XIII - Josépha


J'ouvre les yeux, mes paupières sont collées entre elles. Je souhaite me frotter les yeux cependant mes mains sont retenues. En fait, je suis attachée, les bras en l'air, la pointe de mes pieds frôlant le sol. Alors je cligne des yeux plusieurs fois afin que ma vue ne soit plus trouble. Je suis donc attachée dans ce qui ressemble à une maison, en bien plus petit, poussiéreux, éclairé par des bougies. Le toit est fait de taules alors je constate que nous sommes toujours dans les bidonvilles. Quand je regarde sur la gauche, je reconnais le prince, la tête qui pend, sur la pointe des pieds et ses poignets ligotés au plafond, encore endormi. À ma droite, Hélène se réveille tout juste et regarde autour d'elle. Lorsqu'elle se rend compte qu'elle est attachée , elle commence à paniquer. En face de nous, Tristan est assis sur le sol, ses chevilles liées et ses bras attachés derrière son dos, il est encore inconscient et du sang séché tâche son front et sa joue. Il faut dire qu'il s'est pris deux sacrés coups sur la tête.

La porte s'ouvre en grinçant sur ses gonds et le fameux Darius entre, accompagné d'une femme d'une petite taille et maigre. Ses cheveux sont noirs et lisses, dans la pénombre, je distingue que très peu les traits de son visage. Elle attrape un seau sur le côté et le balance sur Tristan. C'est de l'eau et visiblement, elle doit être froide puisqu'il prend une grande inspiration et se crispe un instant. Andrei se réveille également à côté de moi et gémit lorsqu'il bouge légèrement sa jambe cassée.

— Réveille-toi chéri, souffle la femme alors que Tristan secoue la tête, totalement trempé.

Il fait froid, son nez est rougi, on lui a retiré son accoutrement de garde royale. Il n'a qu'une simple chemise ample mouillée qui colle à sa peau et un pantalon marron crasseux, il n'a même pas de chaussures. Il lève la tête vers cette femme et lui lance un regard électrique.

— Josépha... vocifère-t-il.

Lorsqu'il parle, de la condensation sort de sa bouche tant il fait froid malgré le feu au milieu de la pièce pour nous réchauffer.

— Darius m'a dit que tu me cherchais, alors que veux-tu ? Demande-t-elle en croisant ses mains derrière son dos.

— Je sais que tu as infiltré le château du roi, mais tu sais, nous pourrions discuter sans que tu nous attaches.

— Certainement pas, toi... tu es un traître et eux...

Elle se tourne vers nous.

— Ils seront mes nouveaux visages.

— Laissez-nous partir où je ferai en sorte que mon père...

Andrei se tait lorsque Darius fait jaillir une flamme de sa main et la brandit juste sous les yeux du prince.

— Que feras ton père, gamin ? Souffle Darius en allumant du feu dans sa deuxième main et l'approchant davantage de son visage.

Alors le prince commence à suer et grimacer, je suppose que la chaleur devient insoutenable. Darius rapproche ses mains de chaque côté de son visage comme pour l'écraser, mais avec du feu.

— Éloignez cela de mon visage... grommelle Andreï.

— Darius, arrête, n'abîme pas le visage du prince, ordonne Josépha.

Alors Darius serre les poings pour éteindre le feu, Andreï tourne la tête pour ne pas respirer la fumée et je croise alors son regard. Le sien lance des signaux de détresse et je peux le comprendre. Il m'avait dit n'avoir jamais rien connu d'autre que le château et les jardins du palais, ce n'est pas vraiment une mise en bouche incroyable qu'il vit là. Au contraire, c'est un véritable cauchemar.

— Ça va aller, chuchoté-je.

Il hoche la tête en guise de réponse.

— Alors Tristan... dis-moi... reprend Josépha, laquelle de ces deux jeunes femmes préférés-tu ? Sur laquelle as-tu jeté ton dévolu ?

Josépha s'approche de nous, une dague à la main qu'elle fait tourner. Elle fixe Hélène droit dans les yeux, renifle son cou et laisse glisser sa lame contre son bras, déchirant la manche de sa robe.

— Est-ce la jolie petite rousse... l'humaine...

Elle se décale sur le côté ensuite pour s'arrêter devant moi. Elle me fait relever la tête en appuyant sa lame sous mon menton. Je retrousse mes lèvres et la fixe, je veux mon regard méprisant.

