Chapitre 5

Quelques secondes après son message, le voilà qui apparaît, tout sourire, vêtu d'un simple débardeur et d'un jogging, les lèvres largement étirées. J'entre à son invitation, il m'indique ensuite de le suivre et se moque de mon accoutrement grand froid. Moi, je profite de ses habits légers pour détailler ses épaules. Il est beau.

– Comment tu vas faire quand ce sera l'hiver ? rit-il alors que je me demande combien d'étages on va encore monter.
– J'ai... une veste encore... plus chaude pour... ça.
– Je rêve ou tu es essoufflé ? m'interroge-t-il avant de se retourner vers moi.

Je tente de trouver une respiration calme et régulière pour le contredire mais il n'est pas dupe et éclate de rire avant de se remettre en route. Je le suis jusqu'au dernier palier. Il ouvre la porte, s'efface pour me laisser passer avec une courbette et un« après vous messire » qui m'amuse. Je pénètre donc dans le petit appartement, me déchausse sans attendre. Il me débarrasse de mon manteau qu'il met sur le dossier d'une chaise, je laisse mon écharpe avec. L'intérieur est très douillet, tout en couleurs chaudes. Un canapé sépare la télévision de la table entourée par une demi-douzaine de chaises, la cuisine n'est délimitée que par un bar sur lequel s'amoncellent verres et pintes. Je remarque de la vaisselle soigneusement empilée à côté d'un évier rempli de couverts flottant dans une eau approximativement propre. Il lâche un rire gêné, me prend par les épaules pour me diriger vers sa chambre. Je ne vois que deux autres portes dans le couloir, ainsi qu'un grand placard.

– Fais pas attention, c'est un peu le bazar...

Il semble mal à l'aise. Je tourne sur moi-même, émerveillé par la pièce remplie du sol au plafond de bric-à-brac. Tout est en rapport avec la musique. Des posters de différents groupes, des notes de musique sans oublier leurs portées dessinées sur chaque mur, un clavier numérique et un étui à violon. Une guitare est appuyée contre une étagère sur laquelle sont entassés des livres de toutes les couleurs et de toutes les tailles. Seul le lit ressort rangé de cet univers bordélique. Faustin s'y laisse d'ailleurs tomber, m'observant avec attention.

– Elle est trop bien ta chambre !
– Sérieux ? C'est n'importe quoi tout ça, fait-il en balayant la pièce d'un mouvement de bras.

Je secoue la tête, un grand sourire sur les lèvres. Le toit incliné descend jusqu'au sol où sont éparpillées diverses feuilles recouvertes d'une écriture serrée. J'en saisis une, mais il me la prend des mains.

–Nope ! annonce-t-il, victorieux.

Je fais mine de bouder, puis m'allonge au sol, les bras en croix. Il vient faire de même, laissant son poignet droit traîner sur mon torse et fermant les yeux. Je tourne la tête vers lui, l'observe longuement. Je le trouve vraiment beau. Ce n'est pas tant son visage, mais plutôt ce qu'il dégage, la force et la motivation qu'il laisse entrevoir que je considère comme magnifiques. Il soulève les paupières, plonge ses iris dans les miens. Mon souffle se coupe d'un coup, mes doigts remuent dans le vide. Il respire doucement, je me demande s'il entend mon cœur battre comme un forcené. Puis il se tourne sur le côté pour être face à moi, je décide de faire de même. Il a ramené sa main, je coince les miennes sous ma tête pour qu'elles arrêtent de trembler. Il ne l'entend visiblement pas de la même oreille car il vient les saisir et les poser contre son torse, me faisant frissonner.

– Tes mains sont vraiment là, je les sens. C'est dingue.

Je me rends alors compte que l'invisibilité est arrivée, que les crépitements ont eu lieu. Que je ne l'avais pas senti, aussi. Et également, c'est d'ailleurs bien ça qui me fait le plus mal, que son comportement ne soit dû qu'à ma transparence, qu'il ne désire pas forcément de contact entre nous. À l'inverse de moi. Pour changer le cours de mes pensées, je lui raconte la première fois que ça m'est arrivé, la première fois que les étincelles sont apparues dans mes doigts, la première fois qu'Hortense l'a vu. Je lui raconte Hortense, son appartement, ses chiens. Je lui raconte mes parents, mon petit diable de sœur, et Marguerite. Il m'écoute jusqu'à ce que j'aie fini sans lâcher mes mains qu'il maintient précieusement contre son cœur, me contemple sans dire un mot. Il attend que j'aie vidé mon sac. Et seulement là, il se redresse, s'assied sur mes genoux pour me relever en position assise, puis me prend dans ses bras.

