Chapitre 1
🎵 Good in Goodbye - Madison Beer 🎵
- Glory !
Delma s'accroupit pour attraper la petite qui court dans ses bras, puis l'enlace tendrement.
J'esquisse un sourire, dévorant la scène du regard. Comme quoi, même les pires pestes peuvent avoir un cœur.
La belle jeune fille à la peau bronzée fait tourner l'enfant autour d'elle en riant, une main glisée dans ses cheveux frisotants.
- Alors, ta semaine ? demande-t-elle enfin en la relâchant.
La petite sourit de toutes ses dents adorablement dispersées dans sa petite bouche gonflée.
- Génial ! répond-t-elle d'une voix aiguë en commençant à se dandiner sur ses deux jambes.
La scène m'arrache un sourire.
- Papa m'a amené au parc tous les soirs ! dévoile-t-elle avec excitation. J'ai fais du toboggan, il m'a poussée à la balançoire, et on a fait du vélo ! Et puis...
- Du calme, petite furie, l'appaise sa grande sœur en riant. Et comment s'est passé ton exposé ?
L'enfant reste interdite.
- Euh... bien ? essaie-t-elle de négocier avec un sourire embêté si craquant que personne ne pourrait lui en vouloir d'avoir raté un pauvre exposé. Et puis papa m'a promis de m'acheter un chat !
Ma bouche s'étire inexorablement, cette enfant respire tant de joie de vivre que ça en devient contagieux.
Mais je ne dois pas me laisser déconcentrer.
Je détourne les yeux des deux filles pour me glisser dans l'entrée de leur appartement, où leur père et leur mère échangent encore quelques mots froids.
- Je t'amène Delma demain, fait l'élégante femme à son ex, d'une voix dénuée de la moindre émotion.
Celui-ci acquiesce stoïquement, lance un dernier au revoir à ses filles et finit par sortir de l'appartement en claquant silencieusement la porte.
Je cours alors dans la cuisine pour passer par l'escalier de secours, puis grimpe sur le toit. Penchée sur la rue à l'entrée de l'immeuble, j'attends de voir sortir mon homme, des mèches folles glissant contre mon visage sous la force du vent.
Et avant même que je ne cale mes cheveux derrière mes oreilles, le père des deux filles apparaît.
Il monte dans une luxueuse voiture noir que je grave dans ma tête, puis je me lève et m'empresse de la suivre quand elle démarre.
Heureusement que les immeubles du centre ville sont rapprochés, et heureusement que les embouteillages sont nombreux en bas. J'arrive à suivre ma cible sans même avoir besoin de courir comme une dératée cette fois.
L'homme descend enfin de nombreuses rues plus loin, et je me glisse sur le toit de l'immeuble désigné. Décidément, ma chance est de la partie aujourd'hui. Le bâtiment est assez vieux pour avoir encore un escalier de secours plutôt que leurs capsules fusantes nouvelle génération. Les longs tubes métalliques sont peut-être plus performants pour exfiltrer les habitants en cas d'incendie, mais ils sont imposibles à escalader dans l'autre sens. Autant dire que je n'aime pas tellement leurs nouveaux immeubles modernes.
Et que j'aime de plus en plus la modestie de la famille de Delma.
Je dévale l'escalier de secours pour atterir dans un couloir épuré, tellement vide que le crissement de mes baskets résonne contre les deux longs murs à chaque pas. Je file ensuite vers la première porte d'ascenseur que je trouve et regarde défiler les étages en lettres rouges, estimant auquel s'arrête ma cible.
6ème étage,
7ème étage,
8ème étage,
Arrêt.
Je prends les escaliers, arrivant au palier du huitième aussi vite que mes jambes me le permettent.
Essoufflée, je lève ensuite les yeux sur les noms inscrits en petites lettres noires sur les portes des appartements pour butter sur celui que je cherche en plissant les yeux.
Eldahi Karim, appartement 72.
* * * *
Je rentre dans l'appartement de Lonna par la fenêtre de sa cuisine, laissée entrouverte comme prévu.
Je prends le temps de calmer mon cœur battant en glissant le long du plan de travail jusqu'à ce que mes pieds touchent le sol. Les points serrés, je ferme les yeux et respire lentement, attendant que les étoiles argentées scintillant devant mes yeux disparaissent.
Décidément, même avec l'habitude, l'escalade qui m'est nécessaire pour entrer chez Lonna me donne toujours autant de frissons.
Je relève enfin la tête, rétablie, et m'avance vers le salon où je trouve la jeune fille en train de manger seule son dîner.
Je la dévisage de haut en bas sans être dérangée, avantage de mon invisibilité.
