I

J'avais toujours détesté les cours de maths, extrêmement ennuyants selon mon humble avis, c'était peut-être pour ça que j'avais pris l'habitude de lire pendant ce cours. C'était le meilleur moment pour une petite lecture, car on se faisait rarement déranger en classe.

- Hey! Hey Harvey!

Je poussai un soupir. Quand je disais rarement, c'était complètement faux, c'était plutôt ce que je me bornais à croire. Avec James dans sa classe, on n'avait même pas une minute pour soi.

- Qu'est-ce que tu veux? lui répondis-je, agacé.
- Qu'est-ce que tu lis?

Double soupir. Ce gars-là avait une véritable mémoire de poisson rouge. J'avais dû lui dire au moins une bonne vingtaine de fois aujourd'hui que j'avais commencé Fablehaven.

- Regarde par toi-même.

Puis, avant qu'il puisse réagir, je lui balançai mon bouquin dans le visage. Ah!

- MONSIEUR KLINT!!!

Oups. L'enseignante m'avait vu. Mais bon, ce n'était pas si dramatique parce que, aujourd'hui, nous avions une remplaçante.

- Oui m'dame?
- Vous a-t-on déjà dit qu'il était interdit de s'envoyer des livres dans la figure?
- Non.

Et c'était pourtant la stricte vérité. Par contre, ma réponse eut le don de l'énerver encore plus. Ce n'était pas ma faute, si on m'avait bien dit quelque chose, c'était de ne jamais mentir...

- HARVEY KLINT, VOS PARENTS VONT EN ENTENDRE PARLER! hurla-t-elle.
- Mais...
- PAS DE MAIS, DANS LE BUREAU DU PROVISEUR!

Je grognai, ramassai mes affaires et me dirigeai vers la sortie, mais je me retournai avant de quitter pour lui lancer :

- En passant, mes parents sont morts.

La classe pouffa de rire pendant que la remplaçante bafouillait des excuses. Content d'avoir cloué le bec de cette vieille chipie, je me dirigeai à ma case le sourire accroché aux lèvres. Pas question d'aller chez le proviseur pour une si petite broutille! Et puis, nous étions à la dernière période, pourquoi pas en profiter pour quitter quelques minutes plus tôt?... Je descendis les marches du deuxième étage quatre par quatre. J'étais presque rendu aux casiers que je fronçai dans une fille.

- Oh! Pardon, dis-je.

Mal à l'aise, j'aidai la fille à rassembler ses affaires éparpillées sur le sol. Elle avait l'air pressée et ne cessait de regarder derrière elle. À peine eut-elle fini de tout ramasser, elle s'en alla d'un pas raide.

- Hé attend! criai-je. T'as oubliée...

Mais elle était déjà partie, me laissant avec un épais volume sous les bras.

~•~§~•~

En route vers la maison Kent, je fis tout mon possible pour éviter de penser à la jeune fille pressée et au mystérieux bouquin coincé entre deux manuels dans mon pauvre sac à dos qui manquait de se déchirer sous leurs poids. J'avais rapidement fait tourner les pages et le cahier était complètement vierge. Il n'y avait là aucune lettre! Peut-être était-ce pourquoi la fille n'y avait pas pris attention en ramassant. Rien n'était inscrit sur la couverture non plus, elle était composée d'un seul morceau de cuir reliant les pages entre elles.
Je gravis les marches du perron quatre par quatre, heureux d'avoir enfin congé. La maison pour enfant Kent était une bâtisse de deux étages en L ressemblant à une vieille maison coloniale en brique. D'immenses arbres aux branches pendante encadrait l'entrée, identiques aux autres qui se situaient à l'arrière. Une base clôture de fer forgé trônant sur un petit muret entourait trois des côtés des lieux, la façade arrière étant opposée à la rivière des Mille-Îles. Je poussai les lourdes portes de bois massifs et pénétrai dans la vaste entrée de la maison. Je saluai Geneviève et tirai le panneau qui révélait un petit salon à l'opposé du bureau de la secrétaire. Sans surprise, je découvris Deb qui visionnait une énième série d'animation japonaise.