– Ça a dû être tellement horrible, souffle-t-il tout près de mon oreille.
– Et ça continue de l'être, avoué-je honnêtement sans manquer de l'entourer de mes bras.

Il s'écarte, me fixe. Il me met une petite tape sur la joue, puis se remet sur ses pieds avant de me tendre la main.

– Mais maintenant je suis là.

J'attrape sa main, serrant mes doigts autour d'elle alors qu'il me tire à lui. On reste un moment à se regarder, puis il me lâche et m'annonce d'un ton joyeux qu'il nous a préparé à manger. Je le suis dans la cuisine sans manquer de rire de son nom écrit sur sa porte et entouré de personnage de films pour enfant. Il me tire la langue, disparaît dans la cuisine. C'est petit chez lui, encore plus que mon appartement. Ça me surprend mais, d'une certaine façon, ça me le rend plus accessible. Comme si je me rendais finalement compte qu'il n'était qu'un humain comme les autres, et pas un dieu que j'observais de loin depuis si longtemps.

L'odeur alléchante d'un gratin parvient à mes narines, je prends la vaisselle qu'il a mise en évidence sur le bar pour la disposer sur la table. Je n'ose pas demander où sont ses parents, ni à qui appartiennent les innombrables verres laissés à l'abandon. Je le vois du coin de l'œil sortir le gratin du four, faire un mouvement de tête pour dégager les mèches tombant sur son front, puis amener le plat sur la table. Il me lance un sourire compatissant après avoir baissé les yeux sur mes bras, puis repart chercher de la salade.

– Tu préfères un peu ou beaucoup assaisonné ?
– Mets la dose !

Il étouffe un rire avant de verser généreusement du vinaigre dans le saladier. Il ajoute l'huile, mélange, puis apporte le tout avant de s'installer en tailleurs sur sa chaise. Il me sert et j'attaque avec appétit.

– C'est trop bon ! Comment tu fais ?
– Mes parents sont pas trop à la maison, comme tu peux le voir... ils rentrent plus tard, et je leur laisse à manger.

Je hoche la tête avant d'enfourner une autre bouchée. On bavarde un peu, mais pas de sujet sérieux. Il m'interroge sur mes amis, je lui raconte tous les après-midi passés à batailler dans le sous-sol de Léo, une manette dans les mains. Il m'explique ensuite qu'avec sa belle gueule, beaucoup veulent devenir ses amis, mais qu'il n'a pas tellement l'impression d'en avoir de vrais.

– C'est plutôt... des potes, tu vois ?
– J'vois, marmonné-je entre deux fourchettes.
– Pas comme toi. Je suis content de t'avoir parlé. J'ai vu que tu me regardais souvent.

Je m'étouffe, tousse en frappant mon torse du plat de ma main transparente. Et lui se moque de moi, le bougre. Il me sert finalement un verre d'eau que je vide d'une traite, puis cale son menton sur son poing en me fixant.

– J'ai pas raison ?
– Je pensais... être discret. Plus que ça, en tous cas.

Il hausse furtivement les sourcils sans manquer de sourire malicieusement.

– Ou pas, finalement, ajouté-je.
– C'est clair.
– Moi aussi... Je suis content qu'on soit amis.

C'est sorti tout seul. Il baisse les yeux, se remet à manger, mais je ne rate pas son sourire passant de la malice à la joie simple. Je l'imite et on termine de dîner. Après ça, il me propose de prendre une douche, ce que je fais avec plaisir, puis on se retrouve assis sur son lit en tailleur. J'ai remarqué qu'il aimait bien cette position. Ça nous fait un point commun. Je pense au carnet qui est dans mon sac, près de la porte, à même pas un mètre de moi. Je ne sais pas pourquoi, mais je ne lui en ai pas parlé.

Il se débarrasse de son bas de pyjama, se glisse sous ses couvertures avant de m'inviter à le rejoindre. Je jette un œil à mon matelas, posé au sol – ainsi, il n'y a plus de moquette de visible, et la chambre paraît bondée – puis abandonne mon jean pour me glisser près de lui. Il garde la lumière de sa lampe de chevet allumée, on s'installe face à face, chacun à une extrémité du lit.

– J'ai l'impression que si je deviens invisible, personne ne s'en rendra compte, soufflé-je soudain.
– Sois sûr que moi, si. Je te le promets. Et je te jure aussi que je mènerai la vie dure au premier qui tournera la page sur toi.

