Chapitre 3
Statufié devant la voix de Faustin, je me retourne lentement, très lentement, vers lui. Je me force à lui lancer un sourire auquel il répond avec un sourcil en l'air. Il s'approche de moi alors que je n'ai qu'une envie : m'enfuir. Encore une fois, entre mes pensées et mes actes, il y a un fossé.
– Tu escalades les tribunes toi, maintenant ?
– Je l'ai souvent fait, réponds-je en haussant les épaules avec désinvolture.
Il laisse échapper un rire et enfouit ses mains dans ses poches, rentrant la tête dans les épaules pour tromper le froid qui commence à s'installer. Je l'observe sans un mot, et les battements de mon cœur s'accélèrent alors que sa bouche expire un nuage de buée. Puis il me sourit d'un air presque coupable.
– J'te cherchais, chuchote-t-il, et il me semblait bien t'avoir vu traîner ici de temps en temps. Je n'avais pas imaginé que tu serais sur le toit !
– Les apparences sont souvent trompeuses. Pourquoi... tu me cherchais ?
Il sourit de plus belle, puis relève les yeux vers le ciel. Je fais de même ; les premières gouttes de pluie ne vont pas tarder à venir s'abattre sur cette ville tellement triste.
– T'avais pas l'air bien aujourd'hui. J'me suis dit que t'aimerais peut-être en parler. Et puis j'aime bien la pluie.
– T'es bizarre toi.
– T'aimes pas ça ? me demande-t-il en reportant ses yeux horrifiés sur moi.
– Pas tellement, non. Enfin, pas quand je finis trempé et que mes affaires sont foutues.
– C'est vrai qu'avec ton sac défoncé, tes cahiers doivent prendre cher, chuchote-t-il.
Comment sait-il ? Je ne lui en ai jamais parlé. Comment a-t-il remarqué que ma besace était aussi abîmée ? Un sourire naît sur mes lèvres. Il m'a regardé, a détaillé mes affaires. Je lève timidement les yeux sur lui, il me sourit en retour avant de passer son bras autour de mes épaules, pour me faire me pencher en avant. Il ébouriffe mes cheveux puis me donne une grande accolade qui me fait tituber.
– Allez, pas de chichis ! Raconte !
Il se tait, me regarde. Je ne peux pas lui dire qu'il m'attire, pas alors qu'on va peut-être devenir un peu plus que juste « camarades ». Pas alors qu'il me sourit en voulant comprendre pourquoi je n'allais pas complètement bien aujourd'hui. Pas alors qu'il a remarqué que j'étais ailleurs.
– Et puis j'aimerais bien... pourquoi pas... qu'on devienne... vraiment amis ?
J'écarquille les yeux, entrouvre la bouche, le fixe. Il a de nouveau ce petit sourire gêné, rentre encore un peu plus le menton dans son col, faisant disparaître sa bouche dedans. Les premières gouttes de pluie s'échouent dans ses cheveux, humidifiant légèrement ses mèches emmêlées. Je hoche finalement la tête, lui donne à mon tour l'accolade.
– On est déjà amis !
– Ah ouais ? rit-il.
– Dès la seconde où tu m'as demandé ce qui m'arrivait. Merci.
Il m'interroge du regard. J'inspire, me lance :
– Je deviens invisible. Personne ne me voit. C'est à peine si mes parents se souviennent que j'existe. Ma petite sœur n'y fait pas tellement attention, elle est encore trop jeune. Mais Léo et Martin passent à côté aussi ! C'est assez incroyable : il n'y a aucun prof' qui se soit rendu compte de quoi que ce soit ! La seule à me comprendre, c'est...
Mais je m'arrête. Il me regarde bizarrement. Les sourcils pas vraiment froncés, mais pas haussés non plus. Il ne bouge pas, se contente de me contempler.
– Laisse tomber, lâché-je rageusement.
– Non attends ! T'as l'impression d'être invisible tu dis ? Tu te sens si seul que ça ? Pourtant t'as l'air de bien t'entendre avec Martin et Léo, non ?
– Ça n'a rien à voir...
