15 - Zola
« Je me voulais stoïque comme une héroïne antique, mais mon coeur était dévasté.»
– Jeanne Bourin.
J'ai un rapport particulier avec le temps.
Sans avoir la possibilité de voir le monde bouger, évoluer autour de moi, j'ai dû mal à définir à quelle vitesse il passe. Comme quand vous êtes dans votre lit, le soir, plongé dans l'obscurité sans pouvoir dormir, et que ça semble durer une éternité.
Il n'y a qu'un monde, et pourtant, on ne vit pas dans le même.
Mon univers est aussi obscur que ralenti.
Mon univers est mon combat permanent.
Je sais bien que ça fait sept ans ; je devrais l'accepter, je devrais me résilier et apprendre à vivre avec. Des tas de gens l'ont fait avant moi, des tas de gens le feront après.
J'ai essayé, mais je n'y arrive pas. Je devrais peut-être essayer plus fort, mais je n'en ai pas envie.
Je refuse encore d'accepter que cet handicape fait parti de moi ; je le dissocie de la personne que je suis. Je persuade les gens qu'il ne me définit pas, qu'il ne me guide pas. Pourtant, il est la raison pour laquelle j'en suis là aujourd'hui, l'explication de mes actions.
Je devrais l'accepter, mais pour l'instant, je préfère me mentir à moi-même.
Car si je disais «oui», j'aurais l'impression d'être condamnée à perpétuité dans l'obscurité et ça, ça me fait trop peur.
Mon temps s'arrêterait alors pour toujours.
– Si quelqu'un t'attrape par derrière, tu peux faire ce mouvement. Je te montre la prise. Vas-y, essaie de m'agripper, expliqua Coal en joignant les gestes à la parole alors que je passai mes bras autour de son cou pour mimer un étranglement.
Retournant ma force contre moi en faisant une rotation ; il conclut en effectuant un croche-patte qui me fit chuter.
– Ça va, Zola ? demanda Jared, occupé à taper sur un punching-ball, dans un coin de la pièce, tout en surveillant attentivement le cours que Clyde me donnait.
Je lui répondis par un pouce en l'air.
Nous étions dans la salle d'entraînement des Sinners, où Coal avait proposé de m'apprendre quelques prises que je pouvais utiliser pour me défendre malgré le fait que je ne puisse pas voir. Je devais reconnaitre que, comme Steven l'avait indiqué, Clyde était un très bon professeur, en plus d'être un excellent combattant.
– Tu te débrouilles bien. Je dois reconnaître que ce que t'as appris ta famille est très impressionnant, me complimenta-t-il en m'aidant à me relever.
– Aïe, ça doit t'écorcher la bouche de dire ça, s'exclama Jared en riant.
Clyde et Eleanor était arrivés depuis trois jours et j'avais bien vite compris pourquoi tout le monde les appréciait à ce point.
C'est l'inverse qui m'aurait étonnée.
Ces gens étaient véritablement extraordinaires - à leur façon -, le type de personnes que l'on rencontre rarement et que l'on souhaite garder auprès de soit sa vie entière.
Des pleurs de bébé résonnèrent dans le babyphone, placé précautionneusement dans un coin de la pièce.
– Ah, je dois y aller, déclara Clyde, Mon fils m'appelle. J, tu finis le cours ? Vérifie comment elle s'en sort pour le désarmement.
– Ok, approuva ce dernier en se levant pendant que la porte claquait, J'imagine que tu as appris à fouiller ton ennemi pour vérifier qu'il n'est pas armé ? me demanda-t-il en s'approchant.
– Oui, mais je ne l'ai jamais fait sans avoir la vision.
– Le principe reste le même. Tu ne dois pas oublier de décharger les armes si tu en trouves. Il faut bien vérifier la ceinture et les chevilles qui sont les endroits les plus communs. Mais attention, tu dois vérifier partout, car on peut cacher une arme n'importe où et si tu te plantes, ça peut te couter la vie, à toi ou à tes proches. On mime une situation, ça joue ? En premier lieu, tu me désarmes puis tu vérifies que je n'en ai pas d'autres, ok ?
Il pointa son arme sur ma tempe sans me laisser le temps de répondre. Me guidant au bruit, je le désarmai à la manière que Clyde m'avait apprise puis lui ordonnai de ne pas bouger. Je posais ensuite mes mains sur ses épaules avant de les descendre le long de son corps. Je trouvais une arme à sa ceinture que je déchargeai avant de la jeter au loin, puis je sorti un canif de sa poche qui rejoignit le pistolet. Alors que je continuais consciencieusement ma fouille, soudain il attrapa ma main et me stoppa.
– Non, ça, trésor, c'est à moi, rit-il alors que je rougissais en éloignant mes mains de son bassin.
– Oui... bon, ça suffit pour aujourd'hui, me repris-je en lui tournant le dos pour sortir de la salle d'entraînement.
– Dernière leçon, Zola Black : ne jamais tourner le dos à un ennemi.
J'entendis à sa respiration qu'il s'approchait et ses mains se posèrent subitement sur mes épaules pour m'attraper. Réitérant ce que Clyde m'avait appris quelques minutes plutôt, j'effectuais la prise qu'il m'avait montré et Jared tomba à terre dans un bruit sourd.
– Alors ? Qu'est-ce que tu disais ? le provoquai-je en souriant.
– Ok, je m'incline mademoiselle Black, tu apprends vite.
