XXXI - Le départ

Je dors, paisiblement je dois l'avouer. Je me suis toujours bien sentie entre les murs de cette maison. J'ai toujours cru y être née d'ailleurs. Alors je me demande pourquoi ma mère m'avait dit que j'étais née deux mois après son terme.

J'ouvre les yeux lorsqu'on frappe à ma porte. Je me les frotte et me redresse. Je ne me suis même pascouverte et à vrai dire, vu les brûlures que j'avais sur les jambes, je n'en avais pas besoin, j'avais suffisamment chaud comme cela en plus de la cheminée qui est éteinte à présent.

Tristan passe sa tête par la porte.

— Toc, toc... j'ai le droit de rentrer dans vos appartements mademoiselle la sauveuse de Nation ?

Je souris légèrement.

— Bien-sûr.

Alors il entre, vêtu de son manteau, semblant sortir tout droit d'un bain. Il enfonce les mains dans ses poches et regarde la pièce tout en se baladant dedans.

— Comment va Hélène ? Demandé-je.

Il me jette un regard.

— Elle se remet, tout comme toi elle a dormi toute la journée et toute la nuit. Et toi, tes jambes vont mieux ?

Je hoche la tête.

— Je crois que je vais pouvoir me lever.

— Super ! On l'a échappée belle.

— Oui...

Il se penche vers la commode pour inspecter les fleurs fanées qui se trouve dans un vase.

— Tristan ?

Il se tourne vers moi.

— Tu penses que nous pourrons partir dès aujourd'hui pour Panterm ?

Il se redresse et hausse les sourcils.

— Tu veux remettre ça ? Maintenant ?

— Oui, je pense qu'Andreï est en danger et je veux en finir une bonne fois pour toute.

— Tu sais que ce sera pire qu'ici ? Il n'y a pas une seule Ombre Obscure, il y en a plusieurs. Sans compter que là-bas, il y a la garde royale, et probablement Josépha et son acolyte.

— Parfait, j'ai des comptes à régler avec cette assassin.

Tristan me fixe, comme si ce que je venais de dire n'avait aucune importance. Certes je ne dois plus laisser mes émotions me submerger mais Josépha a tué mes amis. Je ne peux pas la laisser s'en tirer comme ça.

— Et nous élaborerons un plan, évidemment, grogné-je.

— Parfait.

Tristan fait le tour du lit puis s'assoit au bord de celui-ci. Nous nous regardons un instant sans un mot, j'avoue me sentir quelque peu gênée mais je suis également contente qu'il vienne prendre de mes nouvelles.

— Hier quand je...

— T'en fais pas, l'interromps-je. C'est déjà oublié.

Il hausse les sourcils.

— Donc tu as déjà oublié, je vois, répond-il comme s'il semblait déçu.

Je m'assois pour me rapprocher de lui, alors nos regards se croisent et se scellent l'un dans l'autre. J'aime son visage, ses yeux bleus, avec le manteau son œil jaune disparaît et j'aime ses lèvres fines et dessinées, sa peau, sa barbe naissante...

— Peut-être devrais-tu me rafraîchir la mémoire...? Soufflé-je hésitante.

Il regarde mes yeux puis mes lèvres et encore mes yeux, pour enfin se rapprocher de moi. Ça y est, mon cœur s'emballe à nouveau. Lorsqu'il pose sa main brûlante contre mon cou, un frisson me parcoure. J'entrouvre les lèvres, dans l'espoir qu'il m'embrasse. Je ne sais pas à quel moment j'ai succombé. Je ne sais pas ce qui nous lie alors que nous ne nous entendons jamais.

Je me sens aimantée à lui, encore plus à cet instant. Je ferme les yeux, j'attends qu'il m'embrasse. Quand ses lèvres se posent délicatement contre les miennes, mon cœur s'enflamme littéralement. Cette fois, il est doux, lent et au creux de mon estomac brûle une flamme beaucoup trop vive. Il se détache de moi et relève ses yeux vers moi, je me pince les lèvres et souris légèrement.