Je n'aurais jamais dû lui en parler, je le savais. Les mots sont pourtant sortis tous seuls. Il fallait qu'il sache.
Je secoue la tête, lui souris tristement et laisse échapper un « à demain » avant de le planter là et de me mettre à courir. Des larmes me montent aux yeux, je les essuie d'un mouvement rageur de l'avant-bras sans m'arrêter pour autant, j'accélère même. Je l'entends crier mon nom et je hurle en réponse. Je hurle sans même reprendre mon souffle. Puis je tombe à genoux, la respiration coupée et mon cœur battant à fond dans ma cage thoracique, au milieu des flaques qui se forment lentement. Je tousse, pleure, crie encore. J'en ai assez. Assez d'être seul. Assez de tout foirer.
Une main frôle mon épaule, je n'y fais pas attention. Mais la personne s'acharne, elle me secoue. Je lève alors vers une dame dans la quarantaine un regard flou, les joues baignées de larmes. Elle s'agenouille en me demandant si je me suis fait mal, et je la repousse en me remettant debout. Pourquoi est-ce qu'elle se rend compte que je ne suis pas bien alors qu'elle ne me connaît même pas ? Ou plutôt, pourquoi ceux qui me connaissent n'ont-ils pas le même comportement ?
Elle s'excuse, je balaie ses paroles de la main en disant que c'est moi, que c'est ma faute. Je lâche même que tout est de ma faute et elle semble s'en vouloir. Elle me conseille gentiment de rentrer chez moi, me propose de m'y raccompagner. Je décline l'offre mais l'en remercie, et elle s'en va sur un sourire compatissant. Dès qu'elle a disparu, je me mets en route, toujours en pleurant. La pluie s'abat à présent sur les rues. Je serre mon bras contre mon torse se soulevant au rythme de mon cœur, là où se trouve le carnet. Sa silhouette sous mon manteau me rassure, me calme. Je me sens soudainement mieux, comme anesthésié. Je marche lentement, je m'en veux d'avoir réagi ainsi devant Faustin. Je me demande s'il m'en voudra. S'il acceptera de me reparler. Je pense que oui. J'espère.
Je suis devant mon immeuble, la pluie s'est intensifiée. Je déteste cette ville. Je me déteste encore plus.
Je ne veux pas rentrer chez moi, alors je ne monte que deux étages et toque chez Hortense, ma « voisine ». Je l'entends s'exclamer que c'est ouvert alors je pousse la porte et me déchausse en prenant garde à ne pas mettre de l'eau partout. Je me débarrasse de ma veste que je pends sur un crochet, puis m'avance dans la pièce, le carnet toujours plaqué contre mon cœur. Elle est dans la cuisine, un tablier noué autour de la taille et dont les pans retombent négligemment sur un pantalon de toile bleue. Flack me saute dessus, appuyant ses pattes avant sur le bas de mon ventre pour réclamer des caresses que je m'empresse de lui offrir, celles-ci me réconfortant beaucoup aussi. Je dépose le journal sur le buffet, hors d'atteinte des deux animaux, puis m'assieds pour les cajoler. Tyni fourre son museau dans mon cou et me lèche la mâchoire, me faisant éclater de rire à travers mes larmes.
– Raconte-moi, me dit soudain Hortense qui s'est approchée sans que je ne l'entende.
Je passe un bras autour de l'encolure de Tyni et la flatte encore un peu avant de me lancer dans mon explication courte et bête de la situation. Je me sens encore plus nul à présent.
– Tu as voulu lui expliquer, mais il a pris ça pour une plaisanterie, si je comprends bien.
J'opine en abandonnant les deux chiens pour aller m'asseoir à côté d'elle sur le canapé. Elle m'incite à poser ma tête sur son épaule ; j'accepte après qu'elle m'ait assuré que l'eau qui goutte de mes cheveux et mes vêtements ne la dérangeait nullement. Je me suis donc blotti tout contre elle, respirant par à-coups son parfum de violette, les genoux ramenés contre le torse et la main droite près de ma bouche, comme un enfant. Elle m'a longuement caressé le dos pour faire cesser complètement mes pleurs, jusqu'à parvenir à me détendre entièrement. Je me suis endormi dans ses bras, dans l'atmosphère si chaleureuse de son petit appartement, ses deux chiens à nos pieds et la tarte embaumant la cuisine.
