V - Tristan
Panterm est gigantesque.
Nous possédons cinq Nations, dans chacune de ces cinq Nations il y'a une grande ville comme Panterm. Le roi règne sur ces cinq Nations, et dans chaque grande ville, un Gouverneur règne sur sa Nation et une fois par an, ils rencontrent le roi. Personne ne sait s'il en existe d'autres, ni même s'il y a autre chose mais les Nations sont loin les unes des autres. Les voyages en bateau sont éprouvants et parfois interminables. Heureusement, je n'habitais pas loin de Panterm.
J'avance dans les rues bondées, c'est agité ici, personne ne fait attention à moi et parfois, on me bouscule. Je ne sais pas où se trouve le vieux port, j'ai la sensation que je manque de temps.
Les ruelles sont plutôt étroites, des maisons à étage les habillent, quelques boutiques gardent leurs portes ouvertes et lorsque je passe devant une boulangerie, l'odeur du pain frais atteint mes narines. Je hume l'air, l'estomac qui gargouille et esquisse un faible sourire. Cependant, ce n'est pas le moment de s'attarder sur ce genre de petits détails.
J'arrête un passant rapidement.
— Excusez-moi, savez-vous où se trouve le vieux port ?
— Suivez les panneaux qui indiquent « Le bout du Monde », c'est en fait une ancienne usine désaffectée qui, dans le temps, traitaient tous les matériaux provenant de chaque Nation. Dorénavant, la zone est abandonnée et interdite. Évitez de vous rendre sur des propriétés privées et interdites d'accès, au risque de vous retrouver au trou.
Il dit cela puis reprend sa route. Je pousse un profond soupir mais je suis néanmoins les panneaux indiquant Le bout du Monde. Je me retrouve rapidement près du port, la rue se termine, elle est pas du tout fréquentée et l'odeur de la mer me vient au nez, le vent que ramènent les vagues fouette mon visage, glace mon nez et fait rosir mes joues.
Une grande grille bloque l'accès au port, un panneau est accrochée dessus : DÉFENSE D'ENTRER.
Lorsque j'entends le clocher sonner, je me tourne et regarde ce dernier qui surplombe la ville. L'heure indique onze heure cinquante. Je n'ai plus le choix, je dois trouver Tristan et en finir.
Je jette le manteau par dessus le grillage puis je commence à l'escalader. Je ne suis pas très sportive, ni très agile, alors ce n'est pas une mince affaire. Je serre les dents, pousse des grognements pour me donner de la force puis je me laisse glisser de l'autre côté. Je tombe contre ma hanche droite, je pousse un juron, m'appuie sur mes mains et me redresse. Je souffle sur la mèche qui retombe de mon chignon puis je ramasse le manteau.
J'avance sur le port, sur la droite, l'usine abandonnée me surplombe, et honnêtement, cette usine est terrifiante. Avec le vent, les portes condamnées tremblent dans un léger fracas métallique dérangeant.
Je longe le port, me concentrant plutôt sur le clapotis de l'eau, afin d'oublier que cet endroit me semble malsain.
Il y a un vieux bateau amarré et abandonné, de la vase le recouvre, une fenêtre est brisée et une corde trempe dans l'eau depuis trop longtemps.
— Tu as le manteau ?
Je me retourne brusquement et fait face à Tristan. Il me regarde de ses yeux bleus sournois et tend le bras.
— Rends-le moi.
— Promets-moi de ne rien me faire.
— Rends-moi, le fichu, manteau, articule-t-il.
Je lui rend, il le prend rapidement et l'enfile aussitôt. Il tire sur le col, le positionne correctement sur ses épaules et se pince les lèvres en le regardant.
— Hm... y'a un truc qui me dérange.
— Oui, il ne te va vraiment pas bien.
Il relève les yeux vers moi.
— Ne t'avise plus jamais de me menacer ou d'infiltrer l'enceinte du château du roi, la prochaine fois, je les informe de qui tu es, poursuis-je dans un excès de confiance.
Il plisse les paupières tandis que je garde le menton levé afin de garder toute dignité. Il s'approche d'un pas, puis d'un autre. Il se trouve qu'à quelques centimètres de moi à présent, je sens même la chaleur de son corps. C'est incroyable cette chaleur, elle est si forte. Je déglutis, mais ne cille pas.
Il se penche vers moi, et me renifle doucement ce qui me fait frémir, alors je fixe un point droit devant moi. Lorsqu'il se redresse, il esquisse un sourire en coin.
— Tu es mourante, constate-t-il. C'est dommage, non ? Tu n'auras pas pu goûter à la royauté bien longtemps.
— C'est de ta faute ! Grogné-je en frappant son torse pour le repousser.
Il ne bouge pas beaucoup, pourtant j'ai tenté d'être violente.
— C'est toi, hein ?! Vous... les Changeurs de Peaux... vous n'êtes que des vermines ! Vous cherchez l'Invocateur de l'Ombre, et vous attirez toutes ses Créatures ! À cause de toi, j'ai été griffée ! Regarde !
Je relève la manche de ma robe et lui dévoile mon bras recouvert de veines noires, ma griffure boursouflée, infectée... Il regarde mon bras, sans montrer aucune expression puis il relève ses yeux vers moi.
— Bonne chance à toi, l'inconnue.
