XXVII - L'Invocatrice de Lumière

Toujours pendue, je me balance légèrement, la branche qui me retient grince au rythme de mes balancements. Je ne bouge plus, depuis qu'elle a déclaré cela, plus aucun son ne vient perturber ce silence glaçant.

Mon souffle est chaud, à tel point que de la condensation sort de ma bouche lorsque je respire. Dans cette posture la tête à l'envers, mon sang monte à mon cerveau et me donne une très grosse migraine, la vue légèrement brouillée.

— Comment souhaites-tu mourir ?

Je fronce les sourcils.

— Où... où êtes-vous ?

— Je ne me montre pas aux Êtres des Ténèbres.

— Je ne suis pas...

Je soupire.

— Je suis venue demander de l'aide.

— Comment souhaites-tu mourir ? Répète-t-elle.

Ce n'est pas une question que je me suis un jour posée. En réalité, je n'ai même jamais imaginé ce moment arriver et encore moins si tôt. Sur l'instant, je songe à mourir, à lui demander de m'endormir afin que je ne sente rien puis je pense à mes parents, à Hélène, Tristan, Andreï... je songe à Panterm et Corvil que j'ai recouvert de ténèbres. Je ne peux pas abandonner si facilement.

Alors ni une ni deux, je décide de forcer pour me redresser, je pousse même un grognement pour me donner davantage de force. J'arrive par miracle à m'accrocher à cette corde qui coupe la circulation de mon pied. Je dois penser comme lorsque je déverrouillais les portes dans le manoir du Gouverneur Hector. Je songe à ces cordes, à ces liens qui me libèrent, qui disparaissent, qui se coupent.

Cela fonctionne par miracle. L'atterrissage, lui, est misérable. Je tombe sur le dos, ma respiration se coupe un instant et le froid de la neige drôlement dure atteint rapidement ma peau à travers mes vêtements. Lorsque je souhaite me relever, une lumière m'aveugle littéralement. Par réflexe, je mets mon bras devant mes yeux et grimace, incapable de garder les paupières ouvertes.

— Je vous en prie ! Crié-je. Je ne suis pas venue en tant qu'ennemie ! J'ai grandement besoin d'aide, je suis en train de détruire les sept Nations ! On m'a conseillé de venir vous voir, Esmeralda !

La lumière brûle ma rétine, même si mes yeux sont fermés. N'importe qui pourrait devenir aveugle avec une telle luminosité. Finalement, cette lumière s'estompe. J'ouvre un œil, ma vue est trouble, je sécrète des larmes qui brûlent encore plus mes yeux. Je vois une femme se pencher au dessus de moi, je ne distingue pas son visage. Je remarque seulement qu'elle arbore des cheveux si blonds qu'ils tirent vers le blanc, et qu'elle porte une robe aussi blanche que les plumes d'une colombe.

Alors que je suis appuyée sur mes coudes, elle pose sa main sur mon front, ma tête part en arrière sans que je ne le contrôle et je suis emportée dans un sommeil incontrôlé.

Pour une fois, je ne rêve pas de ténèbres, d'îles sous les orages, d'océan agité ou d'Ombres Obscurs. Au contraire, ce rêve me laisse perplexe.

Je suis allongée dans ce qui ressemble à un lit, j'entends le chant des mouettes, les vagues de l'océan et du vent danse avec les rideaux de la pièce. Une odeur marine remonte jusqu'à mon nez puis lorsque je me redresse, je vois Tristan s'asseoir au bord du lit et me regarder.

Il ne parle pas dans ce rêve, il se contente de me regarder et de se pencher ensuite au dessus de moi pour m'embrasser longuement. C'est vrai que nous avons échangé un bref baiser sous le saule pleureur mais ce n'était pas comme je l'avais imaginé. Peut-être parce qu'après cela, le chaos s'est abattu sur nous tous.

Rapidement, Tristan se couche sur moi, ses lèvres chatouillent mon cou, goûtent ma clavicule et descendent sur ma poitrine. Je ne contrôle rien et ce rêve me gêne quelque peu. Je n'ai jamais eu de pensées obscènes, en partie car je me préserve pour le mariage et je n'avais encore jamais rêvé de telles choses. Sa main glisse sur ma hanche, caresse ma cuisse et remonte jusqu'à mon entrejambe. Je suis toute émoustillée, ma respiration est rapide, j'ai chaud, j'ai envie qu'il m'embrasse à nouveau, incapable de le repousser. Cependant, quand il se redresse pour me regarder, c'est Andreï que je vois.

Aide-moi, Chloé.

