Prologue
🎵 Cradles - Sub Urban🎵
Des bruits de toutes sortes résonnent dans le couloir. Je plisse les yeux, serrant mes mains sur mes genoux pour m'empêcher de les porter à mes oreilles.
Je dois être forte, être sage, comme l'a ordonné ma mère. Mais le crissement amplifié et précipité des talonnettes des infirmiers courant à toute allure dans le couloir, tirant des brancards couverts de draps, ainsi que les pleurs étouffés qui parviennent difficilement à mes oreilles ont rapidement raison de ma belle détermination. L'ambiance est trop pesante, j'ai peur.
Je déteste cet endroit. Ça doit bien faire cinq heures que j'attends sur ce banc froid, si ce n'est plus. J'ai perdu le compte à force. Mais dans tous les cas, c'est beaucoup trop !
Ma mère m'a-t-elle oublié ? Que fabrique-t-elle dans cette chambre terne et froide ? Quand viendra-t-elle enfin me chercher ?
J'ai envie de me lever, de marcher pour dégourdir mes jambes lourdes. Rien que quelques pas en rond avant de revenir à ma place...
Mais je me retiens, on ne sait jamais qui peut passer pour me voir déambuler bizarrement au milieu du couloir.
Et moi, je dois être impeccable en toutes circonstances. Je dois faire honneur à ma jolie tenue et rester un exemple pour les quelques personnes qui me regardent en passant.
Mais dans ma grosse robe violette et sous mes parfaites bouclettes brunes, je me sens à l'étroit. J'étouffe sous les couches de foulards énroulées autour de mon cou ainsi que les longues manches enserrant mes bras fins. Mes joues couvertes de poudre me grattent, mes pieds se balancent mollement au rythme de mon impatience et mes mains restent obstinément fermées à tout geste parasite.
Je garde la tête haute, malgré tous les appels de mon corps qui me poussent à m'enfuir loin de ce lieu froid et oppressant. Je reste statique, ferme, robuste.
Une porte en face de moi s'ouvre. Ma curiosité prend le dessus, je me concentre sur la personne qui traverse le cadre métallique pour voir apparaître un homme âgé. Vouté, mal habillé et les cheveux piqués de blanc mal coiffés, il garde le visage résolument fermé. Je plisse le nez, rebutée par son apparence négligée.
L'homme avance dans le couloir et disparaît à mes yeux, rapidement remplacé par un jeune couple mieux habillé qui défile devant mes yeux. Mais leur tristesse à eux aussi est palpable. La femme en belle robe bleu étouffe des sanglots tandis que l'homme l'enlace, le visage défait.
Je joue des épaules et lève le menton pour faire bonne impression, mais ils ne me remarquent même pas. Vexée, je me tasse alors sur mon siège en perdant mon sourire.
- Lonna ?
Je lève la tête à l'entente de mon nom, mes yeux clairs tournés vers ma mère qui vient d'ouvrir la porte de la chambre.
Son visage est rouge, ses yeux sont gonflés. Elle ne sourit même pas quand je me redresse fièrement devant elle, comme elle a pourtant l'habitude de faire.
- Ma puce, je vais encore en avoir pour un petit moment, fait-elle doucement.
Je serre les dents, stressée à l'idée de rester encore longtemps ici.
- Tu peux aller dans le hall, si tu veux.
Mon esprit s'éclaire de sa proposition. Oui, bouger. Excellente idée !
- Je veux bien, je réponds calmement, la voix frétillante de soulagement.
Les yeux bleus de ma mère se plissent d'affection.
- Alors vas, je te retrouverai plus tard.
Satisfaite, un sourire se dessine sur mes lèvres brillantes de rose.
Mais ma mère n'y répond pas.
Elle referme déjà la porte de la chambre derrière elle, me laissant seule.
Encore seule.
Mais loin d'en être encore démoralisée, je me lève dès que j'entends la clenche se relâcher, heureuse d'être autorisée à aller dans le hall.
Tout de même stressée, je laisse mes jambes faire des cercles sur le sol lisse tout en tournant distraitement une de mes mèches de cheveux bruns autour de mon doigt.
