VIII - L'impact de tes actes
Je reste à genoux, dans la poussière et la terre battue, les mains autour des barreaux. Deux gardes sont postés devant nous et ont reçu l'ordre de nous abattre si j'utilise mes pouvoirs. Alors je suis vouée à demeurer docile, sans utiliser ma magie pour nous sortir de là. Theodoro est adossé au mur au fond de notre cachot, il a cessé de gémir mais continue de grimacer chaque fois qu'il bouge ne serait-ce qu'un seul orteil.
La dague s'est logée profondément dans sa cuisse, il perdait beaucoup de sang mais avec les plantes qu'il peut faire pousser, il a pu arrêter l'hémorragie à l'aide de la boue qu'il a fait sortir du sol. Il en a appliqué sur sa blessure en grosse quantité, ce qui lui permet de stopper les pertes de sang.
— Si c'est vraiment Tristan sous l'apparence de ce Gouverneur bougon, pourquoi nous a-t-il enfermé de la sorte ? demande-t-il.
Je baisse les yeux et pousse un profond soupir. Je revois encore son visage, son regard et ses paroles résonnent dans ma mémoire amèrement.
C'est moi. C'est Tristan. J'ai changé d'avis, je veux t'aider...
Je secoue la tête et me pince les lèvres, je sens mes yeux me brûler de larmes. Je me suis sentie terriblement trahie. Tristan s'est servi de moi, il m'observait depuis mes onze ans, je n'étais qu'une enfant et il préparait déjà son coup, avec les autres, pour faire revenir Lucius... Alors pourquoi je me sens autant coupable ? Pourquoi ai-je l'impression que c'est moi qui l'a trahi ?
— Quand j'étais sur la tour avec Tristan... il m'a avoué s'être servi de moi pour libérer Lucius... je me suis sentie démunie, trahie et abandonnée, cette... Josépha me lavait le cerveau, elle voulait me mettre hors de moi et elle a réussi...
Je déglutis difficilement.
— J'ai poussé Tristan du haut de la tour pour le tuer, reprends-je. Pour me venger...
Je lâche doucement les barreaux et je me tourne vers Theodoro qui me regarde d'un air compatissant. C'est une bonne personne, qui ne juge jamais. Il est très à l'écoute et bienveillant, comme sa fille Hélène.
— Je pensais l'avoir tué mais il a survécu à sa chute par je ne sais quel moyen... je l'ai laissé pour mort et je suppose qu'aujourd'hui, il m'en veux. Je le comprends.
— Pourquoi n'aurais-tu pas le droit d'en vouloir à quelqu'un, toi aussi ? Tu as, certes, agi sous l'effet de la colère mais lui... a-t-il toujours été bon avec toi ?
Tristan n'a pas toujours été bon avec moi, cependant, je n'ai pas le souvenir qu'il m'ait un jour fait du mal. Au contraire, il m'a toujours protégée. Même lorsque je n'étais que la "sorcière" à ses yeux. Il jouait les durs, il pouvait être rude dans ses paroles, mais il ne m'a jamais faite souffrir physiquement comme j'ai pu le faire. Je suppose que son âme, elle aussi, est blessée.
— Tristan a été bon avec moi... soufflé-je.
— N'oublie pas, tu as dit qu'il s'était servi de toi.
L'a-t-il réellement fait ? M'a-t-il toujours menti ? Même sous ce saule pleureur quand nous nous sommes embrassés pour la première fois ? Même lorsque nous nous enlacions sur le lit, à Corvil ? Ne ressentait-il rien de ce que, moi, je ressentais ?
Nous entendons des bruits de pas dans le couloir qui nous fait taire. Le Gouverneur Hector s'arrête devant ses gardes et leur ordonne de sa lourde voix de disposer et de le laisser seul avec ses prisonniers. Enfin, il se retourne vers nous. D'abord, il observe Theodoro et son pantalon ensanglanté, ses yeux se posent ensuite sur moi. Il pince ses lèvres dissimulées sous sa longue barbe rousse et s'accroupit lentement pour arriver à mon niveau. Nos regards s'entremêlent et je crois bien y desceller l'éclat qu'avaient les yeux de Tristan, alors mon coeur commence à battre plus rapidement, sans que je ne puisse le contrôler.
