XIX - Infiltration
— Par tous les saints... qu'avez-vous fait ? Souffle Hélène en nous rejoignant dans la salle à manger.
Elle nous regarde nous, puis le corps du Gouverneur qui baigne dans une mare de sang. Finalement, elle nous regarde à nouveau. Tristan a toujours le visage de ce valet hideux, le prince est vraiment très très pâle. D'ailleurs, il nous fixe un instant avant de se retourner, de se tenir à la table et de se pencher en avant pour vomir tout ce qu'il a avalé, laissant tomber l'épée qu'il tenait dans ses mains.
— Bon, commence Tristan avec le voix nasillarde du valet, nous devrions partir d'ici et j'ai une idée de génie !
— Vous avez tué le Gouverneur ! S'exclame Hélène.
— Pourquoi avoir fait ça ? Balbutie le prince la main sur le ventre et une grimace déformant son visage.
— Il allait tuer Chloé ! Grogne Tristan.
— Il était en train de me parler, insiste Andreï. Nous aurions pu régler cela par la discussion.
— Je connais Hector mieux que vous tous ici.
Un lourd silence s'abat sur nous, je suis encore sous le choc, à tel point que mes mains tremblent et j'ai vraiment mal au dos, cela est dû à ma chute. Il faut dire que Hector était très grand.
Finalement nous observons Tristan s'accroupir devant le corps mort du Gouverneur d'Irondell. Nous le regardons tous les trois et c'est à cet instant qu'il change de peau. C'est assez étrange... toutes les cellules de sa peau semblent se décrocher puis disparaître en poussière pour que son visage prenne une toute autre forme... son nez s'agrandit, ses yeux deviennent bruns, sa peau plus claires, sa barbe pousse et se colore de roux, tout comme ses cheveux qui sont longs à présent. Ses épaules s'élargissent, ses os craquent, et ses vêtements sont à présent ceux que portait Hector, tout change comme la peau d'un caméléon se modifie. Et à la place du Gouverneur mort, nous avons le valet.
On dirait bien que l'apparence d'une personne ne peut exister qu'une seule fois.
Tristan se redresse, il fait craquer sa nuque, détend ses épaules et humecte les lèvres charnues du Gouverneur. Ensuite, il pose ses yeux sur nous l'air étonné du fait que nous le fixons comme une bête de foire.
— Quoi ? Grogne-t-il avec la lourde voix de Hector. N'est-ce pas génial comme plan ? Vous êtes dorénavant accompagnés par le Gouverneur Hector en personne, tout droit revenu d'entre les morts !
Un long silence plane.
— Je vais vomir... couine le prince.
Il est pris de nausées et de nouveau, il se met à vomir dans un coin de la pièce.
— Ça va, il était pas si moche ce Gouverneur. En tout cas, je suis super grand et costaud, t'en pense quoi Chloé ?
Je le regarde de longues secondes alors son sourire taquin disparaît de son visage lorsqu'il remarque que je ne rigole pas.
— Tu as tué un homme, et ça ne te fait ni chaud ni froid.
Il se rapproche de moi, se penche légèrement pour me parler tout bas.
— Si je l'ai fait, c'était pour toi. Il allait tout révéler au prince. Alors tu ferais mieux de me remercier sorcière, parce que je ne fais que te sauver la peau depuis qu'on s'est rencontré.
Après avoir vociféré cela près de mon oreille, il quitte la salle à manger. Je reste immobile, les larmes aux yeux et le cœur lourd. Hélène pose sa main sur mon épaule et je croise alors son regard vert émeraude.
— Tout va bien ?
Je hausse les épaules.
— Je ne sais pas vraiment...
Je dois me reprendre, être forte et surtout, ne pas me laisser piétiner par cet ingrat de Changeur de Peaux.
Nous quittons le manoir, accompagnés d'un faux Hector. Alors aucun des soldats à l'extérieur ne nous posent des questions. Au contraire, ils nous laissent passer et font la révérence à chaque fois que Tristan passe devant eux, le menton levé, et un sourire satisfait au coin des lèvres.
Un valet nous ouvre la porte d'un carrosse et nous entrons à l'intérieur, guidés par un cochet. Une vie de roi, sans même l'être.