— Encore... marmonné-je.

— Chloé, je...

— On va sûrement mourir une fois à Panterm, tu sais ? L'interromps-je.

Et je le pense. La Capitale me semble extrêmement dangereuse en ce moment, j'ai un mauvais pressentiment mais la certitude que je dois m'y rendre et réparer tout ce que j'ai fait, en plus de venir en aide à Andreï. Peut-être que la mort ne sera que la seule échappatoire, ou peut-être pas. Cependant, depuis quelques temps, nous frôlons la mort beaucoup trop souvent. J'ai peur de regretter certaines choses et je ne veux pas non plus mourir sans avoir connu certaines choses.

— Alors embrasse-moi encore, reprends-je. Colle-toi à moi, tiens moi chaud... montre-moi à quel point tu peux être humain.

Il me toise de longues secondes sans un mot, on dirait qu'il hésite, que quelque chose le tracasse. Alors je prends les devants. Je ne suis pas très douée pour cela mais je me lance. Je saisis sa nuque et je l'embrasse fougueusement. Il ne me repousse pas, en fait, sa main vient se caler au creux de mon dos pour me rapprocher de lui. Nos respirations sont soudainement en rythme et beaucoup plus rapides. Je me laisse porter par la danse, je me retrouve rapidement allongée sur le dos, Tristan au dessus de moi. Quand il colle son corps contre le mien, un nouveau frisson me parcoure tant il dégage une grande chaleur. Il embrasse ma joue, puis mon cou et tire sur la manche de ma chemise de nuit pour déposer des baisers sur mon épaule et ma clavicule. Je me mords les lèvres, je garde les yeux fermés et je ressens soudainement un désir profond. Ce n'est pas quelque chose que j'ai autrefois ressenti. C'est tout nouveau et terrifiant mais à la fois aussi incontrôlable que les pouvoirs. Sa main se balade sur ma jambe nue et enfin cicatrisée, continue son chemin sur ma cuisse, en même temps de cela, il fait remonter le bas de ma chemise.

— Attends Tristan, soufflé-je.

Il se redresse et me regarde tout en penchant la tête sur le côté.

— Je me sens vulnérable...

C'est la vérité. Je suis vulnérable et ça me terrifie. Il esquisse son fameux sourire en coin et dégage une mèche de cheveux de mon front.

— Tu es vulnérable, rétorque-t-il.

Il dépose un baiser sur mes lèvres.

— Et...

Un autre contre mon cou.

— Moi...

Un nouveau sur ma joue.

— Aussi.

Il plonge à nouveau ses yeux dans les miens. Nous nous regardons un instant dans le silence avant que je me décide à tirer sur son manteau pour qu'il le retire. Et c'est ce qu'il fait, il le jette par terre et me toise à nouveau. J'ai envie d'en voir plus. Je détache son veston doucement, il m'observe faire sans un mot, je lui retire et j'attrape le bas de sa chemise en lin pour la relever.

Ce que je fais est mal. Mes parents m'ont toujours dit de me préserver pour mon mariage, cependant compte tenu de la situation, je ne crois pas me retrouver mariée un jour. Alors à quoi bon suivre ces règles ?

Je retire sa chemise et regarde son torse. Je ne l'avais encore jamais vu, il est plaisant à regarder, je passe mes doigts sur une cicatrice près de son nombril, une autre plus large et longue sur sa poitrine puis celle encore rougie de son épaule, due au coup de poignard infligé par le Gouverneur Hector. Je me demande d'où proviennent ces marques mais Tristan se colle à nouveau contre moi et m'embrasse plus langoureusement cette fois, me faisant oublier toutes mes questions. À nouveau, ma respiration s'accélère au même rythme que les battements de mon cœur. Je glisse mes mains contre son dos svelte, brûlant, lequel semble arborer des cicatrices également puis sa main a lui passe sous ma chemise, remonte jusqu'à ma poitrine qu'il malaxe. C'est extrêmement plaisant , alors je me laisse faire et rentre le ventre lorsqu'il la descend vers mon nombril. Je sens sa virilité contre ma jambe à travers ses vêtements et j'ai encore plus envie de lui arracher ses habits. J'en veux toujours plus avec lui.

