XVIII - L'évasion

Bien évidemment, je choisis le plan suicidaire de Tristan, car je suis encore trop incapable de prendre mes propres décisions et surtout, de me faire confiance. Il se frotte les mains, satisfait et attend patiemment que je nous libère.

Je recule de quelques pas, je tente de contrôler ma respiration puis je tends ma main en direction de la serrure. J'inspire profondément, expire lentement. Je me concentre comme je le peux et je m'imagine en train de bousiller cette fichue serrure. De la brume sort littéralement de la paume de ma main, je peux même la sentir châtouiller ma peau. La brume se dirige alors lentement vers la grille, elle entoure les barreaux, les tords légèrement puis s'infiltre dans le trou de la serrure. Plus les secondes passent et plus je respire fort. Finalement, nous pouvons entendre un cliquetis. La porte s'ouvre d'elle-même, grinçant très lentement sur ses gonds.

Je renaisse mon bras, alors cette brume s'évapore dans les airs et je reste un instant immobile, complètement éberluée par ce que je viens de faire, pour une fois, sans violence. Je reviens à moi lorsque j'entends Tristan frapper dans ses mains.

— Génial la sorcière ! Maintenant, libère-moi.

Je sors de ma cellule et m'arrête devant celle de Tristan, plongeant mes yeux dans les siens.

— Allez, libère-moi, grogne-t-il son sourire soudainement disparu.

— En réalité, je devrais te laisser ici...

— Chloé, il n'y a que moi qui puisse t'aider et tu le sais.

— Non, je ne le sais pas. Parce que je ne peux pas te faire confiance.

— Bien-sûr que si !

— Je te sens égoïste.

— Oui je le suis ! assume-t-il. Mais je suis le seul à pouvoir t'aider, si tu me laisses enfermé ici, tu ne pourras pas infiltrer de bateau, et tu ne pourras jamais savoir ce que tu es, ni même contrôler ces pouvoirs.

— Je n'ai pas forcément besoin de toi.

— Allez, arrête tes conneries et ouvre-moi !

Je croise les bras et retrousse les lèvres sans le lâcher du regard. Il lâche les barreaux, ses épaules s'affaissent et ses yeux envoient des éclairs. Il est très impulsif, et il ne fera preuve d'aucune politesse avec moi puisque je l'énerve. Il frappe alors la grille avec son poing, puis son pied mais je ne cille pas.

— Ouvre la porte, Chloé !

Je relève le menton, mon cœur s'emballe sans que je ne sache pourquoi. Le voir énervé et désarmé me laisse un étrange sentiment. Cependant, Tristan est très dominant et je ne souhaite pas qu'il garde un pouvoir sur moi. Je veux simplement lui donner une leçon, il doit comprendre qu'il ne peut avoir tout ce qu'il souhaite et surtout, que si on le suit, nous devons être ses camarades, ses amis et non ses esclaves et ses souffres-douleur.

Alors je décide longer le couloir doucement, évidemment je ne l'abandonnerai pas ici. Je ne suis pas comme lui, je sais penser aux autres. J'aimerais simplement qu'il comprenne. Car pour une fois, c'est moi qui ait le dessus sur lui.

— Ouvre la porte, bordel ! Continue-t-il de hurler.

Mais je ne réponds pas alors je l'entends s'énerver et frapper la porte. Cependant je m'arrête et me retourne brusquement lorsque j'entends un énorme bruit sourd et métallique qui me fait même sursauter. J'écarquille les yeux en voyant la grille qui n'est plus sur ses gonds, déformée et contre celle d'en face. Tristan sort de sa cage, les poings serrés. Le plus bizarre, c'est cette étrange chaleur qui émane de lui, j'ai presque l'impression de la voir sortir des pores de sa peau comme de la vapeur.

— Tristan... ?

Je fais un pas en avant mais il tend son bras, sa respiration est forte et sa tête est baissée.

— N'approche pas !

