XVII - Au cachot !
— Qu'est-ce que...
Le Gouverneur ne termine pas sa phrase, il me pousse sur le côté, alors je me cogne contre le mur mais je ne souhaite pas m'interposer. Il est bien trop grand et robuste pour moi. Il s'avance alors d'un pas lourd vers Tristan qui recule de quelques pas. On dirait des pas de géants que fait Hector.
— Comment oses-tu entrer dans une pièce interdite de la sorte ? Sous mon toit ! Alors que je t'offre l'hospitalité sale vaurien !
Il le plaque contre le mur, son avant bras appuyé sur le torse de Tristan qui se trouve à présent sur la pointe des pieds.
— Je vais t'expliquer, Hector, réplique Tristan le plus calmement possible.
— Oh ça oui, tu vas m'expliquer !
— Josépha t'as vendu un manteau ! S'empresse de répondre le Changeur de Peaux lorsque le gouverneur lève son poing au dessus de son visage. Et j'en ai besoin, c'est mon manteau !
Hector baisse le poing et retrousse ses lèvres. Il respire fort, on dirait que sa chemise de nuit va exploser tant son dos est large.
— Ça ne te donne pas le droit de fouiller dans mes affaires !
— Je n'ai rien volé ! Je veux juste le manteau. En échange, je peux te donner ça.
Il sort la dague de sa ceinture et la gigote sous le nez du Gouverneur.
— Elle vaut bien plus cher que mon manteau tout pourri.
— J'ai vendu ce manteau pour quelques pièces d'or il y a à peine deux jours.
Tristan pousse un profond soupir de désespoir. Hector lui dérobe la dague et le lâche un instant, le temps d'admirer son nouvel objet.
— À qui l'as-tu vendu ?
— Un riche pêcheur, qui le trouvait très joli et n'a pas cessé de répéter le prénom de Lucius en le voyant. J'en avais rien à faire, ce qui m'intéressait, c'était son or.
— Oui d'accord ... mais où vit ce pêcheur ?
— Aucune idée. Il doit venir de Corvil.
— C'est chez moi... soufflé-je.
Tristan me jette un regard mais nous ne parlons pas plus puisque Hector appelle ses gardes et compte nous faire séjourner dans un cachot. Nous tentons de l'en dissuader mais rien y fait. Le gouverneur est déçu, en colère et pour cela, il nous enferme dans les sous sols terreux et humides de sa bâtisse.
Ici, il fait froid, c'est sombre, de toutes petites lucarnes nous permettent de voir l'extérieur. Tristan est enfermé dans un cachot juste en face du mien. Il se jette contre la grille, les mains qui entourent les barreaux.
— Laisse-nous sortir ! Tu as la dague, laisse-nous repartir ! Je dois récupérer mon manteau !
— ... À un vieux pêcheur fou qui idolâtre un monstre comme Lucius... évidemment Tristan... évidemment... souffle le Gouverneur tout en quittant les lieux et refermant la grande porte derrière lui.
Nous voilà seuls, plongés dans l'obscurité, dans un silence des plus glacial. J'aperçois Tristan toujours accroché aux barreaux de sa prison, et je l'entends respirer. Il ne semble pas de très bonne humeur. Finalement, il lâche les barreaux et frappe son poing contre ceux-ci. Puis il se retourne et fais les cents pas dans son cachot.
Je reste immobile et le regarde faire. Je ressens sa colère et sa frustration d'ici. On dirait une bombe à retardement.
— Tu as dû te faire mal à la main... soufflé-je.
— Je m'en fous.
— Tristan...
— Non arrête ! Grogne-t-il en se retournant vers moi.
Nos grilles nous séparent, ainsi qu'un maigre couloir de terre battue.
— Tout ça, c'est de ta faute !
— C'est tellement plus facile de rejeter tout sur moi.
— Parce que c'est la vérité !
— Tu ne le penses pas vraiment...
— Si, biensur que si que je le pense ! Et d'ailleurs, tout le monde le pense ! Même ton fichu petit prince !
Je me mords les lèvres et me laisse glisser contre le mur de ma cellule, fixant Tristan de l'autre côté des barreaux. Je remonte mes genoux et entoure mes jambes de mes bras.
— C'est toi le monstre... marmonné-je.
— T'as dit quoi ? Questionne Tristan en tendant l'oreille.
— Tu n'es qu'un monstre !
Lorsque je crie cela, ma voix résonne dans tous les souterrains et de la poussière tombe même du plafond. Tristan lève la tête vers ce dernier puis époussette ses épaules avant de s'asseoir dos contre les barreaux, laissant l'une de ses jambes traîner dans la terre.
