Chapitre 12 : Cudendum ante !
— Bon, présentez-moi un peu vos poignets, le moine, qu'on procède par ordre ! Me dit le Grasdubide en arrachant une paire de fers de sa ceinture.
Il tenait toujours son coutelas de compétition, mais il se démenait maladroitement de sa main libre pour choper les fers. Je n'aurais pas dû le faire, mais je le fis. Un grand coup de sandale inouï (et non pas Inuits, qui sont les habitants autochtones de l'Arctique nord-américain, du détroit de Béring à l'est du Groenland) dans ses couilles cachées tout là-bas sous l'auvent de sa bidoche. Fallait frapper loin. J'atteignis ma cible. Ses burnes, ça devait faire des années qu'il avait rompu toute intimité avec elles, le dinosaure royal. Un vague souvenir lui rappelait leur existence. Mon coup de latte venait de lui rafraîchir la mémoire. Le chameau poussa un blatèrement épouvantable, rien à voir avec ses rots précédents, et puis tomba à genoux, prit appui sur ses mains, sa bedaine à ras du plancher.
Fallait finir le travail. Je ramassai sa dague et lui administrai un coup de pommeau très sec, là où se trouve l'interrupteur du sommeil. Et paf ! il s'étala comme une merde. Enfin, si on peut « s'étaler » quand on a un tel physique barriqué. Disons qu'il fut éteint.
J'évoluais dorénavant dans le sang, dans l'irréparable. On allait m'exécuter à vie, peut-être même me chasser après la mort. Le moyen de me disculper après un bordel pareil ? J'avais tronché et ouvert en deux une mamie, puis éclaté les noix et la citrouille d'un shérif du Roi. Va plaider non coupable, après ça ? Que j'aurais eu son coucou d'urgence, comment que j'aurais coucoulé (1) à la jolie Madame Soleil, moi, lui demander quelle suite elle lisait dans sa boule de cristal.
Merde ! Merde ! Merde !
Je reluquai ma bouille dans une glace fixée à l'entrée de la chambre. Ma gueule était complètement bleue. Un vrai Peenutchuck (2) débarqué de son village champignon ! Que faire bon Dieu ? Si au moins mon Ninja était là... A moins que ce soit lui, le fameux Homicida, qui m'avait plongé dans la panade ?
Alors ?
Alors rien.
L'Emergency Ku-Koo du shérif royal se remit à coucousiller pire qu'avant. Il avait dû se réveiller dans sa chute, le volatile. Ce contretemps me fit réagir. Fallait que je m'emmène promener...
Je sortis sans me hâter mais en matant. Après avoir ramassé le chapeau du prévôt, je m'en coiffai. Il m'arrivait aux épaules. Avec ce machin-là sur la tronche, je devais ressembler à une Amanite phalloïde. Le village des champignons que je disais...
Tout en cavalant, je m'efforçais de maintenir le couvre-chef du tonneau étoilé au niveau de mes sourcils. Mon but ? Je n'en avais pas.
Tout tournait au vinaigre (ou au vit nègre). Je m'étais laissé introduire plus qu'un finger dans le backside !
Partir où ?
Pour faire quoi ?
Trouver refuge chez qui ?
J'allais avoir au cul toute la cavalerie du comté Texan avec une jolie accusation de meurtre et de voies de fait sur la personne d'un agent assermenté.
A une intersection, il y avait du rififi : deux charrettes venaient de se praliner et avaient éclatées comme des coquilles de noix. Un manant gisait sur le dur. A la vue de mon sombrero de police des gens m'ont adressé de grands signes. J'ai fait du slalom à travers la foule et les épaves et j'ai mis le turbo pour me tailler de cette zone épineuse. Derrière moi j'apercevais des hommes qui me criaient des insultes.
Bon, il fallait pas trop lambiner dans le coin. J'ai accéléré comme un perdu.
La nuit tomba. Elle était plus lourde que tes bourses pleines. J'écrasais plein d'insectes bizarres en foulant le trottoir. Ça giclait sous mes semelles comme de la pâte à choux sortant d'une poche à douille.
La vieille chanson du célèbre troubadour Gilles Berbicot me lancinait la tronche : « Et maintenant, que vais-je fai-ai-re ? »...
