Chapitre 13 : Non prohibere



Ça devait frapper depuis un bon moment. Ça faisait une chiée d'épisodes que je rêvais de trucs à la con, comme quoi de méchants écureuils pourchassaient mes noisettes... Je suis parvenu à ouvrir mes paupières. Un soleil pénible jouait à vouloir m'atteindre de ses tentacules lumineux dans la chambre bordélique (c'est le cas de dire !) de la pute noire.

Je me suis mis à bâiller. Me sentais vaseux encore, mais légèrement mieux; en cours de rétablissement. Je suis allé mater ma tronche dans la première glace venue. J'étais moins bleu, plutôt rose. C'était moins impressionnant que ma couleur océan de la veille. J'ai consulté mon coucou. Il piaffa plusieurs fois. A cause du soleil on ne pouvait être que l'après-midi; donc j'avais ronflé pendant près de vingt gueulantes. Pratiquement un jour entier ! Un bail ! Pas surprenant que je me sente revigoré.

Sur le palier, ça tambourinait toujours. Une voix de jeune taupe appelait :

— Bunny ! Bunny, tu es là ?

Et puis la voix disait à quelqu'un d'autre :

— Il lui est sûrement arrivé quelque chose : je ne l'ai pas vue de la journée et on avait un rencard toutes les deux avec un vicelard des écuries du Poney Club « les grands Nains » qui aime les parties à trois !

La fille a repris :

— Chez son frère non plus ça ne répond pas.

Ça prenait mauvaise tournure. Le temps de se concerter et ils allaient avertir les archers royaux ou un serrurier; peut-être même défoncer la porte pas plus épaisse qu'un parchemin. Rien que leurs coups fissuraient le bois vieilli.

Alors ni une, hideux ! La fenêtre, comme hier, en espérant que personne cette fois-ci ne serait dessous.

Je me suis mal reçu et il m'a semblé recevoir comme un coup de sabot de mule dans la jambe droite. J'ai taillé rapidement, mais une voix putassière s'est mise à crier :

— Hep ! Là-bas, qu'est-ce que vous branlez ?!!!

Au lieu de lui répondre, je me suis mis à cavaler de mon mieux en clopinant de la papatte. Le mauvais rêve recommençait.

J'ai avisé un terrain planté de palmiers. Dans le centre y avait une statue de pierre à la con encadrée de deux bananiers. Comme je me dirigeais vers l'endroit, un archer en grande tenue a débouché et s'est planté à quelques mètres de la sculpture. Il semblait prendre le vent, tel un chien de chasse détectant le pet d'une bécasse. J'ai rebroussé chemin et je me suis acheté un sombrero de paille auprès d'un commerçant ambulant qui vendait un tas de bimbeloterie pour touristes glandeurs. Sur le pourtour du couvre-chef se trouvait un foulard rouge, où il y avait écrit : I love El Paso. Sous le large bord, mon teint d'hépatique semblait moins prononcé. Certains Mexicanos étaient davantage plus foncés que moi.

J'allais d'un pas lent. La faim me torturait. J'achetai deux espèces de tortillas au maïs arrosées de sauce piquante et un Tacco Shell croustillant, puis les bouffis avec la voracité d'un coyote venant de parcourir un désert. Le marchand m'avait fourni un chiffon dégueulasse avec la bouffe. Je m'essuyai les lèvres d'un revers de manche, puis les doigts dans sa serviette graisseuse et la jetai sur le sol.

A cet instant, une calèche stoppa à ma hauteur et trois archers baraqués comme des pandas en sortirent pour se précipiter sur moi. Mon instinct m'avait lâché sur le coup. Je trouvais néanmoins le temps de réfléchir. Relativité formidable du moment. Mon conseil de guerre ne dura probablement qu'une fraction de gueulante de coucou, et pourtant il me parut aussi long que le sacre de Lothaire à Reims en 954.

J'aperçus l'auberge Ananas Mexicana sur ma droite. Style saloon ancien. Des portes battantes. Un hall triste à pleurer des fesses, avec un gigantesque cactus à l'intérieur.

