II - Le prince et ses tourments
Je suis dans la chambre qui me servait lorsque j'étais prétendante. Il y a à peine vingt quatre heures, les ténèbres étaient encore en train de dévorer la capitale, Panterm. Dans mes mains se trouve le manteau de Tristan, cet Objet Obscur conçu par Lucius lui-même. Et devant moi, le prince Andrei, vêtu de vêtements nobles et propres, les cheveux coiffés en arrière, reste immobile à me fixer, ce rictus malsain au coin des lèvres. Ce n'est pas Andrei. Physiquement, c'est bien lui, mais son esprit ne semble pas être le même. Il tend sa main, tout en me fixant, restant calme.
— Rends-moi le manteau.
Je colle le manteau contre moi, croisant les bras et je le toise moi aussi, je fixe ses yeux auparavant noisettes. Cette fois, ils sont bruns, totalement noirs. Je n'y vois même pas leurs pupilles.
— Il a toujours appartenu à une seule personne, rétorqué-je.
— Le Changeur de Peaux ou l'Être de Feu, appelle le comme tu le souhaites, n'est plus là.
— Alors le manteau m'appartient, je l'ai trouvé, je le garde.
Si c'est vraiment Lucius qui me parle, et qu'il me demande le manteau, c'est pour une bonne raison. Il avance d'un pas, le bras toujours tendu, attendant que je lui donne l'Objet.
— Je suis fatigué, je ne suis pas d'humeur à marchander.
— Moi non plus, grogné-je. Alors qu'êtes-vous ? Êtes-vous un Changeur de Peaux ? Où est Andreï...
Il baisse le bras et pousse un profond soupir. C'est assez étrange d'avoir le prince devant moi mais d'y voir une autre personne lorsque je plonge mes yeux dans les siens. Cela me rappelle Kyrsten... cependant Josépha était douée, je n'y avais vu que du feu.
— Tu es si naïve, avec un si grand pouvoir...
— Je n'y connais rien...
Il avance d'un pas, plongeant ses yeux incroyablement sombres dans les miens.
— Je peux t'apprendre, Chloé.
— Où est Andreï ?
— Il est toujours là.
Je plisse les paupières.
— Tu t'es alliée à l'Invocatrice de Lumière, je t'ai dit de prononcer mon nom... et tu l'as fait. Tu m'as appelé, comme une invitation, j'ai pu balader mon esprit dans les ténèbres grâce à votre énergie et trouver mon hôte avant que tu ne les chasses pour de bon.
Il marque une pause tandis que je le jauge, la bouche entrouverte. Néanmoins, je ne lâche pas le manteau.
— Mais je ne suis pas n'importe qui et je ne possède pas n'importe qui.
— Posséder...
— Il y a tant de part de ton pouvoir que tu ne connais pas...
Je ne sais quoi rétorquer, je demeure immobile, profondément perturbée. Je peine à comprendre ce qu'il s'est passé. Lucius a-t-il pu se faufiler dans les Ténèbres? Ce qui voudrait alors dire que ce qui arrive à Andrei est totalement ma faute... je me rends compte qu'en pensant sauver nos Nations, j'ai laissé une porte ouverte à Lucius qui, dorénavant, possède le corps du futur roi.
Il se met alors à faire les cents pas devant moi, cependant il n'arbore pas un air inquiet. Il me paraît serein, trop serein et probablement s'amuse t'il de la situation.
— Vois-tu, je joue avec ce pouvoir depuis près de trente huit longues années, Chloé. J'ai appris à le manier et encore plus depuis dix huit ans que je suis enfermé, enchaîné et affamé...
Il s'arrête devant la fenêtre et fixe un point. Dehors, le soleil est levé, nous pouvons entendre les oiseaux chantonner, les citoyens s'affairer à remettre en ordre les rues de Panterm, les servants à redonner vie au Palais Royal.
— Puis je t'ai sentie... en réalité... j'ai toujours senti ton pouvoir. Je t'ai cru morte puis tout a changé quand les Changeurs de Peaux ont commencé à te chercher. Je leur avais dit... je leur avais dit que quelqu'un d'autre avait mes pouvoirs. Je leur ai dit... de te trouver si jamais j'échouais, si jamais on m'enfermait. Parce que Chloé... personne ne peut me tuer.
Il se tourne finalement vers moi, je reste immobile à le fixer, le manteau dans les mains, sans dire un mot. Mon cœur bat à tout rompre. Je vois Andrei devant moi, mais c'est Lucius qui me parle. Comment lui redonner conscience ? Comment le préserver ? Comment éloigner Lucius de moi ?
— Formons une équipe, libère moi Chloé. Libère moi , prenons le pouvoir et ne vivons plus cachés de tous.