-Qu'est-ce que tu écoutes cette fois?
-No. 6.
-Je t'ai demandé le titre, pas le nombre de fois que tu l'as écouté, Weeaboo.
-C'est le titre, imbécile, et puis, combien de fois t'ai-je dit de ne pas m'appeler Weeaboo? Est-ce que tu sais ce que ça veut dire? Non? Alors fermes-la! cria-t-elle sans quitter des yeux les sous-titres qui continuait de défiler. Un Weeaboo est une personne non-japonaise qui renie sa propre culture et qui se décrit comme étant japonaise, mais qui a juste l'air d'être complètement idiote parce qu'elle est complètement à côté de la plaque. Je ne renie pas ma propre culture, j'apprécie juste les mangas et je n'essaie pas d'être japonaise à tout pris, alors fiches-moi la paix.
-Dis celle qui dort lovée auprès d'un coussin à l'effigie d'un pirate de douze ans grandeur nature...

Sans prévenir, elle me lança la télécommande qui me rata de peu.

-Hé! Mais t'es folle?!
-Ce n'est pas un pirate, c'est le maître de la maison Phantomhive salaud! Il a perdu son œil quand il a—
-C'est bon! Je m'en vais!

Je m'enfuis avant qu'elle ne puisse recommencer un nouveau dialogue à propos de son personnage favori. Rebecca était habituellement silencieuse et plongée dans ses pensées, mais quand on la cherchait, il n'y avait plus moyen de la faire taire. J'en avais plusieurs fois fait les frais...
Je poursuivis donc mon chemin et montai à l'étage. Les chambres quasiment désertes de l'aile m'apportèrent un certain réconfort. Je n'aimais pas les espaces bondés. Même si les revenus se faisaient plus rares, je préférais quand l'orphelinat était moins occupé.
Soudain, un énorme bruit se fit entendre d'une des chambres. Je m'y précipitai pour y découvrir Timmy avec une vitre cassée à ses pieds et une grille menaçant de tomber de sa fenêtre.

-Mais qu'est-ce que tu fabriques? m'exclamai-je.
-Je... voulais installer un grillage pour que les oiseaux ne se frappent plus à la fenêtre et...
-Quoi? Mais ça ne te tentait pas de demander de l'aide à quelqu'un pour ça?
-Ça aurait été trop suspect...

Je fis attention à ne pas marcher sur la vitre et vint prendre le gamin dans mes bras même s'il avait passé l'âge de se laisser prendre. Qu'est-ce qui lui avait pris? Il était trop petit pour jouer avec ce genre de chose!

-Pourquoi dis-tu que ça aurait été trop suspect?
-Je ne sais pas... Je— Je ne voulais pas que les pirates viennent me prendre pendant faute je dors...
-Les pirates? répétai-je, confus.

Quelques secondes après cette révélation, j'éclatai de rire.

-Tu parles du film d'hier soir? ris-je.
-Oui...
-Hé, petit coquin, ça n'existe pas des pirates dans des bateaux volants, tu n'as pas à t'en faire! Alors on va laisser Robert s'occuper de ta fenêtre plus tard d'accord? Maintenant, va jouer ailleurs!

Aussitôt ses pieds au sol, le bambin s'élança dans le couloir en riant. Il n'avait pas à faire semblant d'être au bord des larmes pour si peu! Je souris. Quelle innocence...
Je pris mon sac au sol et continuai à ma chambre, la dernière du dortoir. Elle était simple, sans plus. De toute façon, dans moins de deux ans, j'étais hors d'ici. Il y avait de quoi se réjouir, mais, pourtant, mon coeur se serra à cette idée. Je lançai le sac sur le bureau et celui-ci finit par se déchirer pour de bon. Je grognai. J'allais devoir m'en procurer un nouveau par mes propres moyens... Les livres glissèrent hors de leur contenant et vinrent s'échouer sur le sol. L'un d'eux s'ouvrit et, sur sa page vierge, apparurent des mots. Je clignai des yeux. Les mots étaient là, sans plus, comme s'ils y avaient toujours été. Je le ramassai, puis me figeai. C'était le livre de cuir... Et il n'était plus vierge.
Je le rouvris pour lire ce qui y était inscrit. Les phrases semblaient écrites à la main, mais la calligraphie était soignée. J'en vins à la conclusion que j'avais sauté la page en vérifiant le livre et, pris de curiosité, lu les quelques phrases.