**
Quand j'ouvre les yeux, je suis seul dans le canapé et recouvert d'un plaid dont la couleur disparaît sous une couche de poils provenant des deux chiens. Je me pelotonne encore un peu plus dans la couverture, enfouissant mon visage dans le coussin sur lequel ma tête repose. Il sent la tisane et la violette, comme une bonne partie de ce qui compose cet appartement accueillant. J'entends une voix qui n'est pas celle d'Hortense, alors je me redresse lentement, m'emmitouflant dans le plaid pour ne pas avoir froid. La personne est avec ma voisine, dans la cuisine. Tyni est la première à se rendre compte que je suis réveillé et à se précipiter vers moi. Elle saute en cercle autour de moi, attendant que je m'agenouille pour la choyer, ce que je m'empresse de faire avant de resserrer la couverture sur mes épaules pour m'approcher de mon hôtesse et de son invité.
– Tu es réveillé, François ?
Je lui souris, encore un peu dans les vapes du sommeil, puis tire une chaise pour m'asseoir. L'homme qui est à la place que j'occupe habituellement me lance un regard intrigué, et semble retenir un rire. Je passe une main dans mes cheveux ébouriffés et constate qu'ils sont encore plus en bazar que d'ordinaire, ce qui explique son sourire.
– Bonjour, je marmonne avant de me frotter l'œil de mon poing fermé.
Il répond à mon salut avant de se remettre à discuter avec Hortense qui m'indique de me faire un thé pour me réveiller. Je n'ai aucune idée de l'heure qu'il est, mais constate que la tarte a été bien entamée, ce qui m'apprend que l'inconnu est un gros mangeur, parce que ma voisine a un appétit d'oiseau. Je fais chauffer de l'eau et souris en sentant Tyni se frotter contre mes jambes. Je m'assieds au sol pour la caresser longuement et elle jappe, toute contente. Elle est très affectueuse, bien plus que Flack qui préfère jouer et faire de l'exercice, et on se complète bien tous les deux.
– Ta mère est passée tout à l'heure, m'annonce doucement ma voisine, elle voulait savoir où tu étais. Je lui ai dit que tu rentrerais quand tu serais réveillé.
J'opine du chef en me relevant pour récupérer l'eau que je verse dans une tasse. Ma tasse. Elle est toujours au même endroit dans le placard, ébréchée en dessous à cause d'une fois où je l'avais posée un peu trop violemment sur le plan de travail. Il n'y a que moi qui l'utilise, je suis reconnaissant à Hortense de ne pas l'avoir servie à son invité. Je ne sais d'ailleurs pas qui il est ; sa présence m'étonne car elle ne reçoit presque jamais chez elle. Ceci dit, elle ne sort presque jamais non plus.
Un aboiement me fait sursauter et je manque de renverser ma tasse que je stabilise heureusement de ma main gauche. C'est Flack qui est probablement encore juché à la fenêtre. Je retourne dans le canapé et souris du fait que Tyni m'y suive. Je cherche des yeux le carnet, le retrouve sur le grand buffet et une vague de soulagement me submerge soudain. Puis l'amertume revient. Ma mère est passée, mais elle n'a pas trouvé étrange que je sois endormi sur le canapé de la voisine un peu avant les vingt-deux heures. Ni que je n'aie pas été à la maison de la soirée. Je secoue la tête dans un mouvement de déni puis constate que mes mains sont transparentes. Je ne m'en étais moi-même pas rendu compte. Les battements de mon cœur s'accélèrent, et une pensée s'immisce au milieu des autres, sournoise.
Et si ce n'était que dans ma tête ? Et si je devenais simplement fou ?
