2 - Jared
« C'est dans la souffrance, l'échec et la perte qu'on voit le courage et la volonté.»
- Varel Tchitembo Tchissafou.
Tout le monde traverse des épreuves.
La souffrance n'épargne personne.
Mauvaise nouvelle, vous allez y être confronté, encore et encore, jusqu'à la douleur de trop, jusqu'au moment où votre dernière barrière sera tombée.
A cet instant-là, quand vous serez plus bas que terre, quand la sortie de ce trou dans lequel vous êtes tombés semblera si profond que vous ne percevrez même plus le soleil, vous aurez trois choix :
Abandonner définitivement.
Rester dans votre malheur.
Ou décider de vous en sortir, coûte que coûte.
Je préfère vous avertir, la troisième option est la plus difficile. Vous risquerez de tomber pendant votre ascension, les chutes seront inévitables des fois. Rien ne sera gagné d'avance. Il faudra vous battre, peut-être tout perdre. Presque.
Car au fond, tant qu'il reste de l'espoir, rien n'est perdu.
Il parait que le vrai courage est de partir se battre en se sachant perdant, mais d'y aller quand même.
Alors soyez courageux, soyez brave. Si personne n'est là pour croire en vous, faites le vous-même.
Et vous réussirez.
Je franchissais la porte du centre communautaire pour me diriger vers la salle où avait lieu les réunions de soutien. Plusieurs personnes me saluèrent en chemin, m'adressant des signes de tête ou de timides sourires.
– Bonsoir Jared, m'interpella Benny, l'organisateur, alors que j'entrais dans la pièce et refermais la porte derrière moi.
– Comment vas-tu, aujourd'hui ? s'exclama-t-il ensuite en venant me faire une accolade.
Je saluais joyeusement Benny et discutais quelques instant avec lui. Ce type était super, un vrai sain. Je l'appréciais énormément et ses inquiétudes sincères à mon égard étaient véritablement touchantes.
Voilà presque deux ans que je venais, chaque mercredi, me confier et écouter les histoires d'autrui. Au début, je me rendais aux réunions avec mon meilleur ami, Clyde. C'était lui qui m'avait poussé à y participer pour affronter mes addictions, dépasser ma colère et éloigner les démons du passé. Clyde n'avait pas eu une vie facile non plus, vraiment pas ; alors nous avions convenu d'y aller ensemble. Il était comme un frère pour moi, je l'aimais profondément et son soutien pendant les réunions m'était précieux . Néanmoins, depuis bientôt un an, il avait déménagé sur la côte Ouest avec sa copine pour élever leur bébé, mon adore filleul, donc maintenant je venais seul.
Je repensais à la photo que Clyde m'avait envoyé, quelques heures plutôt. Eleanor, sa copine, berçait le petit Thomas déguisé en renne pour ce début de mois de Décembre. Ils étaient tout deux adorables, à croquer. Cependant, même si j'étais véritablement ravi pour eux, une part de moi –une part que je détestais – ne pouvait s'empêcher de jalouser leur bonheur.
Moi aussi j'avais connu quelque chose comme ça, il y a bien longtemps.
– Il y a de nouveaux arrivants ? demandai-je à Benny en me rapprochant de la table où se trouvait les collations pour me prendre un café.
– Oui, un monsieur qui a perdu sa femme.
Baissant le ton, il désigna un homme qui se balançait d'un pied à l'autre, debout dans un coin, le regard hésitant. Je comprenais parfaitement ce qu'il vivait, nous avions été exactement comme lui, les premières fois.
– Et cette jeune femme, compléta Benny avant de s'éloigner pour saluer le nouvel arrivant.
Mes yeux se posèrent sur la direction qu'il venait d'indiquer. Une fille était déjà assise sur l'une des chaises, figée à l'instar d'une statue de sel.
Ma première réaction fut d'être surpris de voir quelqu'un d'aussi jeune, ce n'était pas la norme ici. Elle devait avoir la petite vingtaine, son visage pâle encore immaculé de rides.