Je me suis surpris à grelotter comme une feuille. J'avais la tremblote. De la fièvre ? Possible. Une sucrette de compétition. Ou alors la maladie de Parkinson qui me chopait de partout ! Malade, en plus !
Epuisé, je suis entré dans une nouvelle taverne. Un chanteur de foire sévissait. Fallait se boucher les artiches pour supporter ça. Le barman, un grand diable, rouquin à foutre le feu aux neiges du Kilimandjaro, mâtait une pute à moitié à poil qui se déhanchait sensuellement malgré le vacarme de l'autre blaireau qui s'égosillait comme un vendeur à la criée. Il avait un drôle de tic, le Singer Texan, qui l'amenait à s'empoigner les génitoires toutes les dix secondes, une fois qu'il réalisait un moonwalk (3).
— Une cervoise tiède ! Lui dis-je.
Je me hissai sur un tabouret, tant bien que mal. Y'avait du vertige dans ma tronche. Un cirque emballé. En face de moi, un grand miroir épinglé derrière le comptoir me renvoya une gueule horrible, complètement bleue ! Le serveur poil de carotte essayait, par décence, de ne pas trop me regarder, mais c'était plus fort que lui et ses yeux de serpent constipé revenaient sans cesse sur moi comme deux mouches à merde sur une tartine de marmelade.
Je pris le gobelet, trempai mes lèvres et eus un haut-le-cœur. Impossible d'avaler le moindre centilitre de nectar alcoolisé.
— J'ai réfléchi, lui dis-je, donnez-moi un Canada sec ! Ça a la couleur de l'alcool, ça a le goût de l'alcool, mais c'est trompette !
Il haussa les épaules. Je l'intriguais et le faisais un peu chier sur les bords. Nous étions nombreux dans sa taule ; plus le chanteur braillard et la pute. Un mec en chemise dégueulasse, donnait des infos des quartiers alentours. Le barman s'était mis à l'écouter. Il annonça qu'un meurtre venait d'être commis à l'Apache's Auberge. Un étranger venait d'éclater une vieillarde et avait cruellement frappé le courageux prévôt qui tentait de l'interpeller. Signalement du fugitif... A noter qu'il avait une partie de la figure peinte.
Le rouquin de service fit montre d'une présence d'esprit inouïe : il ne cilla pas et n'eut pas un regard dans ma direction. Mais bon, je le savais qu'il m'avait redressé, l'apôtre, tu parles ! Un étranger à la figure peinte, il en déambulait pas des légions dans le Comté Texan. Qu'allait-il faire ? Sortir un couteau et me braquer ? Ou bien aller me dénoncer aux archers royaux, en douce ?
Je le vis s'approcher d'un Ku-Koo qui somnolait à l'extrémité du comptoir. Bon, c'était le moindre mal. Il ne coucoula pas avec, mais farfouilla sous le nid du volatile. Je compris qu'il venait de saisir un petit bout de parchemin
Peu après cette discrète manœuvre, il sortit par une porte basse.
Je comptai jusqu'à dix avant de le suivre. J'entrai dans une arrière-salle encombrée de caisses, de victuailles, d'amphores, et d'une cage à pigeon. Dans un recoin, je le vis de dos écrire fiévreusement un mot d'urgence. Juste au moment où il chuchotait « l'assassin est ici ! », je saisis le papelard et l'arrachai.
— A quoi ça t'avancera, Ducon ? Je lui demandai. Tu penses à une prime ?
Il restait penaud, un pigeon blotti contre son avant-bras, se demandant si j'allais le buter.
— Ce n'est pas Chrétien comme attitude, mon ami.
Et je lui allongeai un direct à la mâchoire ; de ceux qui te font battre des cils. J'étais le roi du k.o. C'était ma façon d'éloigner ceux qui s'interposaient entre moi et ma liberté chérie. Je m'en fus par une sortie dérobée. Dans la rue, les gens tressaillaient à ma vue et se retournaient sur mon passage. Faut dire qu'un homme bleu, par ces temps de non science-fiction, ça se remarque. Y avait toujours ces putains d'insectes noirs qui se brisaient sous mes pas comme du bois sec. A chaque enjambée, je m'attendais à voir surgir les gardes royaux.