Je bondis. Les lourdes s'ouvrirent en couinant. Un vieillard en guenilles, coiffé d'un truc sans nom s'apprêtait à sortir. D'un croc-en-jambe, je le fis chuter et il s'allongea dans l'ouverture. Juste au moment où les archers y allaient à la charge héroïque. S'ils poussaient avant que le vioque soit relevé, ils risquaient de le péter en deux comme du bois sec, d'autant qu'il devait avoir les os mités, le papi.

Cela s'opéra en moins de temps qu'il n'en faut à un lapin pour mettre sa femme enceinte.

Je traversai le hall en quelques merveilleuses enjambées, sous les regards surpris de deux servantes basanées plus maquillées que les fameux Contes de campagne de l'UMP (l'Union des Maires du Patrimoine rural). Sur la droite, se trouvait la salle à goinfrer. Des anciennes de la bourgeoisie y buvaient le thé en picorant des galettes confectionnées avec du blé noir et des fruits secs. Comme elles se remémoraient leurs escapades friponnes, elles ne firent pas cas de moi. Je franchis la pièce sans prendre le temps d'admirer les fresques représentant une chasse au gibier d'eau sur le Rio Bravo (ou Rio Grande pour les amérindiens). Pile poil comme je parvenais à l'autre bout, les trois ours de Chine se pointèrent.

— Halte ! grommelèrent-ils.

Je n'en eus cure, comme on le dit si bien dans une ville thermale, me jetant sur une porte à va-et-vient et débouchant dans les comidas (cuisines). De suite, je mesurai mon manque de chance. Le vaste local ne comprenait que deux issues : celle que je venais d'emprunter, et une autre, en face. Seulement cette dernière était provisoirement obstruée par deux marmites qui se cassaient la gueule à y faire passer un gros chariot aux étagères emplies de vaisselle. Outre ces deux cocottes ne se trouvaient présents qu'un cuisinier occupé à trimbaler d'énormes casseroles de cuivre et un plongeur noir en tenue de plongée.

Les archers déboulèrent. Ils y allaient au galop. J'empoignai alors l'oreille d'un énorme chaudron posé sur le feu, dans lequel flottaient des denrées pêle-mêle. Je décrivis une figure artistique, tout en bandant mes muscles. Le chaudron d'au moins vingt litres partit en direction du trio.

Ce qu'il contenait était en train de bouillir et ils le morflèrent en pleine tronche. Ils se mirent à gueuler. Le moins atteint eut le réflexe de me décocher quelques flèches tout en criant plus fort qu'un gagnant de loterie.

Ce n'était pas la kermesse, les amis ! Les traits meurtriers, tel un essaim de guêpes dérangées, me chassaient de première. J'en avais partout, elles me sifflaient les oreilles, me traversaient les manches, me chatouillaient les cheveux. Fallait être drôlement copain avec le Seigneur pour ne pas succomber, ou alors espérer avoir des lecteurs Wattpadiens à la pelle, ce qui revient à peu près au même, d'un certain point de vue.

Quand le mec si con (pas Mexicain) a eu vidé son carquois — ce qui ne lui prit qu'une pincée de secondes — il poussa un nouveau cri, genre samouraï celui-là, et me fonça dessus. Je me baissai à temps, me relevai lorsqu'il fut sur mon dos, donna un fantastique coup de reins, pour me défaire de ce poids humain, à la suite duquel le bouffeur de bambous repartit dans une nouvelle trajectoire et atterrit malencontreusement — pour lui — le cul dans le bac à friture encore bouillante. Il plongeait son séant dans l'huile, gardant les cannes pendantes hors du vaste récipient.

Ça frissonnait magistralement et, par ma foi, bien que je n'eusse jamais éprouvé le moindre instinct cannibale, je dois admettre que l'odeur de testicules et de cul grillés aurait été intéressante si elle n'avait été souillée par celle de ses fringues dégueulasses. La douleur du désormais (ex) mâle fut telle qu'il perdit connaissance au milieu du plus sinistre des cris de souffrance.

