XIV - L'Enchanteur de feu

Tristan attache Josépha, les bras en l'air. Elle est si petite qu'elle touche presque pas le sol. Elle rouvre les yeux et relève la tête vers lui. Elle souhaite se jeter sur lui mais est retenue par les liens. Tristan recule et affiche un sourire en coin satisfait sur son visage.

— Détache-moi TRISTAN ! Hurle-t-elle les dents serrées.

Nous restons en retrait, le prince a trouvé une vieille barre de fer rouillée pour s'aider à avancer. On peut voir qu'il souffre, il lui faudra trouver un médecin rapidement au risque de perdre sa jambe. Je n'ose imaginer l'état de sa plaie.

— Tu ne disais pas ça avant quand je t'attachais pourtant, blague-t-il.

Josépha grogne et tire sur ses liens. Tristan lui fait un bisou sur la joue et retire le poignard qu'elle avait accroché à ses hanches puis le brandit sous son nez.

— Tant que je ne retrouverai pas mon manteau, je garderai ta dague.

— Non ! Rends-la moi, rends-la moi ! Espèce de traître !

— Tu m'as trahie la première.

Tristan tourne le couteau dans ses mains, nous jette un regard et nous fait signe de le suivre à l'extérieur. Lorsque nous sortons, nous pouvons entendre Josépha crier et grogner, tirer sur ses liens...

— Je te tuerai Tristan !

Nous retournons dans les bidonvilles, là où la fête bat son plein. Les gens boivent, fument, dansent, consomment... c'est assez festif et je pense qu'à ce stade de la soirée, plus personne n'est conscient que nous sommes différents.

Tout en tournant la dague dans ses mains, Tristan s'arrête. Il lève son autre main pour que nous nous stoppions et il tend l'oreille. Je n'entends rien moi, mais lui, visiblement, oui.

— Ils sont sur la crique, déclare-t-il.

Alors il se précipite vers la grande descente qui donne sur la crique. Je le suis mais Andrei peine à suivre la cadence. Alors je fais demi tour, je passe son bras autour de mes épaules et le mien autour de sa taille et je l'aide à avancer. Il grimace mais ne rechigne pas. Pour quelqu'un qui n'a jamais vu le monde extérieur, il s'en sort plutôt bien et je m'en veux de l'avoir entraîné là-dedans. Je sais dorénavant qu'une fois que nous aurons réglé tout cela, l'honneur de ma famille sera perdu et nous serons pauvres.

Le prince m'arrête juste devant la côte, et cette fois, je peux entendre Hélène crier. Il me lâche alors je lui jette un regard.

— Allez-y, je vous rejoins. Je vais vous ralentir.

— Êtes-vous certain, votre altesse ?

— La vie d'Hélène est en jeu, allez ! Et nous quitterons ces fichus bidonvilles ensuite.

Je lui souris légèrement et saisis sa main.

— Vous êtes brave, Andreï.

Je dépose un baiser sur sa joue, ce qui fait étirer les lèvres du prince et je dévale la pente pour rejoindre Tristan et Hélène.

Lorsque j'arrive, Tristan s'arrête devant eux tandis que Darius se redresse. Il a littéralement déchiré les vêtements d'Helene qui se trouve allongée dans le sable.

— Espèce de pervers, grogne Tristan. Viens te frotter à quelqu'un de ta taille.

— Sans ton Objet Obscur, tu n'es rien.

Tristan brandit sa dague et penche la tête sur le côté.

— T'en es sûr ?

Darius tend les bras le long de son corps et s'avance vers Tristan, doucement. De la paume de ses mains, de chaque côté, jaillit des flammes. J'en profite pour rejoindre Hélène, je l'aide à se relever, je retire mon manteau et je le mets sur ses épaules.

— Tout va bien, nous sommes là.

Elle tremble, ses cheveux sont en désordre et elle semble sous le choc.

— Il allait... il allait...

— Il ne le fera plus.

Darius jette ce qui ressemble le plus à une boule de feu en direction de Tristan, qui l'évite de justesse en effectuant une roulade dans le sable. Il lance la dague en sa direction, elle se loge dans son bras gauche. Darius pousse un grognement, Tristan quant à lui, un genou au sol, tend sa main. La dague y retourne comme un boomerang. Il serre le manche sculpté et ne cesse d'afficher un sourire satisfait. Le voilà avec une mine bien moins fatiguée mais son œil reste jaune. 

Andrei nous rejoint, il m'aide à relever Hélène et nous nous dirigeons vers notre barque laissée là plus tôt dans la soirée. Au loin, le ciel est orange, ce qui signifie que le jour va se lever. Nous aidons Hélène à monter dedans, le prince y grimpe lui aussi mais moi, je suis tiraillée. Je n'ai pas envie d'abandonner Tristan ici, à se battre contre un Enchanteur pour nous aider.

— Chloé, montez ! Insiste le prince.

Je jette un coup d'œil en direction de Tristan. Darius ne s'arrête pas, il lance des boules de feu, il est rapide, agile et en colère. Quand Tristan souhaite se précipiter vers lui afin de le désarmer, Darius tourne sur lui même, la paume ouverte vers le sol et s'entoure alors de flammes, empêchant quiconque de l'approcher. Tristan s'arrête, les mâchoires serrées.

— Chloé ! Allons-nous en ! C'est le moment ! Continue le prince.