Il me tourne le dos, je laisse retomber mon bras le long de mon corps puis je me rends compte que j'ai oublié de prendre le papier avec l'adresse que Hélène a écrit dessus. Je trottine alors derrière Tristan.
— Attends, s'il te plaît ! Dans la poche, il y a quelque chose pour moi !
Il se retourne vers moi, les mains dans les poches du manteau.
— J'en ai besoin.
Il sort le papier chiffonné et le déplie sous mon nez. Je vois un rictus étirer le coin de ses lèvres, et ce sourire s'élargir davantage quand je tente de lui prendre le papier des mains. Cependant, Tristan est plus rapide que moi, il lève son bras et se retourne pour lire ce qu'il est inscrit dessus. Je souhaite riposter aussitôt cependant mon bras s'alourdit soudainement, il se paralyse, jusqu'à serrer mon cœur. Je l'avais tendu mais il m'entraîne sur le sol. Je tombe à genoux tout en poussant un grognement. Ce que je ressens ensuite est très étrange, une vague de chaleur m'enveloppe, elle m'englobe totalement, comme si quelque chose me tenait, comme une couverture de lave sur ma peau. Je gémis, mais je ne parviens plus à répondre de moi-même. Je vois brièvement Tristan se tourner vers moi l'air interloqué. Puis de l'agitation dans l'eau attire son attention, je tourne difficilement la tête moi aussi. On peut voir des bulles se former à la surface de l'eau, comme si elle bouillait. Brusquement, une Ombre en sort. Par réflexe, Tristan recule mais tombe en arrière sur les fesses. La chose prend doucement forme, elle pousse un rugissement glaçant. C'est une forme humanoïde, des longs bras, des longues jambes brumeuses, un visage effacé, une grande gueule, obscure, ténébreuse...
— Hé, la sorcière ! Grogne Tristan. Arrête ça !
— Je... je ne fais rien...
Les battements de mon cœur ralentissent de plus en plus. À chaque battement, la chose avance vers Tristan. Elle est gigantesque, et elle rampe sur le sol, démembrée, sans forme certaine.
— Si c'est toi ! C'est toi ! Les ténèbres t'entourent ! Bordel... t'es comme lui...
Je ne comprends pas ce qu'il veut dire jusqu'au moment où je trouve la force de lever mes mains que je sens lourdes. Je peux alors distinguer cette épaisse masse noire sortir de ma peau comme de la vapeur et pourtant, ce n'en est pas, c'est bien trop foncé, bien trop épais.
La chose pousse un cri strident et s'avance vers Tristan qui se relève tout juste. Il tire sur le col du manteau et semble se préparer à changer de forme, sa nuque craque mais rien de plus ne se passe. D'ailleurs, il semble étonné, il regarde ses bras, son manteau...
— Saloperie de...
Il n'a pas le temps de terminer sa phrase que la Créature de l'Ombre le frappe de plein fouet. Il s'écrase contre le grillage quelques mètres plus loin et s'affale sur le sol. La chose se tourne ensuite vers moi, elle n'a pas d'œils, elle est juste là, présente et imaginaire à la fois. Un véritable démon sorti de l'obscurité et elle se poste devant moi, accroupie dans une posture tordue, la gueule penchée sur le côté. Je suis paralysée et portant j'aimerais bouger mais c'est comme si mon corps n'était plus qu'une énorme pierre. Elle ouvre grand la gueule et me hurle au visage. Puis enfin, elle saisit mon bras. Tout se passe très vite, la griffure hideuse qui dévore ma peau aspire la Créature. Je peux sentir toute la noirceur, toute la puissance et l'énergie de ce monstre s'infiltrer dans mon corps tout entier, mes os, mes veines, ma chair... c'est douloureux, désagréable, comme si mon corps ne m'appartenait plus puis tout s'arrête brusquement.
Ma paralysie s'estompe aussitôt, je pose mes deux mains sur le sol, essoufflée, le cœur tambourinant ma poitrine comme si j'avais longtemps lutté et qu'on m'avait enfin relâchée. J'entends Tristan grogner un petit peu plus loin et se relever pour marcher en ma direction. Je ne vois que, sur le sol devant moi, le manteau qu'il jette en colère.
— Espèce de...
— Aide-moi, l'interromps-je d'une faible voix.
Je relève difficilement ma tête vers lui, ma nuque me fait terriblement mal. Il me fixe l'air déconcerté.
— Emmène-moi à l'adresse écrite sur le papier, je ne connais pas la ville et...
Un frisson me parcoure.
— Je sens cette chose en moi...
Il retrousse ses lèvres et passe sa main dans ses cheveux.
— Je ne vais pas aider une traîtresse pareille ! Tu as volé mon manteau et tu ne me l'as pas rendu ! À cause de toi, j'ai failli y laisser la vie ! À qui as-tu donné le manteau ? Tu l'as vendu ? Quelqu'un l'a repris ? Où est mon foutu manteau ?!
— Emmène-moi là-bas et... et je te le dirai...
Je souffle ces paroles avant de m'écrouler sur le sol. Je pense perdre connaissance mais je ne rêve pas. Je ne vois rien, je ne vois que le néant, le noir, le vide, l'obscurité, les ténèbres et je n'entends que ces murmures...
— Iom Erebil...
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