Je la détaillais rapidement. Ses long cheveux châtains, qui descendaient jusqu'à la taille, camouflait son visage, m'empêchant de la discerner véritablement. C'est seulement quand elle releva la tête, alertée par le bruit de Susan qui renversait accidentellement son café, que je pu deviner ses traits.
Trois choses me troublèrent presque instantanément.
En premier lieu, sa beauté me frappa. Son visage fin. Ses lèvres pleines. Ses pommettes hautes. Je n'étais pas sûr de me souvenir à quand remontait la dernière fois où j'avais vu une aussi jolie fille. Néanmoins, elle me procurait également un sentiment étrange, je la trouvais à la fois radieuse et éteinte. Je me demandais, tout de suite, à quoi elle ressemblait quand elle souriait.
Puis mes yeux tombèrent sur la cicatrice qui barrait son visage. C'était impossible de la manquer et je compris bien vite qu'elle avait de très bonnes raisons d'être là. Cette marque gravée dans sa peau n'entachait, cependant, pas sa beauté, d'après moi. Cette imperfection racontait une histoire que j'étais curieux de connaître.
Ma curiosité mal placée était bien trop souvent mon plus vilain défaut.
Mais pour être honnête, ce qui me troubla le plus fut son regard. Ses yeux gris semblaient perdus dans le vide, la pupille demeurant statique, ne cherchant pas à suivre les mouvements qui se dessinaient dans la pièce.
Elle semblait égarée dans un endroit qui n'appartenait qu'à elle, terriblement seule.
– Bien, si tout le monde est là, nous allons pouvoir commencer, indiqua Benny, Merci de prendre place.
J'allais m'asseoir à coté de l'inconnue, conservant le silence en attendant que Benny face son discours habituel destiné au niveaux arrivant. Je le connaissais presque par coeur, à force. Par la suite, il nous laissa nous exprimer. Chacun pouvait dire son prénom et expliquer, avec les détails qu'il souhaitait, la raison de sa présence, ce soir.
Je tournais la tête, intrigué, quand ce fut le tour de ma jeune voisine.
– Bonsoir, je m'appelle Emma, souffla-t-elle d'une voix incertaine comme si elle n'en était pas persuadée, Je suis aveugle, préscisa-t-elle ensuite.
Plusieurs personne dans la pièce écarquillèrent les yeux, lui lançant des regards peinés qu'elle ne pouvait pas voir. Je comprenais mieux, à présent, cette expression vide que j'avais constaté, elle était seule dans le noir.
– J'ai perdu la vue il y a sept ans, suite à un accident ; mais, j'ai surtout perdu ma soeur. Cette nuit-là, Il pleuvait averse. Elle conduisait quand la voiture a commencé à glisser pour aller terminer sa chute dans le fossé. Enfin... C'est ce que les enquêteurs ont en déduit, parce que moi, je ne me souviens de rien. J'aimerai vous en dire plus, expliqua-t-elle en déglutissant difficilement, le regard trouble, J'aimerai... J'ai des flash parfois, certaines images me reviennent, me hantent. Sauf que c'est trop dur, c'est surtout du sang, des cris, des flammes, conclu-t-elle alors que sa voix commençait à bégayer, l'empêchant de parler.
Je comprenais exactement ce qu'il lui arrivait : elle paniquait, luttant de toutes ses forces afin de retenir ses larmes. Son souffle commença à se saccader et des tremblements la secouèrent. Par un réflexe, j'attrapai sa main pour l'aider à se calmer.
Aucun des participants ne sembla troublé par sa réaction, il n'était pas rare que quelqu'un s'effondre dans ces lieux. Personne ne jugeait.
– Je m'appelle Jared, commençai alors.
Ma prise de parole n'était pas destinée à lui voler la sienne, c'était pour la soulager. J'avais vite compris qu'elle ne souhaitait plus s'exprimer aujourd'hui.
Emma serra prestement ma main pour me remercier silencieusement.