Je tendis ma main vers l'endroit d'où provenait sa voix pour l'aider à se relever, mais ce crétin tira dessus pour me faire tomber à mon tour.
Il explosa de rire pendant que je m'écroulais sur lui.
– C'était malin, ça, Jared. Maintenant, on est tous les deux par terre.
Il rit en posant sa main sur ma joue dans un geste inhabituelle.
Mon sourire se fana alors que l'air se chargeait d'électricité. L'ambiance changeait drastiquement, s'éloignant de cet esprit bon-enfant qui nous animait pour se tourner vers autre chose. La tension était sur le point d'exploser quand je sentis son pouce caresser ma cicatrice.
– Elle te fait encore mal ?
– Non, plus depuis longtemps.
– Tu as dis à la réunion que tu ne te souvenais pas de l'accident. Est-ce que ça veut dire que tu n'as pas eu mal sur le moment ?
– En me réveillant, j'ai eu très mal et je ne comprenais pas ce qui se passait. Mais effectivement, pendant, je n'ai rien senti. Tout s'est effacé, il ne me reste rien. J'ai tout oublié, vraiment tout et...
Je me figeai brutalement.
– Zola, que ce passe-t-il ? s'inquiéta-t-il, interpellé par mon interruption inopinée.
– J'ai tout oublié, Jared, répétai-je comme une évidence, Tout.
– J'ai l'impression que tu as une idée en tête, mais je n'arrive pas à te suivre.
– Depuis le début, on suppose que ma famille me cherche, car je possède une information qu'ils ne veulent pas que je répète. Alors c'est vrai, peut-être que ça n'a rien à voir et qu'on se plante totalement. Mais si on a raison, cette information devrait être quelque chose de sacrement important pour qu'ils aient monté un plan pareil. Hors, si c'est une information si importante, elle doit être évidente, ça devrait me sauter aux yeux, sauf...
– Sauf si tu l'as oublié, conclu-t-il.
Au son de sa voix, je compris qu'il voyait exactement où je voulais en venir.
– Il y a ce truc que mon père a dit, repris-je en acquiesçant, Ça n'a pas arrêté de tourner dans ma tête : « j'ai déjà perdu une fille, je ne peux pas en perdre une autre». Mon père a toujours considéré que chaque mot était important. Chaque mot à son poids et sa signification pour lui ; il ne t'aurait jamais parlé de ma soeur pour rien. Et si il voulait nous faire passer un message ? C'est totalement dingue, mais je ne me souviens pas du tout de l'accident. Peut-être qu'il s'est passé quelque chose cette nuit-là, Jared. Et si...
– Ce n'était pas un accident, compléta-t-il, Zola, est-ce que tu insinues que ta famille serait responsable de ce qui est arrivé ? C'est grave, très grave. Je sais qu'ils sont cinglés, mais penses-tu qu'ils iraient vraiment jusqu'à tuer leurs propres enfants ?
– Je ne sais pas, soufflai-je, Par contre, je crois me souvenir qu'à mon réveil, ma mère s'inquiétait sans cesse de savoir ce qu'il me restait de l'accident. C'est même la première question qu'elle m'ait posé. J'ai cru qu'elle s'inquiétait, qu'elle se demandait si je me souvenais de la souffrance ou d'avoir vu ma soeur mourir. Mais c'est vrai qu'elle insistait tellement, presque trop pour que ce soit normale.
– Zola, j'entends ce que tu dis. Mais quel est le mobile ? Pourquoi votre famille aurait voulu vous tuer ?
Le mot « tuer » fit battre mon coeur un peu plus vite. C'était clair, net, trop tranché, trop effrayant. Je fermais les yeux un instants pour refouler les larmes.
– On était différentes. Ma soeur s'est toujours opposée aux convictions de mes parents, et elle a tout fait pour me faire grandir hors de leur univers. Elle essayait de me montrer que le monde est fait de bonnes personnes et de monstres, et que notre famille était du mauvais coté de la barrière.
– D'accord, mais on ne tue pas un membre de sa famille parce que son opinion diverge.
Je fronçais les sourcils..
– Si, justement, tellement de personnes sont tuées parce qu'ils possèdent des avis autres. Les gens différents sont dangereux, surtout quand ils aspirent à autres choses. Elle luttait contre tous ce qu'ils étaient. Peut-être a-t-elle lutté trop fort ? Ils ont voulu la faire taire.
Un silence glacial envahit la pièce.
– Zola, ce n'est qu'une autre supposition, avança Jared, Mais si c'est celle là, la bonne, nous allons devoir agir.
– On devrait commencer par feuilleter le rapport d'accident, proposai-je, Si on ne peut pas se fier à ma mémoire, on doit suivre les faits qui sont survenu cette nuit-là.
– Oui, je demanderai à H si il peut le trouver.
Je me relevai en acquiesçant, puis marchai en direction de la porte avant de m'arrêter subitement.
– Jared, si c'est vrai, ça veut dire qu'ils ne me cherchent pas pour me revoir, ils me cherchent pour me tuer.
Il fit quelque pas et se planta devant moi.
– Ça n'arrivera pas, déclara-t-il à voix basse.
– Non, tu as raison, tranchai-je d'une voix froide, Ça n'arrivera pas. Ils ne gagneront pas cette fois.
Son doigt frôla ma joue alors qu'il traçait le contour de ma machoire.
– Zola... commença-t-il en se rapprochant avant d'être interrompu par un cri masculin provenant du couloir.
– Où est-elle ? hurla une voix à travers la maison, Où est Zola ?
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