V - Cruauté
Esmeralda et moi restons un instant immobiles face à Andreï et son armée. Mes yeux sont plongés dans les siens. Habituellement, le prince arbore des yeux noisettes, plutôt claires et emplis de bonté. Cependant, actuellement, ses prunelles sont aussi noires que les ténèbres, c'est à cet aspect que je reconnais Lucius. Evidemment, il porte le manteau de Tristan, il a donc un des quatre Objets Obscurs en sa possession
— Enfermez ces deux intrus, ordonne le prince ou devrais-je plutôt dire Lucius.
Lorsque les soldats s'avancent vers nous, je n'hésite pas une seule seconde. De ma main droite, je fais jaillir de la brume, une boule brumeuse, épaisse, noire et puissante se forme au creux de ma paume cependant, je sens celle d'Esmeralda sur mon bras, alors je tourne la tête vers elle, elle me fait signe de ne pas me défendre.
— Ne faites pas cela, souffle-elle.
Alors la brume s'évapore dans les airs et nous voilà mises brutalement à genoux, les bras derrière le dos. Le soldat qui m'attache les poignets me relève brusquement et me force à avancer. Lorsque je passe à côté d'Andreï, Lucius nous arrête. Je ne souhaite pas affronter son regard, non pas par lâcheté mais parce que sa noirceur me répugne.
— Réfléchis bien, Chloé, car le choix que tu t'apprêtes à faire sera décisif.
Je fronce les sourcils mais je n'en saurai pas davantage pour le moment. Je suis emmenée dans les cachots souterrains de la bâtisse. Avant que l'on nous jette dans une cage, un Enchanteur se joint à nous. Il pousse Esmeralda dans la pièce face à la mienne et la porte se ferme. Le soldat me maintient toujours les bras mais lorsque je l'entends hurler, je souhaite me précipiter vers son cachot. Le soldat me retient alors je lui donne un coup de pied dans la jambe. Je me jette sur sa porte, me mets sur la pointe des pieds pour voir par la lucarne cependant il y a un cache qui m'empêche de voir ce qu'il se passe. On me saisit une poignée de cheveux pour me tirer en arrière et me coller contre le mur. C'est alors que la lame argentée de l'épée du soldat vient chatouiller mon cou. J'affronte son regard azur, les lèvres pincées et le menton relevé.
— Fais un geste de plus et je t'égorge, menace-t-il.
Je ne peux lui dire qu'il obéit aux ordres de l'Invocateur de l'Ombre au risque de semer la panique au sein du palais et même des Sept Nations. Alors je me contente de rester docile. Il le faut.
L'Enchanteur sort enfin du cachot d'Esmeralda. Lorsqu'il ouvre la porte et avant qu'elle ne se referme, je la vois très rapidement allongée sur le sol mais bien vivante. C'est alors à mon tour, je finis dans un cachot, enfermée avec l'Enchanteur.
— Qu'allez-vous faire ? demandé-je en reculant de quelques pas.
— Simplement t'assagir.
Je fronce les sourcils, je me retrouve rapidement contre le mur froid et humide de ma prison. Je vois l'Enchanteur lever les mains doucement et une vive sensation glaciale vient chatouiller mes poignets. Je regarde mes mains, mes doigts se raidissent, ma peau devient pâle. Je serre les dents, je grogne et alors, je commence à voir de tout petits flocons glacés recouvrir ma peau qui durcie de plus en plus. Le froid est rapidement remplacé par une douleur intenable alors je pousse un grognement et pose un genou au sol. Les yeux écarquillés, je fixe mes mains congelées, littéralement. Je ne sens plus mes doigts, je ne peux plus les bouger et des larmes coulent de mes yeux sans que je ne puisse les retenir.
Enfin, l'Enchanteur cesse. Alors, je lève les yeux vers lui. Des yeux que je veux remplis de rage.
— Vous n'êtes qu'un monstre ! m'exclamé-je.
— Le monstre, c'est vous.
La porte s'ouvre derrière l'Enchanteur et Andreï entre dans la pièce. L'Enchanteur se pousse alors sur le côté, les mains croisées derrière son dos, la tête baissée par respect pour le roi. Andreï s'arrête devant moi, qui suis toujours à genoux, les mains congelées, je ne peux plus utiliser mes pouvoirs et la douleur est similaire à des brûlures.
— Il faut savoir canaliser le dragon qui sommeil en toi ma douce Chloé.
— Si seulement...
— Tristan était là ? m'interrompt-il. Lui, le dernier Être de feu, pourrait voler à ton secours, tout brûler sur son passage, est-ce bien cela ?
— Il n'aurait fait qu'une bouchée de vous !
Lucius se rapproche de moi et s'accroupit lentement, plongeant son regard ténébreux dans le mien.
— Ma douce... Tristan est mort.
Je baisse la tête et me mord les lèvres. Il est mort, par ma faute. Car je n'ai pas su contrôler ma douleur et au fond, je me dis que j'aurais dû réagir autrement. J'ai été excessive, j'ai laissé ma puissance me contrôler. Il m'a aidé, il m'a sauvé la vie plus d'une fois et moi... moi... je lui ai volé la sienne.