Je me réveille en sursaut. Je suis assise sur un lit plus petit que celui de mon rêve, du moins j'en ai l'impression. Le bruit de la cascade me rappelle à la réalité. Je pose ma main sur ma poitrine et souffle lentement. Je dois calmer mon rythme cardiaque. Je cligne plusieurs fois des paupières cependant, je n'y vois pas grand chose alors; je recommence à paniquer. J'halète, me frotte les yeux, palpe le petit lit sur lequel je me trouve.

— Je... je ne vois plus rien ! Aidez-moi... aidez-moi... je...

— Calmez-vous, résonne une voix calme.

Je relève la tête, j'ouvre grands mes yeux, clignent des paupières et je distingue cette silhouette féminine et gracieuse.

— Penchez votre tête en arrière.

Ses mains froides font pivoter ma tête en arrière.

— Fermez les yeux.

Je m'exécute, bien que méfiante. Elle dépose quelque chose de visqueux et froid sur mes yeux, puis elle entoure une sorte de bande autour de ma tête pour maintenir ce qu'elle a collé à mes paupières.

— Qu'est-ce que c'est... ? Demandé-je en touchant la bande.

— De la neige fondue et quelques plantes, afin que vos yeux puissent guérir plus vite.

— Je ne vais pas devenir aveugle ?

— Non, mais pour cela vous devez garder cette préparation sur vos yeux jusqu'à ce qu'elle sèche.

Je laisse mes épaules s'affaisser, je suis dans le noir complet, uniquement guidée par la voix d'une femme qui me menaçait de me tuer avant que je ne perde connaissance.

— Je n'ai pas pour habitude de sauver des Êtres des Ténèbres. Alors je vous demanderai de vous expliquer sur ce que vous m'avez dit avant que je ne vous endorme.

Je humecte mes lèvres et inspire profondément. Je n'ai plus aucun repère, c'est terrifiant.

— C'est un ami qui m'a conseillé de venir vous voir... le voyage a été très long et éprouvant et...

Je la sens qui prend mes mains, elle pose une sorte de bol, il est chaud et hérisse mes poils. Dans mon autre main, elle y met un couvert.

— Mangez, c'est de la soupe, cela vous redonnera des forces.

— Merci...

Je prends du liquide dans la cuillère puis dans ma bouche, j'en fais couler légèrement sur mon menton mais l'essuie avec ma main. Je ne vois rien, et je n'ai jamais vécu comme cela.

— Continuez, dit-elle.

Elle n'est pas menaçante lorsqu'elle parle. Elle est même bien trop douce.

— Je disais que j'avais besoin de vous. Mon ami m'a dit que vous seriez la seule personne à pouvoir m'aider à comprendre ce qu'il m'arrive.

— Vous êtes un Être des Ténèbres.

— Je sais... mais quel genre d'Être des Ténèbres je suis ? 

— Vous avez dit détruire les Sept Nations... pourquoi ?

— Car c'est la vérité... Panterm et Corvil sont sous les ténèbres. Je veux réparer mes erreurs.

Vous avez invoqué les ténèbres ?

— Je n'en sais rien...

Je continue à boire cette soupe succulente qui rempli mon estomac vide et douloureux.

— Hm... l'entends-je marmonner. C'est étrange.

— Oui...

— Qui sont vos parents ?

— Ma mère est une Enchanteresse, et mon père n'est qu'un brave homme sans pouvoirs.

— Ont-ils les cheveux noirs comme vous ?

Je secoue la tête de droite à gauche.

— Non... ils sont blonds...

— Avez-vous été adoptée ?

— Bien sûr que non.

C'est une chose qui ne m'est jamais venu à l'idée.

— Qu'attendez-vous de moi ?

— Je ne suis pas comme tous les Êtres des Ténèbres. Je n'ai pas le mal en moi je... je veux simplement réparer mes erreurs, sauver les pauvres gens à qui je scelle le destin, savoir ce que je suis réellement et pourquoi je suis comme ça.

— Bien...

— Vous allez m'aider ?

— Je ne suis pas une faiseuse de miracle.

Elle prend le bol et la cuillère. Je l'entends les poser sur une sorte de table. Du moins, c'est ce que je m'imagine. Tous les sons semblent décuplés maintenant que je ne vois plus rien. Je sens à nouveau ses mains froides sur mon visage, les paumes de ses mains plaquées sur mes tempes. Au début je sursaute mais tente de me détendre.

— Allons fouiller dans votre tête.

— Euh... d'accord...

J'entends son souffle près de moi, un souffle paisible et serein, contrôlé, calme.

Puis j'ai une vision, je serre les draps du lit, me raidis totalement.

Ce que je vois est bref, on dirait une forêt, du moins, il y a beaucoup de sapins. Il fait très sombre, des cris résonnent dans tous les coins...

Allons-nous en mon amour !