Cependant, lorsqu'on frappe à la porte, nous nous redressons tous les deux brusquement. Je passe mes mains sur mes cheveux, tire sur ma chemise de nuit et Tristan ramasse ses affaires à la hâte.

Hélène rentre dans la pièce, elle regarde Tristan enfiler sa chemise puis moi et garde la bouche entrouverte.

— Veuillez m'excuser... Votre mère et votre père vous demandent... je... vous laisse tranquille tous les deux.

Elle quitte la pièce et referme la porte derrière elle. Tristan pousse un soupir et passe sa main sur son visage.

— Ne les fais pas attendre. Je vais aller trouver un bateau et un pêcheur qui acceptera de nous conduire jusqu'à Panterm.

Je me lève à mon tour et me dirige vers la coiffeuse. J'ouvre le tiroir et en sort un médaillon. C'est un bijou que ma mère m'avait offert à mon seizième anniversaire, je le tends à Tristan qui remet tout juste son manteau.

— C'est quoi ? Demande-t-il.

— Aucun pêcheur n'acceptera de nous emmener dans une Nation condamnée sans paiement. Ce médaillon vaut cher, c'est de l'or. Ça te permettra de trouver un bateau.

Il se rapproche de moi. Pour prendre le médaillon, il entoure ma main de la sienne. Je relève mes yeux vers lui. Je brûle toujours autant de désir pour lui.

— Merci, souffle-t-il.

Il prend le bijou et quitte la chambre. Je reste un moment immobile, je pose même mes doigts sur mes lèvres, j'ai encore la sensation de sentir ses baisers et ses caresses sur mon corps. Je cligne plusieurs fois des paupières et me reprends.

Je me vêtis d'un pantalon, une chemise de lin que je rentre dedans ainsi qu'un gilet puis un manteau de cuir rouge pourpre. Je rejoins rapidement ma mère et mon père dans la salle à manger, ils sont tous les deux assis, l'air inquiet mais se lèvent lorsqu'ils me voient entrer. Hélène qui les accompagne fait de même, les mains croisés devant son bassin. Elle ne perd pas ses habitudes de servante.

— Comment te sens-tu Chloé ? Demande ma mère.

— Je vais bien, je n'ai plus de brûlures. Et vous ?

Une partie de la maison est condamnée, car je l'ai détruit. Les travaux coûteront sûrement trop cher pour mes parents.

— Nous aimerions discuter avec toi.

— Je vous écoute.

— Ton père m'a dit que tu savais... que... que nous ne sommes pas tes parents biologiques.

Je jette un regard à mon père. Lui aussi me regarde, d'un air désolé.

— Pourquoi m'avoir mentie... ? M'enquis-je.

— Nous ne voyions pas l'utilité de te le dire, en partie car Lucius avait été capturé et enfermé. Nous ne pensions pas que...

— Mes cheveux auraient dû vous faire comprendre que quelque chose n'allait pas.

— Nous t'avons élevée, nous t'avons aimée comme si tu étais le fruit de notre amour. Et... tu l'es, Chloé. Tu ne peux imaginer la lumière qui tu as apporté dans nos vies.

Quel paradoxe.

— Lucius a dû te faire quelque chose lorsque tu étais bébé mais ça ne fait pas de toi quelqu'un de mauvais. Tu es et resteras notre fille et tu es et resteras une bonne personne. Nous savons que tu n'as jamais voulu faire de mal aux gens qui habitent cette Nation. Tu avais du chagrin et de la rancoeur, c'étaient tes amis.

Aussitôt, je repense à Hugh et Kyrsten, à tous ces moments que j'ai passé avec eux. Je me rappelle nos éclats de rire, nos soirées ensemble sur le port, l'odeur de Hugh que j'appréciais tant. Je sens mes larmes rouler sur mes joues.