« L'Histoire est immuable. Ce que vous lisez ne peut être changer. Par contre, tout ce qui n'est pas écrit peut être modifié.

Il est impossible pour une personne autre que le détenteur de ce livre de lire ce livre. Celui-ci semblera vierge à quiconque qui déciderait d'y jeter un œil.

Vous ne pouvez pas visiter d'autres mondes. »

J'avais envie de jurer. Était-ce que une mauvaise blague? La première affirmation était la seule à avoir un sens à mes yeux, quoiqu'elle soit d'une logique à en pleurer. Bien sûr que l'Histoire ne peut pas être changée! À moins de s'appeler Doc Brown, c'est sûr, mais un livre illisible aux autres? Une telle chose n'existait pas. De plus, que voulait dire la dernière phrase?
Septique, je tournai la page pour m'assurer qu'il n'y avait effectivement rien d'écrit dans le bouquin, quand des mots s'écrivirent d'eux-mêmes sur la feuille. Je serais tombé de ma chaise si je n'avais pas été debout, figé au centre de la chambre. Je me pinçai pour confirmer que je ne dormais pas et étouffai un cri de douleur. La dernière phrase de la page fut coupée par le manque d'espace et le phénomène s'arrêta de lui-même. Je lâchai le livre ouvert sans crier gare comme s'il était devenu brûlant et me penchai sur mon bureau. Qu'est-ce que tout cela voulait dire? De la magie? Je secouai la tête. Qu'est-ce que je pensais?
C'était curieux, très curieux même. Pourtant, j'avais l'irrésistible envie de lire. Je ne me fis pas prier et me laissai tomber sur la chaise de bois.

« L'enfant courait à travers les ténèbres d'une rue sombre. Dans sa hâte, il ne cessait de trébucher sur les pierres grossièrement découpés qui formaient ensemble le parvis. Il jeta un regard en arrière, regardant pour vérifier si ses poursuivants le suivaient toujours. Ils n'étaient plus là, mais le garçon continua à courir jusqu'à ce qu'il rentre en trompe chez lui, dans une cabane crasseuse comme les nombreuses autres entassées dans le quartier. Elle était déserte. Le jeune garçon soupira.
Il retira son écharpe déchiré et descendit une petite marche, le sol étant rarement complètement égal ici. Il commença à vider ses poches. Dans celle de droite, il retira trois immenses bagues complètement en fer. L'enfant soupira en se demandant ce qu'il pourrait bien en faire. Il les avait volé sans même se préoccuper de si elles portaient des pierres précieuses. « Elles étaient sous verrous, » pensa-t-il. « Pourquoi sont-elles si banales alors? » Apres les avoir bien observées, il haussa les épaules et les jeta dans une pile de morceaux de fer.
Malgré cette défaite, le jeune garçon était assez content, car il avait réussi à voler ce qu'il recherchait le plus : des médicaments. L'enfant était si doué pour voler qu'on lui avait confié la tâche risqué de récupérer ces précieuses pilules pour la contrevente. Ici, l'argent se faisait si rare... Étirant un sourire, le jeune garçon se mît à lancer et rattraper la petite bouteille de façon régulière. Le son des médicaments frappant les parois de plastique sonnait comme une merveilleuse musique à ses oreilles.
Le garçon se retourna et se figea. Deux personnes à larges capuches noires se tenaient près de l'entrée. Ce n'était pas ses poursuivants, il ne les connaissait pas.

- Qu'est-ce que vous voulez? demanda l'enfant.
- Des médocs. On a entendu que vous en vendiez ici...

L'enfant étira un sourire. Il ne savait pas lequel des deux avait parlé, mais, de nouveaux clients, c'était toujours bon signe.

- Je vous avertis, ce n'est pas moi qui fait les transactions, c'est Alice. Alors le prix...
- Sera de 300 joyaux, le coupa un des hommes.

Le garçon faillit s'étouffer. 300 joyaux?! C'était une blague??? Avec ça, on pouvait tenir des mois!

