chapitre deux
« Le pressentiment, c'est le souvenir du futur. » Pierre Dac.
Cette nuit a été horrible. Comme celle d'hier. L'ambiance est pesante, les douleurs présentes et mes souvenirs toujours absents.
En me réveillant, j'eus espérée retrouver ma mémoire, me souvenir que j'avais bel et bien eu un accident, que mes parents m'avaient prévenus ou que mon petit ami n'y était pour rien, que je l'aime et que j'en suis persuadée.
Mais non. Toujours rien. Aucun souvenir.
Ce matin, je n'ai pas fait grand chose, j'ai essayé de rattraper un peu de sommeil en somnolant. Gabriel est passé retirer ma perfusion, car maintenant que je peux me nourrir seule et il m'a fait une injection de morphine pour calmer les douleurs que je ressens dans mon genou brisé.
En arrivant, il a écarté les rideaux d'un geste énergique et dehors il faisait encore un peu sombre. Ou alors c'est sûrement parce que le temps est orageux. Je ne peux m'empêcher de regarder par la fenêtre. Je n'ai que ça à faire de toute façon.
Dehors, il pleut. Mon cœur se sert comme si j'avais peur, et sans savoir pourquoi ma respiration s'accélère légèrement. Ce sont sûrement les médicaments. C'est ce que je me suis dit dans un premier temps.
Mais cette pression intérieure ne cesse de grandir et cela ne peut pas être les médicaments. Mon regard est irrésistiblement attiré par ces gouttes qui lentement dévalent la vitre de la fenêtre de ma chambre. Et à ce moment, je me dis que ces gouttes me ressemblent. Elles ne peuvent que descendre, lentement ou rapidement avant de se fracasser contre le sol. Il leur est incapable de remonter dans leurs nids que sont les nuages.
La seule solution pour elles, c'est l'impact. Moi aussi, lentement, je suis en train de me diriger vers le sol. Moi aussi, je vais m'impacter dans peu de temps, je le sens. Mes souvenirs sont chaque heure, chaque minute, chaque seconde un peu plus loin de moi. Je ne retrouverai sans doute jamais ma mémoire.
J'essaye de m'imaginer ce que ma vie serai sans mon passé. Est-ce que j'étais une enfant heureuse ? Est-ce que je suis bonne élève à l'école ? Est-ce que j'ai des ennemis ? Des amis ? Est-ce que j'ai déjà fait quelque chose de mal dans ma vie ? Et si c'était le karma ? J'ai peut-être fait quelque chose d'affreux pour me retrouver dans cette situation ?
Quelque part, des centaines de personnes rêveraient de pouvoir remettre les compteurs à zéro et de redémarrer une nouvelle vie. Pourtant, de mon point de vue, je ne trouve aucun point positif à cette perte de mémoire. Mes parents semblent m'aimer plus que tout, ce garçon qui prétend être mon copain également.
Tout est trop compliqué, tout me perd, tout ce que j'essaye d'imaginer m'éloigne un peu plus de mon but. Je n'ai aucuns indice pour me souvenir. J'ai peut-être un portable, un ordinateur qui me permettrait de retrouver des photos, des choses en rapport avec mon passé ? J'ai cru comprendre que Milo passerait ce soir pour me voir. Il faut que je le questionne.
Mais s'il me disait des choses fausses ? Des choses qui n'existe en réalité pas ? Tout ça me fait peur.
Dehors, la pluie s'intensifie et ce poids, en moi, ne cesse de se manifester. Un éclair frappe l'air et cela me fait sursauter; créant de nombreuses douleurs dans tout mon être. Mon genou est plâtré, la minerve tiens toujours mon cou droit et beaucoup de contusions couvrent mes bras, et mon corps sûrement, au vu des douleurs qui me vrillent de partout.
Un nouvel éclair beaucoup plus proche et beaucoup plus intense en lumière retentit. La pièce s'illumine avec l'éclair et avec les gouttes sur la vitre, j'ai une légère vision qui me passe en tête. Comme une intense lumière blanche, avec une sensation humide, puis mon corps se contracte de lui-même.
Pendant quelques instants, j'ai cru percevoir un bout de mon passé. Et même encore maintenant, je me demande si ce n'est pas réellement une vision. Un souvenir. Lointain, mais un souvenir tout de même. D'un geste pressé, j'appuie sur le bouton bleu près de mon lit et je m'en veux immédiatement de déranger le personnel pour quelque chose d'aussi futile.
