XV - Gouverneur Hector
À Irondell vit le Gouverneur Hector. J'en ai vaguement entendu parlé par mon père lorsqu'il revenait d'un voyage quand j'étais enfant. On dit que c'est un homme très grand, barbu, velu, avec une forte voix et des épaules très larges. Je n'ai pas entendu d'éloges sur lui, ni d'affreuses histoires, simplement que c'est un très bon marchand et que sa Nation rapporte énormément d'argent au Royaume.
Et justement, nous avons rejoint Irondell après quatre longs jours à ramer sans nous arrêter. Enfin, -Tristan n'a pas arrêté mais Hélène, Andrei et moi avons fait quelques pauses certaines fois afin de dormir.
Le manoir de Hector donne sur le fleuve que nous remontons avec notre barque et à peine nous arrêtons-nous près du ponton que deux soldats nous accostent.
— Halte là , voyageurs ! C'est une propriété privée, veuillez débarquer au port comme tout le monde !
Tristan se lève sur la barque qui tangue légèrement et nous fait signe d'y rester assis. Il pose un pied sur le ponton puis l'autre, les mains en avant pour calmer le jeu puisque les soldats ont leur main posée sur leur épée.
— Je suis un ami du Gouverneur Hector, nous avons urgemment besoin de lui parler.
Tristan se tourne vers nous.
— Nous devrons jouer la carte de l'honnêteté cette fois, nous chuchote-t-il.
Alors nous nous jetons des regards puis observons le Changeur de Peaux jouer l'individu aimable qui semble être absolument tout son contraire.
— Nous avons le prince des cinq Nations avec nous, il a été gravement blessé et a fui le Palais Royal après qu'une attaque ait été recensée au château. Nous ne savons pas comment le protéger et surtout... soigner sa jambe cassée.
Les deux soldats se jettent un regard, l'air dubitatif, puis nous regardent nous.
— Attendez ici, ordonnent-ils.
Tristan hoche docilement la tête et lorsqu'ils partent, il se tourne vers nous. Il s'accroupit et affronte le regard inquiet d'Hélène.
— Avoir dit que le prince était là est probablement une erreur ! Nous savons que l'armée royale le recherche, il va de soit que le Gouverneur préviendra le roi.
— Si roi il y a, rectifie Tristan.
— Mème ! C'est dangereux ! On ne devrait faire confiance à personne... retourner à Panterm, vérifier que le palais est sécurisé et...
— Hector est un bandit avant d'être Gouverneur, ça m'étonnerait qu'il dise quoi que ce soit, l'interrompt Tristan. De plus, je dois récupérer ce qui m'appartient, puis nous pourrons lui demander un bateau pour aller voir Esmeralda, l'Invocatrice de Lumière.
— Cela reste suspicieux... intervient le prince dans un piteux état.
Il est très pâle, les yeux cernés, les joues creusées, sa fracture le fait souffrir et il a grandement besoin d'un médecin.
— Pourquoi vouloir l'emmener à cette femme ? Rien ne nous dit que cette Esmeralda aidera Chloé. Bien au contraire...
— Petit prince... grogne Tristan, as-tu vu ce dont elle est capable ?
— Oui...
— On dirait qu'elle manie les Ténèbres, alors qui d'autre qu'une Invocatrice de Lumière pourrait l'aider et nous aider par la même occasion ?
— Et pour mon père ? Pour le palais ?
— Tu peux rester ici et demander à ce qu'on vienne te chercher. Chloé vient avec moi.
— Hors de question que je la laisse avec une vermine comme toi ! Je ne te fais pas confiance.
— On en discutera plus tard... soupiré-je.
Je lève ensuite les yeux vers le fameux Hector. Alors Tristan esquisse un sourire en coin -ce fameux sourire qu'il a l'habitude de faire.
— Hector ! Mon vieil am...
Il ne termine pas sa phrase puisque lorsqu'il se retourne vers Hector, il est tout de suite menacé par l'épée dorée de ce dernier. Hector arbore des cheveux longs et roux, une barbe rousse, il est grand, près de deux mètres, ses épaules sont incroyablement larges, on dirait un ogre. Il garde son bras tendu, sa lame étincelante chatouillant le nez du Changeur de Peaux qui se fige.
— Que fais-tu ici traître ? Grogne le Gouverneur. Est-ce encore l'une de tes entourloupes ?
Tristan évite tout mouvement brusque. Nous ne sommes pas menacés mais nous aussi, nous restons immobiles sur la barque qui tangue à chaque coup de vent.
— Je viens en ami, rétorque Tristan. Le prince est avec moi, il est blessé. Je viens demander ton aide.
Tristan se pousse très légèrement, alors Hector penche la tête sur le côté et nous toise. Il s'attarde sur Hélène, sur moi puis encore plus sur le prince.
— Comment pourrais-je être certain que tu me dis la vérité ? Cet enfant pourrait être n'importe quel enfant de la rue ! Rien ne me prouve que c'est le prince.
— Il dit la vérité Sir, répond Andreï. Le palais a été attaqué... je me suis enfui et Tristan m'a aidé.