— Hm... c'est elle... C'est elle qui a volé le manteau et je suppose que c'est sur elle que tu as jeté...

— Ça suffit ! Où est le manteau, Josépha ! Intervient Tristan en tirant sur ses liens.

Elle lève les yeux au ciel, je peux cette fois distinguer son visage puisqu'elle se tient près de moi. Elle arbore des tâches de rousseurs, des yeux noirs comme l'ébène, des petites lèvres dessinées. Elle est vraiment jolie, elle est maquillée disgracieusement et pourtant, c'est une belle femme. On dirait qu'elle n'a peur de rien.

Elle se retourne vers Tristan tout en gardant la lame de son poignard à plat sous mon manteau.

— J'aimerais que tu me regardes comme tu regardes cette belle fille aux cheveux de corbeau.

— Détache-moi, Josépha... on peut discuter, grogne Tristan.

— C'est cette fille qui a volé le manteau, c'est à cause d'elle que Josépha a dû prendre l'apparence du valet du roi. Je devais faire diversion, alors je faisais du feu avec mes amis... mais si on pensait que t'allais la retrouver, elle... la petite voleuse d'Objets Obscurs... explique Darius.

— Je ne savais pas que ce manteau était magique, rétorqué-je.

Le prince Andreï pouffe de rire alors les regards se braquent sur lui.

— Un manteau magique ? Où sont les licornes alors ? Lance-t-il sarcastique.

— Le petit prince a de l'humour visiblement, remarque Tristan.

— Tu as enlevé le prince... incroyable, souffle Josépha. Comme ça je prendrai l'apparence de ta voleuse adorée et l'un des nôtres prendra celle du prince puis un autre celle de la servante perdue.

— Laisse-les en dehors de ça.

— Tu as retourné ta veste Tristan !

— Tu as revendu mon manteau !

— Dois-je te rappeler que tu l'avais volé ?

— À qui l'as-tu vendu ?

— On s'en fiche.

Josépha me laisse enfin et range son poignard dans le petit fourreau accroché à sa ceinture. J'aime beaucoup sa tenue, un pantalon de cuir, des grandes bottes à clous, un long manteau... moi je suis encore vêtue de cette robe à manches longues.

— J'en ai besoin.

— Tant pis pour toi Tristan. Tu m'as trahie.

— Bien-sûr que non ! J'ai seulement voyagé ! Moi au moins, j'ai cherché un autre endroit pour vivre que ces poubelles que servent de maison.

— Tu m'as laissée en plan !

Nous sommes spectateurs d'une réelle scène de ménage.

— Nous ne sommes pas mariés à ce que je sache, grommelle Tristan.

— C'était bien ce que je me disais, commente le prince, cette vermine n'a aucun respect pour les femmes.

— Ferme-la petit prince, insulte Tristan. Tu ne connais rien de ma vie, c'est clair ?

— Voici ce que je vais faire, je vais prendre la peau de la voleuse d'Objets Obscurs afin que tu me regardes avec envie, puis Darius va jouer avec tes deux autres camarades... enfin... il est possible que je garde le prince de côté afin de m'immiscer dans le Palais Royal mais la petite rouquine... va pouvoir servir de joujou  à Darius...

Darius s'approche alors d'Hélène, cette dernière tourne la tête et refuse de le regarder. Il lève les bras et saisit les liens qui la retiennent, tout cela en déposant un baiser sur sa joue. Hélène pousse un grognement de dégoût et cherche à tout prix de s'éloigner de lui. Lorsqu'il la détache, elle souhaite prendre la fuite cependant il la rattrape en saisissant sa taille. Elle hurle et se débat pour se défaire de sa puissante étreinte.

— Ça suffit belle rousse, grommelle Darius.

Elle continue de gesticuler dans tous les sens, je sens mon cœur se serrer puis accélérer considérablement. Darius serre alors ses deux bras et Hélène pousse un hurlement de douleur à en glacer le sang. Quand il la lâche, elle tombe à genoux. De là où je suis, je peux distinguer une brûlure sur son bras, ce qui a même désintégré le tissu de sa robe... Darius est un Enchanteur puissant.

Il l'attrape par les cheveux et la tire vers la sortie. Elle s'accroche à son poignet tout en gémissant, malmenée comme cela.

— Arrêtez ! Laissez-la ! Hurlé-je.

