III - Le prince Andreï

Je passe mes mains sur ma robe, j'inspire profondément et descends pour rejoindre les convives déjà présents dans la salle de bal au bout du hall que j'ai traversé plus tôt dans la journée.

Les gardes m'ouvrent les portes, la musique atteint aussitôt mes oreilles, un joli air de violoncelle et de piano. La salle est bondée de monde, certains ont des verres à la main, ils discutent, rigolent et il y a même deux couples qui dansent. Au bout de la salle se trouve trois sièges, celui du roi au milieu, à gauche sa reine et à droite son fils, le prince. Mais pour le moment, ils sont vides. Les sièges sont chacun ornés de pierres précieuses, peint de rouge et d'or et sur le trône du roi est sculpté une tête de Lion.

Un domestique me propose un verre de champagne que j'accepte puis je continue à observer mon environnement. Cependant le porte parole du roi monte sur l'estrade, la musique s'arrête et l'attention se porte sur lui. Un homme de petite taille, le nez relevé et rasé de près.

— Mesdames et Messieurs, nous tenions premièrement à vous remercier à tous de votre présence en ces lieux. Le roi et sa femme sont ravis de pouvoir vous accueillir au sein de leur majestueuse demeure.

Il marque une pause et scrute les invités.

— Nous savons qu'il n'est pas toujours facile de lâcher prise et faire la fête comme cela nous en avait été privé durant longtemps. Le roi se donne corps et âme pour sécuriser nos Terres et même par delà les océans. Vous savez que le puissant Invocateur de l'Ombre, Lucius, a été arrêté il y a déjà dix huit longues années, cependant sachez que la menace reste bien présente. Bien qu'actuellement Lucius soit toujours enfermés dans les cachots d'une île isolée, sans nourriture, sans eau.

Les convives se mettent à applaudir, comme s'ils n'avaient jamais entendu cette histoire alors que nous la connaissons depuis toujours. Cet homme avait déversé toute sa noirceur sur la moitié de notre monde. Les océans étaient remplis de créatures comme celle qui nous a attaqué sur le bateau, des villes ont été rayées de la carte sous son pouvoir et une terrible guerre entre les Êtres de Pouvoir et cet Être des Ténèbres avait éclaté. Ce fut long pour eux que de réussir à l'affaiblir suffisamment avec tous les éléments, le feu, l'eau, l'air et la Terre. Les Changeurs de Peaux étaient de son côté, alors ils ont été décimés, et lorsque Lucius a été arrêté et capturé, un enchantement a été lancé sur ses liens pour qu'il ne puisse jamais les défaire et il a été envoyé dans un cachot sur une île que personne ne connaît. Comme il est immortel, ils le laissent à présent dépérir seul au bout du monde, là où aucun être malintentionné ou trop curieux pourrait le retrouver.

— Merci à vous chers invités... n'oubliez pas que si vous croisez toutes Créatures de l'Ombre ou des Changeurs de Peaux, vous devez impérativement les signaler à la Nation afin qu'ils soient arrêtés rapidement.

Un court silence plane dans la salle. Ce Tristan a disparu bien trop vite et je ne me vois pas faire un scandale tout de suite auprès du roi concernant la chose qui a attaqué le bateau.

— Maintenant si vous le voulez bien, veuillez faire place au roi Darson, la reine Lily et le prince Andreï ! Messieurs, Dames, que la soirée vous soit joviale et douce.

La musique reprend et les trois principaux hôtes de la soirée prennent place sur l'estrade. Nous leur faisons tous la révérence. Le roi s'assoit, sa femme également puis le prince.

Le roi arbore des cheveux gris de part son âge légèrement avancé, il aurait été victime d'un enchantement le faisant vieillir plus rapidement qu'il ne le devrait. N'ayant eu qu'un seul garçon, ils ont dû attendre sa majorité pour lui trouver sa reine. Sa femme est très belle, ses cheveux roux sont flamboyants, son maquillage cache parfaitement ses rides et sa couronne d'or repose fièrement sur sa tête. Le prince quant à lui est totalement l'opposé de ce que j'imaginais. Je pensais à un jeune homme très faible, très pâle, maigrichon mais il n'en est rien. En réalité, il est plutôt grand, semble en forme et sa cheveux blonde est à tomber.

Le roi tape son sceptre sur le sol pour attirer l'attention des convives. La musique s'arrête alors pour la deuxième fois. Il ne daigne pas se lever de son trône, sûrement trop affaibli pour cela mais scrute la salle de son regard brun.

— Je tenais personnellement à tous vous remercier d'être présent pour les dix huit printemps du prince et futur roi, Andreï.

Tout le monde applaudit alors je fais de même.

— C'est le premier bal que nous organisons depuis la fin de la guerre survenue il y a dix huit ans jour pour jour. De ce fait, je vous prie de profiter pleinement de la soirée, amusez-vous, buvez, mangez, dansez... Vivez pour nos Nations libres !

