VI - Le sacrifice de la lumière

Nous avons eu droit à un repas de roi aujourd'hui, malgré que nous soyons enfermées dans des cachots et que des soldats nous donne à manger car nos mains sont prisonnières d'une glace qui commence lentement à fondre. Je mange des raisins, de la viande, des pommes de terre, des légumes et même des petits gâteaux à la crème. Je bois du vin, je me régale littéralement, comme si je n'avais pas manger de tel repas depuis des siècles.

Évidemment, la coutume veut que les condamnés à mort aient droit à un festin le jour de leur potence. Cette coutume voyage à travers les Sept Nations depuis des années maintenant. Nous souhaitons que les morts, qu'importe leurs actes sur notre monde, puissent partir le ventre plein et en paix.

Moi, je ne suis pas en paix et je crains que ce plan ne vire au cauchemar. Je crains de finir pendue, et je crains ne pas pouvoir sauver Esmeralda. Cependant, je garde un infime espoir de pouvoir la sortir de là avant qu'il ne soit trop tard.

Lorsque nous terminons de manger, les soldats nous laissent seules. Je suis assise contre la porte en acier de ma prison, le front collé contre celle-ci, je fixe le sol poussiéreux sous mon corps avachi.

— Quel était votre plus grand rêve ? soufflé-je pour briser le silence.

— L'amour, déclare Esmeralda de l'autre côté.

Je souris légèrement.

— J'ai toujours rêvé que notre monde soit rempli d'amour... plus de guerres, plus de tueries, plus de jalousie ni de compétition, simplement de l'amour... mais ce n'est qu'utopie, je le sais...

— Vous êtes si rayonnante, si... admirable par votre sagesse.

Un court silence plane durant lequel je me remémore tous ces moments d'amour que j'ai pu partager ; mon père, ma mère, Kyrsten et Hugh mes deux meilleurs amis, l'affection que je pouvais ressentir pour Andreï ou Hélène et... ces sentiments incontrôlables d'amour qui m'animaient lorsque j'étais en présence de Tristan...

— Tu peux l'être également, Chloé.

— Le mal vit en moi... j'ai littéralement signé votre arrêt de mort.

— Pour faire revenir la lumière... ce n'est pas tellement un acte obscur. Chloé, tu n'es pas Lucius, j'ai espoir que tu parviennes à détruire les Objets Obscurs et à arrêter Lucius. Je crois en toi, je crois en tes dons et je crois encore en l'amour. Je sais qu'un jour, nous y aurons tous droit à cette utopie, sans guerres, sans jalousie, sans compétitions ni tueries...

Je me pince les lèvres et je sens mes yeux se noyer de larmes. Je ne sais me contenir, je me sens si vulnérable, et j'ai ce poids sur les épaules, cette responsabilité, ce devoir de ne pas décevoir Esmeralda.

Notre échange ne dure qu'un temps puisque les soldats viennent nous chercher. Nous sommes emmenés alors sur la place commune de Panterm, dans des cages, à l'arrière d'une voiture tirée par des chevaux. Là, toute la population de Panterm s'y trouve. Nous nous retrouvons sur le ponton d'exécution, les bras emprisonnés dans la glace, sur une marche, une corde qu'on nous serre autour du cou. Je garde le menton levé, le coeur battant tandis que le prince Andreï se poste devant nous, d'un air fier. Je dis le prince mais... Lucius est toujours en plein contrôle de son être.

Je crois reconnaître Théodoro parmi la foule mais je n'en suis pas certaine. Je tourne légèrement la tête vers Esmeralda qui me regarde elle aussi. Ses cheveux blancs sont flamboyants, son visage lumineux, ses yeux gris envoûtants...

— Nous sommes aujourd'hui réunis afin de mettre un terme à ces violences, afin de préserver les Sept Nations d'une nouvelle Ère obscure ! commence le prince.

Bien sûr, les habitants de Panterm sont enjoués, heureux de nous voir prêtes à mourir bien que nous ayons sauvé cette Nation. Je suis à l'origine des Ténèbres et mis à part les Enchanteurs, tout être comme Tristan ou moi sommes vus comme des menaces. Esmeralda est emportée dans cette histoire sans même le mériter.

Du coin de l'oeil, je vois la glace commencer à fondre des mains de cette dernière, je sais ce qu'elle est en train de faire et ce qui nous attend. Je détourne les yeux, je déglutis et je sens mon coeur s'accélérer drastiquement, je serre les mâchoires, la gorge nouée, je tente de cacher ce que je ressens à cet instant mais les sanglots me tiraillent.

— Il est temps que les Ténèbres ne soient plus qu'une sombre histoire derrière nous ! Il est temps que les coupables paient ! continue Lucius.

