers la toute petite fenêtre qui émet de la lumière dans la pièce et j'observe Arkacia. La nuit commence à tomber, les lanternes et les guirlandes à s'allumer... c'est une belle ville, avec beaucoup de personnes dangereuses, visiblement.

— Alors... soufflé-je hypnotisée par les lumières s'allumant une par une, quel est le prix pour obtenir ton aide ?

— Je ne cherche pas d'argent, je ne cherche pas le luxe... répond Jamésy.

Je me tourne vers lui. Il est allongé sur son lit et fixe le plafond, les bras sous la tête.

— Si je t'aide, je veux que tu m'emmènes jusqu'au roi des Sept Nations.

Je m'apprête à parler mais il lève sa main.

— Pas la peine de me faire croire que tu ne le connais pas.

Jamésy se redresse et s'assoit au bord du lit pour sonder mon regard.

— Je vois qui tu es, reprend-il, je sais ce qui est arrivé à Panterm et une autre Nation plus au Nord.

— Mais pourquoi...

— La raison ne te regarde pas, m'interrompt-il.

Il se lève enfin, il remet le fourreau autour de ses hanches, son sabre rangé soigneusement à l'intérieur puis il s'avance vers moi et me tend la main.

— Si tu me serres la main, notre marché sera conclu et aucun retour en arrière ne sera possible.

Je pose ma main dans la sienne puis il poursuit :

— Qu'importe l'ampleur de tes pouvoirs, je n'hésiterai pas à te confronter.

Je la serre, d'une poigne ferme, tout en affrontant son regard insistant. Je ne me laisserai pas écraser. Je l'emmènerai à Andreï, cependant, je ne peux pas lui dire ce qu'est Andreï pour le moment. Lorsqu'il m'aura aidée à sauver Theodoro et Tristan, alors je réfléchirai à l'idée de lui faire part du sort du roi. Toutefois, j'ai déjà en tête que s'il tente quoi que ce soit à mon encontre ou celle de mes amis, je le tuerai comme j'ai tué Josépha.

Il m'adresse un sourire puis me lâche la main. Il s'avance vers son bureau puis sort d'une petite boîte métallique ce qui ressemble à un cigare. Il le pose au coin de ses lèvres puis à l'aide d'une allumette, l'embrase  pour pouvoir aspirer le tabac glissé à l'intérieur.

— La dague était un Objet Obscur, pas vrai ? Reprend-il le cigare au coin des lèvres. 

Il agit comme un vieil homme alors qu'il ne me parait pas bien plus âgé que moi.

— Oui...

— Ton ami a été idiot de le donner à ma sœur.

— Tristan est... têtu et trop sûr de lui parfois.

— Il a de quoi, grommelle-t-il. Il était à deux doigts de tuer l'Ogre et crois-moi, personne encore n'avait tenu aussi longtemps.

Probablement parce que Tristan cache en lui un immense pouvoir. Mais Jamésy n'est pas obligé de le savoir.

— Ma sœur détient un Objet Obscur également. Un beau collier qu'on lui a offert quand elle était plus jeune. Moi je n'étais qu'un petit bébé à cette époque alors... je ne m'en souviens pas. Mais... elle l'a toujours porté et ça n'a fait qu'empirer au fil des années.

Il est assis sur la chaise de son bureau, l'air pensif.

— Que veux-tu dire ?

— Ma sœur m'a toujours dit qu'elle devait protéger cet Objet et qu'il lui permettait de rester forte et belle. C'est comme si toute la noirceur de ce collier la faisait pourrir de l'intérieur... je ne la reconnais plus depuis bien longtemps maintenant.

Un Objet Obscur entre de mauvaises mains peut faire beaucoup de dégâts. Je me souviens parfaitement de ce que je ressentais lorsque je portais le manteau. Un contrôle absolu, un pouvoir qui ne cessait de grandir... seul Tristan semble assez fort pour le garder sur ses épaules sans devenir fou.

— Il faut qu'on lui retire ce collier... marmonne Jamésy tout en tirant sur son cigare.

— Penses-tu que cela changera quelque chose ?

— Non... je pense qu'il est trop tard. Les Ténèbres sont dans sa tête... mais je préfère que ma sœur devienne un légume et que je doive m'en occuper le restant de mes jours plutôt  que le monstre quelle est en train de devenir.

Les Ténèbres sont un virus, ni plus ni moins. Plus j'en apprends dessus et plus je me rends compte qu'il est impossible de rendre cette force bienveillante. Que serait un monde sans Ténèbres ? Je m'efforce d'être quelqu'un de bien, cependant je me rends bien compte que je risque de finir comme la sœur de Jamésy... le pouvoir est puissant et je le sens en moi, constamment. J'ai tué l'Invocatrice de Lumière en la touchant simplement... comme un virus, ma noirceur s'est propagée en elle. Alors que vais-je devenir ?

— Quel est le plan ? Soufflé-je toujours près de la fenêtre.

Dehors il fait nuit noire, mais Arkacia est éclairée par ses milles lumières, par cet arc-en-ciel scintillant.

— Nous attendrons que les cloches sonnent minuit puis nous nous infiltrerons dans son domaine. Nous retrouverons tes amis, nous lui déroberons le collier et nous mettrons ma sœur en lieux sûrs... ensuite, tu devras tenir ta part du marché et payer ta dette.

Il souhaite voir le roi, cependant, rien n'est sûr. Peut-être qu'Andreï n'est plus qu'une coquille vide à l'heure qu'il est...

Jamésy me prête l'une de ses capes, ainsi, je peux dissimuler mon visage sous la large capuche afin qu'on ne me reconnaisse pas. Les habitants d'Arkacia savent qui je suis à présent et ils ont été témoin du désastre survenu par ma faute à l'Antre des Délices.

Alors je me dois de devenir un fantôme pour le restant du voyage. Cependant, rien n'est moins sûr avec la voix de Lucius qui ne cesse de résonner dans la tête chaque fois que je ferme les yeux...

Iom se ut. Iot sius ej.

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