Alors je m'arrête et le regarde. Il inspire et souffle par la bouche. Il fait craquer sa nuque et croise enfin mon regard.

— N'en parle à personne, ordonne-t-il.

— Mais... comment tu as pu... ?

Il passe à côté de moi, sa chaleur me réchauffe et me procure un frisson mais il ne s'arrête pas et se dirige jusqu'à la porte fermée par le Gouverneur.

— Partons d'ici, déclare Tristan.

Je le rejoins, il me jette un regard me faisant comprendre que c'est à moi d'enfoncer cette porte puisqu'elle est verrouillée. Je colle ma main sur la serrure, je ferme les yeux et me concentre. Au bout de quelques secondes, le cliquetis du verrou retentit.

Tristan pousse la porte tout doucement et passe sa tête par celle-ci. Il n'y a personne dans le couloir, alors il me fait signe de le suivre. À demi baissés, nous avançons silencieusement. Nous devons retrouver Hélène et le prince. Ce ne sera pas difficile puisque nous entendons discuter non loin de là. Le Gouverneur a très peu de personnel et surtout, peu de convives. C'est un homme très solitaire.

Tristan m'affirme que ça provient de la salle à manger, celle où nous avons dîné la veille. J'ai alors un doute sur l'évasion discrète.

Il se plaque contre le mur et fixe le plafond un instant, comme s'il réfléchissait.

— Alors ? On fait quoi ? Chuchoté-je.

— Laisse-moi un instant pour réfléchir.

— Alors Andreï, ou devrais-je dire... votre altesse. Vous êtes réellement le fils du roi ? Vous êtes le prince des sept Nations ?

J'entends le Gouverneur demander cela au prince.

— Exactement. Il est difficile de le croire je l'admet, personne n'avait jamais vu mon visage. Vous savez... les traditions familiales... le prince ne se montre qu'à ses dix huit printemps.

— Effectivement...

— Où sont Tristan et Chloé ? Demande Hélène.

— Ils se reposent. Andreï, j'ai à vous parler, mais cette discussion ne vous fera pas plaisir.

Je saisis le bras de Tristan alors il me jette un regard.

— Vite, fais quelque chose ! Le Gouverneur va lui dire ! Chuchoté-je.

Au même moment, les bruits de pas d'un valet se font entendre. Tristan et moi le regardons, et lui aussi. Je lui jette un regard et je comprends son intention. Nous nous levons et nous jetons sur lui. Je rattrape le plateau avant qu'il ne tombe alors que Tristan le plaque au mur, la main sur sa bouche.

— Sshh, ne fais pas un bruit, murmure-t-il.

En même temps, je tente d'écouter ce qu'il se dit.

— ... Panterm est...

— Pardonnez-moi Gouverneur mais... je trouve cela étrange que Tristan et Chloé ne soient pas avec nous pour le déjeuner, reprend Hélène.

Heureusement qu'elle insiste, cela permet à Andrei de rester dans le déni. Lorsque je tourne la tête vers Tristan, je vois qu'il vient d'enfoncer le couteau qui était posé sur le plateau que je tiens, dans la poitrine du valet, la main toujours sur sa bouche. Je détourne le regard et me mords les lèvres, je sais ce qu'il va faire et je ne veux pas le voir. Je l'entends faire son affaire, changer de peau. Il fait cela dans le plus grand des silences et quand, par curiosité, je tourne la tête. Je le vois traîner le valet enfin... pendant quelques secondes je suis perdue.

Je vois le valet traîner Tristan.
Sauf que le « valet » lève la tête vers moi.

— Tu m'aides à le mettre au cachot ou tu vas continuer à regarder mon superbe corps mort longtemps ?

Alors cela veut dire que lorsqu'un Changeur de Peaux prend l'apparence d'une autre personne, cette autre personne prend l'apparence du Changeur de Peaux... peut-être que cela explique la raison pour laquelle ils tuent ces personnes avant de prendre leur apparence.