Toujours aussi maquillée que ce matin, elle paraît cependant moins arrogante quand personne ne la regarde. Ça me donnerai presque pitié pour elle. Presque...
Je la regarde encore un petit instant manger à son insu, et ne peux m'empêcher de glousser quand elle commence à lécher goulûment sa cuillère pleine de crème fouettée.
Elle sursaute aussitôt, me fusillant du regard, et je m'avance nonchalamment jusqu'à la chaise devant elle pour la tirer et m'y asseoir, un sourire moqueur dévorant mes lèvres.
- Salut Lonna.
Elle serre les dents.
- Ça t'amuse ? fait-elle, irritée, en reposant sa cuillère. T'es là depuis longtemps ?
- Où sont passées tes bonnes manières, princesse ?
Elle pousse un long soupir.
- Bonjour, Jyn, récite-t-elle d'un sourire exagérément forcé.
- C'est déjà mieux comme ça, j'acquiesce avec importance.
Mes doigts pianotent sur la table en étain noir dans un bruit métallique étouffé, ce qui fait tiquer mon adversaire.
- Alors ? s'enquit-elle après un froncement impulsif de sourcils.
Le sourire aux lèvres mais n'ayant pas envie de déclencher plus d'hostilité, je lance la liasse de bouts de papiers que j'ai couvert d'encre à son attention.
- Nom complet, adresse, famille, et tout ce que tu m'as demandé, je résume distraitement. Et ma mère ?
- Toujours dans le même état, fait-elle insensiblement en détaillant les papiers. Je lui apprends tous les jours à jouer aux échecs, comme tu l'as prescrits. Mais elle ne se souvient jamais de rien.
- Essais encore, je suis sûre qu'elle y arrivera un jour.
C'est vrai, une ancienne joueuse professionnelle d'échec doit bien au moins se souvenir des règles de son jeu.
Lonna relève les yeux vers moi, et j'ai la surprise de voir qu'elle semble un peu désolée. Mais toute ombre de compassion quitte rapidement son regard, redevenant froid et calculateur.
- Bon, reviens demain matin, fait-elle en rangeant les feuilles dans sa poche. Sept heure dans ma chambre, le temps que je réfléchisse à un plan.
- Vos désirs sont des ordres, madame, je m'incline moqueusement tout en notant le rendez-vous dans un coin de ma tête.
- Et je ne veux plus te revoir m'espioner comme tu viens de le faire, voyeuse, menace-t-elle encore en rabattant une mèche de cheveux noirs dans son dos, sans même prêter un semblant d'attention à ma pique.
- C'est pourtant une de mes occupations préférées, la taquiné-je encore. Mais tu pense bien que j'ai autre chose à faire que te regarder vivre ta petite vie quand je ne suis plus en service.
Je me relève puis recule dans la cuisine, toujours sans la quitter des yeux.
- Ah... ça me rassure, répond-t-elle en hochant la tête, d'une voix assez vacillante pour que je comprenne qu'elle ne sait pas vraiment comment interpréter ma déclaration.
- À demain alors ! lancé-je, enjouée, comme si tout est entendu.
- À demain, marmonne-t-elle en retournant à son repas.
La déranger m'amuse, je pourrais jouer à ça toute la journée. Mais en même temps, comme je viens très justement de l'affirmer, j'ai bien d'autre chose à faire. Je traverse donc le salon d'un pas décidé pour quitter l'appartement par la porte d'entrée, n'ayant pas envie de remettre ma vie en danger en me retapant l'escalade.
J'arrive à la maison moins de cinq minutes plus tard.
Enfin, maison est un grand mot pour désigner une vulgaire cabane faite de planches en bois et de taule que j'ai construite sur le toit de l'immeuble désaffecté le plus proche de celui de Lonna.
Les conditions y sont spartiates, mais j'ai fini par m'habituer à faire chauffer mes repas au réchaud, me laver grâce au robinet encore en état de marche de la cage d'escalier condamnée ou m'éclairer à la lueur d'une simple lampe torche, voir plus couramment, à la lumière du jour.
Pas de luxe, un plafond et des murs pas vraiment étanches et pas non plus de chaleur, qu'elle soit corporelle ou artificielle. Mais une cabane, rien qu'à moi.
Un chez moi. Et n'ayant pas vraiment connu mieux, je me contente bien de ça.
Je pourrais monnayer plus d'argent à Lonna en échange de mes services qu'à peine de quoi me nourrir et m'habiller, peut-être pourrais-je d'ailleurs me trouver un vrai appartement. Mais tenant toujours dur comme fer à mon indépendance, je préfère me contenter du peu que j'ai. Ce n'est d'ailleurs pas si insignifiant que ça, la douce chaleur de vivre par soi-même.