– Plusieurs d'entre vous connaissent déjà mon histoire, continuai-je, Ça va faire bientôt deux ans que je n'ai pas touché une seule drogue. Il y a cinq ans, la fille que j'aimais est décédé après avoir été atteinte d'un cancer au cerveau. J'ai été anéanti. Alors j'ai commencé à consommer des drogues dures, des choses vraiment très très mauvaises pour essayer d'oublier. Chez nous, c'était de famille. Quand mon frère jumeaux est mort d'une overdose, il y a deux ans, j'ai réalisé soudain que si je n'arrêtai pas très vite, je me retrouverai avec lui et Elena, six pieds sous terre. Je ne pouvais pas faire ça à ma mère, elle a déjà perdu un fils, elle ne peut pas en perdre un deuxième. Depuis je viens ici, je viens vous parler de ceux que j'ai perdu, je vous parle de mon combat quotidien, de ma lutte. Vous tous, vous êtes l'une des meilleures choses qui me soit arrivée.
Plusieurs participant que je connaissais bien me sourirent avant que mon voisin de droite ne prenne la parole à son tour.
Quand la réunion se termina, les gens se levèrent pour rentrer chez eux, aller se servir à la table ou discuter encore quelques minutes, en petit groupe. Je me tournais vers Emma.
– Il y a une table avec des choses à boire et à manger face à toi, un peu sur la droite, exposai-je alors qu'elle me fixait, semblant attendre la suite, Tu veux un café ?
Elle hésita quelques instant puis fini par hocher positivement la tête. Posant sa main sur mon épaule, je la guidais jusqu'à la table pour lui verser un café.
– Quel âge as-tu, lui demandai-je pour entamer la discussion.
– 22 ans. Et toi ?
– 26. Je voulais te dire, c'est très courageux à toi d'être venu aujourd'hui.
Elle avala une gorgée de café et émis un faible sourire.
– Je suis surtout venue pour un ami à moi qui s'inquiète terriblement. Il voulait que j'essaie d'en parler, mais je ne sais pas si c'était la meilleure des idées. J'ai paniqué. Je ne suis pas sûre d'être prête.
– Crois-moi sur ce dernier point, on est jamais vraiment prêt. Des fois, il faut juste le faire quand même.
Emma haussa les épaules, peu convaincue.
– J'aimerai avoir ton courage. Quelle heure est-il ?
– Vingt-et-une heure, indiquai-je en regardant ma montre, Tu aimerais aller boire un verre ? Peut-être en parler ?
Elle fronça les sourcils, surprise de ma proposition. Les garçons ne l'invitaient donc-t-ils jamais à sortir ?
– Je ne peux pas ce soir. La prochaine fois, peut-être, souffla-t-elle en sortant une canne de son sac avant de la déplier pour pouvoir se guider, Au revoir, Jared.
Ces paroles sonnaient faux. J'avais comme l'intuition qu'elle ne reviendrait pas, qu'il n'y aurait pas de prochaine fois.
– Au revoir, Emma, mumurai-je alors qu'elle s'éloignait déjà.
Une seule constatation après cette brève rencontre, cette fille possédait une part importante de mystère ; quelque chose chez elle me troublait profondément.
Saluant Benny d'un geste de la main, je sorti à mon tour et rallumai mon téléphone éteint pour la réunion. Je constatai alors une dizaine d'appel manqué de la part de Ed, l'un de mes meilleurs amis qui dirigeait, en collaboration avec moi, les Sinners depuis le départ de Clyde.
Je composais son numéro, inquiet. Autant d'appels n'inauguraient jamais rien de bon.
– Ed, déclarai-je alors qu'il répondait presque instantanément, Que ce passe-t-il ?
– Je suis très inquiet Jared. C'est Mercy...
Mercy était la fiancée de Ed. Dans mes souvenirs, elle se trouvait à Los-Angeles, cette semaine, pour une convention médicale.
– Elle a disparu, continua mon ami de plus en plus paniqué, Je crois qu'elle a été enlevée.
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