Le peuple cri, le poing levé, en accord avec celui qu'ils pensent être leur roi alors que ce n'est qu'un leurre.

— Merci, Chloé, murmure Esmeralda.

Je ferme les yeux, me pince les lèvres et inspire profondément.

— J'ai enfin compris que les Êtres des Ténèbres n'étaient pas tous comme lui. Merci...

Je ferme les paupières encore plus fort, mon coeur malmène ma poitrine à tel point que je respire fort. Ma respiration est camouflée par les hurlements de la foule qui pensent que nous sommes des ennemis alors que nous étions leur seul espoir.

— Que la Lumière se sacrifie pour un soleil éternel, déclare Esmeralda.

Je ne peux rouvrir les yeux, je vois que le noir de mes paupières devient blanc et que les hurlements de joie deviennent des hurlements de surprises et de peur. Esmeralda vient d'abattre une lumière brûlante sur la place.

— Pendez-les ! hurle Lucius.

Je sens enfin mes doigts bouger mais la trappe s'ouvre sous mes pieds au même moment, la corde se resserre autour de mon cou, la gravité et le poids de mon corps m'étouffe. Je gesticule, la bouche grande ouverte et j'ouvre les yeux. La lumière n'est plus et le peuple reprend peu à peu ses esprits, les gens ont les mains devant les yeux, ils ont littéralement été éblouis, à tel point que je crois distinguer certains avec des larmes de sang, aveugles. Je vais mourir si je ne fais rien, je tente de passer mes doigts entre la corde et mon cou pour me libérer mais rien y fait.

Je dois impérativement utiliser mes pouvoirs, qu'importe ce que je deviens. Alors, de ma bouche déjà ouverte, en train de suffoquer, je me mets à hurler de toutes mes forces, usant les derniers souffles qu'il me reste. Du puits au fond de la place sort une Ombre Obscure aussi visqueuse qu'un serpent, elle a une forme animale, mi loup mi homme, une autre saute sur le toit du clocher et rugit de toutes ses forces. La panique gagne à nouveau la foule, les soldats ne savent plus ou donner de la tête et une troisième Ombre Obscure saute sur l'estrade, elles sont toutes les trois similaires et par sa force surhumaine, brise le ponton. Je tombe et roule sur le sol, la où des gens me piétinent, pris de panique. Je tousse, les oreilles sifflantes, le souffle coupé mais je suis en vie. Si je le suis, Esmeralda l'est probablement aussi !

Je m'appuie sur mes mains, mes vêtements déchirés par les sandales des pauvres habitants de la Capitale. Je remarque le corps inerte de l'Invocatrice de Lumière sur le sol, alors, à quatre pattes, j'avance jusqu'à elle et pose ma main sur son bras écorché.

— Nous avons réussi, partons à présent et finissons en avec Lucius ! toussoté-je.

Lorsque je retourne son corps, je vois la corde serrée autour de son cou tout mince et son visage devenu gris, ses yeux injectés de sang, sa bouche ouverte, son âme disparue...

— Esmeralda...?

La Lumière s'est éteinte aujourd'hui.

Je sens mes larmes roulées sur mes joues en même temps que quelqu'un me saisit par les aisselles pour me relever. Je me débat, je hurle, je ne souhaite pas l'abandonner ici.

— Partons, Chloé !

Je reconnais la voix sage de Théodoro.

— Je ne la laisserai pas ici ! Lâchez-moi ! NON !

— Rappelez vos créatures et partons !

Il me tire littéralement avec lui jusqu'au port encore ouvert. Nous passons sous le nez des marins abasourdis par les Ombres Obscures quelques mètres plus loin qui terrifient la Capitale. Théodoro me fait monter dans un bateau. Je m'assois, les bras ballants, la corde toujours autour du cou. Il prend les rames et commence alors à faire avancer le bateau. Je vois le prince courir sur le port, pousser les marins qui se mettent en travers de son chemin mais nous voilà déjà assez loin du pont. Il s'arrête juste au bord et me fixe de ses yeux noirs car ce n'est pas le prince, c'est Lucius. Je le regarde moi aussi, tout en songeant à mes créatures qui saccagent Panterm. Les trois arrivent en trombe, sur le prince, mais elles le frôlent simplement avant de plonger dans l'eau pour ne laisser derrière elles que trois traces noirâtres à la surface. Je ne saurais dire comment j'ai fait pour les rappeler aussi facilement sans avoir à les aspirer comme toutes les autres. Rapidement, les habitants se rassemblent pour observer ce spectacle tandis que Théodoro et moi nous éloignons lentement, disparaissant dans la brume qui sépare Panterm des autres Nations.

La Lumière s'est éteinte aujourd'hui, c'est vrai.

Je donnerai tout pour qu'elle revienne et cette fois, lorsqu'elle l'éclairera, Lucius périra.

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