Nous ne nous parlons pas pendant des heures durant lesquelles je ne cesse de me demander ce que vont devenir le prince et Hélène. Le Gouverneur va-t-il aussi les punir de notre erreur ou restera-t-il clément avec eux ? De plus, je continue de repenser à ce que Hector a dit à Tristan : il a vendu le manteau à un vieux pêcheur de Corvil. Effectivement, la Nation où je suis née est une ville de pêcheurs, y aller serait une bonne idée. Je pourrais tout raconter à mes parents et je suis certaine qu'ils me protégeraient. Cependant, cela impliquerait de les immiscer dans cette histoire et de mettre leur vie en danger. Mais Corvil me manque tellement... par ailleurs, je me demande pourquoi ce pêcheur répétait inlassablement le prénom de Lucius... je suis persuadée que Tristan cache encore beaucoup de choses.
— Tu dors ? Demande-t-il après des heures de silence.
Je suis allongée sur le sol, recroquevillée sur moi-même car j'ai terriblement froid et je fixe le mur devant moi. Je me suis tournée dos aux barreaux.
— Non...
— Le jour se lève.
Je me redresse doucement et me frotte les yeux. Effectivement, la lumière orangée du soleil commence à passer par les petites lucarnes mais l'endroit demeure tout de même très sombre et glacial.
— Eh Chloé, appelle Tristan.
Alors je tourne la tête vers lui. Il est agenouillé dans la terre et a entouré les barreaux de ses mains.
— Excuse-moi, je suis quelqu'un d'impulsif. Je ne pensais pas ce que je t'ai dit tout à l'heure.
Je ne réponds rien. Je l'observe simplement de longues secondes dans le silence.
— Je sais que nous ne sommes pas amis, je sais que j'ai tenté de te tuer aussi... mais ce manteau...
— Compte pour toi, je sais, l'interromps-je.
— Ouais...
— Mais tu as été égoïste, si tu ne t'étais pas infiltré dans le palais, rien ne serait arrivé. Le roi serait toujours en vie et la capitale encore vivante. J'y suis peut-être pour quelque chose mais toi aussi.
— Je te l'ai dit, on n'est pas si différents tous les deux.
— Contrairement à toi, moi je ne contrôle pas ce que j'ai en moi.
Il me jette un regard étrange puis se rassois dos aux barreaux.
— Esmeralda t'aidera...
— Comment tu connais cette personne ? Et rien ne me dit que ce n'est pas une manigance.
— Je pense que tu es comme Lucius, mais je ne peux pas en être certain. Elle, elle le pourra.
— Je suis humaine avant tout, Lucius n'était que haine et colère... du moins, c'est ce qu'on raconte.
— Ouais... souffle Tristan.
Je m'assois à mon tour contre la grille et me ronge un ongle. Doucement, je relève la manche de ma robe. La griffure que j'avais semble cicatriser a son rythme à présent, la croûte est formée et les veines noires ont disparu.
— Alors avec cette Josépha... vous étiez ensemble ? Interrogé-je.
— On s'entendait bien, elle est un peu comme moi mais c'est une femme. Tu sais chez nous, on ne se marie pas. On évite de se reproduire puisque les Changeurs de Peaux sont chassés comme du bétail. Alors non, nous n'étions pas ensemble. Nous passions du bon temps tous les deux, c'est tout. Je crois bien que c'est la seule personne dans ce monde à qui je me suis autant confié. Mais bon... à deux dans un lit, on a tendance à parler.
Je hausse les épaules.
— Sûrement.
— Tu connaîtras ça Chloé, t'en fais pas.
Je souris légèrement et repense à cette nuit avec Andrei. J'étais dans ses bras et je m'y sentais plutôt bien.
— Tu pourrais revivre ça toi aussi.
— Non, je ne peux pas. Je pense être le Changeur de Peaux le plus traqué du Royaume.
— Pourquoi ne pas tenter de vivre comme une personne ordinaire ?
— Je le faisais jusqu'à présent. Je ne changeais de peau que lorsque c'était nécessaire. C'est à dire, pour naviguer de Nations en Nations. Je parcourais les pays, c'est une chose que Josépha n'a pas apprécié d'ailleurs. Peut-être qu'elle m'aimait plus que comme un simple ami.
— Les amis ne passent pas du temps dans un lit à deux à se confier.
— Certes. Mais je ne suis pas un grand romantique.
— Tu ne l'aimes pas ?
— Je l'aime bien, même après qu'elle ait tenté de nous tuer et je sais qu'elle recommencera. Mais je ne sais pas ce que c'est que d'aimer.
— Je crois qu'aimer c'est se sentir extrêmement vivant... ton cœur s'emballe, ton sang se réchauffe, tes jambes deviennent molles et tes mains moites... aimer c'est désirer l'autre, mais ne pas simplement désirer son corps et sa chair, c'est aussi désirer son âme, désirer passer tout son temps avec cette personne. Aimer c'est... avoir une peur non contrôlée de perdre l'autre, la peur de se faire arracher un morceau de cœur.
Un court silence plane alors je tourne la tête pour voir Tristan toujours assis contre la grille.