Il ne m'écoute pas et donne un coup de pied dans la porte pour l'ouvrir.

— J'ai dit : laissez-la ! Répété-je.

Alors la porte lui claque au nez et la taule grince comme si un coup de vent les avait fait onduler... Tristan me jette un regard, comme si j'avais fait quelque chose de mal tandis que Josépha se tourne vers moi l'air interloquée.

— C'est toi qui a fait ça ? Demande-t-elle.

— Ne lui faites pas de mal...

Elle se retourne vers Tristan.

— C'est elle qui a fait ça ?

— Un coup de vent, peut-être une tempête de neige qui se prépare, rétorque-t-il.

— Ne me prend pas pour une imbécile !

— Jamais je n'oserais...

— Tu te moques de moi ? Tu es sûr de toi ?

— J'ai besoin de mon manteau.

— Oui, je le vois Tristan mais je ne l'ai pas.

— Où est-il ?

— Est-ce que c'est la voleuse qui a fait ça ?

— Je t'ai dit non, où est le manteau ? À qui tu l'as vendu ?

— À Hector.

Tristan ferme les yeux et ses épaules s'affaissent. Il est encore mouillé et doit mourir de froid.

— Cette enflure d'Hector...

— Bon, je fais quoi de la rouquine ?! S'exclame Darius.

— Emmène la à l'extérieur et fais en ce que tu veux, ça m'est égale, ordonne Josépha

Alors Darius l'attrape violemment et quitte l'endroit. La porte claque derrière lui et je tire sur les liens.

— Vous n'avez pas intérêt à lui faire du mal ! Menacé-je. Je vous préviens que...

Josépha saisit mon visage de sa main ce qui me fait taire aussitôt, serrant même mes joues et ma bouche. Elle me regarde droit dans les yeux. Ensuite, elle me tourne la tête et la penche sur le côté pour me détailler. Je vois du coin de l'œil que Tristan parvient à défaire ses liens par miracle. Il se relève, les chevilles toujours liées. À pieds joints, il se jette sur Josépha qui roule sur le sol à nos pieds. Elle se cogne dans la jambe du prince qui jette sa tête en arrière et se mord les lèvres afin de ne pas jurer.

Tristan est littéralement couché sur elle, petite et frêle comme elle est, on ne la voit presque plus. Son bras est tendu et le Changeur de Peaux lui tient le poignet pour pas qu'elle le poignarde.

— Tu vas sauver ces ingrats d'humains ? Tu oses t'opposer au pouvoir du Maître ? Tu es un traître !

— Je n'obéis à personne, grogne Tristan.

Il lève son poing au dessus de son visage cependant elle prend soudainement l'avantage. Se retrouvant à califourchon sur lui à tenter de lui ôter la vie. Par un élan de bravoure ou d'adrénaline, j'enroule mes jambes autour de sa taille et la tire en arrière avec la force de celles-ci. Elle pousse un grognement de frustration et moi, je me balance littéralement.

— Vite Tristan ! Trouve quelque chose pour qu'elle soit désarmée ! Crie Andrei.

Je serre de toutes mes forces pour ne pas qu'elle s'échappe pendant que Tristan fouille sur le plan de travail derrière nous. Elle parvient à se défaire de mon emprise et me donne un coup de poing dans l'estomac. Je me balance d'avant en arrière, le souffle coupé et la nausée. C'est alors le prince qui lui donne un coup de pied en plein visage. La tête de Josépha valse en arrière et elle titube de quelques pas, hors de notre champ de vision.

Finalement, je la vois retomber sur le sol, inconsciente à peines quelques secondes après.

Tristan se poste devant moi.

— J'ai utilisé la poudre qui a dû vous endormir aussi, déclare-t-il.

Il me détache, alors je peux enfin toucher le sol et il fait de même au prince qui manque de tomber avant que je ne le retienne.

— Vite, grogne Tristan en enfilant une veste qu'il ramasse sur une vieille chaise, allons retrouver Hector et partons avant que Josépha ne se réveille.

Il se dirige vers la porte.

— Attends ! L'arrêté-je.

Il me jette un regard.

— Nous devons sauver Hélène.

— Elle est sûrement déjà morte.

— Alors pars sans nous ! Nous saurons nous débrouiller.

Il me fixe un instant, comme s'il hésitait, se pince les lèvres et pousse un profond soupir.

— Allons botter le cul de cet Enchanteur.

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