Pincemi et Pincemoi sont sur un bateau, me disais-je... Pincemi se sert un café, Pincemoi tombe à l'eau, c'est qui qui boit la tasse ? Je tremblais de plus en plus fort, la tête me tournait. Des cornes de brume d'archers hurlaient à la mort à travers la ville. Joyeuses fêtes !
A un moment donné, je dus m'appuyer à une façade tant tellement le vertige me prenait. Je fermai les yeux pour tâcher de me refaire un équilibre, mais ça merdait en moi comme pour un gibier blessé.
J'ouvris à nouveau les projecteurs et j'aperçus une Noire dans un renfoncement. La fille portait un corsage de satin blanc, une jupette noire qui lui arrivait au ras des miches. Son maquillage lui donnait un aspect de chasseresse J'avais beau me trouver au pays de l'extravagance, une gonzesse peinturlurée à ce point ne pouvait qu'être une pute.
— Hello ! Je lui fis.
Elle se pointa d'un pas.
— Tu m'embarques avec toi, ma belle ? Je lui demandai.
Au lieu de sauter sur l'occasion, elle questionna :
— Pourquoi t'es bleu ?
— Pourquoi t'es noire ? Ripostai-je.
Et J'ajoutai :
— Moi, c'est le foie, et toi l'hérédité, lequel guérira le premier à ton avis ?
Elle eut un sourire pareil à un coup de soleil, tellement ses grandes dents brillaient.
— Quel est le tarif pour une nuit d'extase, ma jolie ?
— Trois écus! Risqua la môme.
— C'est parti mon kiki.
Pourtant elle hésitait encore.
— Tu les as ?
Je sortis une bourse. La pute s'alluma comme une torche.
— C'est tous des vrais ?
— Je le veux, princesse des nœuds !
— Viens !
Elle pivota et marcha au fond d'une impasse. Des odeurs d'épices et de crasse se mélangeaient. Je regardais le cul de la Noireaude qui tendait la jupette. Un vrai pétard de première ! Il se balançait nonchalamment. A force de le fixer, j'en apercevais six ou dix !
Chez elle, c'était du genre bordélique, avec plein de robes à froufrou, d'étoffes, d'huiles essentielles et de coussins. Pas d'une propreté cristalline, mais enfin on pouvait largement faire avec.
Défaillant, je m'assis lourdement sur le lit de travail. Il poussa un cri de protestation, le matelas en question.
La belle négresse m'examina à la lumière de ses bougies parfumées.
— T'es pas contagieux, au moins ? demanda-t-elle, inquiète.
— Bleu ou Blanc, Jaune ou Gris, quelle est la différence pour une Noire !
— Tu m'allonges les écus ?
Je repris ma bourse, en saisis trois et les lui tendis. Elle les griffa d'un beau geste putassier. Exactement le geste contraire à celui, auguste, de la Semeuse (4) que l'on trouvera frappée sur la pièce de monnaie française de un franc, vers 1960.
— Tu ne te les fourres pas dans ton bas de laine, comme le font toutes les putes ?
— Je n'ai pas de bas. Ne bouge pas, je le dépose à côté, chez mon frère.
Elle sortit, laissant la lourde ouverte. Je fermai de nouveau les yeux et glissai dans le fromage liquide.
Des chuchotements me ramenèrent à la vie. Je fis un effort pour éclairer mes lanternes. Aperçus la pétasse avec un putain de grand type, genre Allumeur de torche murale comme gabarit. D'ailleurs il portait une chemise avec deux torches croisées peintes dessus, au milieu de la poitrine.
— Oui, oui, c'est sûrement lui, dit-il.
Bon, je compris que c'était joué. La pute, en allant mettre mes écus au frais chez son souteneur avait dû mentionner ma couleur bleue et ce grand con avait entendu les rumeurs.
Je constatai qu'il tenait un gourdin dont il se tapotait la jambe.
Réalisant que je venais de récupérer mes esprits, il lança :
— Voilà ce qu'on va faire le moine : tu me refiles ta bourse et je te laisse partir; sinon je t'éclate, te pique les soussous et ma Black Bunny va chercher les archers du Roi. Choisis ce que tu préfères, tu as deux grandes secondes pour réfléchir.