La porte s'ouvre sur une femme d'une quarantaine d'année, les cheveux tirés en arrière dans une jolie queue-de-cheval. Elle me sourit et se présente rapidement en me demandant pourquoi j'ai eu besoin de son aide.
– Euh, est-ce que je pourrais avoir une feuille et un crayon, s'il vous plaît ?
L'infirmière semble un peu surprise et elle hoche la tête en me demandant d'attendre quelques minutes. Elle part et revient plusieurs instants plus tard avec un calepin de feuille blanche et des crayons de couleur, contente elle me sourit une nouvelle fois. Elle regarde rapidement la fiche, devant mon lit et redresse la tête vers moi avec cette fois-ci une petite moue.
Si tu savais à quel point, moi aussi j'ai pitié de ma propre personne. À l'intérieur de moi, un petit rire nerveux me secoue légèrement avant que je ne la remercie et qu'elle déserte la pièce après m'avoir dit qu'elle pouvait la rappeler dès que j'en avais besoin.
J'ouvre le calepin et attrape un crayon avant d'écrire tout ce que j'ai ressenti, pensé, imaginé, depuis mon réveil. J'encadre ce à quoi la pluie et l'orage m'ont fait penser, ce que j'ai cru voir etc.
La journée passe lentement, les repas ne sont pas exceptionnels mais ils ne sont pas immangeables non plus. Il faut dire qu'avec l'accident j'ai la reconnaissance des goûts un peu dissipés mais Gabriel m'a dit que ça allait revenir très rapidement. Et c'est à peu près le cas, depuis hier, à chaque repas mes pupilles retrouvent des saveurs et quand je pense à un aliment en particulier je sais à peu près à quoi le goût peu s'apparenter en réalité.
Pourquoi ma mémoire des goûts ne fonctionne pas comme celles que j'ai perdues ?
Sur le calepin, j'ai beaucoup dessiné et je me suis surprise moi-même à trouver mon coup de crayon plutôt agréable à voir. Je me débrouille plutôt bien. Une idée me passe alors à l'esprit et je tourne ma page de dessin pour trouver une feuille vierge.
Et je commence alors à dessiner les visages de toutes les personnes que j'ai croisés dernièrement. J'y croque Gabriel, mes deux potentiels parents, Milo et l'infirmière de tout à l'heure. À chaque page, un portrait en haut à droite. Puis ensuite, sur chaque feuille, je note, je détaille tout ce que j'ai vu chez eux, leurs physiques, des tics peut-être, des styles vestimentaires.
Pour l'instant, je ne me suis pas vraiment concentré sur les détails physiques, ni mentaux. Je n'en ai tiré qu'un fouillis immense. Alors, sur mes pages, je ne note que ce que j'ai réellement retenu au crayon de bois. J'affinerai tout cela plus tard, quand je les observerai avec attention.
On frappe à ma porte et je ferme mon carnet doucement avant d'autoriser la personne à entrer; Gabriel.
– C'est encore moi, Milo et des amis à toi voudraient te voir, tu acceptes ou tu préfères te reposer ?
Je m'humecte rapidement les lèvres avant de les pincer, comme pour réfléchir avant de confirmer à Gabriel, le fait que je veuille bien les accueillir. Je pose mon carnet sur la table de chevet et replace correctement la couverture sur mes jambes et mon ventre avant d'attendre patiemment que la porte ne s'ouvre à nouveau.
Milo est le premier à entrer, avec un petit sourire et une boîte sous le bras. Il est suivi d'une fille qui se semble avoir les larmes aux yeux. Je fronce les sourcils alors que tous les deux entrent dans ma chambre. Gabriel leur donne quelque consignes rapides, comme ne pas faire trop de bruit et que dès que je montre un signe de fatigue, ils devront me laisser me reposer. Je remercie Gabriel, qui me lance un sourire réconfortant.
Il doit voir que je suis angoissé. Je ne connais pas ces personnes. Mes doigts triturent le tissu de ma couette alors que je regarde ces deux filles qui semblent blessées de ne pas être reconnu.
– Mh, salut, je dis simplement.
– Oh bon sang Alex', tu m'as tellement manqué ! dit une fille en s'approchant de mon lit pour s'asseoir à côté de moi.
