XXI - Retour aux sources
— Terre en vue !
C'est le cri d'un marin qui me réveille. Je m'étais endormie sur un banc sur le pont supérieur. Je n'ai cessé de rester à l'extérieur durant les deux jours restant de notre voyage afin de m'assurer que Tristan réapparaisse comme par magie. Cependant ce ne fut pas le cas.
Nous voilà dorénavant à Corvil, je reconnais mes terres. Les grands sapins, le petit port de pêcheurs, les multiples barques accotées à ce même port. C'est une Nation côtière et accueillante. Le soleil n'est pas au rendez-vous, les nuages sont chargés et gris cependant c'est tout de même agréable que de revoir cette verdure et ces montagnes en fond.
Lorsque je pose mes pied sur le ponton, je m'arrête un instant et inspire profondément tout en souriant. Me voilà de retour chez moi, dans un endroit que je connais puisque j'y ai grandi. Nous avançons alors sur le ponton, tous les trois. Andreï ne boite presque plus, la Guérisseuse a fait des miracles.
Sans Tristan, c'est assez étrange. Nous nous sentons quelque peu perdus, sans vraiment savoir où aller. Il m'a parlé d'un certain Ary avant de sauter alors je dois commencer par cela mais à la fois, je songe au manteau. Si Tristan en est arrivé là, c'est par ma faute alors peut-être faudrait-il retrouver ce manteau.
— Que devons-nous faire ? Nous étions censés venir ici pour retrouver le pêcheur à qui le manteau a été vendu, commence Andreï en regardant tous les voyageurs retrouver leurs familles ou bien découvrir les lieux.
— Nous pourrions peut-être rester ici quelques jours, souffle Hélène. Le temps de nous reposer un petit peu, de nous laver, mettre des vêtements propres et ensuite, nous réfléchirons à ce que nous devons faire.
Andreï me jette un regard comme si c'était à moi de choisir.
— Et bien... oui... nous pouvons faire cela. Mes... mes parents habitent ici. Nous pouvons aller chez eux.
— Qu'allons nous leur dire ? Souffle le prince.
— Tout sauf la vérité, rétorqué-je. Je ne veux pas qu'ils sachent ce qu'il m'arrive.
— Allons-y alors , déclare Hélène.
Ils me suivent dans les rues de Corvil. Il y a beaucoup d'auberges ici, ainsi que des stands de pêcheurs, ils y vendent du poisson frais, de la sèche et même des coquillages. Je me rappelle que ma mère me faisait des colliers avec les coquillages vides quand j'étais enfant.
Mon père est le Gouverneur de Corvil, il n'est pas difficile de manquer notre remarquable maison. Elle trône au milieu du village, elle est longue et possède quatre étages, avec de longs couloirs. Nous vivons seuls mais auparavant, quand les récoltes étaient encore bonnes et que nou n'étions pas fauchés, oncles, tantes et cousins vivaient avec nous. La demeure, aussi grande l'était, était constamment animée et respirait le bonheur. Il est vrai que ces deux dernières années ont été plus sombres et moroses.
Nous nous arrêtons devant les grilles, elles sont ouvertes et il n'y a pas de gardes. En partie car mon père ne peut plus les payer. Nous longeons alors l'allée dallée et une fois devant la grande porte rouge de la maison, je reste un instant immobile. Cela ne fait que deux semaines que je suis partie mais j'ai l'impression que cela fait des mois.
J'attrape l'anneau et frappe trois coups distincts. On vient m'ouvrir quelques secondes après et c'est ma mère qui ouvre.
Elle reste un moment immobile devant moi, elle me détaille de la tête aux pieds. Mes vêtements sont déchirés, mes cheveux emmêlés, et j'ai de la crasse sur le visage. Finalement, elle sourit et me serre fort dans ses bras.
— Chloé, ma chérie... tu es rentrée... si tu savais comme j'ai eu si peur.
Elle se détache de moi, ses mains sur mes épaules et me regarde à nouveau. Finalement, elle salue mes amis qui se présentent alors à elle. Lorsqu'Andreï se présente, il faut cela avec la plus grande classe, main derrière le dos, il baise le dos de sa main, elle comprend aussitôt qui il est.
Néanmoins, elle ne fait pas de commentaires et nous invite à entrer. Mon père nous accueille aussi chaleureusement, il me serre si fort qu'il manque de m'étouffer puis se présente aux autres.
— Lorsque ton père et moi avons eu vent de ce qu'il se passait à Panterm, nous avons cru que nous ne te reverrions plus, explique ma mère en nous guidant dans la maison.
— Ce qu'il s'est passé à Panterm ? Demande Andreï alors que nous longeons le long couloir.
