XIII - Les jeux

Ce matin, je remets mes vêtements mais cette fois-ci, nettoyés. Cependant, ils sont encore un petit peu humides. Je rattache mon pantalon, je rentre mon chemisier plus si blanc dedans puis je mets mon corset marron par dessus. C'est Theodoro qui se charge de le serrer. Il est plus doux que ne l'était Hélène même si ça reste désagréable. Je me tiens au miroir et je le regarde à travers le reflet s'affairer à le serrer et le lacer.

— J'avais l'habitude de lacer le corset de ma fille quand elle était plus jeune. J'ai toujours fait en sorte qu'elle ne souffre jamais.

J'esquisse un sourire tout en demeurant muette, toujours tourmentée par la soirée que j'ai passé. Theodoro est un bon père, j'espère qu'il pourra retrouver Hélène très vite.

— La pauvre a souffert lorsque le père de son fils est mort...

— Comment est-il mort ? m'enquis-je.

— Son père était un Changeur de Peaux, il a été tué par le roi lorsqu'il a été attrapé. Il volait, des bijoux notamment, pour les offrir à Hélène.

— C'est cruel...

— Les Changeurs de Peaux tuent pour prendre la peau d'un autre... ils sont cruels eux aussi.

Il n'a pas tort. Je me demande combien de personnes Tristan a tué pour prendre leur apparence.

En parlant du loup, Theodoro termine juste de lacer mon corset que Tristan rentre dans la chambre et nous fait sursauter.

Nous nous tournons vers lui alors qu'il affiche un large sourire.

— Je crois que l'Objet Obscur est ici.

— Comment ça ? m'étonné-je.

— Il y a une pièce aux sous sols, je sens son énergie. C'est certain, des jeux s'y déroulent. C'est à nous d'y aller, on aura peut-être une chance de l'emporter et de récupérer l'objet.

— Tristan... je ne suis pas certain que...

Tristan lève son doigt pour faire taire Theodoro.

— Ne me remerciez surtout pas. Allez, dépêchez vous.

Il quitte la pièce et je jette un regard à Theodoro, ce dernier semble agacé par le comportement de Tristan. Je peux le comprendre, c'est un personnage plutôt détestable, son sarcasme, son arrogance... mais pourtant... je ne parviens pas à le haïr, je ne sais même pas si j'y parviendrai un jour.

Nous descendons aux sous-sols, guidés tous les trois par une jolie femme rousse aux attribues généreux. Nous voilà alors dans un long couloir sombre et nous entendons des rires provenir d'une pièce. Dehors, il semblait que le soleil rayonnait et dans ces sous-sols, c'est comme s'il faisait nuit... J'aimerais mieux profiter de l'extérieur que de m'amuser à des jeux étranges avec des inconnus.

La femme pose sa main sur la poignée et se tourne vers nous.

— Bons jeux, voyageurs, dit-elle en nous souriant.

Elle ouvre finalement la porte et nous voilà invités à ce qui ressemble à des jeux, sauf que... ces jeux me paraissent mortels. Il y a une cinquantaine de personne qui balancent des pièces d'or dans ce qui ressemble à une mini arène. Ici, les murs sont peints de rouge, les guirlandes recouvrent le plafonds et l'illuminent de lumière blanches et rouges et les poutres de "l'arène" sont dorées.

Je me tourne vers Tristan, ce qui me laisse le temps de voir que la femme a refermé la porte. Je l'arrête avant qu'il ne me dépasse.

— Es-tu vraiment certain de ce que tu avances ? commencé-je. Ici... ça ne semble pas être les mêmes jeux qu'hier et d'ailleurs, on dirait que c'est illégal.

— Qu'est-ce qui est légal dans ce monde, Chloé ?

— Pas... ces jeux !

— Tu es une Invocatrice de l'Ombre et tu te sens incapable d'affronter tout un tas d'imbéciles accros à l'argent ?

Il penche la tête sur le côté en disant cela. Je le lâche, retrousse mes lèvres et pousse un grognement.

— Je préfère être lâche, grommelé-je.

— Tu ne l'étais pas hier quand tu m'observais batifoler avec la jolie serveuse.

Ma main heurte aussitôt sa joue, elle rougit mais sa tête, elle, ne bouge pas. Il esquisse un sourire en coin tandis que je le fusille du regard.

— Tu es répugnant, Tristan.

— Toi, tu es sacrément belle quand tu agis comme ça...

— Vas te faire v...