— Ils me manquent tellement...

Ma mère fait le tour de la table et me prend dans ses bras, alors je me laisse aller, entraînée par mes sanglots. Mon père nous rejoint. Dans leurs bras, je me sens de nouveau moi-même et c'est un sentiment familier très appréciable.

— Chloé ?

Nous nous détachons et nous retournons. C'est Tristan qui vient d'entrer dans la pièce. Il semble touché par mes larmes mais se reprend.

— J'ai trouvé un bateau prêt à partir tout de suite.

Je hoche la tête.

— Partir où ? Intervient ma mère.

— Je dois retourner à Panterm... si je vous ai sauvé, je peux aussi les sauver eux...

— C'est risqué, Chloé...

— Je sais, mais le prince est là-bas, et malgré tout, il nous a aidé...

Ma mère baisse la tête, elle ne semble pas ravie de savoir que je pars à nouveau. C'est vrai que la dernière fois que je suis partie pour Panterm, le chaos s'est réveillé en moi. Mais cette fois c'est différent, cette fois je suis avec Tristan et surtout, je sais contrôler mes pouvoirs.

Lorsque nous nous disons au revoir, c'est presque un adieu. Ma mère pleure, mon père, lui, préfère cacher ses émotions, cependant je vois bien dans son regard que cela l'affecte. Nous avons de quoi manger lors du voyage sur le bateau, mon père s'en est chargé. Il a repris sa place de Gouverneur et Hélène restera à leurs côtés. Je lui ai promis de retrouver son père et son fils et les lui ramener. Ary, quant à lui, est toujours attaché au bûcher sur le port. Lorsque nous passons à côté de lui, il nous jette son plus mauvais regard, les gardes maintenant aux ordres de mon père.

Tristan et moi rejoignons le pêcheur qui nous mènera jusqu'à Panterm. Il a un petit bateau ne pouvant pas contenir grand monde, et il porte le médaillon. C'est un scarabée, en or, je le portais beaucoup quand j'étais jeune mais je n'avais pas envie de l'emmener avec moi à Panterm. J'aurais dû, il m'avait toujours porté chance. J'espère qu'il me portera chance pour ce voyage. J'embrasse une dernière fois mes parents puis j'enlace Hélène. En réalité, je la serre très fort et elle aussi.

— Méfiez-vous du Changeur de Peaux, Chloé, me murmure-t-elle durant notre étreinte. Nous ne pouvons faire confiance à personne.

Nous nous détachons l'une de l'autre et nous nous jetons un regard. Je lui adresse un sourire et nous montons sur le bateau. Lorsqu'il part, j'ai un pincement au cœur. Devoir à nouveau les quitter me fait du mal mais je sais à présent qu'ils sont en sécurité et c'est tout ce qui compte.

Le voyage dure plusieurs jours, cette fois, sans attaque par une Ombre Obscure, sans aucun dragon même si, en réalité, il est là avec nous sur le bateau. Il n'y a pas de tempêtes, pas de vent, et en réalité, lorsque nous approchons de Panterm, c'est bien plus grave que ce que je pensais. Nous sommes encore loin mais nous voyons la Capitale d'ici, au dessus de nous, le ciel est bleu, le vent est froid à cause de l'hiver cependant le soleil est bien présent et il l'a été tout le long du voyage. Pourtant, au dessus de Panterm se trouvent de grands nuages noirs, brumeux, épais, qui semblent l'entourer, les éclairs fendent le ciel, on dirait même que de la pluie en tombe. La Nation est plongée dans le noir complet et nous nous dirigeons droit dessus. Nous ne pouvons même plus voir le grand clocher de Panterm, il est recouvert de brume épaisse. Tout est recouvert de ténèbres.

Puis un rugissement terrifiant retentit et résonne jusqu'à nous. Tristan et moi nous jetons un regard, ni lui ni moi ne sommes rassurés.

Cependant il est temps de rejoindre le prince et de combattre les Ténèbres.

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