Je ne sais pas si je dois en rire ou en pleurer, le remercier ou l'insulter. Il est simplement réaliste, lui aussi sait que ça ne s'arrêtera pas là. Mais je pense que j'aurais voulu qu'il m'assure le contraire, qu'il m'annonce qu'il a une solution miracle.

– Moi aussi je te regardais de loin, Frank...

Je papillonne des yeux avant de les planter dans les siens. Il est sérieux, ne sourit plus.

– Je savais que tu cachais un secret, que tu souffrais. Ça crevait les yeux. Je ne pensais juste pas que... ça allait jusque là. La fois où je ne t'ai pas pris au sérieux, près de la piste d'athlé... je la regrette, je te jure. Je regrette vraiment.

Je balaie ses excuses en ignorant les sensations qu'elles font naître dans ma poitrine. Il m'assure de son soutien, je crois bien que je verse quelques larmes. On entend ses parents rentrer l'un après l'autre, quelques tintements d'une bouteille contre un verre, certaines paroles. On parle encore longuement, jusqu'après qu'ils se soient couchés. On rit pas mal, on essaie de trouver des points positifs, et même une théorie comme quoi des personnes dotées de pouvoirs surnaturels vont venir me sauver et me rendre ma consistance normale. Il m'arrache un éclat de rire, plaque sa main contre ma bouche pour me faire taire. Son souffle frôle mon nez à chacune de ses expirations, des frissons se déclarent dans mon dos comme des décharges électriques. Je le regarde, il me regarde. Puis, il s'écarte avec un clin d'œil.

Un temps plus tard, je quitte la chaleur de notre cocon pour m'installer dans mes couvertures, atrocement froides. Je m'enroule dedans, tentant de me – et de les – réchauffer par la même occasion. Mes paupières tombent toutes seules, ça fait longtemps que je ne m'étais pas senti aussi bien avant de m'endormir. Aucune appréhension, aucun malaise, aucun désespoir. Juste avant que je ne plonge dans les bras de Morphée, je l'entends murmurer :

– Frank... Je suis amou...

Le sommeil m'attire à lui avant que je ne comprenne la suite.

**

Faustin me réveille gentiment en frottant son index contre ma joue. J'ouvre les yeux et vois son visage endormi penché sur moi. Je lui souris, il me le rend avant de se lever pour quitter la chambre, faisant entrer une vive lumière dans celle-ci. Je grogne, enfouis la tête dans l'oreiller imprégné de l'odeur de mon hôte dont j'entends le rire depuis la salle de bain. Je me serais rendormi si seulement il n'était pas venu me tirer du lit par les chevilles.

 – Mais arrête ! m'insurgé-je alors qu'il emplit l'appartement de son rire léger.

Ses doigts finissent par laisser mes jambes tranquilles, je les ramène alors contre mon torse avant de les entourer de mes bras. J'enfouis mon visage dans mes genoux, faisant semblant de pleurer toutes les larmes de mon corps. Parfaitement insensible, il m'attrape par les aisselles, me lève, puis me tire vers la grande salle. Il me fait m'asseoir et sort d'un placard céréales, pain, brioche et autres viennoiseries pour le petit-déjeuner. On commence à manger, je n'ose pas lui demander ma boisson favorite et il finit par s'en rendre compte.

– Qu'est-ce que tu veux ?
– Hum... du thé ?
– Euh... ouais, okay.

Il se lève, va faire chauffer de l'eau. Il est surpris, j'en ris sous cape. Il m'apporte ensuite un bol fumant dont s'échappe une odeur très agréable. Je souffle sur la surface, la striant de vaguelettes, puis avale la première gorgée de la boisson. Pas mal, même si elle ne vaut pas celle que je peux me préparer chez Hortense. Je me souviens soudain de son début de phrase de la veille.

– Au fait, tu disais quelque chose quand je me suis endormi ?
– Non, rien...
– Oh allez !

Il regarde ailleurs, ses joues rougissent légèrement, chose que je n'avais jamais vue sur son visage. Il est beau, même gêné. Surtout gêné. Je ne sais pas.

– Ben... disons que... je suis attiré par quelqu'un.

La mâchoire m'en tombe. J'oublie ce pincement au cœur pour me concentrer sur ma curiosité digne d'une commère qui fait que je l'interroge immédiatement :

– Qui ? Depuis quand ? Comment ça se fait ? Raconte !

Il rit, reprend un petit pain pour me faire languir.