J'attrape les pieds de Tristan, ou tout du moins, du valet et nous le jetons littéralement dans les escaliers qui donnent sur les souterrains et les cachots complètement vides du Gouverneur. Tristan referme la porte, tire sur le col de son veston de valet et fait craquer ses doigts.

— On oublie le couteau, et je ramène le plateau.

— D'accord, et ensuite ?

— On improvise sur le tas.

— C'est ça ton super plan ?

— Non, c'est pas ça mon plan Chloé mais j'essaie de t'aider à faire en sorte que le prince n'apprenne pas que tu es l'assassin de son père.

C'est étrange, car je n'ai plus l'impression de parler à Tristan. Sa voix est nasillarde, et son visage est celui d'un homme d'une quarantaine d'années, les cheveux gris, les joues rouges et les lèvres pincées. Il n'est pas très séduisant ainsi. Mais à sa façon de parler, il est possible de faire la différence.

Tristan ramasse le plateau que j'avais posé sur le sol, laisse le couteau plein de sang par terre et se dirige vers la salle à manger, tandis que moi, je reste cachée.

— Je vous ai dit qu'ils se reposaient, pourquoi insistez-vous autant ?

— Je vous demande simplement où ils reposent, continue Hélène.

— Gouverneur, votre altesse et Mademoiselle, voici votre succulent repas...

J'entends Tristan poser le plateau et ouvrir la cloche.

— Une superbe pintade, dorée au feu de bois.

— Vous ne la découpez pas ? Demande le Gouverneur.

— Veuillez me pardonner, j'ai oublié le couteau. Je reviens tout de suite.

— Dépêchez-vous !

Le valet réapparaît au coin du couloir. Il se dirige vers moi et se colle contre le mur.

— J'ai observé la pièce, chuchote-t-il. Il y a trois fenêtres, elles donnent toutes dans le dos du prince et de la servante, Hector est en face de celles-ci. Nous devrions pouvoir utiliser ces fenêtres pour nous échapper et les emmener avec nous.

— Comment ?

— Je vais occuper le Gouverneur, et toi, tu devras user de tes pouvoirs.

— Mais... il va savoir que c'est moi.

— Je ne pense pas, il ne faut pas qu'il te voit.

— Je ne sais pas les contrôler, Tristan.

Il pose ses deux mains gantées sur mon visage et me regarde droit dans les yeux. Cependant j'ai l'impression d'avoir un contact avec un homme qui a le double de mon âge.

— Tu vas y arriver, fais-toi confiance.

Il dépose un baiser sur mon front et part aux cuisines. Je reste appuyée contre le mur, surprise par ce geste et à la fois dégoûtée, car ce n'est pas Tristan qui m'a embrassé mais ce vieux valet aux lèvres pincées.

Il revient rapidement, un énorme couteau en main et m'adresse un sourire. Ce valet avait les dents jaunes et il lui en manque même une. Il retourne dans la salle à manger.

— Voilà Sir, un couteau pour couper la pintade.

— Il était temps ! Espèce de bon à rien.

— Je découpe la pintade, articule Tristan.

Je suppose que c'est pour me faire comprendre que je dois intervenir.

Réfléchis Chloé.

Les fenêtres sont au dos du prince et d'Hélène alors je dois utiliser ces fenêtres. Peut-être les envoyer à l'extérieur ? Certes, mais comment m'y prendre ? Je ne contrôle pas mes pouvoirs, j'ai déjà déferlé le chaos sur Panterm, je ne souhaite pas blesser mes amis. Ou alors... immobiliser le Gouverneur et prendre la fuite. Pourquoi ne pas mimer une attaque d'une Ombre Obscure ?

— Bon, vous allez réussir à découper cette pintade oui ou non ?! S'énerve Hector.