N'écoutant que ma charité chrétienne, et sans crainte des éclaboussures éventuelles, je courus le saisir par le col pour l'arracher à sa fâcheuse posture. Il bascula en avant, s'écrasant sur le sol.

Ses petits copains, préoccupés par une violente cécité faisant suite au contenu du chaudron qu'ils avaient dégusté pleine poire, suppliaient qu'on leur vînt en aide. L'un d'eux, le mec moins con et Mexicain, s'adressait à la Vierge en termes vibrant. Ils se télescopaient l'un l'autre, butaient contre les casseroles, les ustensiles de cuisine, contre les plans de travail et se livraient à mille autres singeries que, par respect, je renonce à décrire dans cet humble chapitre. Je contournai l'archer frit, puis le cadavre du plongeur noir, lequel avait hérité de l'une des flèches qui m'étaient destinées, et me jetai sur les deux marmitons toujours agrippés à leur putain de chariot à vaisselle.

— bien joué, non ? Leur dis-je. Si Davy Crockett m'avait embauché on n'aurait pas perdu Fort-Alamo, n'est-ce pas ?! (1)

Je me mis à pousser sur le chariot pour dégager le passage. Dès que l'espace fut suffisant, je repris ma fuite.

Un couloir qu'on aurait dit un tunnel me conduisit sur l'arrière de l'auberge. Des employés, alertés par les coups de feu, se pointaient avec prudence.

— Vite ! Appelez des secours, il y a de la casse, leur lancé-je. Ces cons d'Archers Royaux font n'importe quoi quand on cesse de les surveiller.

Je trouvai une issue.

L'empruntai.

Le soleil était toujours au boulot. Il y mettait de sa grillade sur la ville. Le bronzage de l'après-midi avant de baisser son thermostat d'ambiance.

Je trouvais la situation de plus en plus incohérente. Le temps de franchir l'Ananas Mexicana, un type était raide, un autre déburné à vie et deux autres encore bons pour des Labradors ou canes blanches. Une contrée pas fréquentable, vraiment ! Je pigeais mal le rêve Amérindien...

J'avisai une chariote taxée. Cette fois, il n'y avait pas de gardes en vue. Je pris place. Un Métis, joli garçon, portant bonnet de transport, lisait un parchemin sportif en attendant des feignasses comme moi.

Je pris place à l'arrière de son carrosse.

— Vous faites les trajets de longue distance ? Je lui demandai.

— Ça m'est déjà arrivé, ce serait pour où ?

Scie Attelle !

Il eut un superbe rire que, merde, je l'aurais confessé pour outrages aux vendeurs de pâte à dents, je m'en fous, je m'en lave les mains.

— Qu'est-ce que c'est que cette blague ? me demanda-t-il interrogatif.

— Ce n'est pas une blague, c'est un rêve. Et j'ai de quoi me le payer, regardez !

Je brandis ma bourse d'écu$ par-dessus son épaule et la lui fis humer comme à la baronne douairière une part des biens de son défunt mari. Ci-devant douairière ! ;) Il prit alors la peine de se retourner et me regarda intéressé.

— Vous n'auriez pas intérêt à louer plusieurs chevaux et équipements qui vont avec, l'étranger ?

— Je déteste chevaler seul.

— Vous savez qu'il faut au moins trois mois, à raison de 30 kms par jour, pour aller à Seattle ???

— J'ai tout mon temps.

Pendant qu'on discutaillait, un vol d'archers a surgi d'une chiée de carrioles diverses aux cornes de brumes hurlantes. Je n'ai pas bougé.

— Dites, votre rêve, il ne serait pas en relation avec la Garde déboulant ci-devant, patron ? D'ailleurs, me semble avoir vu un avis de recherche avec votre portrait, ce matin. On racontait que vous aviez la figure bleue. Elle n'est plus exactement bleue, disons que le bleu s'est barré et qu'il reste le rosé.

J'ai soupiré.

— Allez gicle, gamin, on continuera la conversation plus loin.