— Emmenez-nous au port, ordonne Tristan.
— Bien Sir, souffle le cochet.
Et nous voilà partis. Par la fenêtre, nous pouvons voir des soldats sortir du manoir et courir en direction du carrosse, cependant, nous allons trop vite pour eux et ils ont été bien trop lent à comprendre le manège de Tristan.
Je me repositionne correctement sur le siège et fixe un point droit devant moi. Hector alias Tristan est assis face à moi, à côté du prince et Hélène est à mes côtés, gardant ma main dans la sienne.
— Quel courage petit prince, tout à l'heure j'ai bien cru que tu allais utiliser cette épée, déclare Tristan.
— Tu serais fortement surpris Changeur de Peaux, je sais manier l'épée, mon père me l'a appris.
— Oh, vraiment ?
— Dix huit longues années enfermé dans un palais, il faut trouver de quoi s'occuper. Alors oui, vraiment.
— Et bien... moi je suis fort au lancé de couteaux.
— J'ai vu ça, soupire le prince.
Je continue de croire que Tristan cache des choses pas nettes. Comme par exemple, cette soudaine force surhumaine sortie de nulle part dans les cachots, cette étrange chaleur que dégageait sa peau, sans oublier ses intentions avec moi.
— T'en fais pas petit prince, on évitera de tuer tous les Gouverneurs qu'on croisera.
— Tu as sauvé la vie de Chloé, alors je t'en suis reconnaissant.
— Toi au moins, t'as le sens de la politesse, grommelle Tristan.
Je secoue la tête et regarde par la fenêtre le paysage défiler. C'est une ville plutôt charmante où il fait bon vivre. On voit que les marchands sont nombreux et que c'est une ville où on peut se faire un petit peu d'argent. Ici, il y a aussi les meilleurs imprimeurs du Royaume. Ils publient de très bons articles qui font le tour des sept Nations. Je me souviens que je les lisais chaque semaine, mes parents les achetaient.
— Je continue de me demander où ont bien pu aller mon père et mon fils... marmonne Hélène les yeux dans le vague.
Je serre sa main dans la mienne.
— On va les retrouver...
— Ils ont dû se réfugier quelque part, puisqu'il y avait cet espèce de lézard géant qui se baladait dans les rues, déclare Tristan.
— C'est certain, affirmé-je.
— Mais maintenant que Panterm...
— Hélène, soufflé-je pour la faire taire.
Elle me jette un regard et je lui fais comprendre qu'Andreï ne doit pas savoir. Pourquoi je lui cache ? Parce que je pense que s'il apprenait ce qu'il se passe, il voudrait retourner à Panterm et je crains qu'il me considère comme l'assassin du roi et comme son ennemie.
Je critiquais Tristan, le pensant égoïste cependant je suis moi aussi égoïste. Je cache la mort de son père à quelqu'un, tout cela pour mes petites affaires à moi. C'est terrible d'en arriver là mais c'est également incontrôlable. L'hypocrisie demeure chez n'importe qui.
Nous arrivons enfin au port. Là , nous descendons, Tristan enfonce les mains dans les poches du long manteau du Gouverneur et balance une pièce d'or au cochet qui jongle avec avant de réussir à l'attraper.
— C'est bien trop généreux, Sir, je...
— Ouais ouais, c'est cela. À plus tard petit morveux, grommelle Tristan en avançant.
Je lève les yeux au ciel et nous le suivons docilement. Sur le port, tout le monde nous laisse passer et salue Hector. Il ne semble pas détesté, plutôt même apprécié et j'ai de la peine de le savoir mort à présent.
Tristan s'arrête devant un marin au visage strié de cicatrices. Il porte la moustache, un bandeau noir dans les cheveux ainsi que des souliers souillés. Ici, une forte odeur de poisson remonte jusqu'à nos narines.
— Gouverneur, que venez-vous faire ici ? Demande le marin.
— Je souhaite partir en voyage avec...
Il nous montre en même temps mais réfléchit.
— Avec... de vieux amis.
Le marin se penche légèrement et nous jette un regard.
— Avec des gamins ?