– Alice. Tu sais, j'étais avec elle hier, pendant la pause midi. Elle est dans ma classe et...ça fait depuis la rentrée à peu près.
– Wow ! C'est... super !

Il approuve, commence à me parler d'elle. Il me raconte ses manies, ses comportements, et je dois bien avouer qu'elle a l'air craquante. Et qu'il la connaît divinement bien. Je l'écoute s'extasier longuement, jusqu'à ce que l'arrivée de sa mère ne nous coupe –à mon grand soulagement, je l'avoue. Je la salue, me présente, elle me souhaite la bienvenue puis disparaît à nouveau. Faustin semble un peu mal à l'aise, je me demande s'il désapprouve ses parents. Le silence flotte un peu entre nous, puis se dissipe alors qu'on reprend la conversation. Il me décrit la première fois qu'il l'a remarquée, à des années-lumière de se rendre compte d'à quel point je me sens mal actuellement. Même pas parce qu'il en aime une autre, mais pour le simple fait que je doive lui cacher mes sentiments, alors qu'ils sont bien la dernière chose que je veuille renier.

Puis vient l'heure de rentrer chez moi. Il s'excuse d'avoir monopolisé la parole, ayant finalement remarqué mon mutisme, et m'assure que je peux l'appeler n'importe quand. Qu'il est là pour moi. Je souris en m'habillant chaudement, passe la bandoulière de mon sac sur mon épaule puis lui tends mon poing. Il y entrechoque le sien en me souhaitant un bon week-end, et j'hésite à l'étreindre. Je n'en fais rien, quitte son appartement mal rangé et pourtant tellement agréable pour descendre les multiples marches menant au rez-de-chaussée. Je quitte le bâtiment, retrouvant sans joie le froid de l'extérieur. Le soleil peine à traverser les nuages, la brume du matin flotte encore dans l'air. La ville est grise, comme toujours. Puis, je darde mon regard sur la fenêtre au dernier étage dont on vient de tirer les rideaux. Faustin s'y tient, il me fait des grands gestes du bras. Soudainement, entre les pans de tissu orangé, je vois une multitude de couleurs. Je lui rends son coucou avant de disparaître au coin de la rue.

Je rentre d'un pas vif, passe le reste de mon samedi et presque tout mon dimanche à peindre ou rêvasser. Je n'ai pas osé ouvrir à nouveau le carnet.

C'est donc le moral dans les chaussettes que je me dirige vers le collège en traînant des pieds. Seule la buée que j'expire m'arrache un sourire. Je souffle en m'enthousiasmant de la réaction qui se produit quand l'air chaud et le froid entrent en contact. Un rire à côté de moi, une main qui m'enlève un écouteur. Je m'apprête à froncer les sourcils, mais Faustin qui me lance un énorme sourire m'en dissuade. Je balance entre deux options : lui rendre son sourire et lancer une discussion, ou tirer la gueule pour qu'il me laisse tranquille. J'adore Faustin, je voudrais pouvoir rire avec lui à toute heure de la journée, mais pas quand j'écoute de la musique. Je deviens d'une humeur de chien quand on m'embête alors que j'ai mes écouteurs, surtout si c'est Three Day Grace qui résonne dedans.

Je décide finalement de couper à grand regret la chanson, range mes oreillettes dans ma poche et remercie mon ami pour son accueil de vendredi.

– Mais avec plaisir ! Reviens quand tu veux ! En fait, reviens tous les jours !

J'éclate de rire alors que Martin s'approche de nous. Il passe un bras autour de mes épaules et tchecke Faustin de son autre main. Ils bavardent un peu, puis mon hôte va rejoindre sa bande de copains alors que le mien m'emmène vers Léo qui nous observe de loin.

– Vous êtes potes maintenant ? me demande celui-ci après m'avoir donné l'accolade.
– Ouais. J'ai dormi chez lui vendredi.
– Carrément ! Vous perdez pas de temps dites donc ! lance Martin en insinuant fortement une relation entre Faustin et moi de ses mouvements suggestifs de sourcils.

Il ne sait rien de mon attirance pour les garçons, pas plus que Léo ou n'importe qui d'autre qu'Hortense sur cette Terre. Aussi, je ne lui tiens pas rigueur de cette plaisanterie qu'il ne pensait pas blessante. Pas qu'elle doive l'être. Je ne pense pas que j'aurais réagi pareillement en mon intérieur avec un autre garçon. C'est simplement que si c'est Faustin... mes sensations sont bizarres.