Mais on ne la lui faisait pas avec du baratin. Il a agi avec célérité. De la main gauche il a pris appui sur son siège et s'est jeté hors de la chariote en se tenant accroupi. Un chat ! Et il s'est mis à gueuler vers les flécheurs royaux :

— Oh, la Garde ! Vite ! Il est là !!!!!!!!

Moi, tu me connais ?

J'étais peut-être moins agile que ce garçon, toutefois, dans les cas graves où je me siffle, j'ai du répondant. En deux coups j'avais récupéré la place du conducteur et me trouvais assis aux commandes. Le chariot de sapin a démarré comme un suppositoire dans ton rectum. J'ai juste eu le temps de voir le Métis se diriger au-devant des archers en me désignant du doigt. J'ai enclenché la première rue à gauche, et ensuite j'ai viré au gré du trafic, à fond les pieds au plancher (où voulais-tu que je les mette d'ailleurs !) Je me disais que je n'espérais pas compter aller bien loin, mais seulement me barrer de l'épicentre. Le mieux c'était de dégager ma charrette branlante avant d'avoir les gardes aux fesses.

Eurêka, J'ai trouvé ce qu'il me fallait : un grand espace public. J'ai foncé sur le terrain herbeux, évitant des enfants ébahis. A l'autre extrémité, se trouvait le Rio Bravo, très large, aux berges bordées de plantes tropicales. Deux pêcheurs venaient de débarquer au ponton et s'apprêtaient à attacher leur légère embarcation. Le jeunot tendait la corde à son collègue.

— Pas la peine ! Leur ai-je crié.

Ils se sont statufiés pour me regarder venir. J'ai couru sans ralentir jusqu'à eux et les ai envoyé dans la soupe d'un double tampon. Qu'ensuite la barque était mienne.

Le duo emplâtré mijotait dans la baille verdâtre. Le plus vieux me gueulait contre, ce qui le forçait à avaler davantage de flotte qu'il ne lui en fallait pour laver son linge de corps. D'un coup de reins, j'ai lancé le mouvement des rames. Il était explosif et ne demandait qu'à se répéter. Ça me donnait une curieuse sensation de vitesse de tracer sur le fil de l'eau. Il n'y avait que ça de romantique, à El Paso, plus l'ancienne prison de Billy le Kid... (2)

J'ai pouffé de rire. C'était nerveux. A force de foncer dans le tas et de tout de foncer ;) une exaltation tordante me gagnait. Je devenais une espèce d'eCône isolée pour fresque humoristique. Je me suis dit que je devais réitérer le coup de la chariote taxée du Métis, c'est-à-dire pas buller à bord de ma gondole. Au bout de cinq cents mètres, apercevant d'épaisses touffes de plantes aquatiques, j'ai mis au point mort, balancé les rames, sauté de la barque et repoussé l'embarcation. Je n'ai pas pu m'empêcher de la regarder se mouvoir, seule sur le fleuve. Un bateau ivre ! Il se dirigeait d'une rive à l'autre, reprenait un instant le milieu du courant et recommençait ses hésitations. C'était romantique, charmant, tu vois ?

Mais bon, je n'étais pas là pour enfiler des perles. Et si je parvenais à réparer mon destin mité, je m'offrirai un bateau à voile et j'irai le manœuvrer sur le lac de Guenièvre (en Suisse). (3)

Pour l'instant...

Une fois sorti du boqueteau de plantes, je me suis rendu compte que je me trouvais dans un quartier plutôt sinistre. Des bâtisses en ruine dressaient leurs carcasses de pierres décolorées par le soleil. Une colonie de gueux à la coupe iroquoise y avait élu domicile. Les Ponks !

(à suivre)


Titre Chapitre : Non prohibere (Ne jamais s'arrêter)

(1). Parfois je me demande si Émile n'est pas visionnaire...

(2). Je confirme, Émile est bien visionnaire.

(3). Petite parenthèse à la Reine Guenièvre, personnage de légende arthurienne, femme du roi Arthur entretenant une relation d'adultère avec Lancelot... et au lac de Genève (ou lac Léman) en Suisse, dont la longueur de 72,8 kms en fait le plus grand lac Alpin d'Europe centrale. 

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