Puis je me souviens qu'Hortense m'a vu d'elle-même, que je ne lui en avais même pas parlé avant. Puis je me souviens du carnet, et cette idée se dissipe toute seule. Je ne suis pas le seul dans mon cas, et je ne veux pas remettre la santé mentale de la mystérieuse auteure en doute. Je sais ce qu'elle ressent, je sais qu'elle dit vrai. Je me relève, abandonnant le plaid sur le canapé et vais attraper le carnet du bout des doigts. J'ai froid, mes habits sont encore un peu humides et je devrais me laver. Au lieu de cela, je retourne m'asseoir, termine ma tasse de thé d'une traite, m'enveloppe à nouveau dans la couverture sans penser au volume de poil qui va venir recolorer mon pull et mon pantalon. J'incite Tyni à venir contre moi, elle ne se fait pas prier et sa chaleur me fait du bien.
Je me rends compte que je n'ai vu que dix pages, et que j'ai déjà l'impression que c'était trop pour moi. J'ouvre à la onzième, ses coins sont cornés et je vois même une petite déchirure vers le haut. À quelques endroits, le crayon a bavé, formant des auréoles pâles sur le papier. Je devine qu'elle pleurait en dessinant. C'est un dessin très noir, les traits sont particulièrement appuyés et démontrent une rage importante. Pourtant, ce sont des étoiles qui sont dessinées.
Elles sont les seules à me comprendre.
Je caresse machinalement Tyni qui ronfle à côté de moi, bienheureuse. J'ai l'impression d'avoir toujours connu cette fille que je n'ai jamais vue, comme si elle faisait partie de moi. Ou comme si j'étais toujours passé à côté d'elle. Je tourne la page, la suivante a été arrachée soigneusement, c'est à peine si on s'en rend compte. Je me demande ce qu'elle pouvait bien représenter et surtout, pourquoi l'auteure s'en est débarrassé.
Celle d'après représente une pièce coquette, assez colorée et qui rappelle un peu l'appartement d'Hortense : un endroit agréable dans lequel on a envie de rester pour toujours. Une porte de sortie, un univers parallèle où rien n'est douloureux. Un cocon de douceur et d'amour. Je constate alors que les meubles sont très détaillés, que des boiseries sont dessinées sur l'armoire, que les nappes sont brodées ; ça a dû être un travail long et minutieux que de dessiner tous ces détails. Et alors, je remarque la phrase écrite en tout petit au bord du tapis.
Me voilà quand je serai grand-mère. Autoportrait futur.
Je comprends alors qu'elle est dans cette pièce, qu'elle y vit. Qu'elle y est invisible. Mon cœur se serre, j'ai mal pour elle. J'imagine la douleur que ça a dû lui faire ressentir d'imaginer cette scène et de la représenter. Je referme le journal. Je reste figé, écoutant les aiguilles de l'horloge faire retentir leur éternel « tic-tac », les yeux dans le vague et la main dans le cou de Tyni. Je sens sa peau se soulever au rythme de sa respiration et, curieusement, ce mouvement régulier m'apaise. Je ne sais pas combien de temps je reste ainsi, mais je finis par me rendre compte qu'il faut que je remonte. Je n'en ai aucunement l'envie.
Je finis tout de même par me lever en tentant de ne pas réveiller la chienne, tentative qui se solde par un échec. Elle ne bouge cependant pas, se contentant de couiner quand elle me voit m'éloigner. Je lui offre une dernière caresse, enfile mon manteau et ramasse mon écharpe qui a dû tomber pour la placer en travers de mon épaule. J'attrape mes chaussures d'une main, l'autre serrant toujours le fameux carnet, et salue ma voisine et son invité avant de quitter la chaleur de l'appartement. Je m'excuse mentalement d'avoir laissé ma tasse sur la table basse, hésite même à y retourner pour rectifier cette erreur, mais je suis déjà sur mon palier et la porte est entrouverte. Je soupire, la pousse. Je laisse mes chaussures dans l'entrée, accroche mon manteau et mon écharpe, puis referme à clé derrière moi. La cuisine m'accueille ensuite lorsque je viens chercher du sopalin que je fourre dans mes baskets pour qu'il en absorbe l'humidité.