Je vois Darius, toujours entouré de ses flammes menaçantes, tendre la main vers Tristan et serrer le poing. Le Changeur de Peaux se raidit, il lâche même sa dague, les veines de son cou ressortent, il devient rouge et retrousse ses lèvres, comme s'il luttait pour ne pas crier.

Mon cœur bat terriblement vite, mes mains tremblent. Dois-je abandonner Tristan à son sort ? Ou bien rejoindre le prince...

— On ne peut pas le laisser là, declaré-je.

— Bien-sûr que si, c'est un Être des Ténèbres !

— Et moi ? Que suis-je ? Rétorque-je en lui jetant un regard.

La lumière du jour éclaire son doux visage angélique de prince.

— Vous n'êtes pas comme lui Chloé, dois-je vous rappeler qu'il souhaitait vous tuer ?

— Il nous a aidé !

Je lui tourne le dos et me précipite vers l'Enchanteur et Tristan. J'entends le prince me rappeler mais je ne l'écoute pas. Tristan tombe à genoux, face à Darius entouré de ses flammes, ses yeux sont injectés de sang, je suppose qu'il brûle de l'intérieur mais cela semble incroyablement long. Même Darius en est étonné. Je ne pensais pas que les Changeurs de Peaux étaient si difficiles à tuer. Cependant, ça y est, les dents serrées, Tristan ne peut plus se retenir et il se met à hurler de torture.

Je ne réfléchis pas une seconde, je tends ma main vers la mer à côté et lève le bras. Aussitôt, une Ombre Obscure en sort. Cependant, elle ne prend pas de réelle forme tout de suite. Elle s'arrête juste au dessus de Darius qui lève la tête et elle rugit, si fort qu'il en sursaute et lâche l'emprise qu'il avait sur Tristan.

Je ne sais pas contrôler cette chose, alors je me précipite vers Tristan, je l'aide à se relever, je ramasse la dague et nous avançons dans le sable tandis que la créature reste au dessus de Darius.

— Qu'est-ce que c'est que cette chose ? Qui a fait ça ?! S'exclame-t-il.

— Tu ne peux pas laisser cette Ombre Obscure ici, elle tuera tout le monde au bidonville... gémit Tristan.

— Je ne veux pas avaler une nouvelle fois ces choses immondes.

Doucement, derrière, le monstre prend forme, une sorte de serpent des mers, brumeux, visqueux, gigantesque et terrifiant.

— Tu vas tuer des tas d'innocents, les bidonvilles ne regorgent pas seulement d'Êtres de Pouvoir rejetés ! Il y'a aussi des humains !

Je soupire et le lâche, je croise alors son regard et lui rend sa dague.

— Attends-moi dans la barque alors...

— Je t'attends ici, grogne-t-il. Et Chloé... après cette nuit, sous consciente que la moitié du monde voudra tes pouvoirs.

Je le fixe un instant, et je ne sais pas pourquoi, je ressens des fourmillements un petit peu partout dans mon corps, mon estomac se tord et mon cœur bat. Je reprends mes esprits lorsque la créature rugit parce que des mains de Darius jaillissent des vagues de flammes brûlantes dont je sens la chaleur d'ici.  Il est toujours entouré de sa barricade enflammée et essaye de blesser la bête.

— Hé ! Crié-je. Viens voir maman...

J'ai murmuré la fin de ma phrase. Alors le monstre lève sa tête de serpent vers moi, rugit et rampe dans le sable, laissant une énorme traînée noire derrière lui. Il se précipite vers moi et à mesure qu'il se rapproche, l'adrénaline monte en moi. J'écarte les bras, comme si je l'accueillais et je ne sais toujours pas comment contrôler cela, mais la chose se perche au dessus de moi, rugit alors je hurle à mon tour et elle entre dans ma bouche, se dissipe dans tout mon corps, mes veines, mes os, mes poumons, mes organes... je cesse de hurler lorsque la chose entre totalement en moi. Et lorsque je ferme la bouche, une vague d'énergie m'envahit et se libère des ports de ma peau. Je m'arc-boute, un grondement retentit ainsi qu'un énorme vent puissant et glacé frappe la plage comme une explosion.

Les flammes de Darius ont été éteintes par ce vent sortit tout droit de mon être. Darius est assis dans le sable tout retourné, les yeux écarquillés, il me fixe. Il n'y a plus que le son des vagues de la mer qui s'échouent sur la plage qui résonne.

— Ils sont là ! Capturez les !

Je relève la tête vers les bidonvilles plongés dans le noir complet. C'est Josépha et quelques autres de ses camarades je suppose.

Tristan se précipite vers moi avant que mes jambes ne se dérobent sous mon corps et me porte pour ensuite courir vers la barque. Hélène et Andrei rament déjà. Nous montons dedans, Tristan me dépose délicatement, se munie d'une rame et pousse l'eau de toutes ses forces en rythme avec Hélène et Andrei.

Moi je me retourne et je les vois se précipiter jusqu'à l'eau, ils ne pourront pas aller plus loin et je croise alors le regard de Josépha puis celui de Darius.

— Nous vous retrouverons ! Crie Josépha.

— C'est ça, cause toujours... marmonne Tristan.

Je reste allongée dans la barque et je fixe le ciel grisonnant, le soleil passe à travers les nuages et semble nous réchauffer malgré le froid environnant. Je ne comprends pas ce qu'il m'arrive, je ne comprends pas ce qui vit en moi mais j'entends ces chuchotements incessants depuis que j'ai avalé cette créature...

Iom Erebil.

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