On passe devant moi sans me voir, en m'ignorant toujours. Les réactions fades des autres m'énervent, je ne récolte au maximum qu'un léger sourire de leur part. Pourquoi ne font-ils pas plus attention à moi ?
J'arrive rapidement au grand hall, déserté de la plupart de ses occupants en cette heure tardive. Toute fière d'avoir réussi à retrouver mon chemin, je vais m'installer à une table de la cafétéria tout en me demandant si ma mère me donnerait quelques pièces pour m'acheter quelque chose si je retournais la voir. Mais je me retiens, quelque chose me dit qu'elle ne veut pas être dérangée.
Alors j'attends encore, salivant de loin devant la vitrine du distributeur automatique présentant de nombreuses barres chocolatées. Enfin, jusqu'à ce que la machine s'ébranle brusquemment dans un bruit sourd de froissement métallique qui me fait aussitôt ravaler ma salive.
Je sursaute sur ma chaise, et son grincement retentit dans tout le hall. Serrant les dents, la main retournée à ma mèche rebelle, je dévisage lentement la vandale qui apparaît devant moi.
La fille doit avoir une ou deux années de moins que moi, je lui donne au maximum onze ans. Mais toute infime ressemblance s'arrête là.
Ses cheveux mi-longs blonds platine tombent sur ses épaules dans quelques vagues désordonnés, emmêlées et ternes. Son visage qui aurait pu être mignon est griffé et plein de poussière. Qu'est-ce que dirait maman si elle me retrouvait dans cet état ! Je plisse le nez, méprisante et écoeurée devant son apparence.
Mais il y a une raison à la négligence de la fillette. Je suis peut-être une spécialiste dans le domaine, mais même un enfant de trois ans saurait qu'elle est invisible.
Et apparemment de la pire espèce, qui plus est.
Quand elle tourne la tête vers moi, alertée par le bruit, je me sens fondre de peur. Elle est peut-être jeune, mais ses yeux ronds et bruns brillants de malveillance me rappellent la lueur dangereuse qui luit dans ceux des autres de son espèce.
Un éclat dément que je dois fuir.
- Bonjour, princesse, fait-elle doucereusement.
Un petit sourire vicieux apparaît sur ses lèvres sèches.
Je me lève maladroitement, faisant encore plus crisser la chaise dans le mouvement.
- Eh, du calme, fait la fille en s'approchant, une main tendue devant elle comme pour me retenir.
Mes jambes et mes bras tremblent, je ne peux plus décoller les pupilles de mon adversaire. Tous les sens en alerte, je détaille son attitude d'un regard averti. Mes pieds restent figés au sol tandis que la fillette s'arrête à quelque mètre de moi.
- Je m'appelle Jyn, tente-t-elle de se présenter en tendant une main en avant.
Main qui reste ostensiblement pendue dans le vide.
Les poings serrés sur le dossier de la chaise, j'examine l'invisible avec méfiance.
- Que veux-tu ? demandé-je alors d'une voix faible et tremblante, à mille lieux du ton ferme que je souhaitais employer.
Son sourire se fige un instant, dévoilant une certaine mélancolie sur son jeune visage.
- Rien de mal, fait-elle doucement. Je veux juste... parler.
- À lui aussi tu voulais parler ? ne puis-je m'empêcher de répliquer en pointant du doigt le distributeur cabossé.
Elle ébauche un sourire embarrassé.
- Non, j'étais énervée, se défend-t-elle, toute penaude.
Sa petite voix ne peut que la disculper. Aussi je détends prudemment mon emprise sur la chaise pour m'avancer de quelques petits pas vers elle.
- Je suis Lonna, me présenté-je finalement, non sans relâcher ma vigilance.
Son visage s'éclaircit.
- Bonjour Lonna !
- Qu'est-ce que tu fais là ? la questionné-je encore, laissant ma curiosité prendre le pas sur ma méfiance.
C'est vrai, que fait cette fillette toute décoiffée aux manières douteuses ici ?
- Je... suis là pour ma mère, dévoile-t-elle mélancoliquement.
Sa voix toute fade me donne des frissons.
- Elle...
- Va mal, complète-t-elle tristement devant mon début de phrase avortée. Mais il lui reste déjà plus de temps à vivre que ton père.