Hector grogne légèrement et considère le prince de longues secondes. Je le vois alors qui détaille la tenue d'Andreï. Bien que ces quatre jours furent éprouvants, on peut toujours distinguer la royauté de son accoutrement - des pantalons blancs, des bottes beiges, une chemise blanche avec un veston marron... sans oublier que les boutons - pour ceux qui restent, sont en or.
— Bien... marmonne Hector dans sa barbe.
Il range son épée dans son fourreau.
— Je vais vous offrir mon hospitalité mais rien n'est gratuit chez moi, sachez-le.
— Bien évidemment ! Rétorque Tristan.
Il nous fait signe de sortir de la barque, chose que nous faisons, en aidant le prince à avancer. Le pauvre ne peut plus du tout poser son pied par terre sans pousser d'atroces gémissements de douleur.
Nous traversons le grand jardin à l'herbe verte et humide par ce froid, à quelques endroits, il y a de la neige mais celle-ci fond avec le soleil léger de cette journée.
Nous entrons dans son manoir, là, les servantes prennent aussitôt en charge Andreï qui me semble apaisé par ce luxe. Elles l'emmènent avec elles et le Gouverneur nous assure que nous pourrons le revoir. Je n'aime pas l'idée de le séparer de nous, nous ne connaissons pas cet homme, il pourrait nous piéger. D'autant plus qu'il ne semble pas porter Tristan dans son cœur.
Le Gouverneur nous offre alors le repas et c'est là impossible de refuser. Tristan m'a glissé à l'oreille de ne surtout pas parler de mes capacités, ou même de ce qu'il s'est réellement passé au palais et encore moins du manteau que Josépha a vendu à Hector sans oublier la garde royale à nos trousses et les Êtres de Pouvoir.
Alors je m'assois docilement à table et me jette sur la viande de sanglier qui s'offre à moi, sur les patates encore fumantes et je déguste la soupe de champignon sans rechigner. Pourtant, je n'aime pas les champignons mais je meurs de faim. Tristan et Hélène font exactement la même chose. Nous agissons comme de parfaits sauvages ou bien des mendiants sous l'œil attentif du Gouverneur en bout de table.
La pièce est grande, trois lustres sont suspendus au dessus de nos têtes, au fond, une grande cheminée est allumée et le feu crépite à l'intérieur. La table est grande, tellement qu'elle doit pouvoir accueillir une douzaine de personnes.
— Est-ce réellement le prince que vous avez emmené ici ? Demande Hector pour briser le silence.
Je croise le regard de Tristan. Mon cœur bat plus vite lorsque mes yeux se plongent dans les siens. Je n'apprécie pas vraiment cette sensation étrange. Ce dernier le détourne pour se concentrer sur le Gouverneur.
— C'est bien lui. Même si ça paraît improbable, c'est bien lui, répond-il.
— D'accord... pourquoi un être aussi peu arrangeant que toi, Tristan... a-t-il sauvé le prince des sept Nations ?
Tristan pose sa fourchette et humecte ses lèvres.
— Et bien... c'est une bonne question. Je pense que pour être honnête... nous nous sommes tous retrouvés là par hasard, Panterm a...
— C'est terrible, l'interrompt Hector.
Tristan reste silencieux et Hélène et moi également. Nous le regardons tous les trois, ne comprenant pas vraiment ce qu'il veut dire. Le Gouverneur pose son verre de vin et lisse ses moustaches rousses.
— Ce qui est arrivé à Panterm... je l'ai appris hier... j'ai reçu une lettre...
Je fronce les sourcils, d'ailleurs, nous avons tous les trois la même réaction.
— Que voulez-vous dire ? M'enquis-je.
— N'êtes-vous pas au courant ?
— Nous avons ramé pendant quatre jours... sans nourriture... sans eau hormis la pluie ou la glace fondue... explique Hélène.
Ce fut un voyage éprouvant, autant physiquement que moralement. Se retrouver entre quatre murs, au coin du feu, avec un repas chaud sous le nez, c'est tout bonnement incroyable. À la fin, je ne croyais plus pouvoir revivre cela un jour.
— La capitale toute entière a été plongée dans le noir soudainement. Les ténèbres ont envahi Panterm... la capitale est dorénavant condamnée. Nous pouvons presque dire qu'il ne reste plus que six Nations.
Je reste immobile, la fourchette dans ma main soudainement tremblante. Hélène, qui est assise à côté de moi, pose sa main sur ma jambe sous la table, afin de me réconforter ou peut-être de me rassurer. Mais ça ne fonctionne pas, bien que j'apprécie son geste. Est-ce réellement moi qui a fait cela ?
— On dit que des Ombres Obscures se promènent dans les rues. On m'a annoncé qu'il ne fallait faire partir aucun bateau pour Panterm.
Je déglutis difficilement et je croise de nouveau le regard de Tristan. Je ne sais pas le cerner mais j'ai la sensation qu'il tente simplement de me faire comprendre que je ne dois rien montrer. Je ne dois pas paraître suspecte.
— Cependant, il y a autre chose... reprend Hector.
Il semble réfléchir un instant et même hésiter.
— Le prince que vous avez emmené n'est plus prince...
— Pourquoi ? Demande Tristan.
Je crains déjà sa réponse.
— Car le roi est mort.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top