— Panterm est plongé dans les ténèbres depuis plus d'une semaine, personne n'en est ressorti. Enfin... personne sauf vous.
— Quoi... comment ça ?
— Nous devrions prendre un bain avant toute chose et nous reposer, vous en pensez quoi ? Tenté-je.
Andreï secoue la tête.
— Je n'ai pas envie de me reposer ou de prendre un bain. Madame, je crois que nous n'avons pas les mêmes informations que vous, Panterm est dans les ténèbres ? Ce serait étonnant car...
— Vous n'êtes pas au courant ? L'interrompt ma mère.
Finalement, Corvil n'était pas une bonne idée. Je commence à paniquer, mais Hélène me prend la main et la serre dans la sienne comme pour me faire comprendre que tout ira bien. Or, rien n'ira bien.
— Au courant de quoi ?
— J'insiste, nous devrions nous reposer et en discuter une fois remis sur pieds... insisté-je.
— Le roi est mort, votre altesse, annonce ma mère.
Je tourne alors la tête vers Andreï qui reste immobile un instant. Il devient extrêmement pâle, mais son visage demeure impassible bien que ses yeux semblent embués de larmes. Il humecte ses lèvres et peine à déglutir.
— Pardonnez-moi... je... je dois prendre l'air.
Je le regarde partir, je souhaite le retenir mais à la fois, il doit rester seul. Ma mère pose sa main dans mon dos et me fait avancer alors je détourne mon regard, me sentant coupable.
J'ai le droit à un bain chaud et lorsque j'entre dedans, je ferme les yeux tant le plaisir est intense. Ma mère est là, et elle commence alors à me laver les cheveux et les rincer grâce à un petit seau. Ensuite, elle me frotte le dos tandis que je reste assise, mes bras entourant mes jambes. Je fixe un point devant moi.
Andreï doit être extrêmement peiné, et s'il n'a pas encore compris que tout cela est ma faute, alors il ne tardera pas à le faire et il est certain qu'il ne souhaitera pas rester ici.
— D'où viennent ces hématomes dans ton dos ?
— Ce n'est rien, mère... soufflé-je.
— S'il te plaît, raconte-moi ce qu'il s'est passé.
Elle s'accroupit devant moi alors je la regarde. Elle m'adresse un sourire qu'elle veut rassurant mais je ne parviens pas à lui rendre. Je ne me sens pas rassurée et pourtant, je pensais que revenir ici me procurerait un sentiment de sécurité. Néanmoins, j'ai l'impression que seul Tristan me permettait cela, en partie car lui savait ce qu'il fallait faire.
— Je n'ai rien à raconter.
— On dirait que tu nous en veux.
— Pourquoi m'avoir envoyée là-bas ?
Elle soupire et de sa main mouillée, ôte un petit peu de mousse qui restait sur ma joue.
— C'était égoïste de notre part... tu l'as bien vu... depuis deux ans environ, l'argent nous manque, tes oncles et tantes nous ont tourné le dos et les récoltes sont mauvaises depuis des années déjà et plus le temps passent moins les légumes poussent... les céréales elles, meurent aussitôt les récoltons-nous. Nous avons longuement discuté avec ton père et nous en étions venu à la conclusion que tu étais notre dernier espoir. Une jolie jeune femme comme toi avait toute ses chances auprès du prince, d'autant plus que tu es la fille d'un Gouverneur... mais comprends-le, nous peinons à payer tout le monde et nous ne pouvons augmenter les impôts, pour le bien de Corvil.
— Mais tout est raté...
Je sens mes larmes couler alors j'appuie mon front sur mes bras repose sur mes genoux pour me cacher.
— Tu nous es revenue vivante et c'est tout ce qui importe à présent Chloé. Nous pouvons rester en famille, et tant pis pour l'argent... il y a Ary Montaigu qui pourra prendre la place de ton père. Rien ne compte plus que notre famille.
Je relève la tête vers elle. Ary ? Parle-t-elle bien de l'homme que m'a nommé Tristan ?
— Qui est cet homme ?
— C'est un riche entrepreneur, il a investi dans beaucoup de domaines à travers les sept Nations. Il saura redonner la valeur que Corvil a perdu.
— Où se trouve-t-il ?
— Il vit derrière les montagnes, près de la plage. Il y a fait construire son domaine il y a longtemps. C'est un ermite.
Je me lève et sors de mon bain alors ma mère m'enroule aussitôt dans une serviette pour que je n'ai pas froid. Je me frotte et m'habille. Enfin, je peux mettre des pantalons, des bottes... ce qui me ressemble bien plus qu'une robe embêtante pour marcher. Ma mère serre le corset marron que j'enfile par dessus ma chemise blanche puis passe ses mains dans mes cheveux. Je la vois derrière moi, en même temps que je me regarde dans le miroir.