Un cri me fait taire, je me retourne et nous nous approchons de l'arène pour voir un homme hurlant à la mort. Il est à genoux, tient son bras qui n'a plus de main. Celle-ci gît par terre, dans une mare de sang et l'homme ne cesse de hurler, encore et encore. L'homme qui se bat contre lui fait le tour de l'arène et laisse comprendre aux spectateurs de faire du bruit. Ceux-ci, probablement encore ivres de la veille, crient à l'unissons et continuent de balancer des pièces d'or. L'homme est encapuchonné, impossible de le voir, ses vêtements sont noirs, il est armé d'un très long sabre tranchant et étincelant. Finalement, il fait un tour sur lui-même et les cris de sa victime cessent.

J'écarquille les yeux lorsque je vois que sa tête n'est plus rattachée à son corps qui tombe d'un côté tandis que sa tête roule jusqu'aux pieds de l'homme qui essuie son arme qu'il range dans son fourreau. Après cela, il ramasse les pièces d'or qui lui ont été jetées et quitte l'arène, serein.

— Qui est-ce... soufflé-je.

— Un sacré adversaire visiblement, marmonne Tristan.

— C'est un tueur, non un adversaire, bougonne Theodoro. Dans quoi tu nous a embarqué encore, Tristan.

Une femme entre alors dans l'arène pendant que d'autres nettoient le carnage laissé là. Elle arbore une peau halée, des vêtements fins et élégants, comme des bijoux et un sublime collier avec un émeraude scintillant au cou. D'ailleurs, Tristan le pointe du doigt.

— Là, c'est l'Objet Obscur, me murmure-t-il à l'oreille.

Ce sublime collier serait ensorcelé par Lucius ? Cette femme à la peau dorée et aux cheveux frisés anime les jeux visiblement.

— Vous avez apprécié le spectacle ? demande-t-elle puis fait mine de tendre l'oreille.

Les spectateurs s'exclament. Évidemment qu'ils ont aimé, ils sont là pour voir des gens mourir.

— Vous en voulez encore ?!

Toujours les mêmes cris.

— Comment allons-nous lui dérober ? demandé-je à Tristan.

Je m'appuie sur son épaule, me perche sur la pointe des pieds et lui se penche légèrement sur le côté pour que je puisse lui parler à l'oreille et qu'il m'entende.

— On va être les gagnants des prochains jeux.

— On va se faire tuer ! couiné-je.

— Mais non, on envoie le grand-père, il a des pouvoirs non ?

— Hors de question !

— Chloé, si tu y vas et que tu montres tes pouvoirs, tu seras traquée et moi... j'ai pas envie d'abîmer mon si beau visage.

Je lui donne un coup sur le bras et me décale tout en soupirant.

— Qui souhaite être le prochain gagnant des jeux ? demande la femme.

Plusieurs personnes se désignent, alors autant rester en retrait et chercher un autre plan.

— Pourquoi pas l'un de vous, voyageurs ?

Tous les regards se braquent alors sur nous trois. Nous sommes tous surpris, parce que nous n'avons aucune envie d'entrer dans cette arène et probablement y vivre nos derniers instants. Je secoue la tête, il est hors de question que j'y aille. Si je frôle la mort, je suis capable d'abattre les Ténèbres sur Arkacia et d'attirer Lucius ici. Je sais déjà qu'il est sur mes traces, je dois user de mes pouvoirs le moins possible.

— Je vais y aller, me souffle Tristan.

Je hausse les sourcils, je n'ai aucune envie de le voir souffrir.

— Tristan, non...

— J'ai la dague, donc je contrôle mon pouvoir et je vais en faire voir de toutes les couleurs à mon adversaire.

Il passe entre les spectateurs excités par ce qu'ils vivent alors que je sens mon coeur se tordre. Une angoisse monte en moi, je ne veux voir ni Tristan ni Theodoro se battre contre quiconque. Tristan entre dans l'arène qui n'a aucune porte ni barrière, ce sont simplement six poutres dorées qui délimitent l'arène. Il se place au milieu de ce cercle doré, près de cette femme et de l'Objet Obscur que nous recherchions.

— Donne-nous ton nom étranger, dit-elle.

— Tristan, votre altesse.

Elle sourit et attrape son bras pour le lever, alors la foule s'exclame à nouveau.

— Faites du bruit pour Tristan mesdames et messieurs.

Où sommes nous tomber... j'ai l'impression d'être dans un autre univers, dans un autre monde, loin du soleil et de la sérénité d'Arkacia.

— Tristan, vous vous battrez contre l'Ogre !

Ledit Ogre entre à son tour dans l'arène...

— Il est mort, me murmure Theodoro.

Je reste immobile, la bouche béate. L'Ogre est gigantesque, il dépasse les deux mètres, il est large, bedonnant mais ses bras sont aussi gros que des troncs d'arbre. Son crâne est sans cheveux apparents, son menton en avant, sa bouche pincée à tel point que ses mâchoire du bas ressortent et laissent apparaître ses dents pointues, ses vêtements, eux, sont beaucoup trop petits.

— Le jeu est simple, Tristan, reprend la femme. Survivez, sans votre dague.