Comme d'habitude, je ne dis rien à mes parents qui lisent le journal dans le salon, chacun assis sur son fauteuil attitré. Ils ne lèvent même pas les yeux à mon arrivée. Ils s'en fichent bien, de toute façon. Mon père finit cependant par prendre la parole, alors que je cherche quelque chose à grignoter dans les placards :
– Pourquoi tu n'étais pas là ?
– J'étais chez Hortense.
– Alors pourquoi est-ce que tes affaires sont mouillées ?
– Il a plu quand je rentrais du collège, mens-je sans aucun remords tout en croquant dans une biscotte.
– Ton sac de cours est pourtant parfaitement sec.
Je commence à m'agacer de son ton, comme s'il savait tout alors qu'il n'en est rien. Je suis persuadé qu'il ne connaît même pas ma couleur préférée. Je ne suis plus un enfant, et ce, même si je n'ai que douze ans. J'aurais voulu en être encore un, pour de longues années. Mon regard se perd une seconde sur mes mains transparentes qui tiennent le paquet de biscottes, je fronce les sourcils. Je suis seul à le faire, une fois de plus.
Je disparais dans le couloir pour rejoindre ma chambre, la nourriture flottant toujours en l'air au bout de ma manche. J'entends ma mère dire à son mari qu'il devrait être plus ferme et je réprime difficilement un juron qui menace tout de même de s'échapper de mes lèvres. Je referme ma porte derrière moi, me faisant violence pour ne pas la claquer, et abandonne enfin mes vêtements humides pour m'enterrer sous deux pulls et un jogging confortable. Je m'installe en tailleur sur mon lit, jetant un regard meurtrier à mes cahiers qui traînent sur et sous mon bureau. Je regrette de ne pas avoir d'animal de compagnie, la solitude me retombe dessus d'un coup. Puis je remarque que mon portable clignote, m'indiquant une notification. C'est un assez vieux modèle, mais il me suffit pour retrouver mes amis ou pour joindre mes parents au besoin, chose que je ne fais quasiment jamais. C'est plus souvent Marguerite que j'appelle, pour la prévenir que je rentrerai en retard ou ce genre de choses.
Je le déverrouille en songeant que j'apprécie vraiment avoir autant de touches sur mon clavier que de lettres dans l'alphabet, parce qu'il me serait insupportable de devoir toujours appuyer plusieurs fois pour écrire un c ou un f. Je ne connais pas le numéro qui m'a appelé, il n'a pas laissé de message donc je laisse tomber et me concentre à nouveau sur le carnet noir. Je l'ouvre, passe les premières pages pour retrouver la treizième – sans compter celle arrachée – à laquelle je m'arrête. Elle représente des mains qui sont coupées au-dessus des poignets, et elles ressemblent presque à des gants, si ce n'est leur couleur de peau. Le réalisme est époustouflant, il me met presque mal à l'aise.
Voilà à quoi je ressemblerais si on ne voyait que l'invisible et si le visible ne l'était pas. C'en est presque à la moitié de mes avant-bras. Je me suis rendu compte hier que le bout du bout de mes orteils avait disparu aussi. Maintenant je sais que mes pieds vont suivre le mouvement.
Je relève mes manches, contemple longuement mes avant-bras qui se coupent un peu avant mes poignets, et soupire. Quand les crépitements viendront jusqu'à l'endroit dessiné par la jeune fille, mes pieds se mettront aussi à disparaître. Puis ce seront mes jambes et mes bras, mon buste, ma tête. Puis je ne serai plus rien d'autre qu'un fantôme, si je n'en meurs pas. Je commence à devenir curieux de ce qui va m'arriver après. Je tourne la page.
Je m'adosse au mur dans la même position que le personnage : une jambe pliée sur le sol et l'autre en l'air, formant une sorte de demi-papillon. Je ne saurais dire s'il s'agit d'une fille ou d'un garçon. Mais cette personne caresse rêveusement un chat semblable à celui qu'elle avait dessiné plus tôt. Je cherche des yeux l'écriture qui devrait être la légende de ce dessin, mais n'en trouve pas. La feuille suivante, à l'inverse, en est remplie.