— Wow... et bien, t'as l'air de t'y connaître, commente-t-il.
Je souris légèrement.
— Pas vraiment. Je n'ai... jamais embrassé personne.
— Alors comment sais-tu tout cela ? C'est ce que tu ressens quand tu es avec le petit prince ? Il faut dire qu'il a une belle gueule, mais... il est frêle et un peu trop mou à mon goût. Après au lit c'est peut-être une autre his...
— Tristan, ça suffit, rigolé-je.
— Autant pour moi.
Je ne sais pas vraiment d'où me vient cette idée de l'amour. Je crois le ressentir en ce moment mais je ne sais pas pourquoi ni pour qui. Ce ne peut être pour Tristan, c'est un individu plutôt détestable, brute et égoïste. Les Changeurs de Peaux m'ont toujours répugnée. Alors c'est certain que le prince me fait cet effet. Pour un mariage forcé, je ne serais peut-être pas si malheureuse que cela si ça se fait.
— C'est quoi une Invocatrice de Lumière ? M'enquis -je en songeant à cette Esmeralda.
— Une personne dotée de pouvoirs bienveillants. Elle est capable de refaire vivre un champ de fleurs mortes, de régénérer un arbre en fin de vie, d'éviter la pluie, l'orage, le vent...
— Incroyable...
— À défaut, l'Invocateur de l'Ombre lui, peut tuer tout ce qu'il touche, faire faner n'importe quelle plante, déferler pluies et orages, invoquer les démons, priver les autres de la lumière et j'en passe...
— Comment a-t-il été arrêté ?
— Il a été arrêté par la garde royale et les Enchanteurs alliés au roi. Il lui ont conçu une cage faite de feu, de vent, d'eau et de lierres. Ses mains ont été ligotées par des plantes qui, paraît-il, se sont même infiltrées sous ses ongles afin que rien ne sorte de ses mains... ses jambes ont été liées par des branches de rosiers et cette cage magique a été envoyée au confins du monde, là où personne ne peut le retrouver. Ce fut une bataille puissante qui aura duré deux jours consécutifs. Mais ils ont réussi et après ça, les Changeurs de Peaux se sont réfugiés dans les bidonvilles de chaque Nations. Afin d' éviter de se faire tuer.
Une cage enchantée littéralement, une prison magique pour un puissant sorcier. Les histoires sur Lucius me terrifient. Je le vois bien plus laid qu'une Ombre Obscure, bien plus cruelle que n'importe quelle Créature de l'Ombre.
— As-tu connu Lucius ?
Tristan se redresse, enfin debout, il se tourne vers moi. Il frotte son pantalon plein de terre et de poussière puis croise mon regard.
— Utilise tes pouvoirs pour qu'on sorte de là.
— Non ! Et puis je t'ai posé une question !
— Fini de discuter, Hector va voir de quel bois je me chauffe.
— Arrête de te faire des ennemis Tristan.
— On doit aller à Corvil d'une manière ou d'une autre. Il va nous laisser pendant des jours moisir dans ces cachots qui sentent la pisse. Et c'est hors de question !
— Il voulait nous punir et c'est normal, on a fouillé dans ses affaires.
— T'es trop naïve, soupire Tristan.
— Je suis rationnelle !
— La dernière fois que je l'ai vu, il m'avait aussi enfermé ici et tu sais comment je me suis enfuis ?
Je ne rétorque rien.
— J'ai changé de peau Chloé, et j'ai tué quelqu'un pour ça. Alors que toi, t'as juste à bousiller les grilles et on est libre.
Je croise les bras, me pinçant la lèvre inférieure, je crois même que je m'en arrache quelques petites peaux. Je fixe Tristan à travers les barreaux, peu sûre de moi. Je n'ai pas envie d'utiliser ces pouvoirs, ils me terrifient et selon moi, nous pouvons nous débrouiller autrement.
— Je ne veux pas qu'il découvre ce que je suis capable de faire.
— Ouais et d'ici quelques temps Hector va se rendre compte que c'est bel et bien le prince - car oui pour le moment, il n'a pas l'air de nous croire. Sauf que quand il s'en rendra compte, il n'hésitera pas à lui faire savoir la mort de son père et ce qui est arrivé à Panterm. Le petit prince deviendra alors roi dans sa tête et crois-tu qu'il te suivra comme un toutou ?
Je ne réponds rien.
— Nous devons partir pour Corvil, nous nous infiltrerons sur un bateau, le voyage sera long mais avec un peu de chance, nous y parviendrons en un seul morceau.
Tristan marque une pause.
— Alors c'est soit nous suivons ton plan et attendons patiemment que le Gouverneur nous sorte de là mais tu peux être certaine que dans ce voyage, il ne restera plus que toi et moi, le prince sera contre toi. Soit... on suit mon plan de génie et on fonce dans le tas.
Je déteste les dilemmes et encore plus lorsqu'ils viennent de Tristan.
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