D'ailleurs, voilà les crépitements qui s'invitent à la fête, remontant dans mes bras. Des fourmis naissent également dans mes orteils, je n'y prends pas garde jusqu'au moment où je me rends compte que mes pieds commencent probablement à disparaître également. La panique me prend alors, j'enlève précipitamment une de mes baskets, ceci suivi par l'abandon de ma chaussette, et le verdict est là : le bout de mes orteils n'est plus. Et tout ce dont les gens se rendent compte, c'est que je suis « vachement chelou à enlever mes godasses devant la grille ». Pourtant, je croise le regard inquiet de Faustin, et manque de me jeter dans ses bras pour me lamenter sur mon sort. Au lieu de ça, je baisse la tête, remets ma chaussure et entre dans l'établissement sans affronter les coups d'œil de mes camarades.

Une main me presse l'épaule avant de glisser le long de mon bras, m'électrisant du même coup. Les poils de ma nuque se dressent, j'observe sans un mot le dos de Faustin s'éloigner puis disparaître dans le flot d'élèves. Je rejoins mes deux copains qui ont avancé vers notre salle, leur emboîte le pas en les fusillant du regard quand ils essaient de m'interroger sur l'incident de la grille. Toute la journée passe ainsi : les collégiens me jettent des coups d'œil en coin, certains me montrent du doigt, mon nom revient dans une bonne partie des discussions. Je me sens vu, pour une fois. Et ce n'est pas agréable du tout.

Je quitte l'établissement avec un soulagement évident. Une fois les grilles passées, je m'empresse de fouiller dans mon sac pour trouver mes écouteurs. Je ne les trouve pas, panique, cherche à nouveau, et soupire de désespoir. Je ne peux pas les avoir perdus. Ce. N'est. Pas. Possible.

– C'est ça que tu cherches ?

Je me retourne vers Faustin qui, le sourire aux lèvres, me tend mes écouteurs avant de m'offrir un clin d'œil. Je les récupère, le fusille des yeux et il fronce les sourcils.

– C'est Gavin qui les avait, précise-t-il.
– Oh ! Pardon !

Il sourit à nouveau et le soulagement s'infiltre sournoisement en moi. Depuis quand ai-je autant envie de voir cette expression sur un visage ? Je glisse mes écouteurs dans ma nuque pour les empêcher de tomber, et les branche à mon lecteur, ne sachant pas tellement quoi dire.

– C'était quoi ce matin ? Tes pieds...
– Disparaissent à leur tour, l'aidé-je à finir en haussant les épaules.

Mais je tremble légèrement. Il doit s'en rendre compte car il passe un bras dans mon dos et commence à le frictionner gentiment. Je me rapproche instinctivement de lui, en quête de réconfort, et il finit par me serrer complètement contre son torse. Je ne le pensais pas aussi apte au contact, je crois que je l'imaginais plutôt distant. Je glisse mes bras autour de sa taille, cachant mon visage dans son cou. Les garçons ne font pas ça, d'ordinaire. Je ne fais pas ça, d'ordinaire. Mais à cet instant, j'en ai vraiment besoin. Il ne me repousse pas, en vient même à poser sa joue sur le dessus de mon crâne, ignorant les remarques de nos camarades qui passent à côté de nous.

Je me recule finalement après une énième moquerie, il fronce les sourcils, suit des yeux le troisième qui nous a fait une remarque.

– Eh, Frank. On s'en fout de ce qu'ils pensent. Si tu en as besoin, tu peux venir dans mes bras n'importe quand.

Je hoche la tête, le serre furtivement contre moi pour le remercier – et pour avoir le plaisir fugace d'être à nouveau dans ses bras – puis lui offre un sourire qui se veut rassurant. Je lui lâche encore un « merci » avant de lui dire qu'on se verra demain. Il hoche la tête, un air déçu passe sur son visage avant de s'évaporer dans un sourire. Il lève le bras à mon attention, je réponds à son coucou avant de me détourner pour rentrer chez moi. Je retrouve ma musique, suis soulagé de rentrer seul, pour une fois. Léo et Martin ont dû partir devant.

Et comme prévu, je les retrouve assis sur les marches devant chez moi, en train de rigoler ensemble. Martin se lève pour s'installer sur la rambarde, je m'approche et il se ravise en me voyant arriver, délaissant la barre de métal pour retrouver le béton. J'enlève un écouteur, le passe dans ma nuque et les tchecke tous les deux. Ils me regardent de travers : on a passé la journée ensemble, pourquoi leur dirais-je bonjour ?