- À une seule condition, spécifia l'autre.
- Laquelle? demanda avidement le jeune garçon.
- Que tu les testes. Nous avons besoin de médicaments authentique, vois-tu...
- Oui, je comprends, dit-il.

Le garçon décapuchonna le contenant le porta à sa bouche, puis releva la tête. Un des hommes lui tendait d'une main étonnement blanche une bouteille remplie d'eau.

- Merci, dit le garçon.

D'un trait, il avala les comprimés rouge sang. Ils passèrent aisément avec l'eau, mais, curieusement, il eut soudain l'impression que sa gorge s'était mise à gonfler. Le garçon se mît à paniquer, car il suffoquait. Les deux hommes le fixaient stoïquement. Il voulut crier à l'aide, mais sa gorge ne laissait passer aucun son. Au bout de son souffle, il s'évanouit. »

Je ne pus m'empêcher de pester contre l'histoire. Quel imbécile! On avalait pas des comprimés comme ça et surtout pas à la demande d'étrangers! Je refermai le bouquin avant d'y voir apparaître d'autres mots. Je n'en revenais pas, en plus d'un je-ne-sais-quel tour de magie louche, l'histoire laissait complètement à désirer ! À moins que... Je me retournai et fixa l'immense volume à la reliure de cuir. Il était bien trop épais pour que le héros meurt dès les premiers lignes, c'était impossible! S'évanouir, ce n'était pas la mort... Rongé par la curiosité, je rouvris le volume. Je n'avais rien de mieux à faire, alors je m'installais pour lire la suite.

« Le jeune garçon était complètement inconscient. Sans le savoir, il était balloté par les pas d'un des hommes qui le transportait comme un futile sac sur son épaule. Les rues étaient étrangement désertes et les volets des maisons étaient clos. Rapidement, les deux mystérieux personnages arrivèrent aux portes d'un immense manoir trônant à l'arrière d'une grande place. Ils entrèrent sans même cogner et déposèrent leur victime en avant d'un siège de velours rouge plongé dans la pénombre.
L'immense pièce où il se trouvait à présent était vaste, grande comme un terrain de foot, et les murs étaient couverts de représentations de combats sanglants. Elles présentaient toujours deux camps : Un comportant de nombreux combattants parfois en armures et l'autre ne comprenant que quelques individus. Bizarrement, c'était toujours ce dernier qui semblait avoir le dessus...
Une silhouette assise sur le trône le fixait de ses yeux rouges. Elle était encadrée de deux autres plus petites qui étaient presque imperceptible à l'ombre du trône. Un homme se tenait à sa droite. Son manteau était noir comme ceux des deux autres à l'exception d'une bande blanche stylisée qui était dessiné à toutes les extrémités du tissu. La silhouette prit la parole d'une voix douce comme le miel.

-Un autre?
-Oui, Lord. Il n'était pas sur la liste, mais il a volé le P-136 par lui-même.
-N'est-ce pas le nouveau expérimental des laboratoires?
-Oui, Lord.
-Alors comment a-t-il mis la main dessus?

L'homme ne répondit pas. Il s'avança vers l'enfant toujours endormi.

-Tu as pris un risque énorme en l'apportant ici.
-Je sais, Lord. Il est orphelin, alors j'ai pensé—
-Tu as pensé?
-La fille est sur la liste...
-Pire.

L'homme se tourna vers la silhouette, crispé. Celle-ci lui répondit d'un soupir.

-Apporte-le aux douches. Surveilles-le, il est sous ta supervision. Tant qu'à faire une erreur, autant en recueillir les données.
-Bien sûr, Lord. Tout sera fait selon votre bon vouloir. »

Sérieusement? C'était quoi ça? Une histoire de vampires et d'expérimentations? Ce n'était pas la première fois que je tombais sur une histoire du genre, mais c'était quoi cette idée merdique de transformer des gosses avec des pilules? Je fermai le volume en faisant claquer ses pages. C'était typique des histoires de scientifiques fous et, attention surprise, ça ne finissait pas souvent bien pour eux. L'histoire avait pour seul mérite de nous accrocher avec des questions, mais c'était commun comme technique. Ce livre n'avait rien de spécial... Alors pourquoi me retrouvai-je à le dévorer?

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