VIII - En quarantaine
Je suis le prince qui rentre dans ma chambre, je le vois passer sa main dans ses cheveux blonds et se tourner vers moi les lèvres pincées. Je le sens angoissé et cela peut se comprendre. Le château a été condamné afin que personne ne puisse sortir, une Créatures de l'Ombre se promène en ces lieux, un Changeur de Peaux plus précisément et je sais pertinemment que ce Tristan ne lâchera pas l'affaire. Je l'ai abandonné dans cette ruelle alors que lui m'a probablement sauvé la vie. Il y a de quoi être en colère et je suppose que cette fois, il ne me laissera plus aucune chance.
— Peut-être que c'est vous le Changeur de Peaux, me lance le prince.
Je hausse les sourcils.
— Bien-sûr que non, je viens de rentrer ! Et pourquoi pas vous ? Vous êtes apparu de nulle part...
— Cela faisait deux heures que je vous attendais, Mademoiselle.
— Il est plus prudent de rester dans cette chambre. Imaginez qu'il ait pris l'apparence du roi...
— Cela voudrait dire que mon père est mort, c'est impossible. Il a dû prendre celle d'un garde. Mais je dois retrouver mon père, il doit être inquiet de ne pas me savoir près de lui.
Il se dirige vers la porte alors je le suis.
— Et les gardes alors ? Imaginez qu'il soit parmi eux et vous saute dessus ? Lancé-je d'une petite voix.
En réalité je crois avoir peur de rester seule en sachant Tristan dans ce château. La propriété est immensément grande, parmi ces centaines de gardes, un monstre s'y cache et je sais que si je reste seule, je serai d'autant plus vulnérable. À la fois, j'ai la sensation d'impliquer le prince dans cette histoire sans vraiment le contrôler.
Il pose sa main sur la poignée puis se tourne vers moi, je crois bien qu'il sait faire preuve d'empathie mais je n'en suis pas certaine. Il semble être déçu par mon comportement récent, j'avais toutes mes chances et à présent, elles tombent à l'eau.
— Vous devriez rester...
Il ne termine pas sa phrase puisque la porte saute sur ses gonds. Quelqu'un tente de l'enfoncer. Nous ouvrons de grands yeux tous les deux puis Andreï s'appuie contre la porte pour la retenir pendant que derrière, l'assaillant ne lâche pas l'affaire.
— Ouvre la porte ! Entends-je de l'autre côté.
Le prince tente tant bien que mal de retenir cette dernière mais ses pieds glissent sur le sol et moi, je suis prise de panique ne sachant pas quoi faire.
— Vite ! Poussez la commode !
Je tente de pousser le meuble, cependant il pèse son poids et je n'ai pas vraiment de muscles. Je pousse, je gémis pour me donner de la force mais elle ne décolle pas.
— Je n'y arrive pas !
— Prenez ma place !
— Ouvre la porte ! Répète l'individu derrière.
Ce n'est pas la voix de Tristan mais je sais que c'est lui. Je prends la place d'Andreï. Chaque coup qu'il met dans la porte me secoue puis son poing passe à travers, juste devant mon visage. Je louche dessus tout en poussant un cri de surprise, je tiens en même temps la poignée qu'il tente de tourner. Le prince pousse de toutes ses forces la commode qui, lentement, glisse sur le sol, puis il bloque la porte. Mais elle ne tiendra pas longtemps.
— Nous devons quitter la chambre ! Déclare-t-il.
— Comment ?
Il regarde autour de lui, se rend sur le balcon puis passe sa tête par la fenêtre dans la chambre.
— Nous allons sauter.
— C'est beaucoup trop haut.
— Nous n'avons pas le choix, la porte ne tiendra pas ! Prenez les draps du lit !
Je retire les draps à la hâte, Andrei m'aide puis nous formons un noeud aussi solide que possible. Ensuite, il l'enroule autour de la rambarde du balcon, je ne suis pas certaine de sa solidité mais non n'aurons pas d'autres choix.
— Passez devant.
Je passe devant, je m'accroche comme je le peux, peu sûre de moi, le cœur chavirant dans ma poitrine. Je descends maladroitement et beaucoup trop lentement. Je ne cesse de jeter des regards en haut, de peur que le prince ne soit tué par ma faute.