— Exactement. Je souhaite leur faire découvrir les mers.
— Où souhaitez-vous aller ?
— À Corvil.
— C'est loin d'ici, au moins à six jours de bateau.
— Excellent, quand partons-nous ?
— Qui va veiller sur Irondell ?
Tristan lui tape l'épaule amicalement.
— Ne vous en faites pas mon ami ! Tout a été intelligemment pensé !
Le marin tend sa main et lève ses yeux vers le gigantesque Hector.
— Ça fera quinze pièces d'or.
— J'ai cela, je vous les donne de sui...
— Par personne, rajoute le marin.
Tristan relève la tête vers lui.
— Vous tentez de m'arnaquer ?
— Les temps sont durs Sir.
Tristan fouille le fond des poches de Hector et en sort vingt pièces d'or qu'il donne au marin. Il continue de fouiller, fouiller et encore fouiller... Finalement, Andreï s'avance, le pied par terre mais toujours d'une démarche branlante et il sort dix pièces d'or supplémentaires des poches de son pantalon souillé et déchiré. Nous n'avons même pas eu le temps de nous laver.
— Voici, c'est tout ce que nous avons. Comprenez... mon amie Chloé ici présente est de Corvil, sa maman est très malade. C'est également la sœur du Gouverneur Hector et nous avons urgemment besoin de rejoindre notre famille afin de dire un dernier au revoir à nos proches...
Je souris légèrement, le prince est intelligent et il sait jouer les pauvres jeunes hommes attristés.
— Bien... grogne le marin. Montez, on part dans dix minutes.
Alors nous montons sur le bateau. Là où quelques voyageurs se baladent et où les marins s'affairent. Traverser les océans était risqué avant, à cause des Ombres Obscures qui sortent principalement de l'eau, et de la terre. Je me souviens très bien de mon voyage jusqu'à Panterm... Tout recommence.
Je m'assois sur un banc, Hélène quant à elle reste contre les rebord à observer les gens se dire au revoir. Elle semble triste et inquiète. Je peux la comprendre. J'espère que sa famille va bien.
— Petit prince, tu es très bon comédien.
— Je viens de le découvrir !
— C'était vraiment génial, interviens-je.
Andrei pose alors ses yeux sur moi et m'adresse un doux sourire que je lui rends.
— Merci, Chloé.
Je vois Hector, ou plutôt Tristan, lever les yeux au ciel et s'éloigner de nous. Le prince s'assoit à côté de moi et pose ses mains sur ses jambes en regardant les gens aller et venir. Puis il inspire profondément et expire par la bouche. Je l'observe un instant, sans un mot mais toujours ce sourire sur les lèvres.
— Je me souviens vous avoir dit n'avoir jamais découvert le monde et me voici, commence-t-il.
Ses yeux bruns sont plus clairs au soleil.
— J'avoue que je ne m'imaginais pas découvrir le monde de cette façon mais... au moins je vis une aventure. C'est assez éprouvant je l'admets, et Panterm me manque déjà beaucoup cependant, je crois ne m'être jamais autant senti vivant de toute ma vie. Je ne sais pas si vous comprenez ce que je veux dire.
Il tourne la tête vers moi. Je comprends ce qu'il veut dire. J'ai toujours été à la recherche d'adrénaline et je le vis actuellement. Mais je ne peux m'empêcher de culpabiliser, pour Panterm, pour le roi, mes mensonges et l'assassinat du Gouverneur d'Irondell.
— Je le comprends que trop bien... Je crois qu'il n'y a qu'en vivant de fortes sensations comme ce que nous traversons en ce moment pour nous rendre compte à quel point la vie est précieuse et à quel point nous sommes vivants et précieux.
Il esquisse un sourire.
— Vous n'avez pas tort. J'espère néanmoins que toute cette histoire se terminera bien.
Il pose ses yeux sur le faux Hector un petit peu plus loin. Tristan semble complètement perdu dans ses pensées, les énormes mains de sa victime appuyée sur le bord du bateau, il fixe l'horizon alors que les derniers passagers montent à bord.
— Et j'espère également que nous pouvons faire confiance à ce Changeur de Peaux, ajoute-t-il.
Je l'espère aussi.
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