— Mais je suis mal à en crever, objectai-je.
— Sûr, ça se voit. Bon, ta réponse ?
— O.Kééé... pour ta première proposition.
Je me tournai de côté pour me lever. J'étais naze. Je fis un écart que je rattrapai in extremis, sortis une fois de plus ma bourse magique de la poche et la tendis au grand diable ; mais je tremblais tellement que je la laissais tomber avant qu'il ne s'en saisisse. Il se pencha pour la ramasser. C'était magnifique. Malgré ma grosse fatigue, je lui ajustai un beau coup de pompe dans la mâchoire. Il piqua du nez, tomba en travers, mais il n'était pas sonné pour de bon. Alors j'empoignai son casse-tête en bois d'arbre, style chêne vintage, et lui en portai un grands coup sur sa poire vide de méfiance. Puis je récupérai ma fameuse bourse. La tapineuse black s'était sauvée en gueulant comme quoi « Help ! Help ! » Fallait pas sécher ans dans le coin.
Je regardai par la fenêtre de la pièce, m'étant souvenu qu'elle se trouvait au premier étage de la bicoque. Elle donnait sur une impasse. J'enjambai et regardai le vide. Pas plus de trois bons mètres. Je sautai. Atterris sur quelque chose de mou qui était la pute sortant de la casba.
Du beurre ! Songeai-je. Elle gisait, sans vie sur le sol, avec une grosse plaie béante à la tempe. Quelle connerie. Je construisais une tuerie comme une belle réputation. Déjà je ne me rappelais plus le nombre de personnes que je venais de dégommer en moins de deux. Pire qu'un virus !
C'est à cet instant que me vint la lumière. Elle me fut dictée, je pense, par mon état de forme déficient. Je ne me sentais pas la force d'aller plus en avant. Donc, le mieux était de rester on the right place !
Je regardai alentours. Les cris de la fille de joie semblaient n'avoir alerté personne. Je rassemblais mes forces et me mis à transporter la sexy black jusqu'à son logis.
La montée me fut infernale. Une fois dans la chambre, il ne me restait plus suffisamment d'énergie pour décacheter un parchemin. Mais comme je n'avais pas de courrier à lire, ça ne tirait pas à conséquence. Et pis merde ! J'avais besoin de souffler.
A tout prix !
Ce bonheur, mes frères, lorsque je m'affalai sur le canapé après avoir largué mes sandales, ma robe et mon chapeau ! Je crois bien que ce fut un des instants les plus délicieux de ma vie. Je ne pensais pas plus loin que mon repos.
J'allais enfin dormir, et cela seul importait.
Dormir à en mourir !
(à suivre)
Titre Chapitre : Cudendum ante ! (allez de l'avant !)
(1). Coucoulé : ici, téléphoné.
(2). Peenutchuck : Créature champignon (photo du chapitre) dont je suis tombé follement amoureux, au hasard de mes recherches ! Conçu par un artiste formidable (Nate) de Los Angeles, au talent évident. J'ai décidé de la baptiser "Peenutchuck" parce que... ça sonnait bien ! Et, petite confidence entre webamis : Les Peenutchucks pourraient prochainement faire l'objet d'un roman si le temps et l'inspiration venaient jusqu'à moi...;)
(3). Le moonwalk : de l'anglais « Moon », qui désigne la lune, et « walk », la marche, appelé aussi back-slide ou le retour en arrière, est un mouvement de danse consistant en un pas glissé du Breakdance que l'on peut faire remonter à Cab Calloway, popularisé dans les années 1980 par Michael Jackson.
(4). La Semeuse : gravée par Oscar Roty (1846 - 1911) est un type de monnaie qui a fait une carrière remarquable dans la numismatique française. Son modèle, créé en 1897 pour figurer sur les pièces d'argent de la Troisième République , réutilisé en 1960 pour les nouveaux francs, est devenu l'un des trois symboles, avec le buste de Marianne et l'Arbre de vie, à avoir été retenu par la France pour figurer sur les faces nationales de l'Euro.
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