Le drap n'atteint pas le sol, alors je me laisse tomber et atterrie sur les genoux. La douleur me fait claquer des dents, mais je me relève pour voir le prince passer à son tour. Cependant, il pèse plus lourd que moi et malheureusement, le drap craque. Il tombe à la renverse juste à côté de moi, dans la poussière, sur le dos. Il pousse un râle et sa respiration se bloque un instant, le visage déformé par une grimace de douleur.
— Vous allez bien ? M'inquièté-je.
— Ma jambe...
Je regarde sa jambe gauche, elle ne semble pas bien alignée avec son corps. J'attrape son bras pour l'aider à se relever.
— Pardonnez-moi de vous toucher de la sorte votre altesse, mais je dois vous aider à vous remettre sur pieds.
Je l'aide, il pousse alors un hurlement de douleur mais je plaque ma main sur sa bouche. Alors il me regarde, les yeux sortants presque de leurs orbites, et malgré le froid de l'extérieur, des gouttes de sueur perlent sur son front.
— On ne sait pas qui est l'ennemi ici... nous devons rester silencieux.
Il serre les mâchoires et hoche la tête tandis qu'une larme reste bloquée au coin de son œil droit. Alors je retire ma main, il se redresse et difficilement, je l'aide à avancer pendant qu'il prend appuie sur mes épaules.
— Sorcière !
Nous nous retournons et pouvons voir un homme au balcon, habillé comme un garde de la cour du roi mais ce n'est pas un garde. C'est Tristan.
— Je vais te faire la peau !
— Il vous connaît ? S'interroge Andreï.
— Impossible...
Je détourne le regard et accélère la cadence mais le prince est blessé. Nous entendons un bruit derrière nous et lorsque nous nous retournons, le garde se relève tout juste. Il a sauté du balcon et a atterri sur ses deux pieds. Pris de panique, le prince tente de reculer lorsque notre ennemi s'approche de nous mais il tombe à la renverse et m'emporte dans sa chute. Alors Tristan m'attrape les bras et me relève brusquement. Il plonge les yeux bruns du garde à qui il a volé l'apparence dans les miens.
— Tu penses pouvoir t'en tirer comme ça ? Je te sauve la vie et tu me laisses dans une ruelle avec l'un de tes monstres ?!
— Je n'ai rien fait !
Il me secoue brusquement et approche son visage du mien.
— Tu as laissé une Ombre Obscure, en plein Panterm, espèce d'idiote !
— Je n'ai rien fait je t'ai dit !
— Où est mon manteau ?!
— J'en ai aucune idée !
— Le manteau ? Répète le prince.
Alors Tristan fixe son attention sur lui sans lâcher mes bras.
— Il y a des tonnes de manteaux à la laverie et... et...
— Tu l'as vu ?
Tristan me lache et s'avance vers le prince.
— Non, laisse le !
— Je vais prendre l'apparence du gentil petit prince, comme ça, j'aurai une vie royale...
Andreï recule à l'aide de ses bras et de sa jambe encore valide, effrayé tandis que le garde s'avance doucement vers lui. Je me précipite vers eux, me poste devant le prince et pousse notre ennemi en frappant de mes deux mains son torse.
— Laisse-le tranquille, Tristan !
Il est poussé en arrière si brusquement qu'il en tombe à la renverse et pousse un gémissement. Je le fixe un instant et le vois se tordre, comme s'il souffrait. La peau de son visage semble onduler, la couleur de ses yeux changent... l'un ressemble à un serpent et l'autre est bleu... il attrape sa tête entre ses mains, grogne et semble s'arracher la peau. Je détourne le regard, saisis le bras du prince et l'aide à se relever.
— Ne restons pas là...
Nous nous mettons à courir, le prince pousse des râles à chaque pas qu'il fait mais nous ne nous arrêtons pas. Nous passons devant un puits, l'eau à l'intérieur semble s'agiter et à peine le dépassons nous qu'une créature en sort et pousse un rugissement à en glacer le sang.
— Mais quelle est cette chose ?! Hurle le prince.
— Ne vous retournez pas !
Moi, naturellement, je jette un coup d'œil par dessus mon épaule et suis horrifiée de découvrir une créature aux grandes pattes, au visage dépourvu d'œils ou de nez, la brume épaisse qui émane de sa peau noire et visqueuse... elle nous poursuit mais semble aveugle.