Elle est belle, elle arbore des cheveux blonds et de beaux yeux bruns, des lèvres dessinées, et des joues rosies.
— Tu resteras à Corvil, pas vrai ? Souffle-t-elle.
— Pour le moment, je dois faire quelque chose.
Je passe à côté d'elle et me dirige vers la porte que j'ouvre.
— Seras-tu là pour le dîner ?
— Oui !
Je dis cela alors que je suis déjà dans le couloir. Je dois aller voir ce Ary, il en saura plus que moi sur ce qu'il se passe. Sur ce coup là, je fais confiance à Tristan. D'ailleurs c'est étrange, je ne lui fais pas confiance quand il est là mais quand il n'est pas là c'est une autre histoire. Il faut dire que son arrogance n'aide pas à l'apprécier.
Je descends rapidement les escaliers et attrape le manteau noir et long que mon père me tend dans la foulée. Je m'arrête, recule de quelques pas, me perche sur la pointe des pieds et je lui dépose un baiser sur la joue.
Après cela, je file dehors. Cependant je tombe nez à nez avec le prince. Il est toujours crasseux, les vêtements en lambeaux et ses yeux sont rouges car je suppose qu'il a dû pleurer. Je m'immobilise aussitôt et le toise sans un mot.
— Andreï, je...
— Non, m'interrompt-il. J'ai une question.
Je ne réponds rien.
— Aviez-vous eu vent de ces nouvelles ?
Que devrais-je répondre ? M'enfoncer encore plus dans mes mensonges ? Au fond s'il me pose la question c'est qu'il connaît déjà la réponse.
— Je peux vous expliquer...
— Vous m'avez menti, grogne-t-il. Je vous faisais confiance et vous m'avez menti... depuis quand le savez-vous ?
— Le Gouverneur nous l'a annoncé quand vous étiez convalescent...
Il me tourne le dos, descends les marches et longe l'allée qui le ramène jusqu'au portail. Je décide alors de le suivre. Il ne peut pas partir comme cela.
— Je peux tout vous expliquer !
— M'expliquer quoi ? Gronde-t-il en se tournant vers moi.
Je manque alors de lui rentrer dedans.
— Vous allez m'expliquer pourquoi vous m'avez caché la vérité ou bien comment vous avez déferlé les ténèbres sur notre Capitale ?
— Je ne le voulais pas...
— Mais c'est fait ! J'ai eu tort de penser que vous étiez bienveillante.
— Je le suis !
— Alors rappelez vos ténèbres !
— Je ne sais pas comment faire...
— Et ramenez mon père tant que nous y sommes.
Je retrousse mes lèvres, mes larmes dégringolent sur mes joues sans que je ne puisse les retenir. Le regard que le prince porte sur moi est sombre. Il est terriblement peiné et en colère.
— Je me demande ce qu'il vous trouvait... vous, puissante ?
Il esquisse un faible sourire dédaigneux.
— Vous êtes tout sauf puissante.
Après m'avoir vociféré ces terribles mots, il tourne les talons et passe la grille.
— Où comptez-vous aller ?!
— Je trouverai le moyen de rentrer à Panterm afin de régler toutes vos erreurs !
Je laisse mes bras pendre le long de mon corps et le regarde s'éloigner. À quoi bon le suivre et le supplier ? Andreï est aveuglé par son deuil, sa colère et son devoir de nouveau roi.
Hélène me rejoint en trottinant. Elle pose sa main sur mon bras pour retrouver mon attention et me regarde l'air inquiète.
— Que se passe-t-il ?
— Le prince est parti...
— Oh Chloé... venez-là.
Elle me prend dans ses bras, et me serre contre elle. Je ferme les yeux, ce sentiment de culpabilité me rongeant de l'intérieur. Le Gouverneur a été tue pour rien, finalement Andreï l'a tout de même appris et sa réaction était celle que j'attendais. Cette réaction est légitime.
Je me détache d'Hélène et essuie mes larmes d'un revers de la manche. Je dois me concentrer à nouveau sur moi, je ne peux pas rester dans le déni, en partie car je risque à nouveau d'abattre les ténèbres sur de pauvres innocents. Plus aucun mort ne doit avoir lieu par ma faute. Il faut que je découvre comment contrôler ces pouvoirs, et je dois sauver Panterm.
— Je sais où trouver l'homme dont m'avait parlé Tristan avant de sauter.
— Vraiment ?
Je hoche la tête et renifle.
— Oui... je ne veux plus faire de mal à personne, Hélène...
Son regard est si doux qu'il semble imaginaire mais pourtant, cette femme et bel et bien la bonté incarnée.
— Alors qu'attendons-nous pour lui rendre visite ?
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