Des exclamations fusent, des applaudissements et l'euphorie gagne la pièce. La musique reprend de plus belle, plus entraînante cette fois. Alors je me dirige vers le buffet pour goûter quelques mets. Des fruits de mer, de quoi me régaler.

Après m'être remplie le ventre, je sors sur l'un des balcons, la nuit est fraîche et des petites lucioles virevoltent dans le jardin en contrebas. C'est très agréable à regarder, la brise qui caresse ma nuque, hérisse mes poils, me fait frémir... je pose mes mains sur la rambarde et inspire profondément.

— Ne serait-ce pas un bracelet doré que je vois là à votre poignet ?

Je me retourne et fais face au prince. Je lui adresse ma révérence la plus courtoise tandis que de sa main droite, il redresse son veston tout en me souriant.

— Vous arborez une beauté hors du commun... votre prénom ?

— Chloé.

— Et bien Chloé, je n'ai vu que vous à la minute où j'ai mis le pied dans cette pièce.

Je souris légèrement. Ses yeux sont noisettes et perçants, assez intimidants. Son teint est pâle, sa peau sans aucun défaut... et son costume rouge et or est sublime, parfaitement porté.

— Vraiment ?

— Il n'y a que vous ce soir avec une chevelure obscure.

Je baisse les yeux un instant.

— Rassurez-vous Chloé, je n'ai que faire des superstitions sur la couleur de cheveux.

— Vous m'en voyez ravie.

Il sourit puis jette un œil aux lucioles.

— Je vous vois admirer le jardin, souhaitez-vous que nous nous échappions de cette ennuyeuse soirée pour nous promener dans les jardins ?

J'accepte volontiers sa proposition. Nous esquivons comme des maîtres la soirée qui bat son plein. Il me tient la main et nous voilà déjà dehors, au frais, à nous promener entre les petits arbustes et les rosiers. Andreï ne lâche d'ailleurs pas ma main mais je me vois mal lui demander de le faire. Si je pouvais devenir sa promise, alors je sauverais peut-être l'honneur de ma famille.

Les lucioles volent autour de nous, comme si elles éclairaient notre chemin. Je ne peux que m'émerveiller devant un tel spectacle. Ces petits insectes sont incroyablement minuscules et fascinants.

— Avez-vous pu faire la connaissance de vos autres prétendantes ? Demandé-je pour briser le silence.

— Et bien, pas vraiment. Je vous avoue avoir discuté avec deux d'entre elles mais votre compagnie m'est agréable et je n'ai pas envie de flirter avec une dizaine de femmes en une seule soirée.

Il marque une pause. Lorsque je lui jette un regard, à travers la pénombre je le vois se pincer les lèvres.

— À vrai dire vous savez... avant ce soir, les seules personnes à qui je faisais la conversation était notre personnel domestique et mes parents alors... je ne suis pas très doué pour cela.

J'esquisse un sourire puis fixe mes pieds pour continuer d'avancer.

— Vous vous en sortez bien.

Il se tourne vers moi et me saisit l'autre main tout en me regardant droit dans les yeux.

— Parlez-moi de vous Chloé, à quoi aspirez vous ? Que rêvez-vous d'entreprendre dans votre vie ?

— Je pense que je rêverais de voyager à travers toutes les Nations. Découvrir toujours plus de Terres, de cultures, de pouvoirs... j'aimerais m'instruire, vivre une aventure et tomber folle amoureuse de quelqu'un...

Il sourit, dévoilant ses dents et ne me lâche pas du regard.

— Pensez-vous pouvoir tomber amoureuse de moi ?

Je penche la tête sur le côté et l'observe. Dans le noir, difficile de distinguer traits pour traits son visage mais je sais qu'il est doux. Cet homme ne peut avoir une once de méchanceté en lui. Pas sans avoir découvert la misère de notre monde.

— Que ferez-vous lorsque vous serez roi ?

Je vois ses épaules s'affaisser.

— Et bien j'imagine que je continuerai ce que mon père a commencé.

— S'occupe-t-il de la pauvreté ?

— À vrai dire, je crois plutôt qu'il déploie ses forces armées un petit peu partout afin de décimer toutes créatures de l'ombre qui pourrait rester. Vous savez... elles se terrent et restent cachées.

— Sans Invocateur de l'Ombre, elles s'affaiblissent alors que là dehors... ici à Panterm et probablement dans d'autres villes, d'autres Nations... la pauvreté tue tout autant.

Il passe une mèche de mes cheveux derrière mon oreille ce qui me surprend.

— Si vous devenez ma femme, soyez certaine que nous prêterons une attention particulière à la vie des citoyens de Panterm et de toutes autres villes de toutes autres Nations.

