X - Une sombre histoire
— Tristan ! Regarde-moi, regarde maman.
De ses douces mains, frêles et brûlantes, elle tenait mon visage et essuyait les larmes qui coulaient sur mes joues. Je la regardai, le menton tremblant, la vue trouble à cause de mes sanglots. Je n'étais qu'un gamin, un pauvre enfant effrayé. Erador était notre Nation, mais ce jour là, elle ne ressemblait plus à ce que j'avais connu. Aujourd'hui, Erador est une Nation oubliée, la septième Nation, morte et abandonnée.
— Tout ira bien, répète-le, souffla-t-elle.
— Tout ira bien...
— Je t'en prie, crois-moi, maman ne t'abandonnera jamais.
— Elfie, nous devons y aller, déclara mon père d'un ton ferme.
Elle hocha la tête, son visage humide de larmes. Elle me serra dans ses bras, elle m'étreignit si fort que j'en perdis le souffle un instant. Lorsqu'elle se détacha de moi, elle se releva et mon père posa sa main sur mon épaule maigrichonne qu'il serra tendrement. Je levai la tête pour lui jeter un regard, il m'adressa un bref sourire qu'il voulait rassurant. Mon père avait de beaux yeux verts et ma mère de magnifiques yeux jaunes, comme un feu en constante activité.
Le soleil qui passait à travers les nuages gris au dessus de nous disparut rapidement. L'endroit était déjà détruit, car la guerre avait commencé et continuait. Nous pûmes entendre les trompettes de la garde royale au loin, ils arrivaient en renfort, cependant, les nuages devenaient noirs à mesure que le son des trompettes retentissait.
— Il est là, grogna mon père.
— Ils sont tous là, souffla ma mère. Nous devons les aider.
— Elfie, c'est du suicide ! Tu es la dernière de ton espèce, ne prend pas ce risque...
Mes parents discutaient, sans faire attention à moi.
— Nous devons aider les Enchanteurs et l'Invocatrice de Lumière, nous devons protéger les Nations. Je ne pourrai vivre cacher éternellement et si je meurs, je veux mourir en m'assurant que mon fils est en sécurité.
Elle s'accroupit une nouvelle fois face à moi, passa sa main dans mes cheveux moites et essuyant de son pouce, la larme qui roulait sur ma joue.
— Cache-toi Tristan et ne ressort de ta cachette que lorsque la guerre sera terminée, d'accord ?
Je hochai la tête.
— Promets-le, demanda ma mère en levant son petit doigt.
J'enroulai le mien autour du sien.
— Je te le promets, maman.
Je me cachai près du fleuve, dans les égouts et je pus entendre tout ce chahut. Je pus entendre les gens hurler, les monstres croquer les innocents et les soldats, je pus entendre les Enchanteurs user de leurs pouvoirs, les Changeurs de Peaux dont mon père faisait partie, se battre, mais contre quoi ? Contre qui ? Dans quel camp étaient-ils ? À mesure que le temps passait, l'eau du fleuve dans lequel mes pieds trempaient devenait rouge sang.
Au bout d'un long moment, le vacarme de la guerre prit fin, et quand je sortis de ma cachette, je cherchai mes parents à travers les décombres. Je les retrouvai un petit peu plus loin, près du port d'Erador, affalés sur le sol avec les autres cadavres, complètement morts. Ma mère n'avait plus un tissu pour cacher son corps balafré et mon père, dans sa peau originale, fixait le ciel noir de ses yeux morts.
Je ne pus m'empêcher de pleurer toutes les larmes de mon corps, je n'étais qu'un enfant, encore jeune et frêle qui ne connaissait rien à la vie. Les bras ballants, au milieu de ce bain de sang, je pleurai encore et encore. Un gamin de huit ans, orphelin. Je me laissai tomber à genoux près du corps inerte de mon père, je le secouai, lui demandai de se réveiller et je fis la même chose pour ma mère, en vain... Jusqu'à ce que la lourde voix de Lucius ne retentisse et que j'en fasse sa rencontre.
Il m'avait confié son manteau magique, cet Objet Obscur qu'il souhaitait cacher. En réalité, il l'a fait à trois autres personnes, pour que nous prenions soin de son pouvoir. Je n'avais jamais quitté ce manteau, parce que sa puissance me permettait de contrôler le feu en moi. Je détenais une part du pouvoir de Lucius, le don de changer de peau de mon père, et le feu brûlant de ma mère.
Peu de temps après m'avoir confié ce manteau, Lucius a été capturé et mis en cage, scellée par un sort puissant. J'ai grandi avec son manteau, qui chaque fois, s'ajustait à ma taille, je passais pour un Changeur de Peaux et je cachais le précieux pouvoir qui coulait dans mes veines.
— ...Parce que les Hommes ont tué ma mère et son pouvoir, alors que c'était la dernière de son espèce, conclut Tristan.
Je le regarde, les yeux embués de larmes. Nous lui avons trouvé de vieux vêtements dans une boutique au port d'Irondell et nous sommes à présent à bord d'un bateau en pleine mer vers une Nation que je ne connais pas. Nous devrons toutes les traverser, pour retrouver les deux Objets Obscurs manquant, pour finir, nous devrons récupérer le manteau que j'ai donné à Andreï.
— Quelle histoire, souffle Theodoro.
Le bateau tangue, le bois craque, les marins chantent et boivent pendant que nous, nous restons assis dans notre coin éclairés par la lueur des bougies. Tristan a laissé partir Bénédicte et nous sommes maintenant des vagabonds, laissant une Nation sans Gouverneur.
— Je vous interdit d'en parler à qui que ce soit, grogne Tristan.
— Penses-tu un instant que nous avons des alliés ? rétorque Theodoro. Nous sommes pourchassés par un roi possédé par un être extrêmement puissant. Il est probable que notre tête soit affichée dans chacune des Nations et qu'un prix soit proposé aux plus téméraires qui tenteraient de nous arrêter. Alors... à qui penses-tu que nous pourrions raconter cette histoire ?
Tristan humecte ses lèvres sèches et détourne le regard pour observer les marins s'ivrogner. Il fait nuit dehors et dans la soute, la chaleur est insoutenable.
— Pourquoi tu ne m'en avais jamais parlé ? demandé-je.
Tristan pose ses yeux vairons sur moi.
— Je ne fais confiance à personne.
Ce qu'il me dit me blesse, je pensais que lors de notre périple, nous nous faisions confiance. Avant que la vérité n'éclate au grand jour.
— Je suis différente, pourtant...
— Rien ne me garantissait que tu ne chercherais pas à me nuire et puis... qu'importe, je n'utilise jamais ce pouvoir. Je l'ai utilisé parce que... tes putain de monstres allaient me dévorer.
Le feu de ses veines a cautérisé ses plaies, notamment celle de son cou, il aurait pu y laisser la vie.
— Tu n'as même pas cherché à les arrêter, tu as pris la dague et tu es partie. Tu as de la chance, la sorcière... j'ai encore toute ma tête.
— Je croyais que tu me pardonnais, grommelé-je.
— Je pardonne mais je n'oublie pas.
Je hausse les sourcils et croise les bras tout en soupirant. Je sens que ce voyage sera long, et je garde un certain doute quant aux intentions de Tristan. Après tout, Lucius l'a sauvé lorsqu'il était enfant, il pourrait se servir de moi pour récupérer les Objets Obscurs.
— Parfait dans ce cas, rétorqué-je. Parce que... moi aussi, je pardonne mais je n'oublie pas. On dirait bien que nous avons un point commun abominable Changeur de Peaux.
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