Ne me laissez pas seule.
De toutes les tailles, de toutes les polices, de toutes les couleurs. Partout. Il n'y a plus une parcelle de blanc. Et, bizarrement, ça m'électrise. Ça me plaît. Je me lève sans attendre, fouille dans les tiroirs bordéliques de mon bureau, trouve toute la peinture que je peux. Je la lâche en vrac par terre, et vais chercher une grande feuille de papier cartonné. Je la pose au sol, bien à plat, me munis de deux pinceaux, l'un fin et l'autre très épais, cale le premier au-dessus de mon oreille, le second dans ma main.
Je verse toutes les couleurs dont je dispose dans une assiette pour les anniversaires, et me lance dans de grands traits sans logique aucune. Je fais des mélanges, des mouvements de bras plus amples que jamais, des cercles. Beaucoup. J'aime les cercles, ils sont continus, lisses, sans à-coups. Je ne dessine pas de carrés, ni d'autres figures géométriques.
Je recouvre toute la feuille – et des pans de mon parquet par la même occasion – de peinture multicolore. Puis, je coince mon pinceau entre mes dents et attrape celui que j'ai calé sur mon oreille. Je le trempe dans le blanc, et commence des mouvements fluides du poignet pour écrire au milieu de la page, au-dessus de toutes les couleurs. Le blanc s'y mélange d'ailleurs, rendant mes mots difficiles à lire.
Les gens silencieux remarquent tout, mais personne ne les remarque.
Je ne me souviens plus de l'auteur, il me semble avoir lu cette phrase dans un livre. Je suis incapable de dire lequel. Je me laisse alors retomber sur les fesses, le souffle court et des perles de sueur au front. Je respire fort, je ne sais pas pourquoi. Je contemple mon œuvre parée de mille couleurs, une pointe de fierté au cœur mais avec un sentiment désagréable qui me noue les tripes. Peut-être est-ce l'appréhension, la peur ? Ou alors la simple solitude.
Je rebouche mes tubes de peinture soigneusement, ne désirant pas la retrouver sèche, puis passe un chiffon humide sur le sol de ma chambre pour tenter d'effacer les traces, en vain. Je m'acharne quelques minutes puis décide qu'au final, ça me plaît bien comme ça, et passe ma main juste sous mes cheveux pour chasser la sueur. Je range tout ce que j'ai sorti, vais rincer les pinceaux dans la salle de bain, constate qu'un trait d'une couleur entre le violet et le marron barre mon front, et éclate de rire. Je me nettoie comme je peux, me contemple longuement dans le miroir. Des étincelles éclatent dans mes poignets, s'échappent vers mes doigts et viennent y mourir dans un crépitement que je commence à trop bien connaître.
Je constate que des couleurs tachent ma peau claire, et frotte mes mains l'une contre l'autre avant de les savonner pour faire disparaître la peinture. Quand elles sont de nouveau propres, je me jette un peu d'eau au visage avant de quitter la pièce pour retrouver ma chambre. J'ouvre grand la fenêtre pour la débarrasser de l'odeur qui flotte dans l'air, et m'adosse à l'encadrement de bois. Les étoiles sont de sortie, la pluie s'est arrêtée même si quelques nuages subsistent dans le ciel sombre. L'air frais me fait frissonner, je m'empresse de refermer la vitre pour abandonner pulls et pantalon. Je me glisse sous ma couette, m'enroulant dedans pour retrouver un semblant de chaleur, et ne tarde pas à m'endormir, le carnet posé sur ma table de nuit.
Coucou !
J'espère que vous avez passé un bon week-end ! J'ai jardiné, comme la semaine dernière mais depuis hier il pleut comme vache qui pisse, c'est terrible. Ceci dit, y'a eu un gros orage samedi soir et j'adoooooooore ça !! C'était tellement fascinant les éclairs, les énormes nuages qui s'illuminent l'espace d'une seconde !
Sur ce, je vais commencer ma semaine et me mettre à bosser.
Bonne fin de confinement (croisons les doigts) et prenez soin de vous, ainsi que de vos proches. Je vous aime <3
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