C'est une voix masculine. On dirait que je vole et qu'ils ne me voient pas. Il y'a des morts sur le sol, des arbres fendus, des trous dans la terre et ces deux personnes... une femme et un homme, blonds.

Tu entends, Charles ?

Charles, comme mon père. La femme blonde, qui, je le remarque bien rapidement, est ma mère, tend l'oreille. Ils paraissent si jeunes et mon père parle... à travers tous ces hurlements de peines et de douleur, des pleurs de bébé sont perceptibles. Les deux individus se jettent un regard et courent en direction de ces pleurs.

Près d'une vieille cabane en bois complètement détruite, un homme vêtue de noir est penché au dessus de ce qui ressemble à un landau. C'en est un, c'est certain. Puisque le bébé continue de pleurer.

Je t'en prie... cesse de pleurer.

Ne touchez pas à cet enfant ! Hurle mon père.

L'homme se retourne mais son visage est brouillé, totalement flou, pourquoi est-il imperceptible pour moi ?

Lucius... marmonne ma mère.

À qui ai-je l'honneur ? Demande ledit Lucius.

Cette voix rassemble à celle des chuchotements que je ne cesse d'entendre.

Éloignez vous de cet enfant !

Lucius écarte ses bras, paumes vers le ciel et les lèvent doucement. De la terre sort de la brume épaisse et noire, il semble contrôler ces ombres comme personne. Pour le moment, ça ne prend pas la forme de monstres, ça tourne comme des tornades noires.

L'enfant ne vous appartient pas, rétorque-t-il.

Vous allez payer pour ce que vous avez fait à nos Nations !

La vision s'arrête, je sens les mains d'Esmeralda qui se retire de mon visage alors j'attrape ses poignets.

— Non, pitié, montrez-moi, soufflé-je.

Alors elle repose ses mains et nous revoilà parties dans le passé à virevolter comme le vent. Il n'y a plus de Lucius, il n'y a plus de cris. Il n'y a que le silence et les pleurs du bébé. C'est ma mère qui prend l'enfant dans ses bras, un bébé à peine âge d'un an,  qui ne cesse de s'égosiller, avec de beaux yeux bleus.

Tout va bien... tout va bien... tu es en sécurité, murmure-t-elle en le berçant.

Elle regarde ensuite autour d'elle. C'est incroyable et à la fois effroyable ce qui se passe. Les arbres se calcinent doucement, comme s'ils étaient rongés par un feu invisible, le sol s'assèche, les brindilles, l'herbe, les feuilles... tout se fossilise... comme l'endroit que j'ai traversé, hors des Nations.

Un craquement derrière elle la fait se retourner brusquement. Le bébé dans ses bras ne pleure plus et c'est mon père qui se tient face à elle. Ses vêtements sont en lambeaux et il semble incroyablement fatigué. Du sang recouvre son menton, et son cou, tache même ses vêtement...

Charles ! Tu es en vie ! Le roi a réussi... nous avons gagné la guerre !

Il lui sourit légèrement bien que ses yeux soient embués de larmes. Elle s'approche de lui et pose sa main sur sa joue.

Parle-moi mon amour...

Tout tremblant, il ouvre alors sa bouche et dévoile une langue tranchée. Ma mère plaque sa main sur sa bouche, des larmes ruisselantes sur ses joues. Pourtant, je vois que mon père se veut rassurant, il la blottit contre lui puis doucement, il tire sur le drap sale qui recouvre le visage du bébé endormi.

Nous la ramèneront à Corvil... nous l'élèverons comme notre enfant.

Mon père se contente de hocher la tête, le visage déformé par la douleur mais ses yeux ne montrant qu'un amour inconditionnel.

Nous l'appellerons Chloé.


Esmeralda me lâche, je reste immobile, la bouche entrouverte et bien que j'ai cette préparation visqueuse sur le yeux, je sais que je pleure. Vivre dix huit ans et croire être leur fille, c'est douloureux. Car aujourd'hui j'apprends par de simples visions que je ne suis qu'un bébé abandonné qu'on a retrouvé en pleine forêt.

— Lucius vous a probablement touché ce jour-là.

— Ce serait lui qui...

— Il y a une raison à cela oui. S'il l'a fait, c'est qu'il avait quelque chose en tête.

— Alors que suis-je ?

— Vous êtes comme lui.

Je le savais, et Tristan aussi, il ne cessait de me le dire.

— Comme tous les Êtres des Ténèbres, vous avez votre spécificité.

Je suis plongée dans le noir, dans les ténèbres, me renvoyant alors sans cesse à ce que j'ai fait à de pauvres innocents.

— Vous êtes la nouvelle Invocatrice de l'Ombre.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top