Mon coeur rate un battement, alors je pousse les personnes devant moi pour me rapprocher et mieux voir. Je n'en crois pas mes yeux ni mes oreilles, cette femme est au courant. Elle tend la main.

— Donnez-moi la dague, insiste-t-elle.

— Hors de question, grogne Tristan.

— Ce sont les règles du jeu.

Il commence alors à être hué de toute part, pouces en bas.

— Vous ne vous faites pas d'amis en ne respectant pas les règles du jeu, vous ne gagnerez pas d'argent et perdrez sûrement plus...

À contre coeur, Tristan lui donne sa dague, Theodoro s'exclame qu'il est complètement fou, notamment car il donne un Objet Obscur à quelqu'un qui en porte déjà un. Je la vois sourire de là où je suis, elle lui souhaite bonne chance puis quitte l'arène pour que les jeux commencent.

Un sablier à taille humaine est retourné par quatre personnes, Tristan a en tout, cinq minutes pour survivre contre un Ogre gigantesque et probablement affamé. D'ailleurs, le monstre n'attend pas une seconde pour se jeter sur lui en poussant un grognement qui n'a rien d'humain. Je serre les manches de ma chemise, me mordille les lèvres jusqu'à ce que le goût du sang imprègne ma langue... j'ai peur, tellement peur.

Tristan est vif, fort heureusement, il se baisse et évite de se faire attraper par l'Ogre, celui-ci se retourne lentement. Il est si grand qu'il est lent, alors peut-être a-t-il une chance. L'Ogre recommence sa tentative, bras en avant, il tente de saisir Tristan qui se baisse à nouveau et l'esquive, se retrouvant dans son dos. Cette fois, la bête se retourne en balançant son énorme bras. Sa main atteint Tristan qui est propulsé quelques mètres plus loin. Il glisse sur le sol poussiéreux et humides, il finit sur le ventre et tousse à s'en décrocher les poumons.

— Relève-toi... marmonné-je pour moi-même.

Tristan est fort, bien plus que ce qu'il ne montre. Je l'ai vu détruire la porte d'un cachot, je l'ai vu mettre en miette une propriété toute entière et survivre à une chute mortelle...

Tristan s'appuie sur ses mains pour se relever, il se met à quatre pattes, visiblement le souffle coupé. L'Ogre appuie son pied sur son dos, il est de nouveau étalé sur le sol à plat ventre. Je pose ma main sur ma bouche, la respiration coupée pendant que la foule est en transe, à jeter des pièces d'or sur l'arène. Theodoro saisit mon autre main et la serre dans la sienne. Je ne cligne même plus des yeux tant je suis tendue et terrifiée.

Le monstre attrape alors la chemise de Tristan pour le redresser. Le pauvre ne touche même plus le sol, face à celui-ci. Sa chemise craque et il s'affale à nouveau sur le sol. Je l'entends gémir. Il s'appuie tout de même sur ses mains pour se redresser et lorsque l'Ogre souhaite abattre de nouveau son pied sur son dos, il roule sur le sol pour l'éviter. Mon coeur bat de plus en plus vite.

Je regarde le jeu puis le sablier, puis le jeu et encore le sablier...

Tristan se relève finalement, il ne lui reste que ses chaussures et ses pantalons comme vêtements. Son torse est sali par la poussière et rouge suite aux coups qu'il s'est reçu à plusieurs reprises. Il donne un coup de poing dans le ventre de l'Ogre mais ce dernier ne cille pas. Il lève la tête vers l'Ogre qui lève son poing puis le rabaisse rapidement pour l'écraser. Je crois que c'est la fin mais Tristan arrête son attaque en saisissant son bras. Ce geste semble étonner tout le monde, alors la foule se tait, le silence s'abat sur la pièce et de son autre main, Tristan lui assène un nouveau coup de poing dans le ventre. Cette fois, l'Ogre est propulsé en arrière et se cogne contre une poutre. De la poussière tombe du plafond. La bête reprend ses esprits pendant que Tristan fait craquer ses phalanges. Sa force est surhumaine.

— Approche, vilaine bête... s'amuse Tristan prêt à en découdre.

Cependant, la dague qu'il a donné quelques minutes plus tôt à la femme se plante dans le bas de son dos. Le silence reste tel qu'il était déjà depuis plusieurs secondes cependant je pousse un cri.

— NON !

Les lumières au plafond vacillent, elles s'éteignent quelques secondes puis se rallument... Je respire fort, les regards sont braqués sur moi. Nous avons été piégé et il n'était pas question que Tristan gagne, c'est pour cette raison que cette femme au collier a agi ainsi. Cependant, elle vient de réveiller la colère en moi.