Je dois faire un effort pour tourner ma tête vers elle sans que la minerve ne me bloque de trop et sans que je me retrouve contorsionnée. Cette fille qui s'est approchée est petite, aux cheveux noirs et aux carrés. De légers yeux noirs et bridés, avec une pointe de tristesse, semble-t-il. Elle attrape lentement ma main et la place entre ses deux paumes dans un geste protecteur.
– Piper, tu sais très bien qu'elle ne se souvient de rien, soupire Milo.
Je tourne mon regard vers lui, il est adossé au mur, les mains dans les poches et me regarde longuement. Nos yeux se croisent et une fois encore un léger pincement au cœur me fait réagir. J'ai de la peine, je ne reconnais même pas mes amis. Enfin, s'ils le sont. Ses cheveux bruns lui tombent légèrement devant les yeux, c'est vrai que c'est un beau garçon. Son nez à une très légère bosse, des yeux clairs et une mâchoire qui quand elle est contractée comme en ce moment même, le rend un poil sauvage. Je remarque aussi la cicatrice à peine refermée sur son front et un bleu sur sa pommette droite, c'est sûrement dû à l'accident. Je me demande s'il a eu d'autres blessures.
Mais qui me dit que ce garçon est bel est bien mon petit ami ? Des doutes. Je ne suis emplis que de doutes et ils commencent à m'étouffer sérieusement.
L'asiatique me sort de mes rêveries et se tourne vers Milo en grondant.
– Oh, toi la ferme ! Si tu n'avais pas bu on n'en serait pas là.
– Putain, mais tu vas arrêter avec ça ? De quoi tu te mêles ? T'étais même pas là ! s'énerve le brun.
– Heureusement, sinon je peux t'assurer que tu serais déjà mort si j'avais été là !
Je ne comprends strictement à rien à ce qu'il se passe alors que les deux continuent de se reprocher de nombreuses choses. Je soupire et passe ma main libre sur son visage.
– Bon, vous avez fini ? je demande.
– Excuse-moi, souffle Piper en se tournant à nouveau vers moi.
Milo s'avance et s'assoit dans le fauteuil lourdement, dos contre le dossier il place sa jambe gauche à la perpendiculaire sur son genou droit et passe ses bras derrière sa tête attendant son tour, visiblement. Piper me regarde avec ses yeux noirs pétillants.
– Comment tu te sens ?
– Hum, comme quelqu'un qui a perdu sa mémoire, je suppose.
Elle hoche activement la tête comme si, sa question était idiote et quelque part elle l'est un peu. Elle balaye l'air de sa main, comme pour chasser cette question qu'elle vient de me poser.
– Tu nous manques au lycée, les filles voulaient venir te voir, mais tu sais les entraînements...
– Piper ! grogne Milo. Elle ne se souvient de rien ! Elle se souvient sûrement pas du lycée.
Je lance un regard vers le brun qui semble avoir un regard triste. Je secoue légèrement la tête, du moins comme je le peux avec la minerve qui me bloque toujours.
– Non, racontez-moi pleins de choses sur ma vie d'avant, je souffle. Je veux tout savoir s'il vous plaît.
Les deux se regardent rapidement et Milo un signe négatif de la tête à l'intention de Piper. Celle-ci hausse un sourcil et sourit avant de tourner la tête vers moi. Alors qu'elle allait ouvrir la bouche Milo la devance.
– Piper, on doit y aller. Alex' doit se reposer.
Le brun se lève et presse l'asiatique pour qu'elle parte. Piper grogne et semble vouloir obtempérer mais une fois de plus Milo fait preuve de fermeté et d'un simple regard il l'en dissuade. Je fronce des sourcils en les voyants, ils me cachent quelque chose.
– Ah, j'ai oublié, dit Piper avant d'attraper une boîte que Milo avait posée par terre après être entré. Tiens, on t'as ramené des photos et des affaires, et ton portable aussi.
Je la remercie faiblement les deux adolescents avant qu'ils ne partent. La boîte est sur mes cuisses et je reste de longues minutes à la regarder du coin de l'œil. J'attrape mon carnet et marque tout ce que j'ai appris que Milo et j'ouvre une nouvelle page pour créer celle de Piper. Je dessine son portrait en haut à droite, puis rapidement je fais une ébauche de son caractère, de ce que j'ai retenu d'elle, du fait qu'elle et le brun me cachent sûrement quelque chose.