— Aujourd'hui Chloé, je te laisse le choix.
Il marque une pause et se redresse, alors je relève la tête vers lui. Je le hais, mes lèvres sont retroussées et je n'ai qu'une hâte, que cette glace disparaisse pour que je les détruise tous. J'exterminerai toutes les personnes qui se mettront en travers de mon chemin et je ferai en sorte que ces Objets Obscurs soient détruits, afin que Lucius ne reprenne jamais sa place, je trouverai le moyen de sauver Andreï et tout redeviendra normal. Les Nations seront sauvées.
— Je te laisse le choix de la vie et la mort.
Je fronce les sourcils, sans un mot.
— Choisiras-tu de vivre ou de mourir ?
— Je vivrai aussi longtemps qu'il le faudra pour vous nuire une bonne fois pour toute !
Lucius lève le doigt et secoue la tête.
— Laisse-moi finir, ma douce...
Je serre les mâchoires, silencieuse.
— Si tu vis, tu devras me servir et retrouver les trois Objets Obscurs manquants.
— Plutôt mourir...
— Tu entraînerais dans ta chute, l'Invocatrice de Lumière.
Je ne réponds rien, il sème le doute en moi, je ne sais plus ce que je dois faire, je ne sais plus comment l'arrêter.
— Je te laisse jusqu'au crépuscule pour prendre ta décision.
— Vous avez besoin de moi, vous ne pouvez pas me tuer !
— C'est mal me connaître.
Il fait signe à l'Enchanteur de sortir puis se tourne et le suit, la porte claque, alors je me lève cependant mes bras pèsent si lourd que je m'écroule aussitôt.
— Je vous détruirai ! hurlé-je.
Je ne reçois aucune réponse en retour et je ne peux m'empêcher de sangloter. Je ferme les yeux et je songe un instant à mes parents, Hélène, Corvil, je songe à ce qui est arrivé à mes amis, à Andreï piégé dans son propre corps, à Tristan que j'ai bafoué...
— Il faut que tu choisisses la mort, entends-je de l'autre côté.
Je relève doucement la tête, les larmes inondant mon visage. Quelques mèches de cheveux s'y collent, je renifle, sans pouvoir essuyer les sanglots qui marquent ma peau. C'est Esmeralda que j'entends.
— Je ne vous entraînerai pas avec moi !
— Je suis déjà perdue, Chloé...
Son bras est dans un sale état, les Ténèbres la rongent. Tout cela, par ma faute, à nouveau.
— Nous trouverons un moyen d'arranger cela !
— Les ténèbres sont en train de me dévorer de l'intérieur, je peux le sentir. Je pourrai t'aider... je le pourrai... une dernière fois.
— Esmeralda... par pitié... je vous ai dérangé dans votre repos, je...
— Je suis venue de mon plein gré, j'ai accepté ma destinée en prenant ta main et nous avons pu rendre un soupçon de lumière à Panterm.
— Nous trouverons un autre moyen...
— Lorsque nous serons sur le ponton d'exécution, j'utiliserai ma Lumière pour faire fondre la glace qui emprisonne tes mains, dit-elle ignorant littéralement mes paroles. Une fois fait, déferle des Ombres Obscures sur l'armée Royale, cela les occupera suffisamment pour que tu puisses prendre la fuite.
— Et vous ?
— Lucius s'en rendra vite compte, je serai pendue.
— Hors de question !
— Chloé, grogne Esmeralda de l'autre côté, je suis déjà morte, aucun remède ne pourra me sauver. Mais... tu peux être le remède des Sept Nations. Tu peux les sauver de Lucius. Tu dois trouver les Objets manquants et les détruire.
— Je serai seule...
— Nous ne sommes jamais réellement seuls.
Après ces quelques paroles, nous n'avons plus parlé et je dois avouer que la fatigue m'emporte vite. Je sombre dans des cauchemars tous plus sombres les uns que les autres dans lesquels je peux voir Tristan, en feu, en colère, haineux, je peux voir les Nations brûler sous le règne de Lucius, je peux me voir dépérir, souffrir, meurtrie et toute ma famille en paie le prix. Ces cauchemars me semblent si réels que lorsque je me réveille, assise contre le mur, je suis en sueur, haletante comme si j'avais couru pendant des heures.
Je fixe un point devant moi, troublée. Pourquoi je rêve de cela ? Pourquoi de Tristan ? Pourquoi d'une défaite ?
Rapidement, le crépuscule arrive et la seule solution que j'ai pour m'échapper et ne pas être vouée à devenir l'esclave de Lucius, c'est de sacrifier l'Invocatrice de Lumière, la seule.
Lucius se tient devant moi, les mains derrière le dos, le menton levé, attendant avec impatience que je lui donne ma réponse. On dirait que cette situation l'amuse. Je décide cette fois de me lever, malgré mes bras congelés et douloureux. Je plonge mon regard dans le sien, les mâchoires serrées. Je ne me laisserai pas écraser par ses Ténèbres. Il n'est plus seul maintenant.
— Je choisis... la mort.
Moi aussi, je suis l'Invocatrice de l'Ombre.
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