Les mâchoires serrées, le regard noir, j'écarte les bras de part et d'autre de mon corps, et je les lève doucement, comme Esmeralda me l'avait appris. De la brume commence alors à sortir tout doucement du sol, les gens présents s'écartent lentement au début et lorsqu'ils comprennent ce qu'il se passe, la panique les gagne. La brume tourne sur elle-même, puis comme une tornade ou bien un monstre assoiffé de sang, elle heurte et dévore chaque personne qu'elle touche. Dès qu'un être humain entre en contact avec, sa chair et ses os sont dévorés, ses cris sont puissants et douloureux, pendant que son corps part littéralement en poussière et s'évapore dans les airs comme de la cendre.

— Gardes ! hurle la femme. Saisissez-vous d'elle !

Theodoro attrape ma main pendant que trois tornades sombres sèment le chaos. Je cesse alors d'en produire et reviens à moi.

— Partons, Chloé !

— Pas sans Tristan !

— Tu le vois quelque part ?

Je tente de voir l'arène à travers la foule qui chahute et se bouscule tout en hurlant de terreur. Je ne vois plus une seule trace de Tristan, uniquement l'Ogre se faire attaquer par la brume que j'ai lâché dans les sous-sols...

Tout en gardant mon bras, Theodoro me tire et nous avançons à travers les pauvres innocents que je suis en train de tuer. Un garde se poste devant nous alors que nous approchions de la porte, Theodoro fait alors sortir des ronces du sol si brusquement que j'en ai un mouvement de recul, celles-ci s'enroulent autour du garde et commencent à rentrer dans sa peau pour continuer d'y pousser. Il se tortille et pousse des gémissements glaçants. Nous le contournons mais quelqu'un m'attrape par les cheveux, je pousse un cri de surprise, tirée en arrière puis finalement, cette pression sur mon crâne et mes cheveux s'estompe rapidement. Je tombe sur les fesses puis remarque que l'on me tend une main gantée. Je relève les yeux, je fais face à l'homme encapuchonné, son sabre couvert de sang. Je distingue ses lèvres charnues, son nez, sa peau noire...

— Je vais vous faire sortir d'ici, dit-il à travers le vacarme.

Je prends sa main, il m'aide à me relever et m'emmène avec lui vers la porte. Chaque garde qui s'approche de nous goûtent à son sabre tranchant, il donne deux coups de pieds dans la porte pour l'ouvrir puis nous courons dans le couloir, remontons à l'étage où une Ombre Obscure est en train de dévorer tous les clients. Je reste un instant immobile à regarder le monstre que j'ai fait sortir des Ténèbres gober les intestins d'une serveuse gisant sur le bar. C'est cet homme qui me ramène à moi en me tirant vers lui. Nous quittons l'auberge et courons maintenant dans les rues d'Arkacia, sans nous retourner, sans nous arrêter, les pieds ne touchant presque plus le sol.

Lorsque les cris de l'auberge nous semblent loin, je m'arrête, à bout de souffle. Je m'appuie sur mes genoux, nous nous trouvons sur ce qui ressemble à une grande place, une fontaine coule en continue devant nous.

— Je... je dois aller chercher mes amis...

— Vous devriez quitter la Nation au plus vite, vous serez recherchée et traquée, vous venez de tuer des innocents et un monstre que vous avez créé est en train de se faire un festin.

Je me laisse tomber à genoux, toujours aussi essoufflée, je dois arrêter ce fléau pour ne pas risquer de faire subir à Arkacia, les méandres des Ténèbres comme à Panterm ou Corvil. Je lève la tête vers le ciel, j'ouvre les yeux et fixe le ciel bleu un instant. Je me concentre sur toute l'énergie que j'ai fait sortir de mon corps, je ferme les yeux et finalement, je plaque mes mains brusquement sur le sol. Celui-ci vibre, les passants s'arrêtent lorsque les dalles se fissurent sous leurs pièces. C'est comme si des racines traversaient les rues, sous terre ou qu'un ver géant de frayait un passage. Ils s'arrêtent là où mes mains sont posées et m'enivrent d'une forte énergie qui ne fait qu'augmenter ma respiration. J'ai la sensation que la brume passe même sous mes ongles, des fourmillements engourdissent le bout de mes doigts puis finalement, tout s'arrête.

Je reste un instant dans la même position et je relève la tête doucement pour voir tous ces passants me fixer d'un air étrange. C'est l'homme qui me cache la vue lorsqu'il s'accroupit devant moi.

— Vous êtes incroyable... souffle-t-il.

— Aidez-moi à retrouver mes amis, pitié...

Il retire finalement sa capuche, je peux alors distinguer un jeune homme à la peau noir, aux yeux noisettes et aux tâches de rousseur face à moi. Il se pince les lèvres puis finalement, m'adresse un hochement de tête.

— Je vous aiderai, cependant rien n'est gratuit.

Surtout à Arkacia...

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