Puis, devant mon visage soudainement déconfit, elle porte une main à sa bouche, les yeux écarquillés de remords.
- Excuse-moi, je n'aurais pas dû... tente-telle de se rattraper.
- Comment sais-tu ?! je la coupe brusquement.
Les yeux brillants de pitié et de peine, elle me répond doucement :
- Je suis ici depuis longtemps, je connais à peu près tout ce qu'il se passe entre ces murs...
Sa voix affligée fait tressaillir mon petit cœur douloureux.
- Mais...
Le souffle coupé, je me laisse tomber au sol dans un froissement de froufrous brillants. Elle dit la vérité, je le sens. Mon père va...
L'accident, maman m'a dit que ce n'était pas grave. Le conducteur ne l'a pas vu, il n'a pas fait attention, le choc a été violent... Mais à aucun moment il n'a été question de... mort !
Des larmes perlent peu à peu sur mes joues. Jyn s'approche lentement de moi, se penche à mes côtés et regarde les petites gouttes dévaler mes joues avec soucis.
- Je suis désolée, fait-elle. Je n'aurais pas dû...
- Merci, je la coupe dans un reniflement bruyant. Merci de me l'avoir dit.
Et en y pensant, je préfère réellement que ce soit elle, une parfaite inconnue dont le jugment m'est tout à fait égale, qui me l'apprenne. Au moins avec elle, je ne suis pas obligée de feindre la tristesse plus longtemps que je ne la ressens, comme je l'aurais été contrainte devant ma mère. Je n'ai pas besoin de jouer le rôle de la fillette anéantie si ce n'est pas le cas...
Le raffut que je fais lui arrache d'ailleurs un sourire, et je peux déjà sécher mes larmes pour ricaner hystériquement avec elle.
- Tu connais vraiment tout des gens d'ici ? demandé-je alors, quelque peu intéressée.
Elle hausse les épaules.
- Oui, ils ne font pas attention à moi alors je peux écouter tout ce qu'ils disent.
Une idée germe lentement dans mon esprit. Un plan qui me protégerait, qui m'aiderait à vivre la plus belle des vies et qui m'éviterait de... connaître le même sort que mon père...
- Alors tu penses pouvoir m'aider ?
Son sourire fier disparaît dans sa surprise.
- À quoi ? s'interroge-t-elle sceptiquement.
- À espionner des gens, je dévoile, excitée à l'idée qu'elle accepte.
-... de l'hôpital ?
Je hoche la tête, perdant patience devant son incompréhension.
- Non, de dehors, je la réprimande comme si c'était évident.
Son visage se décompose furtivement avant d'à nouveau se voiler dans un soupir d'impuissance.
- Je ne peux pas, je dois rester avec ma mère, déplore-t-elle en baissant les yeux. Elle n'a personne d'autre... et je ne peux pas la laisser seule...
Mon sourire se fait plus dévorant. S'il n'y a que ça pour la pousser à refuser mon marché ! C'est presque aussi simple que de convaincre ma mère de m'acheter un nouveau bijoux, toutes les billes sont déjà dans mon camp.
- Je peux m'en occuper si tu veux, je lui propose posément.
Ses yeux se relèvent vers les miens, incrédule.
- Tu peux faire ça ? répète-t-elle d'une voix chargée d'espoir.
J'hoche les épaules à mon tour.
- Oui, bien-sûr, confirmé-je. Mais en échange, tu m'aide aussi...
- Ça marche ! accepte-t-elle aussitôt, enjouée à l'idée de pouvoir enfin quitter l'hôpital.
Je la comprends, je n'y suis restée même pas une journée et j'en suis déjà traumatisée. Je ne peux m'imaginer errer encore et encore dans ces couloirs fades à regarder le monde par de petites fenêtres pour tenir compagnie à ma mère mourante...
Ça risque d'être compliqué de venir ici tous les jours, mais je peux toujours prétexter vouloir rendre visite à mon père. Paradoxalement, je le verrais plus mourant qu'en pleine vie. Mais si ça peut me permettre de ne pas finir comme lui, me permettre d'être visible par tous, toute puissante, ça vaut bien la peine.
Alors je tends la main vers la petite fille au regard flamboyant d'un nouvel éclat, puis déclare solennellement :
- Marché conclu.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top