Cette vie me plaît. J'en suis maître, n'étant réellement attachée à rien que je pourrais perdre.
La vrai liberté... qui sera d'ailleurs encore plus complète quand j'en aurai fini avec ce marché prenant, et que je pourrai partir sans plus aucune barrière.
Peut-être qu'après ça je continuerai les études, où je semble avoir de l'avenir. D'abord j'assisterai aux cours sans qu'on ne me voit, et donc sans que je n'ai besoin de les payer. Puis peut-être arriverais-je à me trouver un travail et me sortirais-je de l'invisibilité, qui sait ?
Ou peut-être fuirais-je toute civilisation. Peut-être irais-je me terrer dans les bois sans plus me soucier de rien d'autre que de survivre. Plus d'autres contraintes... ce n'est pas une mauvaise idée.
Mais une chose est sûre, une fois que je n'aurai plus à honorer ce marché, je ferai ce que je voudrai. Et mes rêves sont nombreux...
Foutu marché ! ... quoiqu'il peut se révéler amusant des fois.
Ok, pas si mal le marché où je peux faire rager la petite princesse parfaite qui se plaît à s'enfoncer toujours plus dans sa dépendance vis à vis des autres.
Que fera-t-elle, d'ailleurs, quand elle ne m'aura plus ? Elle sera bien triste de ne plus pouvoir compter sur mon aide silencieuse. Je n'ose pas imaginer comment elle pourra se débrouiller, seule. Et au fond, peut-être même que je lui manquerai. Après tout, comment ne pas regretter mon caractère buté et mes constantes provocations ?
En tout cas, elle, elle me manquera. Et je n'ai aucun mal à l'admettre, une qualité (ou une faiblesse, selon le point de vue) bien réservée aux invisibles.
Ce n'est pas un visible qui reconnaîtra tenir aux autres comme nous le faisons, parce qu'eux sont fait pour briller seuls. Quelle idée absurde que d'imaginer une étoile se pencher sur le pauvre terrient qui la regarde, et lui prêter la moindre attention. Jamais elle ne s'abaisserait à ça, et jamais l'Homme ne la quitterait des yeux pour autant. Non, tous doivent penser aux visibles. Et eux sont aussi compris dans le lot.
Loin de moi l'idée de rester une simple spectatrice silencieuse, je suis trop fière pour me cantonner à ce rôle. Mais je sais tout de même bien que ce ne sera plus pareil sans personne sur qui m'appuyer. Aujourd'hui, ma vie ne se résume qu'à Lonna.
Alors demain, sans elle...
Secouant la tête pour chasser ces pensées parasites, j'ouvre la porte à moitié défoncée et me glisse dans l'habitat, m'affalant sur le tas de coussins et de tissus étalés sur une planche en bois que j'appelle "canapé".
Je soupire longuement, contemplant la lumière poussiéreuse du soleil couchant traverser les fenêtres en plastique que j'ai dessinées dans les plaques usée. Seulement deux petites fenêtres pour éclairer ma cabane, mais bien assez pour me faire crever de froid la nuit.
Je décide enfin de me relever pour sortir mes affaires de mon sac. Je n'ai peut-être pas assez d'argent pour m'acheter à manger tous les jours, mais me procurer de quoi suivre les cours de l'école que fréquente Lonna me semblait nécessaire.
Aussi ai-je acheté des feuilles, un cahier, et deux trois crayons en guise de fournitures. J'ai encore fait l'acquisition d'un appareil photo premier prix à la demande de Lonna pour des missions peu morales, outil que j'ai rapidement détourné à capturer les manuels des élèves de la classe que je viens squatter, histoire de pouvoir faire les exercices sans être dérangée.
Je suis sans doute folle de donner tant pour mon éducation, mais ça me semble légitime. Peut-être que grâce à ces efforts, ma vie future sera meilleur ?
Ou pas... sans doute pas.
Mais au moins suis-je sûre de faire ce qui est en mon pouvoir pour essayer d'avoir le meilleur avenir possible.
Quand tout sera fini... je m'en sortirai.
Mais prévoir et vivre sont deux choses trop différentes pour que je puisse être sûre de quelque chose. Au fond de moi, je sens bien que je ne suis pas vraiment prête à vivre autrement que comme j'ai toujours vécu : penser au lendemain sans faire attention à ce que ça doit me coûter dans le présent.
Et quand je n'aurai plus de lendemain à planifier, j'ai peur que le présent m'apparaisse trop important pour que je puisse réellement en profiter.
Mais demain est un autre jour. Et c'est réconfortant de penser qu'aujourd'hui, je vis seulement pour le préparer.
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