– T'as l'air perturbé, Franky.
– Hum... ouais.

Ça ne sert à rien de nier, ils me connaissent depuis qu'on a trois ans, depuis le premier jour de maternelle. C'est Martin qui nous avait proposé de jouer avec lui aux petits chevaux. On n'y comprenait rien, Léo et moi, on avait beaucoup ri. Depuis ce jour-là, eux et moi on est inséparables. En tous cas, j'y croyais.

– Bah vas-y, accouche ! s'exclame finalement Léo.
– C'est chaud chez moi en ce moment, mens-je sans scrupules.
– C'est toujours chaud chez toi, soupire Martin d'un air compatissant.
– J'te l'fais pas dire... Bon, je dois monter les gars, à demain !

Je m'avance vers la porte, tape le code et entre. Juste avant que la vitre ne se referme derrière moi, j'entends vaguement Martin se plaindre que je ne viens plus jouer avec eux dans le sous-sol de notre copain. Je plaide coupable. Je vais alors rejoindre la raison de ce changement : l'appartement d'Hortense. J'ai à peine posé un pied à l'intérieur que des aboiements retentissent, et que Tyni me saute dessus. Je chancelle, me prends la porte dans le dos et enfouis mes mains dans la fourrure claire, la mettant sans dessus-dessous. Je m'accroupis, elle me lèche partout sur le visage, me faisant éclater de rire. Quand elle met ses pattes avant sur mes genoux, je la repousse pour pouvoir me défaire de mes chaussures.

J'avance dans la pièce après avoir abandonné mes vêtements chauds dans l'entrée, me dirige tout de suite vers la cuisine sans manquer de cajoler Tyni qui semble vouloir de l'affection. Le week-end a probablement été aussi long pour elle que pour moi, mes parents m'ayant empêché de descendre. Je mets l'eau à chauffer, sors les sachets de thé et le service en porcelaine. Je n'ai pas encore vu Flack, mais il aboie dans l'appartement depuis que je suis entré, alors je ne doute pas de l'entendre arriver. Hortense vient prendre les gâteaux – elle en a toujours, je ne sais pas par quelle sorcellerie, chez moi c'est toujours la diète – et passe ses doigts dans mes cheveux. Je lui pique un baiser sur la joue, elle se fige, peu habituée à ce genre de marque d'affection. Elle n'est pas très tactile, et j'ai tendance à garder mes distances aussi, en général.

Elle quitte finalement la pièce, je la rejoins dans le canapé et pose le plateau sur la table basse. Flack est étalé de tout son long à côté de sa maîtresse, je pousse ses pattes pour pouvoir m'asseoir et il grogne de mécontentement avant de remettre ses coussinets sur mes jambes. Tyni s'installe tranquillement sur mes pieds, posant sa tête sur ceux de mon hôtesse, laquelle sirote paisiblement sa boisson. Drôle de tableau. Je me penche pour récupérer ma tasse, souffle sur le thé avant d'avaler la première gorgée. Je grignote quelques biscuits par-ci par-là, attendant qu'elle parle. Elle ne semble pourtant pas décidée à le faire. Je tourne la tête vers elle, elle me contemple sans un mot, détaillant mon visage qu'elle doit pourtant connaître par cœur.

Je termine ma tasse, la repose, attrape un gâteau. De ma main libre, je gratte le dessous des oreilles de Flack, je sais qu'il adore ça. Il jappe d'ailleurs, avant de fermer les yeux pour mieux profiter. Je pouffe devant son comportement attendrissant, et enfourne ma pâtisserie d'une bouchée. Le silence seulement troublé par les deux chiens est reposant, surtout après cette journée passée à fuir les questions et remarques des gens. Je viens de comprendre pourquoi certains voudraient devenir invisibles. S'ils savaient...

– Ça a commencé, assené-je, pour mes pieds.
– Déjà, soupire Hortense.

Je relève la tête, surpris. Effectivement, c'est tôt, mais... elle l'a dit comme si ça recommençait.

– C'était qui, la fille du carnet ? tenté-je à nouveau.

Elle frémit, pose ses yeux sur moi. Je sais que cette fois, elle va me répondre.




Salut !
Aucune excuse pour la fin de chapitre hyper sadique, déso déso :3 Vos théories sur l'identité de la fille du carnet ??

La scène chez Faustin ? ;)

Sur ce, je vais arrêter d'être une mauvaise élève, et retourner en cours de maths. A la semaine prochaine pour le chapitre 6 ^^

Bisous :3


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