Ma respiration s'accélére, je commence à paniquer parce que je ne sais pas par où commencer. J'entends alors le Gouverneur se lever. Il souhaite prendre le couteau à Tristan mais ce dernier s'y oppose. Moi, je suis figée, comme incapable de faire quoi que ce soit.

— Donnez-moi ce couteau !

— Laissez-moi couper la pintade Sir, c'est mon travail !

— Mais qu'est-ce qui cloche chez vous... ?

Un court silence s'abat sur la pièce.

— Nom de... TRISTAN !! Hurle-t-il.

— Courez ! Ordonne Tristan au prince et à Hélène.

J'entends les pieds des chaises riper sur le fabuleux parquet du manoir et je les vois passer devant moi.

— Hé ! Les interpelé-je. Nous devons nous rendre au port d'Irondell pour prendre un bateau vers Corvil !

— Mais que s'est-il passé ? Demande Hélène.

— Où étiez vous ? Renchérit le prince.

— C'est une longue histoire ! Ne traînons pas !

Nous courons alors dans le hall mais je m'arrête devant l'entrée de la salle à manger. Je vois Tristan, couché sur la table, le Gouverneur au dessus de lui qui tente de le poignarder. Il faut dire que la carrure du valet et celle d'Hector sont légèrement différentes. Le valet est ridicule à côté.

— Tu m'as trahi une nouvelle fois ! Cette fois-ci, tu vas mourir ici ! Et sans ton vrai visage !

— Tu es trop susceptible et rancunier ! Couine Tristan avec la voix nasillarde du valet.

Finalement, Hector réussi à briser sa force et le couteau semble se planter près de son épaule. Tristan pousse un cri de douleur, je vois même ses jambes se tendre et se crisper. Je décide alors d'intervenir, je saute sur le dos du Gouverneur, entourant mes bras autour de son cou et je le tire en arrière, mes jambes agrippées à lui. Il recule et me cogne contre un mur. De mes mains, je saisis son visage et le griffe.

— Laissez-nous partir !

— Vous ne pouvez pas emmener le prince ! Grogne le Gouverneur. Son devoir est de rétablir l'ordre à Panterm !

Je sens mon doigt s'enfoncer dans son œil, alors il pousse un cri, saisit mon bras et me fait passer par dessus son épaule. Je m'écrase violemment sur le sol, sur le dos et ma respiration est coupée le temps de quelques secondes.

Hector, titubant, attrape le plateau d'argent et fait voler la pintade. Il souhaite l'abattre sur moi, pendant que Tristan tente de retirer le couteau de son épaule.

— Assez ! Crie quelqu'un.

Nous tournons tous les trois la tête vers lui, Hector garde le plateau en l'air, ses pieds de part et d'autre de mon corps. C'est le prince, il tient dans sa main une épée qu'il a dû trouver sur la multitude d'armures de chevalier qui décore le manoir.

— Laissez mes amis partir.

— Votre altesse... vous devez rentrer à Panterm, c'est extrêmement urgent et il en va de l'avenir des sept Nations.

— Pourquoi ? S'enquit le prince. Contactez donc mon père, il sera plus à même de vous aider, nous avons des affaires à régler avant que je ne rentre à Panterm.

— Justement... votre père...

Je pousse un cri d'effroi lorsque je vois le couteau se planter dans la gorge du Gouverneur. Il tombe à genoux juste au dessus de moi, du sang coule de sa plaie mais le couteau reste planté là où il est. Du sang jaillit même de sa bouche, il ne peut plus parler et des gargouillis semblent provenir du fond de sa gorge. Je suis tachée de son hémoglobine et c'est le prince et Tristan qui me tirent de là avant qu'il ne me tombe dessus. Il s'affale ensuite sur le sol, immobile, baignant dans son propre sang. C'est Tristan qui a jeté ce couteau, il l'a tué, sous nos yeux, afin qu'il ne révèle au prince ce qu'il s'est passé à Panterm.

Tristan vient de tuer le Gouverneur de l'une des sept Nations, uniquement pour sauver mon honneur.

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