XXI - L'ermite de Corvil

— Est-ce encore loin ? Couine Hélène en me suivant entre les arbustes et les chemins de terre gelée.

— Non, je commence à entendre les vagues qui proviennent de la plage.

Je suis un petit peu plus devant. Il faut dire que je porte des pantalons et que Hélène est vêtue d'une robe, ce qui n'aide pas. Cela fait déjà deux heures que nous marchons pour rejoindre la plage derrière les montagnes. Nous avons emprunté un petit chemin terreux et gelé par le froid.

Lorsque j'arrive enfin au sommet de cette colline à côté des montagnes, je m'arrête un instant pour observer le paysage. La plage et l'océan s'étendent sous nos yeux juste en dessous. C'est magnifique, malgré ce ciel blanc et froid. Au loin, près de la mer, j'aperçois une grande demeure. C'est certainement ici que vit le fameux Ary.

Alors nous nous y rendons. Il nous faudra près d'une heure de plus pour y arriver. Une fois sur place, le chant des vagues qui s'échouent dans le sable nous berce et nous apaise. C'est un son très agréable à l'oreille.

Nous frappons à la porte d'entrée cependant personne ne nous répond. Alors j'insiste et frappe à nouveau.

— Il y a quelqu'un ?! Appelé-je.

Je décide de faire le tour de la demeure. Hélène tente de m'en dissuader mais je n'ai pas fait tout ce chemin pour finalement ne trouver qu'un fantôme. Alors je m'aventure dans les jardins à l'arrière qui ont été construit au niveau de la verdure du pied de la montagne.

— Monsieur Montaigu ? Êtes-vous là ?

J'entends du bruit en provenance d'une cabane au fond du jardin. Finalement un homme en sort, vêtu de bas rouges et d'un manteau blanc.

— Bonté divine, vous m'avez fait une de ces peurs ! Ne savez-vous pas frapper à la porte comme des individus sagement éduqués ?!

Il essuie ses mains sur son manteau blanc qui dorénavant arbore des taches noires et s'arrête devant nous.

— Nous avions frappé sans réponse de votre part... marmonne Hélène.

Je lui jette un regard. On dirait qu'elle est éprise de son charme. Je ne le trouve pas laid mais pas beau non plus. Ary est grand, maigrelet et ses cheveux sont gris, attachés en une queue basse. Il est rasé de près et il semblerait qu'il sente la lavande.

— Mais qui êtes-vous ravissante créature ? Demande-t-il en lui baisant la main.

Hélène sourit et passe une mèche de cheveux derrière son oreille.

— Nous devons vous parler, déclaré-je.

Il reste fixé sur Hélène comme si je n'existais pas.

— Auriez-vous la bonté de me laisser connaître votre nom ?

— Je m'appelle Hélène Fier, Monsieur.

— Ravi de vous connaître magnifique Hélène, je me prénomme Ary, Ary Montaigu. Ce domaine m'appartient.

Nous regardons autour de nous. C'est un grand domaine, sans gardes, sans domestiques... sans personne. Un ermite, pour de vrai.

Je toussote afin qu'il reporte son attention sur moi, ce qu'il fait enfin. Il semble étonné de mon physique puisqu'il se permet de prendre une mèche de mes cheveux dans sa main afin de l'observer.

— Incroyable... les plumes des corbeaux ont la même couleur...

— Je ne suis pas venue discuter de mes cheveux, grogné-je en reculant.

— Je vous écoute, jeune inconnue.

— Connaissez-vous Esmeralda ? L'Invocatrice de Lumière ?

— Qui la demande ?

— Je suis Chloé Aguilarr mais là n'est pas la question. Où puis-je trouver Esmeralda ?

— Elle vit reculée de tous, elle vit hors des sept Nations.

— Sauriez-vous me montrer sur une carte ?

— Assurément, suivez-moi.

Nous suivons Ary à l'intérieur de sa demeure. Beaucoup de ses meubles sont recouverts par des draps poussiéreux, ce qui me paraît étrange. Il ouvre une porte et nous entrons alors dans un bureau. Ici, il y a plein d'objets qui semblent venir de tous les coins de notre monde et ce que je remarque, c'est que sur un mannequin, un long manteau noir aux boutons cuivrés repose. Je reste un instant à le fixer, ce col rigide... ces manches retroussées... Ary serait ce vieux pêcheur à qui Hector a vendu le manteau ?

— Chloé ? Appelle Hélène.

Alors je me retourne, Ary déploie une carte sur son bureau. Il l'a dessinée à main nue.