Alors nous nous laissons tomber derrière l'énorme fontaine d'eau qui se trouve au milieu du jardin. Nous pouvons entendre la créature rugir à nouveau. Le prince respire si fort que j'ai peur qu'elle l'entende alors je lui fais signe de ne faire aucun bruit en appuyant mon index sur mes lèvres. Il hoche la tête, tout tremblant, tout comme moi.
La chose s'approche de nous, elle se poste même au dessus de nous, détruisant la fontaine qui s'écoule maintenant sur le sol et nous éclabousse. Elle approche sa gueule énorme de nous, elle doit faire deux fois ma taille, ses dents sont aiguisées, elle n'a pas de lèvres, son nez n'est que deux trous béants... finalement, trois soldats qui font leur ronde un peu plus loin semble attirer son attention puisqu'elle relève vivement la tête et se précipite vers eux. Ils se mettent à hurler et sortir leurs épées pour se battre, cependant la chose est bien plus puissante qu'eux.
Quelqu'un se laisse tomber juste à côté de moi. Je sursaute et lorsque je tourne la tête, j'aperçois Tristan. Il met son doigt sur ma bouche, puis l'autre sur celle du prince.
— Sschh, pas un bruit les enfants... murmure-t-il.
Nous hochons tous les deux la tête. Il n'a plus l'apparence du garde mais toujours son accoutrement : une armure aux couleurs du roi, blanc et or.
— Tu dois renvoyer cette chose d'où elle vient.
— Ce n'est pas moi qui...
— Parle moins fort.
De l'autre côté, les gardes s'agglutinent et se battent contre la créature terrifiante qui s'en prend à eux.
— C'est bien toi qui fait ça, j'avais un doute mais maintenant, j'en suis persuadé. Pour en avoir le cœur net, tu dois aller voir Esmeralda.
— Qui ?
— Une Invocatrice de Lumière, elle saura ce que tu es. Il n'y a qu'un seul Invocateur de l'Ombre, et il est prisonnier alors on va aller la voir... vous voyez les écuries là-bas ?
Il pointé du doigts les écuries quelques mètres plus loin. Nous hochons à nouveau la tête.
— Nlus allons courir là-bas, voler les chevaux, et avec tes pouvoirs de sorcière, tu vas détruire les grandes grilles pour que nous puissions nous échapper.
— Non...
— Tu n'as pas le choix ou je prends la peau du prince, tu entends ?
Je croise le regard d'Andreï, ce dernier me fait un signe de la tête, me faisant comprendre qu'il n'y a pas le choix.
Tristan se relève doucement, se penche, attrape le bras puis la jambe valide d'Andrei et le porte sur ses épaules. Ce dernier grogne mais je mets ma main sur sa bouche avant qu'il ne fasse trop de bruit. Puis nous nous mettons à courir le plus vite possible entre les magnifiques plantations du jardin, piétinées par la bête.
Un soldat se retrouve propulsé dans les airs et s'écrase juste devant nous. Nous détournons notre trajectoire puis nous rejoignons les écuries. Les chevaux hennissent, ce qui attire l'attention de la terrifiante créature qui saccage le domaine du roi. Les archers, postés sur les toits, tentent de la contenir et la blessée. Tristan de son côté aide Andreï à monter sur un cheval, monte à son tour et je fais de même sur mon cheval. Cependant, perché sur le dos du bel étalon, je reconnais Hélène cachée dans un box.
Je lui fis signe de me rejoindre, elle parait hésiter un instant mais lorsque la créature détruit une partie de l'écurie et s'attaque à un cheval, elle n'hésite plus. Elle se lève, court et monte derrière moi. Elle s'accroche à ma taille et nous voilà galopant entre les arbustes taillés, les rosiers piétinés, les cadavres de soldats mutilés...
— La sorcière ! Défonce-moi cette grille ! Cri Tristan.
Alors je fixe la porte mais je ne sais pas faire, je ne sais même pas si j'ai des pouvoirs.
— Vite ! Me presse-t-il.
Je tends ma main, de l'autre, je tiens les rennes et j'essaie de penser à cette grille qui se brise. Alors un amas de brume entoure notre obstacle, puis se resserre autour comme le serpent étouffe sa proie avant qu'elle ne saute et virevolte plusieurs mètres au dessus et s'écrase dans la rue juste devant les jardins du palais.
Nous voilà qui quittons le château, sur le dos d'un cheval, le prince fuyant pour la première fois sa demeure et poursuivis par un monstre destructeur.
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