Puis, finalement, je repose mon carnet et lentement je soulève le couvercle de la boîte à chaussures repeinte en un rose pâle et décoré de petits mots. Je peux y lire des choses telles que "tu nous manques", "rétablie-toi vite" et d'autres qui se ressemblent plus ou moins. De longues phrases ou quelques mots, des prénoms ou des surnoms. Tout ça ne me dit strictement rien.
J'imagine que tout ça vient de mes amis, mais, lesquels ? Lorsque je retire le couvercle, j'y trouve à l'intérieur de nombreuses choses, premièrement tout au-dessus, un téléphone et un chargeur. Je le prends et le pose à côté, peut-être qu'il pourra m'en dire plus sur ma vie passée. Dessous se trouve un carnet et lorsque je le feuillette j'y trouve de nombreux dessins, avec des dates écrient en bas. Il n'y a pas que des dessins, il y a aussi des mots, des phrases, des collages, un peu de tout apparemment. Ce carnet n'est pas fini puisqu'il reste de nombreuses pages blanches. Je comprends rapidement que cet objet m'appartiens et que c'est moi qui l'ai rempli.
Je le pose à ma gauche, avec mon téléphone. La gauche, sera le côté "potentiel" des souvenirs et celui de droite, les choses en apparence insignifiantes pour l'instant.
Dans la boîte j'y trouve également des photos. Je suis sur ces clichés, et des gens sont avec moi. Sur plusieurs je peux voir Milo et Piper, je semble très proche d'eux. Il y a une où je suis assise sur les genoux d'un autre garçon que Milo, or je croyais que le brun était mon petit-ami ? Peut-être est-ce un simple ami ? Je tourne les images et y trouve sur la suivante un groupe de fille, nous sommes en tenus d'équitation. Je fronce des sourcils, alors comme ça je fais du cheval ?
Je trouve une nouvelle photo avec le même groupe de fille mais cette fois-ci lors de ce que je suppose être une soirée ou un festival. Nous sommes en ligne avec des gobelets à la main et un immense sourire sur les lèvres. Shorts et robes sont de sortie et je peux en déduire que cette photo à été prise durant les vacances scolaires.
Après les photos, je peux voir au fond de la boîte des lettres pliées en deux ou en quatre. Je suis surprise, car écrire des lettres n'est plus aussi courant qu'avant. J'attrape la première qui me tombe sous la main et l'ouvre lentement avant de lire les premières lignes.
" Ma petite Alexis,
J'espère premièrement que tu vas bien, et qu'à l'heure où tu liras cette lettre tu seras sortie d'affaire et réveillée de ton coma. Tu me manques affreusement et j'ai été très triste en apprenant ton accident. Au lycée, depuis ton absence ce n'est plus vraiment pareil. À chaque moment on attend un message de ta part. D'ailleurs, j'espère que tu pourras m'en envoyer un quand tu iras mieux.
Concernant l'enquête qu'on avait commencé à mener, j'ai des nouvelles informations mais qui risque de ne pas te plaire. Mais je ne veux pas te stresser avec ça maintenant, alors on en reparle quand tu iras mieux. Je passerai te voir dès que possible, reposes-toi bien.
Piper."
Je fronce une seconde fois des sourcils. Qu'est-ce que c'est cette histoire d'enquête ? Qu'est-ce que j'ai encore fait... ? Je me masse les tempes, tout ça me donne la migraine et c'est à ce moment que Gabriel a décidé de rentrer une nouvelle fois dans ma chambre après avoir frappé à deux reprises. Je range tout dans la boîte alors qu'il s'avance avec un plateau-repas.
– Tout vas bien ? demande-t-il avec un air légèrement inquiet.
– J'en sais trop rien, j'ai la migraine et j'ai l'impression de tourner en rond. Je suis complètement perdue, je soupire.
– Si tu as besoin d'aide, je suis là.
Je hoche la tête et on parle encore quelques secondes avant qu'il ne me souhaite une bonne soirée. Je mange tranquillement ce qu'il y a sur mon plateau avant de m'allonger correctement dans mon lit. Mon genou me fait de plus en plus mal et je comprends que les médicaments ne font plus trop effets depuis ce midi. Je soupire et essaye de m'endormir, mais toute cette histoire d'enquête et le comportement bizarre de Milo me stressent énormément. J'attrape mon téléphone portable et le déverrouille. Je n'avais visiblement aucun code pour le sécuriser. Je pars directement vers la messagerie et je défile avant de trouver celle de Piper que je remonte jusqu'en haut avant de tout lire. Je veux avoir des réponses. J'ai un mauvais pressentiment.
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