Je secoue doucement la tête de droite à gauche.
— Non... soufflé-je.
— Il n'y a que toi qui peut me trouver. Si on s'unis, je pourrai être libre, je prendrai la place de ce roi de pacotille et tu seras à mes côtés.
— Non... répété-je.
Je ne comprends pas les intentions de Lucius, ni même la raison pour laquelle il semble en vouloir à toutes les Nations réunies et principalement à la famille royale. Je souhaite fuir mais à la fois, je ne peux pas abandonner Andreï.
J'enfile alors le manteau qui prend aussitôt la taille adéquate pour me sied parfaitement. Je vois Lucius, ou du moins, le prince, ouvrir de grands yeux et se précipiter vers moi. Quand les manches du manteau se rétrécissent à la bonne taille. Je saisis le visage du prince et je plonge mes yeux dans les siens.
— Andreï ! Vous m'entendez ? Si vous êtes toujours là, par pitié ! Luttez... luttez contre lui !
Je ne dois prononcer son nom. J'ai comme l'impression que cela l'appelle et lui donne du pouvoir.
— Lâche-moi ! Grogne Lucius en saisissant mes épaules. Tu ne peux pas faire ça ! Tu te rallies aux mauvaises personnes !
Cependant, le manteau sur moi semble avoir un pouvoir sur lui puisque de la brume s'échappe de mon corps et vient nous entourer comme un vent circulaire.
— Andreï ! Battez-vous ! Vous êtes plus fort que lui ! Ne le laissez pas prendre votre place !
Voilà que les rideaux volent dans la pièce, la porte fenêtre donnant sur le balcon s'ouvre et claque puis se referme et claque à nouveau. Je fixe les yeux noirs et remplis de vice de Lucius, dans l'espoir de revoir l'étincelle juvénile du prince.
— Pitié... Andreï... revenez à vous !
Une forte décharge me sépare de Lucius qui pousse un grognement. Je suis propulsée en arrière et j'atterris sur les fesses. La brume a disparu, le vent s'est arrêté, les rideaux ne volent plus... Je me relève aussitôt et me précipite vers le prince qui est affalé sur le sol. Je m'agenouille près de lui et le secoue légèrement. Je vois que ses paupières tremblent jusqu'à ce qu'il ouvre les yeux et les pose sur moi. Des yeux noisettes, dépourvus de vice.
— Chloé... ? Avons-nous gagné contre les Ténèbres ?
Je souris, soulagée qu'il soit de nouveau conscient alors sans réfléchir, je le serre dans mes bras. Il semble d'ailleurs surpris. Quand je me détache de lui, il m'interroge du regard, tout en se redressant.
— Nous avons gagné, soufflé-je.
Il esquisse un faible sourire, une fois assis, il se frotte les yeux. Je remarque alors une veine apparente dans son cou, une veine noire qui se dissipe comme si un serpent se baladait dans son sang. Je décide alors de retirer le manteau et de lui tendre.
— Vous devriez porter cela.
Les Objets Obscurs conçus par Lucius semblent également être une arme contre lui. Autant s'en servir et éviter au prince trop de tourments.
— Pourquoi ? Ne serait-ce pas le manteau de...
— Tristan est mort...
Il relève les yeux vers moi, paraissant sous le choc. Il garde la bouche entrouverte, aucun mot n'en sort. Je déglutis difficilement, le cœur lourd en pensant à lui.
— Je ne souhaite pas en parler pour le moment... marmonné-je.
Je me pince les lèvres et essuie la larme qui perle au coin de mon œil.
— Portez ce manteau, s'il vous plaît... il vous protégera, vous qui allez devenir roi. Vous devez vous protéger.
— En êtes-vous certaine ?
— Bien-sûr.
— Un être humain peut-il réellement porter quelque chose de... magique ?
— Il vous servira de bouclier.
Finalement, Andrei prend le manteau. Il l'observe un instant, retire sa veste royale et enfile l'Objet Obscur autrefois ayant appartenu à Lucius et Tristan. Le manteau s'élargit, les manches s'allongent, le vêtement prend forme et s'ajuste à la taille du prince. Il repose alors son regard sur moi.
— Je le porterai... cependant, y'a-t-il quelque chose que je devrais savoir ?
J'inspire profondément. Je lui ai déjà beaucoup menti en ce qui concerne la mort de son père, la destruction de Panterm... Mais lui avouer que Lucius lui-même semble avoir pris en partie possession de sa personne serait le mettre en danger et surtout, mettre les sept Nations dans le pétrin.
Alors j'inspire et lui adresse mon sourire le plus courtois.
— Vous savez déjà tout, Majesté.
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