— Voyez-vous, nous sommes ici, à la limite Est de Corvil. Sans prendre le bateau, si vous continuez à marcher vers l'ouest en longeant la plage, vous sortirez vite de Corvil et vous serez hors Nations.

Lorsqu'il explique cela, son doigt glisse sur la carte afin qu'on puisse s'imaginer ce qu'il est en train de nous dire.

— Vous vous en rendrez compte, la plupart des plantes hors des Nations sont mortes, beaucoup disent que c'est parce que Lucius est emprisonné quelque part entre les Nations et que sa haine dévore les terres... une fois sorties de Corvil, continuez au Nord jusqu'à passer les montagnes. C'est un voyage très long, notamment à pieds mais vous arriverez alors près de grandes falaises qui forment à elles seules, une sorte de trou béant avec une gigantesque cascade d'eau magnifique... ici, vous verrez, les fleurs poussent et pourtant, vous vous trouverez entre deux Nations. Esmeralda réside dans une grotte derrière cette cascade.

Avec une plume trempée dans de l'encre rouge, il entoure ce soi-disant endroit avec la cascade. Je trouve cela assez irréel, et je peine à croire que cet homme ait toute sa tête pour donner aveuglément des informations à des inconnus. Hélène, elle, boit littéralement ses paroles. Ary replie la carte puis la tend à Hélène, gardant un sourire béat sur le visage.

— Voici, gardez-la et ramenez la moi à la fin de votre quête.

— Comme vous êtes généreux... dit-elle en récupérant la carte.

— Pour vous, je serai capable de donner mon domaine, déclare-t-il.

— Même ce manteau ? M'enquis-je en pointant mon doigt vers le fameux manteau.

Ary se désintéresse d'Hélène pour s'approcher du mannequin, il n'a pas de tête, en réalité, on dirait une vieille sculpture d'un homme... sans tête.

— Oh non, ce bien est très précieux et je l'ai payé cher vous savez.

— Pourquoi est-il si précieux ?

Je vois sur le visage d'Hélène qu'elle vient de faire le rapprochement avec Tristan et le manteau. Nous avons passé des jours à le chercher, c'est même ce manteau qui a causé beaucoup de tort, il est hors de question que je ressorte de cette maison sans cet Objet Obscur.

— On dit qu'il a été ensorcelé par Lucius lui-même...

Ary se poste derrière la sculpture et glisse ses mains sur le manteau.

— C'est un Objet Obscur, comme les appellent les Êtres de Pouvoirs. Tous les Objets Obscurs sont des objets ensorcelés par l'Invocateur de l'Ombre. Ces objets permettent beaucoup de choses, comme intensifier des pouvoirs, permettre de les contrôler et même donner d'autres pouvoirs... on dit aussi que les Objets Obscurs permettraient de communiquer avec Lucius en personne et aussi... de bénéficier un petit peu de son sombre don.

Incroyables ces histoires... et à la fois mystérieuses. Est-ce seulement des rumeurs ? Ou bien la vérité ? Ary semble savoir tout sur tout. Une vraie encyclopédie pour notre royaume. Pour avoir vu l'état dans lequel Tristan se trouvait, je ne doute plus une seule seconde du fait qu'il ait besoin de cet Objet Obscur pour aller mieux.

— Contre quoi échangeriez-vous ce manteau ? Demandé-je.

— Savez-vous combien j'ai acheté ce manteau ?

— Cela m'est égal.

— Ces Objets sont rares et précieux. Pour une jeune fille frêle comme vous... ils sont trop dangereux.

— Que diriez-vous d'échanger ce manteau contre la place du Gouverneur de Corvil ?

Il hausse les sourcils, surpris par ma proposition.

— Mon père est le Gouverneur de Corvil, Alphonse Aguilarr et si vous nous laissez cet Objet Obscur, alors mon père vous léguera sa place.

Ce que je fais est risqué. D'autant plus que je n'en ai pas discuté avec mes parents. Mais vu la situation actuelle, je les préfère parmi le petit peuple que Gouverneurs d'une Nation.

— Quelle est l'entourloupe si j'accepte ? Se méfie Ary.

— Si vous devenez Gouverneur, vous devez me faire la promesse de veiller sur mes parents et de leur léguer une chambre dans le domaine ainsi qu'un travail.

Il semble réfléchir un instant, se grattant le menton. Finalement, il retire le manteau de son socle et me le tend. Je le regarde droit dans les yeux, tout en récupérant l'objet si précieux que recherchait Tristan. Ary me sourit de toutes ses dents et ajoute :

— J'accepte.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top