— Ne tenterais-tu pas de déjouer les plans de Lucius ?
Il sort la dague de son fourreau et la tourne sous mon nez tout en l'observant. Son manche est orné de rubis rouges sang, sa lame est dorée. C'est un bel objet, fascinant et magique. Mais cet objet renferme une partie de la puissance de la personne la plus dangereuse de toutes les Nations réunies.
— C'est ça que tu veux ?
— Je ne peux pas le laisser faire...
— Es-tu tout de même au courant que c'est toi qui l'a fait revenir ?
— De qui en est la faute ? Rétorqué-je.
Il esquisse un sourire et range la dague dans son fourreau.
— Qu'importe, je garderai cette dague jusqu'à ce qu'il me la réclame.
— Tristan, non...
Il se redresse, je lève alors la tête pour le suivre du regard. Il écarte les bras, un sourire fourbe sur le visage.
— Appelle-moi Hector à présent, Gouverneur d'Irondell et je dois t'avouer que cette vie me plait.
Hector est laid contrairement à ce que représentait Tristan auparavant. Il avait tout pour lui.
— Je suis désolée...
Son sourire quitte aussitôt son visage et son air change. Il est bien plus renfrogné, son regard bien plus noir.
— Je n'aurais pas dû réagir de la sorte, poursuis-je, j'aurais dû te laisser une chance de m'expliquer... je t'écoute à présent, je t'entends...
Un court silence plane durant lequel rien ne cille chez lui.
— C'est trop tard, Chloé. Il fallait m'écouter quand je te suppliais, je ne recommencerai pas une seconde fois.
Je me relève doucement pour me retrouver à sa hauteur, bien que Hector soit incroyablement grand. Dans mes souvenirs, Tristan l'était également, il frôlait probablement le mètre quatre vingt dix. Cependant, il était plus fin, plus jeune et plus élégant que ce Gouverneur mort.
— Tout le monde fait des erreurs, tu ne crois pas ?
— Tu aurais dit cela si tu m'avais retrouvé mort, aplati sur le béton par ta faute ?
J'entrouvre la bouche mais il ne me laisse pas le temps de finir.
— Je ne pense pas, alors garde tes excuses pour quelqu'un d'autre. On ne me trahi qu'une seule fois, pas deux.
— Ne devrais-je pas dire la même chose ?
Il saisit les barreaux si violemment que la grille tremble, j'ai un mouvement de recul, surprise par cette violence. Je vois ses mâchoires serrées, ses yeux qui envoient des éclairs.
— J'ai essayé... ! crie-t-il.
Il inspire profondément, tentant de se reprendre.
— J'ai essayé de t'expliquer... tu étais sourde, aveuglée par ta colère et ton pouvoir.
Finalement, il lâche enfin les barreaux. Ceux-ci sont tordus, et... brûlés, en effet, de la fumée s'échappe de l'endroit même où étaient posées ses mains. D'ailleurs, la marque des ses doigts est imprégnée dans le métal carbonisé.
— J'aurais dû me douter qu'une Invocatrice de l'Ombre ne pourrait avoir une once de pitié pour un ami. Tu es comme Lucius, mais lui au moins... il n'abandonne personne, même s'il ne pense qu'à lui.
— Il se serre de toi !
— Il m'a sauvé ! Toi, qu'est-ce que tu as fait ?
Je l'ai tué... Je baisse la tête, la gorge nouée. Je tente de ravaler mes sentiments, mon ego et je relève les yeux vers lui, les lèvres retroussées.
— Si tu ne souhaites pas m'écouter, si tu ne souhaites pas me pardonner, je me devrais d'utiliser mes pouvoirs.
Il esquisse un sourire.
— J'ai hâte de voir cela, la sorcière.
Dit avec l'intonation du Gouverneur Hector, cette phrase n'a pas autant d'impact que si j'avais entendu la voix de Tristan. Je recule alors d'un pas, sans le lâcher des yeux tout en tendant ma main vers la grille, de ma paume s'échappe déjà une brume épaisse et sombre... je suis prête à le défier.
S'il veut jouer, nous jouerons.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top