Je ne peux m'empêcher de sourire, je le trouve juste et agréable.

— Je vais retourner auprès des invités afin de pouvoir me présenter à tout le monde. J'espère pouvoir vous voir demain matin, au petit déjeuner... à notre table.

— Est-ce une invitation ?

— Je crois bien que oui.

Il lâche mes mains et avance à reculons tout en me regardant.

— Je serai là, confirmé-je.

Il ne cache pas sa joie puis file à la salle de bal. Je reste encore quelques instants dans les jardins, à sentir chaque fleurs, observer chaque plante, arbre et buisson. Lorsque j'entends du bruit en provenance des grilles forgées sur les murs bâtis autour du château, je m'y intéresse. Ma curiosité est un mauvais. défaut, je le sais. Mais c'est plus fort que moi.

Lorsque je m'avance doucement vers la grille censée être gardée par deux gardes armés. Je n'en vois plus qu'un seul qui lisse sa veste rouge.

— Tout va bien ? Demandé-je.

Il se retourne et hausse les sourcils.

— Quoi ?

— J'ai entendu de drôles de bruits...

Comme des os qui craquaient, un vent martelant...

— Où est l'autre garde ? Reprends-je.

— Au petit coin, il ne devrait plus tarder. Ou résidez vous mademoiselle ?

Je fronce les sourcils.

— En quoi cela vous regarde ?

— Vous séjournez au château ?

Il dit cela, la main sur son épée. Je recule alors d'un pas, puis d'un autre lorsqu'il s'avance vers moi.

— Qu'est-ce que vous me voulez ?

Il s'apprête à parler mais l'autre garde le rejoint, attachant correctement son fourreau à ses hanches.

— Comme ça fait du bien de... tout va bien ?

Le garde qui semblait me menacer se tourne vers son camarade.

— Évidemment.

J'en profite pour filer rapidement jusqu'au château. Je passerai le reste de la soirée auprès de Hélène ma servante. Elle ne cesse de me parler de la tenue que je porterai demain matin pour le petit déjeuner.

Au beau milieu de la fête, lorsque je reconnais le garde de la grille qui se balade dans la salle visiblement à la recherche de quelque chose ou de quelqu'un, je quitte la pièce et monte les escaliers à toutes allures.

Je m'enferme dans ma chambre, me libère de mes chaussures à talons et retire mes longs gants de soie. Je jette un coup d'œil à ma griffure qui n'est vraiment pas jolie à voir, boursouflée, purulente, rouge et elle me démange atrocement. Pourvu que ce garde ne l'ait pas remarquée !

J'allume le robinet de la salle de bain et je passe mon bras en dessous pour éviter d'aggraver l'état de mon bras, cependant, j'entends toquer à la fenêtre qui donne sur le balcon de ma chambre. J'éteins l'eau et tends l'oreille. On frappe à nouveau...

Je m'avance doucement vers la porte fenêtre, je ne vois pas l'extérieur, caché par les rideaux mauves qui habillent la pièce. Je pose ma main sur la poignée et... brusquement, je l'ouvre.

Quelle est ma surprise de découvrir Tristan, dans l'habit d'un garde. Non que dis-je, dans l'habit du garde de la grille mais cette fois;m, c'est le visage ciselé de Tristan, ses cheveux bruns et ondulés, ses yeux bleus...

— Qu'est-ce que...

Il me bouscule pour entrer dans la chambre tandis que j'essaie de comprendre comment il a pu grimper sur ce balcon. Je le vois alors qui commence à fouiller un petit peu partout.

— Mais que faites-vous ?!

— Trêve de blabla la sorcière, où est mon manteau ?

Je fronce les sourcils et regarde autour de moi. Je ne vois même pas ma valise.

— Et bien... je... euh...

Il s'approche de moi et me fixe de ses yeux bleus terrifiants.

— Je n'ai pas le temps de jouer, je suis infiltré dans le château du roi, tu sais ce que je risque à cause de toi ?

— Je n'ai rien fait...

— J'ai besoin de mon manteau et tout de suite.

Plus il s'approche de moi, plus je recule jusqu'à me trouver collée au mur, les yeux levés vers les siens et le cœur tambourinant ma poitrine.

— Je... vais le retrouver...

— Tu as intérêt ma petite, je le veux demain avant midi, sinon je t'assure que je prends ta peau. Et tu sais ce que ça signifie, pas vrai ?

Je hoche doucement la tête.

— Demain, midi, au vieux port.

Il dit cela si près de moi que je sens la chaleur de son corps. Puis il sort sur le balcon, je l'entends sauter. Je reste un instant collée contre le mur les yeux grands ouverts. Où est passé ce manteau et pourquoi en a-t-il autant besoin ?

Le temps m'est compté...
Un Changeur de Peaux ne peut prendre l'apparence d'un être humain sans le tuer avant.

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